— Tu es resplendissante, murmura Dimitri.
Etudiant son reflet dans le miroir, Louise ressentit un bref élan de fierté.
— Merci, répondit-elle en s’empourprant. Elle est très belle.
Car elle avait finalement consenti à porter la robe de cocktail de soie bleu saphir qu’il lui avait offerte, à la condition qu’il ne lui ferait pas d’autres cadeaux. Certes, elle savait maintenant qu’il ne la prenait plus pour une femme entretenue, mais elle restait déterminée. S’il ne lui faisait plus de cadeaux, cela éviterait les malentendus.
— Le pendentif en diamant de ma grand-mère aurait si bien été avec, regretta-t-elle en se parlant à elle-même.
Dimitri eut l’air stupéfait.
— Il appartenait à ta grand-mère ?
— Oui. Mon grand-père, Charles Hobbs, le lui avait offert le jour de leur mariage. Avant de mourir, elle me l’a donné. J’aimais beaucoup ce bijou qui me faisait penser à elle.
Les remords assaillirent Dimitri. D’emblée, il avait pris Louise pour une vulgaire cocotte, comme sa mère. La vérité était tout autre…
— Tu parles comme s’il n’était plus en ta possession, dit-il, intrigué.
Louise observa un bref silence embarrassé avant de déclarer très vite :
— Je l’ai déposé chez le bijoutier, car le fermoir était trop lâche.
Ce n’était qu’un demi-mensonge : le bijoutier lui avait vraiment dit que le fermoir était fragile et qu’il le réparerait avant de mettre le collier en vente.
Dimitri plissa le front, devinant qu’elle lui cachait quelque chose.
— Aucune importance, dit-il finalement. Tu n’as pas besoin d’accessoires. La robe est du même bleu que tes yeux. C’est pour ça que je l’ai choisie. Si tu me laissais faire, je remplirais ta garde-robe de beaux vêtements.
— Je croyais que tu me préférais dévêtue, lui rappela-t-elle avec un sourire coquin, qui l’enflamma.
— C’est vrai, et je te le prouverai tout à l’heure, glikia mou.
Il toucha du doigt son visage qui avait adorablement rosi et rit doucement.
— N’importe qui te prendrait pour une jeune femme un peu prude. Mais je sais qu’il n’en est rien, dit-il en capturant sa bouche.
Son baiser fut empreint de tendresse autant que de désir ; Louise entrouvrait ses lèvres pour un échange plus charnel.
— Theos ! J’aurais dû annuler ce fichu dîner, grommela Dimitri en s’écartant à regret.
* * *
Louise découvrit que Dimitri n’avait invité que des amis proches. Elle perçut leur surprise quand elle leur apprit qu’elle séjournait ici, et ce fut son tour d’être étonnée — elle avait supposé que Dimitri recevait souvent ses maîtresses.
A cet instant, elle le vit traverser la salle pour la rejoindre.
— Ma sœur vient d’appeler pour prévenir qu’elle aura un peu de retard, expliqua-t-il.
Il lui présenta l’homme qui l’accompagnait.
— Louise, voici Takis Varsos, l’un de mes meilleurs amis. Takis est conservateur à la pinacothèque nationale d’Athènes.
— Ravi de vous rencontrer, fit Takis.
Il était un peu plus âgé que Dimitri, nota Louise, avec un visage agréable et des yeux noirs derrière d’épaisses lunettes.
— J’ai cru comprendre que vous travailliez au Louvre, Louise ? Il y a beaucoup de questions que j’aimerais vous poser. Ensuite, peut-être qu’à mon tour je pourrais vous parler des collections d’art que nous possédons en Grèce ?
Dimitri se mit à rire.
— Je vous laisse à vos débats d’experts. Je vais voir si Halia peut retarder le dîner le temps qu’Ianthe arrive.
Louise venait de terminer une conversation passionnante avec Takis lorsque Dimitri s’avança, accompagné d’une jeune femme très brune qui lui ressemblait énormément. Elle se sentit brusquement nerveuse en reconnaissant Ianthe. La sœur de Dimitri lui gardait-elle rancune à cause du passé ?
Mais celle-ci l’accueillit chaleureusement.
— Louise, comme je suis heureuse de vous revoir ! A Eirenne, nous n’avons jamais eu le temps de vraiment nous connaître. C’est incroyable que Dimitri vous ait rencontrée par hasard à Paris.
Louise croisa le regard de son amant.
— Oui, le monde est petit, murmura-t-elle, légèrement ironique.
— Je vais te chercher quelque chose à boire, agapiti, dit-il à sa sœur.
Ianthe observa Louise d’un air curieux.
