En 1996, Spy Magazine a publié un article de moi que j’ai depuis désavoué, Behind the Oval Offspring (Les dessous du rejeton ovale). À l’origine, on m’avait commandé un essai sur la féminité des adolescentes dans l’Amérique des années 90, mais on a mutilé ma prose pour la réduire au récit d’une quête stupide de photos de Chelsea Clinton à poil sur Internet. Bouh, Spy ! La version intégrale de cet essai est publiée ici pour la première fois.
Une amie lesbienne aux goûts bizarres – appelons-la Psyché – m’a fait une offre que je ne pouvais pas refuser.
« On m’a dit que tu étais une sorte de pirate informatique, me dit-elle en m’accostant.
— C’est faux, répondis-je en toute sincérité.
— Je m’en doutais, répliqua-t-elle sans m’écouter. J’ai un défi à te lancer. On raconte que tout peut se trouver sur Internet. Peux-tu me trouver une photo de Chelsea Clinton nue ?
— Non.
— Oh, pas besoin que ce soit une vraie photo. Je sais que les vraies, ça n’existe pas. Mais avec les nouvelles technologies et tout ça, quelqu’un doit en avoir trafiqué une. Je veux que tu me la trouves pour que je puisse l’offrir à Éphédra pour son anniversaire. Elle a le béguin pour Chelsea. »
Éphédra a des goûts encore plus bizarres que Psyché.
« Alors, tu peux le faire ?
— Non.
— Oh, et je te paierai cent dollars si tu y arrives.
— C’est quand, son anniversaire ? »
Quand j’étais lycéenne, aucun garçon de mon âge ne s’approchait de moi de moins d’un kilomètre, mais il m’arrivait de sortir avec des « hommes » qui étaient à la fac. Je n’ai pas trouvé le grand amour, mais j’ai appris plein de choses sur les mecs âgés de vingt à trente ans prêts à sortir avec une fille de quinze ans – enfin, de presque quinze ans. Trois mots à retenir : condescendant, obsédé, asocial. Dès que je disais quelque chose d’intelligent, ils s’empressaient de calter. Un seul d’entre eux s’est avéré sympa, et j’en suis vite venue à le haïr, ce qui en dit sans doute long sur les raisons pour lesquelles les hommes ont si peu de difficulté à manipuler les adolescentes.
Car là réside l’attraction des très jeunes filles : elles sont par nature malléables. Elles ne savent pas assez de choses sur la vie pour représenter une menace. Une femme de vingt-cinq ans risque de ne pas supporter votre boulot de merde, vos blagues racistes et votre mauvaise haleine. Une adolescente non plus, sans doute, mais probablement aura-t-elle peur de le dire – à moins qu’elle ne soit convaincue qu’elle ne mérite pas mieux. N’ayant aucun étalon de comparaison, elle risque de croire que votre comportement est représentatif de celui d’un homme en présence d’une femme. Aux yeux du manipulateur, une jeune fille est une poupée idéale, prête à être habillée et déshabillée.
Me disant que quelqu’un avait sans doute déshabillé Chelsea, je me suis lancée sur le Net. Des photos de la Première Gamine à poil ? Je l’avais toujours considérée comme un bon modèle pour les petites filles sages. C’est une héroïne aux yeux des filles de sixième, à en croire le Dr Mary Pipher, auteur de Reviving Ophelia : Saving the Selves of Adolescent Girls. Ce livre dresse un plan conçu pour libérer les jeunes filles des idées reçues et des pressions que les médias exercent sur elles depuis trop longtemps, pour restaurer leur curiosité naturelle, leur audace et, oui, peut-être même leurs pulsions dominatrices.
J’ai appelé tous les moteurs de recherche que je connaissais. Je les ai tous lancés sur CHELSEA. Et j’ai découvert que les malades étaient légion sur le Net.
