Chanvre et sentiments

 

J’émerge de la Centraal Station d’Amsterdam dans un matin enneigé et me dirige vers le quartier réservé. Les coffee-shops affichent leurs intentions grâce à des enseignes au néon couleur rasta et des dessins de palmiers (lorsque la police a interdit la représentation de feuilles de marijuana, les coffee-shops leur ont tous substitué le palmier). Ma destination : Goa, située sur Kloveniersburgwal. Non seulement on y trouve de l’excellente herbe maison et un excellent hasch népalais, mais on y sert en outre le meilleur café de la ville.

La scène de Pulp Fiction où John Travolta décrit les coffee-shops hollands à un Samuel Jackson éberlué a éveillé la curiosité des Américains pour la culture drogue d’Amsterdam. Ceux qui ne se sont pas rendus sur place n’ont qu’une vague idée de ce qui se passe là-bas ; ils imaginent des antres de perdition où règne une menace sourde. Les lois néerlandaises en matière de cannabis sont elles aussi plutôt vagues : l’herbe est légale ou illégale suivant les circonstances, la quantité et les caprices des autorités. Mais depuis 1967, date à laquelle les Pays-Bas ont dépénalisé la vente et la consommation de petites quantités, l’industrie du cannabis est florissante.

Les coffee-shops vendent de la marijuana et du haschich. Quand on demande le menu, on découvre une liste de toutes les variétés disponibles. Attendez-vous à y trouver du hash marocain et népalais, de l’herbe thaïe et jamaïcaine et plusieurs variétés de chanvre hollandais, dont les skunks sont en général les plus fraîches et les plus goûteuses.

Les coffee-shops achètent leur chanvre en gros à des producteurs hollandais. Certains d’entre eux obtiennent d’un producteur l’exclusivité de sa récolte ; d’autres effectuent un choix à partir des variétés disponibles sur le marché. Plusieurs décennies de sélection rigoureuse ont abouti à certains des types de chanvre les plus puissants de la planète. Le type hollandais dit skunk – poisseux et odorant, à goût de menthe, couvert d’un fin duvet rouge ou blanc – vous garantit d’atteindre la stratosphère.

Le plus gros du hasch est encore introduit clandestinement dans le pays. « C’est à cause du goût », explique Tony, un Américain émigré en même temps que son entreprise, la Librairie et graineterie psychédélique Sagarmatha. Selon la tradition, on fabrique le haschich en recueillant la résine sur les outils et les mains des paysans après une récolte de marijuana, mais ladite récolte doit être conséquente pour donner des quantités acceptables. Depuis l’invention récente d’une machine baptisée le Pollinisateur, on produit davantage de haschich aux Pays-Bas. Mais le Pollinisateur donne au haschich un goût de poussière, et les récoltes hollandaises ne sont pas assez importantes pour donner un produit de qualité. Comme les fumeurs d’ici peuvent se permettre de faire les difficiles, les producteurs marocains et népalais peuvent encore dormir sur leurs deux oreilles.

Celui ou celle qui vient se défoncer à Amsterdam pour la première fois devrait acheter sa dose dans un coffee-shop réputé comme Greenhouse, qui a trois succursales dans la ville et a souvent remporté le prix annuel de la Cannabis Cup. On peut acheter un gramme minimum, qui coûte de quinze à trente guilders (soit de neuf à dix-huit dollars). Nombre d’endroits vendent aussi des « joints maison » préenroulés, mais ils sont coupés avec du tabac et, par conséquent, je vous les déconseille – la nicotine est dangereuse pour la santé, vous ne le saviez pas ?

Une fois que vous avez fait vos provisions, visitez quelques coffee-shops jusqu’à ce que vous en trouviez un dont l’atmosphère vous convienne. Vous ne serez pas obligé d’y acheter du cannabis ; il vous suffira d’y commander un verre, et vous pourrez fumer votre propre dose. Certains coffee-shops sont bruyants et touristiques, d’autres franchement désagréables voire vaguement terrifiants. Quelques-uns, comme Goa, ont une atmosphère carrément familiale – pendant que je tirais sur ma pipe, une femme est entrée avec son fils âgé d’une dizaine d’années, et ils se sont lancés dans une partie de dames.

J’aime bien les coffee-shops proposant des pipes. Je préfère le risque d’être malade au traumatisme qui m’attend lorsque je tente de me rouler un joint, sans compter que j’ai des chances de me mettre le feu aux cuisses une fois que je suis arrivée à l’allumer et qu’il se désintègre entre mes doigts. Une fois que vous aurez trouvé quelques endroits où vous vous sentez à l’aise, goûtez à leur marchandise et n’hésitez pas à demander conseil. Si vous aimez ce que vous fumez, ça y est : vous êtes un habitué.

Même si je déplore les lois rétrogrades de mon pays, je leur suis reconnaissante de m’avoir conduite à Amsterdam. J’étais venue ici pour planer, et c’est ce que j’ai fait – mais j’ai également découvert une ville aussi charmante que fascinante. Comme j’habite à La Nouvelle-Orléans, c’est un luxe pour moi de me promener le long d’un canal à deux heures du matin sans me demander quand on va me tirer dessus. Je n’ai qu’un seul conseil à donner au promeneur défoncé d’Amsterdam : regardez où vous mettez les pieds. Vous éviterez les crottes de chiens, et peut-être que vous trouverez un peu de shit.