— J’ai cru comprendre que vous vendiez Eirenne à Dimitri ? Ce sera formidable de retourner sur l’île. Nous avons tant de souvenirs d’enfance là-bas, mon frère et moi. Et j’aimerais y emmener Ana quand elle sera plus grande.
La jeune femme se tourna vers l’homme qui se tenait derrière elle.
— Louise, je vous présente mon mari, Lykaios.
Louise le salua, puis son regard fut attiré par le châle qu’il tenait précautionneusement contre lui. Ianthe prit délicatement le fardeau des bras de son mari.
— Et voici notre fille, annonça-t-elle avec une fierté toute maternelle. Ana Maria — c’était le prénom de ma mère. Je l’ai nourrie avant de venir, j’espère qu’elle sera calme pendant le dîner. Aimeriez-vous la prendre ?
Louise pouvait difficilement refuser. Elle espérait seulement qu’on mettrait sa nervosité au compte de son manque d’expérience.
Ianthe déposa le bébé dans ses bras. Louise regarda avec émerveillement le petit visage qui apparaissait entre les plis du châle. Une douleur irradia sa poitrine, si intense qu’elle suffoqua. Mon Dieu ! Cela n’aurait pas dû faire aussi mal après tout ce temps…
Les invités s’étaient pressés autour d’elle pour admirer la toute petite fille. Les hommes commencèrent à se lancer des taquineries, se demandant lequel parmi eux serait le prochain père.
— Dimitri n’est pas près d’être candidat à la paternité. Il n’est même pas encore marié. Mon vieux, il serait temps d’y penser, lança Lykaios à l’adresse de son beau-frère. Il faudra bien un héritier pour te succéder à la Kalakos Shipping.
— Un enfant ne doit pas venir au monde pour remplir un rôle défini à l’avance, répondit gravement Dimitri en prenant sa nièce des bras de Louise. Il doit être conçu avec amour. Si je deviens père un jour, j’encouragerai mes enfants à suivre leurs rêves et à mener leur vie selon leurs propres choix.
Louise le regarda d’un air stupéfait. Par une cruelle ironie, son point de vue sur ce sujet rejoignait le sien. Elle songea qu’il ferait un excellent père.
« J’aimerais tant porter ton enfant… », faillit-elle lâcher en le voyant bercer tendrement la petite Ana.
Cette pensée douloureuse s’infiltra dans son esprit et refusa de s’effacer. C’était totalement absurde ! D’une part, parce qu’après sa fausse couche les médecins l’avaient avertie qu’elle pourrait difficilement concevoir de nouveau. Et d’autre part, elle ne devait pas oublier qu’elle n’était que la maîtresse temporaire de Dimitri. Dans deux semaines, quand elle aurait rempli son rôle, elle quitterait Athènes et ne le reverrait jamais.
* * *
Dimitri parcourait le rez-de-chaussée pour éteindre les lumières. Les invités étaient partis et Joseph et Halia étaient rentrés chez eux, dans leur pavillon à l’entrée du parc. Mais où diable était Louise ?
Apparemment, elle avait apprécié la soirée. Toutefois, derrière son sourire, il avait perçu de la tristesse. A table, il s’était penché vers elle et lui avait demandé ce qui la chiffonnait. Elle lui avait assuré que tout allait bien. Pourtant, son regard tourmenté ne lui avait pas échappé.
Les portes-fenêtres qui donnaient sur le patio étaient ouvertes et la brise légère faisait gonfler les rideaux de mousseline. Louise se tenait sur la terrasse, perdue dans ses pensées.
Quand il la rejoignit, elle sursauta et porta vivement une main à son visage. Pas assez vite cependant pour lui cacher les traces de larmes sur ses joues.
— Glikia, que se passe-t-il ?
Louise secoua la tête, incapable de parler ou de surmonter la souffrance qui lui broyait le cœur. Si seulement elle n’avait pas écouté les mensonges que Tina avait racontés sur lui… Si seulement elle n’avait pas perdu leur bébé… Si seulement elle pouvait inverser la marche du temps…
Dimitri cueillit une larme au bord de ses cils et une émotion profonde l’étreignit.
— Pedhaki ?
— Je regardais simplement les étoiles. On se sent si insignifiant dans l’univers, tu ne trouves pas ? Oh ! Je suis désolée, j’ai dû boire trop de champagne, dit-elle avec un petit rire qui sonnait faux.
Dimitri se souvint qu’elle n’avait pris qu’une seule coupe. Néanmoins, il fit semblant d’accepter ce prétexte et leva les yeux vers le ciel nocturne piqueté d’étoiles.
— Tu vois celle qui brille le plus, juste au-dessus de nous ? lui indiqua-t-il. C’est l’Etoile polaire.