Richard Izzo a fondé le CULTE DE FERTILITÉ CHELSEA CLINTON (les capitales sont de lui). En 1992, Izzo et ses amis regardaient les élections primaires du Parti démocrate après avoir pris de l’acide, et Chelsea est sortie du téléviseur, leur a parlé en hébreu et leur a ordonné de la vénérer. Elle s’est assuré leur éternelle dévotion en accomplissant une série de miracles, notamment en ingurgitant un grand sac de Cheetos sans se mettre de la poudre orange sur les doigts. À l’issue de cette expérience, Izzo (qui avoue avoir eu jadis le béguin pour Amy Carter) a conclu que Chelsea devait se reproduire pour donner naissance à une race de surhommes et qu’il était prêt à l’assister dans cette tâche.
Mais il n’avait pas de photos d’elle nue. En désespoir de cause, je me suis tournée vers le groupe bien connu, alt. tasteless, où j’ai trouvé un portrait plus sinistre de Chelsea. Dans cette vile contrée du cyberspace, la Première Fille prend son pied en entraînant ses jeunes condisciples à commettre des actes compromettants – dont certains très explicitement décrits et inconnus de moi –, puis en criant au viol et en regardant les hommes des Services secrets massacrer ces pauvres petits obsédés. Malheureusement, on ne trouve pas d’illustrations sur alt. tasteless. binaries.
Chelsea a aussi sur le Net des fans sympa et sincères. Je le sais ; j’ai perturbé l’un d’eux. Peter, fondateur et président du fan-club non officiel de Chelsea Clinton, lance sur sa page web cet appel déchirant : « Chelsea, si tu lis ceci, à propos de ta coiffure : nous l’adorons. Ne la change jamais. Ne pense même pas à utiliser un produit quelconque pour discipliner tes cheveux, parce qu’il ne faut pas toucher à la loi de la physique, quelle qu’elle soit, qui leur permet de tenir. »
J’ai contacté ce jeune homme, qui apprécie de toute évidence la beauté hors normes de Chelsea. « Savez-vous où je pourrais trouver (clin d’œil, coup de coude) des photos dénudées de Chelsea ? Ou pouvez-vous m’en procurer ? Oh, et ce n’est pas pour moi, c’est pour une amie. »
J’étais tout excitée de recevoir sa réponse, à peine quelques heures plus tard. « Disparaissez, monstre pervers, disait-il, ou je lâche les cyberflics sur vous. »
Mon premier réflexe fut de sortir le lance-flammes. Mais un instant… n’avais-je pas eu envie de protéger Chelsea lorsque Psyché m’avait exposé sa demande ?
Plongée dans la confusion, j’ai éteint mon ordinateur pour sombrer dans un malaise existentiel. Qu’est-ce qui me prenait de m’introduire ainsi dans la vie privée de quelqu’un pour la seule raison que ce quelqu’un était une célébrité ? La célébrité est-elle sexualisante, même pour un enfant ?
La jeunesse est en voie de sexualisation massive. Parmi les indices de cette évolution, il y a l’âge minimum requis pour être un objet sexuel, qui est désormais de six ans. Demandez à JonBenét Ramsey, qui aurait pu en témoigner si elle avait atteint l’âge nécessaire à la formulation d’une telle idée.
Entre toutes les jeunes filles qui accomplissent actuellement leur peine dans le monde à deux dimensions des icônes médiatiques, JonBenét Ramsey est de loin la figure la plus tragique. Si l’histoire de cette petite reine de beauté a suscité une telle attention, ce n’est pas seulement parce qu’elle est morte des suites d’une agression sexuelle, mais aussi parce que certains jugent que son image et son apparence sont implicitement responsables de son sort. On a trop attiré les regards sur elle, suggère-t-on, et parmi ces regards se trouvait celui d’un prédateur. La seule conclusion que l’on peut tirer de cette affaire, c’est que quelqu’un a fini par en avoir marre de la regarder.
Si JonBenét avait été adulte, nous aurions affaire à une controverse d’une tout autre nature. « Elle l’a cherché… regardez comment elle s’habillait ! » Comme la victime était une enfant, et que c’était par conséquent quelqu’un d’autre qui l’habillait, son meurtre a entraîné des commentaires critiques sur l’univers sordide des concours de beauté pour enfants.
