Tomber, c’est comme ne plus saisir la vie. On la sent encore courir dans son sang, pulser dans son cœur, briller dans ses yeux, mais on ne respire pas. C’est l’instant où on aurait besoin de sa volonté et de sa conscience pour activer les poumons. Parce que quand on respire on le fait sans réfléchir, la respiration est comme la pensée : elle se produit. Elle se produit quand on est distrait et qu’on vit.
Tomber, ça fait frôler la frontière de la vie. Et pendant qu’on pense, en tombant, à comment ça a pu se passer et à ce qui se passera, la vie discute avec le destin pour décider de notre sort. Entre-temps, on ne respire pas. Et ce n’est qu’au dernier moment qu’on le regrette.
Il reprit son souffle après l’impact au sol, avec la neige moelleuse. Son instinct le poussa avant tout à tâtonner autour de lui, dans le blanc absolu d’ouate gelée, pour chercher le contact de l’enfant. Puis il sentit une main saisir son coude : Gianni était à côté de lui. Et ils étaient vivants. Le manteau doux de neige tombée lors des dernières heures les avait sauvés.
Au-dessus de leurs têtes, ils entendirent l’ours grogner, immobile au bord du gouffre dans lequel ils venaient de plonger. Autour d’eux, les parois semblaient disposées à les protéger.
— Tu vas bien ? demanda Michele à l’enfant après avoir craché la boulette de givre qui était entrée dans sa bouche au moment de l’impact.
Gianni acquiesça, encore effrayé. Michele lui tâta les bras, les jambes et le thorax, il lui demanda de bouger ses articulations et l’enfant s’exécuta, fier de prouver qu’il était indemne.
— On a eu de la chance, soupira Michele en le serrant contre lui.
Gianni lui rendit son étreinte et le regarda, les yeux brillants.
— Mais… c’était un ours polaire ?
— On dirait bien que oui.
— Il n’était pas couvert de neige… il était vraiment blanc, n’est-ce pas ?
— Oui, il était vraiment blanc, admit Michele. Et je ne comprends pas comment c’est possible…
— Tu diras à tout le monde qu’on l’a vu ? Si c’est moi qui le dis, ils ne me croiront pas.
— Je te jure que c’est la première chose que je ferai, dès qu’on sortira d’ici.
Ils regardèrent autour d’eux, cherchant un passage pour redescendre dans la vallée.
Puis ils se relevèrent. La main de Gianni chercha celle de Michele et y trouva à nouveau refuge, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde.
C’est alors qu’au loin ils entendirent les voix de Luce et des autres, leurs appels désespérés. Ils se regardèrent, heureux et soulagés, puis leurs yeux se tournèrent vers la source des appels, comme l’aiguille d’une boussole qui pointe vers le nord.
Michele poussa un sifflement qui avala la distance qui les séparait du salut et de la chaleur de la maison. Alors les voix des autres chevauchèrent les vagues de l’écho, les appels réciproques s’alternèrent avec des cris de joie.
Ils avancèrent lentement, leurs pieds s’enfonçant dans la neige, jusqu’à ce que soudain Gianni s’arrête et touche sa jambe.
— Que se passe-t-il ? lui demanda Michele. Tu as mal à la jambe ?
L’enfant secoua la tête et indiqua le trou dans la neige où son pied s’était enfoncé.
— Mon pied est coincé. Je n’arrive pas à le tirer.
Michele se pencha et creusa autour du mollet du petit garçon. Il déplaça la neige, enfonça ses bras pour lui libérer la cheville.
À ce moment-là, au fond quelque chose brilla. C’était la boucle métallique d’une sangle en cuir, enfouie dans la neige. En s’enfonçant, le pied de Gianni s’était pris dedans.
Michele libéra la chaussure de l’enfant puis, lentement, tira sur la sangle et regarda l’objet recouvert de neige qui y était accroché et qui avait soudain fait son apparition, se balançant comme un pendule. Puis il se tourna vers Gianni, qui avait les yeux écarquillés et la bouche grande ouverte, dans une expression de stupeur absolue.
— C’est l’appareil photo de papa…, affirma-t-il dans un souffle.