En 1917, le Dr Ball, au cours d'une patrouille, découvre un important dépôt de jarres – il estime leur nombre à quatre cents – au pied d'un gara à 240 kilomètres à l'ouest-sud-ouest de Dakhla. En 1934, Laszlo von Almasy passe par Abu Ballas et constate qu'il reste à peine une centaine de jarres. En 1993, lors de notre passage sur le site, on aurait eu du mal à réunir les morceaux de trente jarres… N'accusons pas pour autant le « tourisme sauvage », car il n'y en a pratiquement pas dans cette région. Plus simplement, chaque expédition – et il y en a eu beaucoup – a prélevé quelques jarres soit pour les étudier à loisir, soit pour les mettre à l'abri dans un musée. Ainsi la Fondation du désert, au Caire, en compte-t-elle un grand nombre.
Mais comment se présente Abu Ballas ? Pour l'atteindre, il faut naviguer durant une centaine de kilomètres à travers une vaste plaine de grès de Nubie recouverte d'un voile de sable mou plus ou moins épais. Elle est parsemée de « buttes témoins » gréseuses de formes coniques et en général assez éloignées les unes des autres. Deux de ces buttes, situées par 24° 25' nord et 27° 40' est, constituent Abu Ballas. Elles sont éloignées l'une de l'autre de 300 mètres et sont hautes d'une quarantaine de mètres. Souvenons-nous : lors de son passage à Dakhla en 1873-1874, le botaniste Ascherson, de l'expédition Rohlfs, avait recueilli d'un des habitants de l'oasis un renseignement qui paraissait incompréhensible : il y avait, quelque part dans le désert, vers le sud-ouest, « deux minarets » avec, au pied, un ancien dépôt d'eau.
La description était beaucoup plus précise qu'il ne pourrait le paraître à première vue. En effet, toutes les buttes témoins de cette région sont coniques et évoquent irrésistiblement, de loin comme de près, des pyramides. Les deux collines d'Abu Ballas, en revanche, sont de formes beaucoup plus arrondies. On peut tout à fait les comparer à ces dômes qui surplombent les mosquées. D'où le mot de « minaret ».
Les jarres n'ont donc pas été placées là au hasard, mais bien parce qu'il s'agit d'un point caractéristique – le seul en fait – de cette zone.
C'est au pied de la colline du nord que se trouvent les jarres. Il y en a deux lots, distants d'une cinquantaine de mètres : un vers le nord-est, l'autre vers le sud-ouest. Elles sont posées par terre le long des éboulis, et toutes celles qui restent sont cassées, parfois en très petits morceaux. On peut néanmoins, en les examinant avec attention, faire un certain nombre de constatations.
D'abord, deux types de jarres dominent : les rondes et les pointues. Pour simplifier, nous les appellerons les « jarres » et les « amphores », même si ce dernier terme n'est pas tout à fait exact. Les jarres, de beaucoup plus nombreuses sur le site d'après les photos prises aux différentes époques, font environ 80 centimètres de haut, avec des flancs rebondis et une embouchure étroite – une dizaine de centimètres. Les « amphores », beaucoup plus fines, se terminent en pointe.
Les jarres sont le plus souvent faites d'une terre de couleur grise, au grain assez grossier, et recouverte intérieurement et extérieurement d'une couche d'argile rouge. Les « amphores », elles, sont le plus souvent d'une couleur allant du marron clair au jaune. Elles ne comportent pas d'anse.
Nous avons également relevé un exemplaire presque complet de forme ovoïde aplatie, avec l'embouchure sur un des flancs. La présence de ce récipient – qui évoque très précisément ceux utilisés il y a quelques années par les Tebus – semble pouvoir être considérée comme accidentelle et relativement récente.
Selon les chiffres donnés par le Dr Ball, puis par le prince Kemal el Dine, il y aurait eu entre trois cents et quatre cents jarres ; chaque jarre contenant selon son type entre 30 et 40 litres d'eau, on peut admettre que ce dépôt représentait un potentiel de 9000 à 16000 litres d'eau, ce qui est énorme pour le désert.