Ces spectacles pédophiles existent depuis fort longtemps. Voici comment Harlan Ellison décrivait l’un d’eux en 1970 : « Quatre-vingt-dix minutes de mauvais goût sans concession, de monstruosité mesquine et de dégradation de l’innocence enfantine… [un exemple de] l’une des tactiques les plus insidieuses imaginées par notre société pervertie pour laver le cerveau de sa population féminine. » Apparemment, pas grand-chose n’a changé depuis. En guise de conclusion à son reportage sur l’affaire JonBenét, People publie un papier sur le concours Little Miss de la ville de Lufkin (Texas), catégorie nourrisson, concours remporté par Shayla Townsend, âgée de dix mois. À en croire sa mère, Shayla a pour ambition de devenir une pom-pom girl pour les Dallas Cheerleaders. Un bébé de dix mois a-t-il assez de duvet pour exciter les mâles ?
En cherchant sur le web des articles sur JonBenét, je tombe sur un film montrant une fillette blonde âgée de quatre ans en train d’essayer une robe rose pendant que sa mère lui arrange son brushing d’un air irrité. Une vendeuse qui les guette avec des attitudes de mante religieuse déclare : « Oh ! comme ça l’amincit ! » Ça l’amincit ? Une enfant de quatre ans ?
J’ai vu à plusieurs reprises le film montrant JonBenét en train de danser, puis fixant l’objectif d’un air séduisant qui n’empêche pas de voir qu’elle quête l’approbation de quelqu’un. Qui d’autre la voit ? Le monde entier, désormais, ou du moins ces parties du monde qui captent CNN. Mais qui regardait ces concours avant ? Qui était dans les gradins ? Qui se branchait sur ces chaînes ? Une masse de mères fières/jalouses/folles ou un public bien plus sinistre ?
« Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. » Ainsi débute la première partie de l’incomparable roman de Nabokov. Il semble désormais probable que la nouvelle adaptation cinématographique, signée Adrian Lyne, s’intéressera surtout aux reins.
Dominique Swain, quinze ans, va interpréter Dolores Haze, douze ans, une orpheline qui devient le jouet sexuel capricieux mais obéissant de son beau-père Humbert Humbert, maniaque des nymphettes. Controverse garantie, satisfait ou remboursé. (En fait, Lyne ne sera pas remboursé de ses frais si le film se plante, et ses financiers s’inquiètent de la sale habitude qu’il a d’attendre qu’un film soit monté avant de le montrer aux distributeurs.)
Un critique a écrit à propos du roman de Nabokov : « S’il choque, c’est parce qu’il s’agit d’une œuvre d’art. » Vu les précédents films de Lyne, il est douteux que sa version soit une œuvre d’art, bien que la présence de Jeremy Irons au générique constitue une raison d’espérer. Traité de façon non artistique, le spectacle d’un homme baisant une fille de douze ans est de la pornographie et, bien que je ne sois pas opposée à la pornographie de quelque sorte qu’elle soit, je pense qu’un tel film sera difficile à vendre dans le contexte actuel, caractérisé par une hystérie montante à propos de tout ce qui ressemble de près ou de loin à de la « pornographie enfantine ».
Lyne déclare aimer le roman depuis plusieurs dizaines d’années et, même s’il a l’air sincère, on se demande ce qu’il aime dans le roman. Est-il fasciné par l’éblouissant filigrane de son langage, par son humour si noir qu’il en devient ultraviolet, par le portrait décomposé qu’il brosse de l’Amérique ? Ou bien l’aime-t-il parce qu’il s’agit d’un bouquin bien excitant qui vous laisse tout poisseux quand vous l’avez fini ? (Permettez-moi de préciser que j’aime Lolita pour ces deux raisons, ainsi que pour bien d’autres.) Lorsque Lyne déclare, à propos de sa starlette de quinze ans : « Elle joue plus ou moins son propre rôle », il est difficile de ne pas se poser des questions : jouait-elle « son propre rôle » dans la scène où elle se fait violer par Irons, qui la supplie de lui dire avec qui d’autre elle a couché ?