— Tu as étudié l’astronomie ? s’enquit Louise, heureuse de cette diversion.
— Pas vraiment. Mais quand j’étais gamin, j’allais faire de la voile avec mon père et il m’apprenait à naviguer grâce aux étoiles. Bien sûr, aujourd’hui, grâce au GPS, on n’a plus besoin d’observer le ciel pour se guider. Dommage, parce que c’était amusant. Je me dis souvent que j’aimerais pouvoir inverser le temps.
Louise frémit. C’était étrange qu’ils aient eu la même réflexion au même moment. Comme s’ils étaient reliés l’un à l’autre par la pensée.
— Pourquoi ?
— Parce que je regrette de ne pas m’être réconcilié avec mon père, déclara Dimitri, le cœur lourd. J’étais à l’autre bout du monde quand il a eu son infarctus. Je suis rentré immédiatement à Athènes, mais quand je suis arrivé à l’hôpital, il venait de mourir. Je n’ai pas eu le temps de m’excuser ni de lui dire que je l’aimais.
Son chagrin était si palpable que Louise eut mal pour lui. En même temps, elle sentait que le spectre de la relation de Kostas et de Tina planait de nouveau entre eux.
— Je suis désolée.
— Ce n’était pas ta faute, dit-il comme s’il suivait le fil de ses pensées. C’est à moi-même que j’en veux, Louise. J’étais jeune, arrogant et buté au point d’oublier que la vie n’est pas éternelle. Voilà pourquoi j’aimerais tant revenir en arrière.
Un lourd silence s’abattit. Après avoir hésité, Louise lui posa la question qui la rongeait.
— Si ce que nous avons vécu à Eirenne signifiait quelque chose pour toi, pourquoi n’as-tu pas insisté pour me revoir ? Je sais qu’Ianthe était à l’hôpital, mais après, quand elle a été rétablie, pourquoi ne m’as-tu pas recontactée ?
— Pour plusieurs raisons. A cause de ma sacro-sainte fierté, d’abord. Et aussi parce que je ne pouvais pas envisager une relation durable avec toi : mon père m’avait déshérité et j’étais déterminé à lui prouver que je n’avais pas besoin de lui. J’ai fondé ma société, Fine Living, et j’ai travaillé comme un fou pour la faire fonctionner. Ma vie sociale passait après mon ambition professionnelle. Les femmes avec lesquelles je sortais…
Il hésita.
— Parle-moi d’elles, insista Louise.
Il haussa les épaules.
— Elles connaissaient la règle du jeu. Elles savaient ce que j’attendais d’elles : une aventure sans attaches et rien d’autre. Puis mon père est mort en me désignant finalement comme son successeur à la tête de la Kalakos Shipping. J’ai alors voulu prouver que j’étais à la hauteur de ce rôle.
Louise se tourna vers lui. Le clair de lune auréolait sa silhouette d’un halo argenté, si bien qu’elle lui paraissait presque surnaturelle.
— J’étais sans arrêt plongé dans le travail ; ma vie était rigoureusement planifiée, poursuivit-il. Jusqu’à ce que tu réapparaisses. C’est vrai, je t’ai prise pour une femme sans scrupule qui couche pour de l’argent, même si je ne pouvais t’en vouloir vu l’exemple que ta mère t’avait donné.
Il leva une main et enroula une mèche blonde autour de son doigt.
— Mais tu m’as prouvé que je me trompais. Tu as piqué une belle colère quand je t’ai offert cette robe !
Doucement, il en fit glisser une bretelle et effleura des lèvres son épaule nue.
Louise retint son souffle. Elle ne put réprimer un léger frisson quand il traça un sillon de petits baisers le long de son cou.
— Je suis désolée… d’avoir si mal réagi pour la robe, murmura-t-elle d’une voix saccadée. Et aussi… d’avoir jeté le trouble dans ta vie.
— Pas moi, répondit Dimitri en l’enlaçant. Je veux te faire l’amour. Seulement…
— Seulement quoi ?
— Il faut que tu le veuilles aussi, glikia mou. Sinon, tu pourras dormir dans une autre chambre, si tu le souhaites. Je te promets de ne pas venir t’importuner.
Louise le fixa, incrédule.
— Je croyais que nous avions passé un accord.
— Je n’avais pas le droit de t’imposer une telle condition. Je suis heureux d’acquérir Eirenne et l’achat se fera quelles que soient les dispositions que tu prendras pour les nuits à venir.
Le cœur battant, Louise s’efforçait de trouver un sens à ce revirement. Dimitri lui laissait le choix ? Cependant, elle avait déjà pris sa décision.