La première question qui vient à l'esprit est : pourquoi ce dépôt ? La réponse est évidente : il s'agit d'un relais d'approvisionnement de caravanes. Almasy avait calculé qu'Abu Ballas se trouvait au premier tiers d'un trajet éventuel entre Dakhla et Koufra ; le deuxième tiers se situant dans le Gilf Kebir, il était convaincu qu'il y avait, quelque part dans le Gilf, un second point d'eau : Zerzura. La découverte du Wadi Abd el Malik et de sa source dans la branche est confirmait totalement pour lui cette hypothèse.
Seconde question : à quelle époque ce trafic caravanier passant par Abu Ballas avait-il été mis en place ? Nous avons sur ce point une indication précieuse : le voyage effectué par Ibn Nusaïr entre les années 695 et 700 apr. J.-C. à la recherche de l'Oasis perdue, sur ordre du calife des Omeyyades. Il y est fait expressément mention d'un « dépôt de milliers de jarres » sur le chemin du lac Karkûr, quelque part dans le désert.
Pour les chroniqueurs arabes des XIIIe et XIVe siècles, il ne fait aucun doute que ce dépôt – dont ils ignoraient l'emplacement exact – avait été constitué soit par Alexandre le Grand pour les uns, soit par les Perses pour les autres. Hérodote relate en effet dans le livre III, chapitre VI, de ses Histoires que les Perses avaient constitué de semblables dépôts d'amphores dans le Sinaï. Pourquoi Cambyse n'aurait-il pas procédé de même dans le désert Libyque ? Malheureusement, nous sommes à peu près certains aujourd'hui que ni les troupes de Cambyse, ni celles d'Alexandre ne se sont aventurées dans cette région. Pourtant, l'ampleur même de ce dépôt suppose une « origine illustre », si l'on me permet l'expression. On ne peut s'empêcher de penser que l'organisation qu'il suppose excède le simple fait de commerçants. Il faut en effet non seulement le mettre en place, mais assurer son fonctionnement et… le défendre. Nous reviendrons d'ailleurs sur ces points.
La première indication tout à fait intéressante va être donnée par une égyptologue de grand renom, G. Caton-Thompson. Dans une étude publiée, en 1934, par le Geographical Journal1, sous le titre « Historic Problems of the Libyan Desert », elle relève la parfaite ressemblance des jarres d'Abu Ballas avec celles en usage au temps des premières dynasties pharaoniques, et émet l'hypothèse qu'il s'agit d'un dépôt-relais fait par des expéditions d'exploration envoyées par les pharaons en direction de l'Afrique noire.
Cinquante ans plus tard, un scientifique de Francfort, le Dr Bodenstedt, passe par Abu Ballas au cours d'un voyage à Uweinat. Il y ramasse quelques morceaux de poteries et, revenu à Francfort, fait procéder à une analyse par la méthode de la thermoluminescence. C'est une méthode qui permet de déterminer l'âge des poteries par analyse du rayonnement résiduel accumulé pendant la cuisson2 et qui se dissipe au fil des ans. La méthode adoptée donne une estimation à plus ou moins 25 % de marge d'erreur. Appliquée à Abu Ballas, elle va donner les valeurs moyennes suivantes. Pour les jarres, une cuisson aux environs de 2 000 ans av. J.-C. Pour les « amphores », une valeur nominale non mesurable, donc très récente (de l'ordre de deux siècles au maximum).
L'impression purement « visuelle » est donc tout à fait confirmée : il y a bien, au Lieu des Jarres, deux dépôts complètement différents dans le temps. De plus, cette datation recoupe une constatation faite par le Dr Kuper, de l'Institut pour la préhistoire et l'histoire ancienne de Cologne. Il avait en effet noté sur un tesson une marque de potier datant du Moyen-Empire. Le fait était insuffisant pour élaborer une théorie, car il pouvait s'agir d'une présence accidentelle. Mais à partir de l'instant où nous avons deux informations qui se recoupent exactement, et provenant de deux disciplines très différentes (épigraphie et thermoluminescence), nous pouvons, il me semble, considérer le fait comme très probable.