[Note : Elizabeth Kaye a décrit cette scène dans Penthouse de février ; personne ne savait si elle figurerait dans le montage final.]
Une autre actrice de quinze ans, Natalie Portman, a semble-t-il refusé le rôle de Dolores Haze. « Elle juge qu’on voit déjà trop d’images où les enfants sont exploités par les adultes », à en croire le directeur de casting Todd Thaler. Lorsque Portman avait douze ans, Thaler lui a fait jouer le rôle d’une fille qui tombe amoureuse d’un tueur à gages adulte dans Léon. Peut-être a-t-elle appris quelque chose de ce rôle. (Mais peut-on en dire autant de Thaler… et pourquoi est-ce lui qui parle pour elle, au fait ?)
Même si elles n’interprètent pas toujours des nymphettes exploitées, les jeunes starlettes du moment cultivent souvent une image d’adolescente nubile et canaille. Avant de devenir Batgirl, Alicia Silverstone a interprété une prostituée adolescente dans The Crush, avec des dialogues comme celui-ci : « Tu t’es déjà fait une vierge ? » Silverstone a depuis joué des rôles plus sérieux, mais elle n’a rien contre un peu de sordide de temps à autre, comme en témoigne sa participation au vidéo-clip d’Aerosmith, Crazy. À l’origine, le script prévoyait qu’Alicia embrasse Liv Tyler, et les deux filles étaient prêtes à passer à l’acte, mais la mère de Liv (ancien modèle pour Playboy) a mis son veto à ce câlin saphique. Peut-être a-t-elle jugé qu’il serait nuisible à l’image de Liv.
Liv Tyler est la fille d’une rock-star, donc incapable de choquer quiconque. Mais elle ne semble pas avoir besoin de choquer pour faire avancer sa carrière. Son film Beauté volée est un oiseau rare : un film de nanas que les mecs meurent d’envie de voir. Tout le monde veut voir Liv perdre son pucelage – y compris le jury du Festival de Cannes. Plus intriguant encore, Liv a récemment avoué au magazine pour adolescentes YM qu’elle (gasp) avait fait la chose pour de bon ! « C’est quelque chose de si beau, de si excitant, dit-elle. C’est le souvenir que je garde de ma première expérience. Genre “Ouaouh !” »
Un cri qu’ont dû aussi pousser ses fans.
Lorsque les adolescentes prennent le pouvoir dans les médias, les vieilles sorcières de vingt-trois ans voient révélé leur sordide passé. Nous apprenons que la jeune actrice Neve Campbell a eu son premier baiser à sept ans et sa première dépression à quatorze. Ces détails ont-ils une raison d’être ? Nous rendent-ils Campbell plus sympathique ? Nous permettent-ils de mieux comprendre son travail d’actrice ? Ou bien contribuent-ils tout simplement à mieux la disséquer pour le plaisir des masses ?
Il est certes exact que toutes ces jeunes femmes ont cherché la notoriété. On dit aussi que, jadis, les jeunes Hawaiiennes se disputaient l’honneur de sauter dans les volcans.
Même lorsque j’étais une boule d’hormones pubescentes en quête d’amour et de glamour, je crois que j’aurais préféré sauter dans un volcan plutôt que de sortir avec Jerry Seinfeld. Bien que je n’aie jamais vu son émission, le visage de cet homme éveille en moi un sentiment de répulsion aussi ineffable qu’inexpliqué. Shoshanna Lonstein, vingt ans, ne semble pas partager mes sentiments. Cela fait maintenant plusieurs années qu’elle sort avec Jerry, mais son chevalier servant a publiquement déclaré qu’il ne l’épouserait pas tant qu’elle n’aurait pas obtenu sa licence. Quant à R. Kelly, star de R & B connue pour son mauvais caractère, avec Aaliyah, sa fiancée de quinze ans, il est un peu l’équivalent contemporain de Jerry Lee Lewis.
Il y a belle lurette qu’une très jeune copine représente un symbole de statut pour un certain type d’homme. C’était inconcevable pour moi à l’époque, mais peut-être que je symbolisais quelque chose aux yeux de mes pathétiques étudiants.
