2. Traumatismes de la première enfance

«Quelque chose se déplace selon un mouvement giratoire autour de mon visage. Les cercles deviennent ensuite de plus en plus petits et de plus en plus rapides, ils me font peur de plus en plus. Soudain, quelque chose se précipite sur moi avec un grand bruit. C’est le moment où je me réveille en poussant un cri.»

Anne S., 22 ans, est étudiante. Elle s’était rendue en Norvège avec quelques connaissances. Pendant trois semaines, ils avaient visité le pays, et, comme ils avaient peu d’argent, ils avaient dormi sous la tente et pris leurs repas irrégulièrement. Anne S. était rentrée épuisée et avec une forte fièvre. Après avoir apaisé sa faim la plus brûlante, elle s’était couchée et endormie aussitôt. Mais, peu après, elle s’était réveillée en poussant un cri perçant. À peine sortie de ses rêves, assise dans son lit, elle ne savait pas où elle était et tremblait de peur. Cela lui était arrivé plusieurs fois. Lorsque Anne S. fut à peu près rétablie, elle raconta son rêve à sa mère, qui lui répondit spontanément : «J’ai toujours dit à ton père de ne pas le faire.»

Alors qu’Anne n’avait encore que quelques jours, son père, pour attirer son attention et susciter une réaction, s’était placé devant le berceau et avait décrit de la main des cercles, d’abord grands, ensuite de plus en plus petits, devant le visage du bébé. Sa main se rapprochait toujours davantage de l’enfant. Finalement, en poussant une sorte de sifflement, il chatouillait Anne sous le menton. La mère d’Anne se rappelait que chaque fois, sa fillette avait tressailli de peur. Il va de soi que l’étudiante de 22 ans ne se souvenait plus de rien.

Ce cas montre avec une grande netteté que des traumatismes du plus jeune âge peuvent être oubliés et réapparaître plus tard dans les rêves des adultes. Le déclenchement s’était produit chez Anne S. du fait de son épuisement.

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Le cas de Claudia B., 25 ans, reste à évoquer pour terminer. Elle avait une peur inexplicable de l’obscurité et s’éveillait assez souvent en sursaut pendant la nuit. Elle se plaignait de vertiges et de fatigue permanente. Au lit, elle était tourmentée par le sentiment de ne pas pouvoir lever la tête. Elle dit également souffrir d’agoraphobie, surtout dans des rues étroites et dans des avenues : elle avait peur que les maisons et les arbres se cassent en deux, tombent sur elle et l’enterrent.

Ces angoisses nocturnes finirent par donner lieu à une névrose après la mort de la mère de Claudia B., qui avait alors 22 ans et n’était pas en mesure de répondre aux questions concernant son enfance d’une manière qui aurait permis de conclure à un traumatisme du premier âge. Finalement, les recherches firent retrouver la nurse, qui se souvenait des détails suivants :

Après l’accouchement, la mère de Claudia avait eu la fièvre puerpérale. Le bébé, pour cette raison, avait passé ses six premières semaines dans un hôpital, sans contact avec sa mère. Claudia n’avait cessé de crier. Lorsqu’elle avait été transportée chez elle, elle était affaiblie au point de ne presque plus pouvoir lever la tête. Claudia était classée comme «un enfant qui crie». Peu à peu, elle avait pris l’habitude de crier.

Cette situation déplorable des premières semaines à l’hôpital et le souvenir, qui lui revenait sans cesse, de ce qu’elle y avait vécu, sans soins maternels et sans chaleur, étaient chez Claudia la cause des phénomènes observés ultérieurement : tressaillements, sensations physiques, peur de l’obscurité, sentiment de ne pouvoir lever la tête. Ces phénomènes se produisaient d’une manière permanente, dès que l’obscurité, la fatigue et un contrôle amoindri de la conscience les favorisaient dans la nuit. Les maisons qui, dans ses rêves, menaçaient de se casser en deux étaient blanches — c’étaient les médecins venus pour la visite et qui se penchaient sur le lit du bébé.

Le moment où ces cauchemars devinrent plus distincts et plus forts est caractéristique : ce fut à la mort de sa mère. L’absence de sa mère, pendant les premières semaines de son existence, avait suscité chez Claudia les aversions dont elle souffrait à l’hôpital. Claudia avait retrouvé le calme, lorsque sa mère avait pu s’occuper d’elle, lorsqu’elle en avait senti la chaleur et avait eu l’impression d’être en sécurité. À la mort de sa mère, le traumatisme du jeune enfant s’est reproduit d’une manière symbolique chez la jeune fille de 22 ans. Les angoisses de jadis sont revenues avec une intensité accrue.

 

Le médecin traitant a réussi à la guérir de cet état effroyable d’anxiété en huit heures seulement. Il lui a expliqué les symptômes, la peur s’est alors évanouie. L’hospitalisme qui avait été causé chez Claudia B. par le séjour qu’elle avait fait à l’hôpital dans son plus jeune âge et qui avait tourné à la névrose a pu être entièrement guéri.