En tout cas, le prendre comme hypothèse de travail, et tenter, en rassemblant les informations éparses, de reconstituer de la façon la plus vraisemblable l'histoire du Lieu des Jarres au cours des millénaires…
Sous le Moyen-Empire, donc, l'administration pharaonique décide d'ouvrir une voie à partir des « oasis extérieures », et plus précisément de Dakhla. Il s'agit de toute évidence d'une très grosse entreprise, qui suppose une « planification » rigoureuse et la mise en œuvre de gros moyens. Cela, les Égyptiens « savent faire ».
Première question : vers où se dirige cette voie dont nous connaissons la première étape ? Vers Abu Ballas ? Vers Koufra par les wadis du Gilf Kebir, qui en constituent la seconde étape, comme l'avait pensé Almasy ? C'est peu probable car, pour une puissance comme l'Égypte, Koufra, île perdue dans l'océan du désert, ne présente que très peu d'intérêt commercial, et ne peut rien offrir de plus que ce dont l'Égypte regorge.
Si l'on prolonge l'axe Dakhla-Abu Ballas, en revanche, on s'aperçoit qu'il se dirige directement vers le djebel Uweinat, le « djebel des Sources »… Au-delà d'Uweinat, toujours vers le sud-ouest, nous savons depuis les récits de Shehaymah à Fresnel qu'une étape de la même valeur que celle qui sépare Dakhla d'Abu Ballas permet d'atteindre les oueds et les sources du Tchad. De là, il n'y a plus de difficulté pour gagner l'Afrique centrale, où abondent l'or, les diamants et l'ivoire.
Le seul point faible de l'hypothèse est que la distance entre Abu Ballas et Uweinat est du double de celle que j'appellerai notre « distance de référence », c'est-à-dire celle qui sépare Dakhla d'Abu Ballas. Or, en 1983, une équipe allemande dirigée par le Pr Poehlmann a découvert, à mi-chemin entre Abu Ballas et Uweinat, un second dépôt de jarres semblable à celui d'Abu Ballas. La découverte, appuyée par des photos, a été communiquée au Dr Kuper de Cologne. Malheureusement, le Pr Poehlmann, qui était arrivé tout à fait par hasard sur ce dépôt, ne disposait pas d'appareil de positionnement par satellite et a donc calculé un point « à l'estime », par 23° 12' nord et 26° 25' est.
En 1985-1986, le Dr Bodenstedt, au cours d'une seconde expédition vers le djebel Uweinat, a exploré les environs de cette position, mais n'a rien trouvé. D'après son compte rendu, il aurait cherché trop à l'ouest, la longitude la plus vraisemblable étant + ou – 26° 55' est, sur la même latitude. Évidemment, tant que ce dépôt n'a pas été retrouvé et totalement inventorié, on ne peut rien affirmer. Il faut toutefois convenir qu'il correspond tout à fait à l'hypothèse d'une « route pharaonique » de Dakhla à l'Afrique centrale en passant par Uweinat.
La seconde question que l'on peut se poser à propos d'Abu Ballas concerne la façon dont fonctionnaient ces dépôts. Le Dr Bodenstedt émet d'abord une hypothèse tout à fait intéressante : à l'époque du Moyen-Empire, le chameau, s'il était connu en Afrique du Nord – ce qui n'est pas sûr –, n'était pas en tout cas utilisé comme bête de somme. Ce rôle était dévolu à l'âne, un animal qui, contrairement aux apparences, est tout à fait dans son élément dans les zones désertiques : comme le chameau, il peut supporter sans dommage une perte en poids de 25 % par déshydratation et rétablir en très peu de temps son bilan hydrique en absorbant la quantité d'eau qui lui manque. De là les jarres disposées de place en place dans le désert le long des axes sans sources ni puits. Mais comment remplissait-on ces jarres ? En ce qui concerne le site d'Abu Ballas, on a imaginé que des expéditions de ravitaillement d'eau étaient organisées quelques jours avant le départ des grandes caravanes… ou leur retour. La méthode est théoriquement possible, mais on voit mal une caravane de ravitaillement transporter, outre ce qui lui est nécessaire, quelque 9 000 à 12 000 litres d'eau…
Il y a en revanche une indication précieuse dans le livre de Rohlfs, Expedition zur Erforschung der Libyschen Wüste, édité à Kassel en 1875, et dans lequel il raconte son odyssée d'Assiout à Siwa. Il rapporte3 une conversation qu'il a eue à Dakhla avec un nommé Hassan Effendi – donc un personnage d'importance puisque Effendi signifie « seigneur » – et à laquelle assistait Ascherson, le botaniste de l'expédition. Hassan Effendi raconte qu'au début du XIXe siècle, les Tebus de la tribu des Bideyats, originaires de l'Ennedi, avaient pris l'habitude d'attaquer l'oasis de Dakhla. Le khédive avait par conséquent décidé d'envoyer ses mameluks à leur poursuite et ceux-ci avaient détruit le « puits où ils s'approvisionnaient en eau, éloigné de sept à huit jours de marche » (de Dakhla). Comme il n'y a pas de puits à Abu Ballas, tout le monde, qu'il s'agisse de Kemal el Dine, Almasy ou Bagnold, pour ne citer que les principaux, a toujours pensé que les « mameluks » avaient en fait brisé les jarres, ce qui revenait à détruire le point d'eau. De fait, lorsque le Dr Ball découvre le site en 1917, il décrit la multitude de jarres comme « plus ou moins cassées ». Faut-il entendre l'expression dans le sens que toutes étaient cassées, certaines un peu et d'autres totalement, ou au contraire dans le sens que certaines étaient cassées et d'autres intactes ?