Avec le recul, il me semble possible qu’un ou plusieurs d’entre eux aient lu ce classique intitulé How to Date Young Women1. Loompanics Unlimited, un éditeur/libraire gonzo de l’État de Washington, déclare que ce livre est l’un de ses best-sellers. (Il est sous-titré Pour les hommes de plus de trente-cinq ans, mais, comme nous le rappelle Humbert Humbert, le goût de la chair fraîche s’acquiert tôt dans la vie.) Parmi les sujets abordés, on trouve : « Pourquoi elle a peur de vous et comment triompher de sa peur », « Comment repérer une aguicheuse et l’utiliser pour rencontrer ses amies, que vous intéresserez peut-être » et « Cinquante-quatre accessoires à ne jamais porter » (une chaîne en or ? des fausses dents ? L’esprit vacille).
Aucun de mes petits copains plus âgés n’a triomphé de mes peurs ni n’a rencontré mes amies, mais l’un d’eux avait un pantalon en cuir. Je me demande si les lecteurs de ce livre en ont pour leur argent. Il est si difficile d’imaginer un type susceptible de s’acheter un tel bouquin et qui réussisse à coucher.
Mais s’ils y arrivent, tant mieux pour eux. Après tout, s’ils ont vraiment plus de trente-cinq ans – et s’ils ont appris quoi que ce soit de la vie –, ce sont probablement de meilleurs amants que les jeunes hommes du même âge que leurs proies.
Le décret pour la prévention de la pornographie enfantine, voté alors qu’Adrian Lyne achevait le montage de Lolita, interdit la représentation médiatique de tout ce qui ressemble à des scènes de sexe impliquant un ou des mineurs. Ce texte de loi, inspiré par des simulations informatiques de pornographie enfantine qui circulaient sur Internet, pourrait empêcher une actrice de dix-neuf ans de se dénuder les seins si quelqu’un, quelque part, juge qu’elle a l’air d’avoir quinze ans.
L’importance croissante de l’attention accordée par le public aux jeunes filles n’est pas un phénomène nouveau – ce n’est qu’un phénomène en phase ascendante. On a déjà vu ça par le passé ; on le reverra à l’avenir. Sa manifestation actuelle, je crois bien, trouve en partie son origine dans l’atmosphère de paranoïa et d’excitation qui entoure la jeunesse en ce moment. Le décret pour la prévention de la pornographie enfantine n’est qu’un exemple parmi d’autres, et il est loin d’être le plus ridicule. Cet honneur échoit sans doute à l’affaire de cet écolier de cinq ans suspendu pour harcèlement sexuel (il avait embrassé une petite fille sur la joue).
Attirer l’attention sur un interdit – « telle chose est désormais encore plus interdite qu’elle l’était avant ! » – éveille l’intérêt du public et fait sortir les pervers du bois. Ou tente de les en faire sortir. Les sources de stimulation légales étant aujourd’hui si abondantes, pourquoi les adorateurs de nymphettes iraient-ils risquer la prison en consommant de la pornographie enfantine ?
Un texte de loi comme le décret pour la prévention de la pornographie enfantine suppose que jeunesse est synonyme de victime. Le mouvement Riot Grrl du début des années 90, quoique formé en rébellion contre cette image, a peut-être contribué à sa résurgence dans les médias. À ses débuts, Riot Grrl était punk, politique et volontaire. Ses membres gribouillaient des mots tels que PUTE et SALOPE sur les ventres que laissaient nus leurs minuscules tee-shirts.
Mais une fois que les médias se sont emparés de Riot Grrl, la colère et l’ironie qui caractérisaient ce mouvement ont été édulcorées jusqu’à en devenir inoffensives. Courtney Love, à l’origine une alliée de Riot Grrl, a publié dans Melody Maker un violent éditorial suggérant que, si le mouvement avait attiré l’attention des médias, c’était uniquement parce que le terme de « girl » (même épelé de travers) ne représentait aucune menace. Les « girls » sont petites, mignonnes, impuissantes ; peut-être même n’ont-elles pas de menstrues.
De ce stade à Lolita, il n’y a qu’un pas.
