INTRODUCTION

 

Depuis bien des années, Théodore Monod portait un intérêt tout particulier au désert Libyque oriental dont la prodigieuse aridité devait si longtemps interdire l'exploration. À l'exception de quelques caravanes aventurées au cours des âges dans son immensité minérale, il a fallu en effet attendre les années 1925-1935 pour voir des missions motorisées parties du Caire commencer à préciser les particularités géographiques de cette région.

Une région qui, du nord au sud, va de Siwa à Merga et, de l'est à l'ouest, du Nil à Koufra. Seule vient la rompre, à l'ouest du Nil, la ligne des oasis, qui suit une fracture géologique et où jaillit l'eau : Kharga, Dakhla, Farafra et Baharia. Au-delà, c'est la Grande Mer de sable aux ondulations sans fin, ou le reg caillouteux plus aride encore que le Tanezrouft, le « pays de la soif », qui vient mourir sur les mystérieux contreforts du Gilf Kebir et du djebel Uweinat.

Aujourd'hui encore, la mise sur pied d'une mission dans le désert Libyque requiert des moyens lourds et une organisation sans faille. Autant dire qu'elle n'est pas à la portée d'un simple chercheur, si passionné soit-il.

Théodore Monod se résignait à ignorer l'un des secteurs les plus intéressants du Sahara quand tomba sous ses yeux le prospectus de l'agence Lama Expedition de Francfort-sur-le-Main, offrant un circuit « touristique » qui aurait fait frémir des explorateurs aussi chevronnés que le prince Kemal el Dine ou le major Bagnold dans les années 1920-1930.

La Grande Mer de sable, le Gilf Kebir, Abu Ballas, Uweinat, les Clayton's Craters, Arkenu, Merga, El Atrun… Bref, son vieux rêve devenait réalisable. Il suffisait de prendre un billet. C'était en 1980. Depuis, le professeur a fait de nombreux voyages avec Samir Lama, dont l'expérience du désert est incomparable et pour qui la zone séparant Koufra du Nil n'a plus de secret.

Grâce à lui, il a pu connaître enfin et étudier dans certains de ses détails cette région immense et peuplée de mystères. Mais outre le désir de découvrir enfin, par lui-même, et autrement qu'à travers la littérature classique – celle des Rohlfs, des Almasy, des Bagnold ou des Kemal el Dine –, un désert saharien oriental si foncièrement différent de tous les autres et auprès duquel ceux-ci sont en général une manière de forêt, de parc ou de jardin, Théodore Monod avait pour objectifs majeurs le libyan glass, ou « verre libyque », un des derniers grands mystères géologiques de la planète, l'énigme du Lieu des Jarres, perdu en plein cœur du désert, et enfin l'Oasis perdue, la Zerzura des légendes arabes, retrouvée par Almasy dans le Gilf Kebir, et dont il a entrepris de dresser un inventaire de la flore.

Inventaire modeste, on s'en doute, car si nous comptons en France par exemple plus de quatre mille espèces végétales, l'Oasis perdue qui a tant fait rêver n'en compte guère plus de quarante. Et pourtant, dans cette pénurie, une vie animale persiste, fragile, simplifiée à l'extrême, et sans aucun doute un peu plus menacée chaque année.

Car le désert Libyque n'a pas fini de mourir. En 1969, il restait encore une source dans le Wadi Abd el Malik – l'ultime point d'eau, gouttant du rocher, à des centaines de kilomètres à la ronde. Elle a disparu dans les années 1970. Et le sable poussé par les vents étésiens obture chaque jour un peu plus l'entrée des oueds du Gilf où jadis, au paléolithique, vivaient des bergers heureux.