Le seul élément de réponse nous vient des photos prises par les différentes expéditions qui se sont succédé dans les années 1920-1930. Il s'agit de documents réalisés avec les moyens de l'époque, dans un environnement très difficile. Ils ne sont donc pas d'une qualité irréprochable. Tels quels, pourtant, ils semblent bien montrer une majorité de jarres intactes. En tout cas, elles n'évoquent absolument pas un dépôt saccagé par des soldats.
Il faut par conséquent en revenir au témoignage d'Hassan Effendi à Rohlfs. Il y parle très précisément d'un puits. Dans le désert, les mots ont un sens précis, surtout lorsqu'il s'agit de la chose la plus importante qui soit : l'eau. Il faut en conclure qu'il y avait un puits à Abu Ballas, creusé à l'époque pharaonique – puits qui a été bouché par les soldats du khédive au début du XIXe siècle pour faire cesser les incursions de Tebus. La chose n'était pas difficile, d'ailleurs, car la butte témoin fournit tous les blocs de rochers et toutes les pierres nécessaires.
Mais l'existence d'un puits semble a priori en contradiction avec la présence des jarres… sauf toutefois si l'on admet que ce puits avait un débit relativement faible, ce qui obligeait à puiser l'eau en permanence et à la stocker dans des jarres pour disposer d'une provision suffisante lors du passage des caravanes.
Poursuivons l'histoire telle que l'on peut aujourd'hui la reconstituer avec une faible marge d'erreur. La piste Dakhla-Abu Ballas-Uweinat-Afrique noire est abandonnée, mais les Tebus se transmettent de génération en génération l'information de l'existence d'un puits à Abu Ballas. Nous avons d'ailleurs vu dans les récits de Shehaymah, avec le petit berger qui supporte la torture plutôt que de révéler l'emplacement d'un point d'eau, qu'ils savaient garder un secret ! Le débit du puits est toujours aussi faible, mais cela a moins d'importance pour eux car ils ne se déplacent qu'en petits rezzous de quelques hommes et quelques bêtes.
Lorsque ce puits sera comblé, ils continueront à utiliser Abu Ballas comme « base avancée », mais en changeant – par force – de méthode : ils constitueront au pied de la colline leur propre dépôt d'eau, en l'apportant du Wadi Abd el Malik. C'est à cette occasion qu'ils vont laisser sur place un certain nombre d'« amphores », ces fameuses jarres pointues auxquelles les analyses de thermoluminescence du Dr Bodenstedt attribuent un âge inférieur à deux cents ans. Ajoutons à l'appui de cette hypothèse que Bagnold4, dans son étude intitulée Libyan Sands et publiée à Londres en 1935, mentionne avoir relevé sur quelques jarres d'Abu Ballas des marques typiques des Tebus…
Il reste un dernier détail à régler : où se trouvait le plus vraisemblablement ce puits ? L'existence de deux dépôts éloignés d'une cinquantaine de mètres conduit tout naturellement à penser qu'il se situait entre les deux. C'est donc là qu'une éventuelle expédition devrait chercher…
Les scientifiques devront retrouver le second dépôt repéré par le Pr Poehlmann à l'est du Gilf Kebir, à la hauteur du Wadi Bakht, et en analyser les jarres pour confirmer totalement l'hypothèse d'une route pharaonique. Le « mystère d'Abu Ballas » n'a pas fini de faire couler de la sueur et de l'encre !…
Sauvons le désert !