La lutte contre la pornographie enfantine suscite des articles juteux. En fait, en dépit de tous ces tendrons qu’on voit au cinéma, la couverture médiatique de l’héroïque lutte contre la pornographie enfantine a sans doute poussé plus d’un pervers à partir en quête de ces images excitantes qu’on trouve prétendument dans le cyberspace. Moi, par exemple.
Au bout du compte, c’est le décret pour la prévention de la pornographie enfantine qui m’a poussée à repartir surfer. Les simulations informatiques sont donc illégales ? Et les dessins aussi ? Nom de Dieu ! Maintenant, je voulais trouver des images X de Chelsea, rien que pour violer cette loi à la con. Et puis, j’avais besoin de ces cent dollars.
En fait, j’avais déjà trouvé du matériel douteux sur la Première Fille, que l’on ne pouvait guère accuser d’avoir encouragé de tels excès. Dans les aperçus que nous avons pu avoir d’elle, Chelsea Clinton semblait relativement épargnée pour une jeune fille de dix-sept ans dont les escapades sexuelles du père et les actes criminels de la mère avaient fait l’objet de débats sur les chaînes nationales. Elle ne reconnaît pratiquer que des activités normales, comme la danse, le football et, de temps à autre, une petite virée diplomatique en Inde ou en Turquie. Elle est intelligente – parvenue en demi-finale des épreuves de la bourse nationale du mérite, elle a sauté une classe et est courtisée par Harvard, Wellesley et Princeton. Elle n’est ni terrifiante comme Tricia Nixon, ni gauchiste comme Amy Carter, ni grotesque comme Patti Davis. Son image publique est celle d’une ado cool, légèrement androgyne, qui passe une bonne partie de son temps à s’ennuyer poliment.
Mais, derrière leur bizarrerie, les fantasmes inspirés par Chelsea aux internautes semblent étrangement conventionnels. Jusqu’à ce qu’elle ait l’âge d’enfanter, elle doit jouer le rôle d’une séductrice, d’une Lolita : on attend d’elle qu’elle charme les garçons et arrange ses cheveux (ce qui, nous l’avons vu, n’est même pas souhaité par tous).
Je me rappelle un incident survenu en 1993, peu après que Clinton eut prêté serment. Rush Limbaugh demandant aux téléspectateurs : « Saviez-vous qu’il y avait un chien à la Maison-Blanche ? » et exhibant une photo de Chelsea avec son appareil dentaire. Peu de temps après, un tabloïde a pris cette même photo, l’a soumise à un peu de magie informatique et a publié une image de ce que Chelsea serait peut-être à vingt et un ans – une jeune femme ressemblant vaguement à Amy Irving. « Peut-être que, pour l’instant, elle ne correspond pas à vos critères, assurait-on à l’Amérique profonde, mais patientez et vous verrez. »
À l’époque, elle avait treize ans. Tout juste. Je me suis rappelé de quoi j’avais l’air à treize ans. Et, tout en repoussant l’idée qu’une enfant de cet âge se voie demander de représenter un idéal sexuel pour la seule raison que son père était célèbre, je savais qu’il en serait toujours ainsi.
Je suis revenue sur le Net. Bill Clinton venait d’entamer son second mandat. Et, sur une page web flambant neuve intitulée CHELSEA EN 2016, j’ai trouvé exactement ce qu’il me fallait. Et le bon goût était préservé : une photo du visage de Chelsea, prise le jour même où son père prêtait serment, incrustée dans La Naissance de Vénus de Botticelli. La Première Gamine sortant de sa coquille, escortée par des angelots.
Psyché a adoré. Éphédra a eu un anniversaire mémorable. Et, au cas où ça vous intéresserait, j’ai consacré une partie de mes émoluments à l’achat d’un nouvel exemplaire de Lolita. Le précédent était abîmé par de trop nombreuses lectures et je pense que j’aurai encore besoin de le relire après avoir vu le film, rien que pour m’en remettre le goût en bouche.
1. Littéralement : « Comment sortir avec des jeunes femmes ». (N. d. T.)