Je ne suis pas tellement inquiet pour l'avenir de la planète : le soleil en a encore pour quelques milliards d'années à briller.
En revanche, je suis beaucoup plus pessimiste en ce qui concerne l'homme.
Vous savez, l'ère chrétienne s'est achevée le 5 août 1945. Le lendemain, c'était Hiroshima. L'Apocalypse. Nous sommes entrés de plain-pied dans l'ère atomique, et nous préparons la suite avec gourmandise. Effrayant… Hormis un petit groupe de pacifistes dont je fais partie, et qui ont bien du mal à faire entendre leur voix, je ne crois pas aux bonnes volontés. Pas dans une société reposant sur l'argent et le profit. Tant qu'il sera rentable de saccager la nature, on oubliera d'être sage. L'homme disparaîtra peut-être, victime de sa folie, et fera disparaître aussi beaucoup de ses compagnons animaux, avec cruauté.
Un jour, j'avais lu avec intérêt le rapport d'un primatologue néerlandais : il avait découvert que des rituels de réconciliation existaient chez quatre espèces de singes. À l'aide de sons, de gestes, de mimiques, ils savent accorder le pardon. N'est-ce pas beau ? Si au moins l'homme pouvait se réveiller à temps. Éviter le pire…
Chaque année, je participe à un jeûne de quatre jours, du 6 (Hiroshima) au 9 août (Nagasaki). Avec une vingtaine de pacifistes, nous nous rendons alors devant le P.C. atomique de Taverny. Nous sommes, il est vrai, peu nombreux. Mais nous y sommes. Ne serait-ce que pour l'honneur, cela vaut la peine. Il faut le faire. Je me dis souvent que l'homme est décidément un animal bien singulier. Le seul sur notre planète qui entretienne des écoles pour apprendre à ses jeunes à tuer leurs semblables. Avez-vous déjà vu un lion qui enseignerait au lionceau comment tuer un autre lion ? Et pourtant, leur univers n'est pas des plus tendres. Certes, je préférerais que le lion mange de la paille plutôt que de la chair ; mais je n'y peux rien : on ne m'a pas consulté au moment de la Création, et d'ailleurs on a eu tort… Voyez-vous, ce que j'aime dans le désert, c'est obéir aux lois de la nature et du cosmos. On se lève quand il fait jour, on se couche à la nuit, on mange et on boit ce qu'il est raisonnable de consommer en nourriture et en eau. On ne cherche pas à modifier les conditions naturelles. Le désert est souverain… Encore que trop d'hommes désormais s'y précipitent sans même avoir appris à le respecter. Je répète sans cesse qu'il existe un certain nombre de choses qu'un être bien élevé ne fera jamais dans une église, une synagogue, un temple ou une mosquée. Le désert, c'est pareil : il faut y entrer sur la pointe des pieds. C'est en tout cas l'attitude que je préconise. Tout le contraire du Paris-Dakar où l'on se contente de passer très vite, en faisant beaucoup de bruit, en gaspillant beaucoup d'argent, sans attention aucune pour la faune, la flore ni les gens.
Je ne saurais prédire ce qu'il adviendra des peuples du désert. Mais les nomades sont menacés, et il leur faut décider à présent de leur avenir. Il est entre leurs mains ; je n'ai pas de conseils à leur donner. Je puis constater seulement que les nomades sont de moins en moins nombreux… Contrairement aux fusils. Je considère les armes à feu comme la grande malédiction de notre planète.
Ma pensée et mon discours sont ceux d'un « apprenti chrétien », car c'est ainsi que je me définis. Descendant de plusieurs générations de pasteurs, je suis protestant libéral. J'attache, à ce titre, plus d'importance à la rectitude de la conduite qu'à l'adhésion intellectuelle à des formules dogmatiques.
Théodore Monod