— Je tiens à partager ta chambre et ton lit.
Il lui emprisonna le visage entre ses mains et prit possession de sa bouche, en un baiser infiniment tendre auquel elle répondit sans réserve. Il la souleva dans ses bras et la porta à travers les pièces obscures, puis dans l’escalier, jusqu’à leur chambre baignée par le clair de lune.
Ils firent l’amour avec une passion empreinte de tendresse. Cette douceur inattendue amena des larmes dans les yeux de Louise.
— Pedhaki, qu’y a-t-il ? Pourquoi pleures-tu ?
Elle dompta tant bien que mal son émotion.
— C’est juste que… C’était si beau.
Dimitri hocha la tête. Il n’aurait pu mieux dire.
* * *
Louise jeta un coup d’œil à la pendule et constata que c’était déjà le début de l’après-midi.
— Debout ! Il est vraiment temps.
— Pourquoi ? murmura paresseusement Dimitri en rabattant sa cuisse sur elle pour l’empêcher de s’écarter. Nous sommes très bien comme ça.
— On est dimanche et tu voulais travailler un peu aujourd’hui, lui rappela-t-elle. J’ai assez perturbé ton emploi du temps cette semaine. Tu n’es allé au bureau que deux jours. Je ne veux pas que tu te sentes obligé de me distraire.
Dimitri embrassa la pointe d’un sein qui émergeait, provocante et rose, par-dessus le drap froissé. Il appliqua la même attention à l’autre et se mit à rire en entendant Louise ravaler son souffle.
— Mmm… Je n’ai pas remarqué que tu t’en plaignais, thee mou.
— Tu es un hôte très attentionné, reconnut Louise, un sourire mutin aux lèvres. Mais sérieusement, tu n’en as pas assez de rester à la maison ? Joseph m’a dit qu’il ne t’avait jamais vu passer autant de temps ici.
— C’est vrai, ce n’est pas dans mes habitudes. Mais j’aime être avec toi. Et surtout, te distraire, ponctua-t-il malicieusement.
Louise capitula. Elle n’avait pas à se plaindre des attentions dont il la comblait. Chaque matin, ils se levaient tard, prenaient un brunch sur la terrasse, puis Dimitri disparaissait dans son bureau pendant une heure pour traiter ses e-mails. Ensuite, ils passaient l’après-midi à la piscine ou allaient visiter des monuments — l’Acropole, la pinacothèque.
Elle appréciait de plus en plus la camaraderie et la complicité qui s’établissaient entre eux, comme autrefois à Eirenne. Cependant, elle avait conscience que la réalité reprendrait bientôt ses droits et anéantirait cette existence de rêve.
— Je viens de me rappeler que je voulais t’emmener déjeuner dans une auberge typique, sur le port de Rafina, dit Dimitri à cet instant. Ensuite, nous pourrions faire un tour en bateau.
Elle l’embrassa langoureusement et il gémit de plaisir en la faisant rouler sous lui avec fougue.
— Quoique…, se ravisa-t-il. Nous pourrions toujours y aller pour le dîner.
* * *
— Une fois que nous aurons signé le contrat, l’argent sera versé sur ton compte, expliqua Dimitri sur le chemin du cabinet de son avocat, où ils allaient signer l’acte de vente.
Il fut surpris par le manque d’enthousiasme de Louise.
— Je m’attendais à ce que tu sois ravie…
— Je le suis, répondit-elle en évitant de le regarder.
Elle savait qu’il était heureux de devenir propriétaire d’Eirenne. Mais il le serait beaucoup moins si elle lui révélait que l’argent servirait à payer les soins de Tina. Elle se sentait écartelée entre les deux êtres qu’elle aimait.
Qu’elle aimait ? Cette pensée était si choquante qu’elle eut à peine conscience de pénétrer dans le bureau de l’avocat. D’où lui venait cette idée absurde ? Elle n’était pas amoureuse de Dimitri !
Se tournant vers lui, elle contempla son profil sculpté et son cœur fit un bond familier. Elle aimait les angles saillants de ses pommettes, le pli sensuel de sa bouche et ses yeux d’un vert si étrange, piquetés de paillettes dorées.
« Oui, tu l’aimes… », lui souffla une voix intérieure.
Elle ressentit une douleur aiguë en songeant que bientôt elle rentrerait à Paris. Qu’adviendrait-il de leur relation ? Dimitri n’en avait encore rien dit.
* * *
Il avait prévu de la raccompagner en France à bord de son jet. Pour leur dernière soirée à Athènes, ils allèrent dîner dans une charmante taverne, où ils dégustèrent des mets typiques accompagnés de retsina. Puis, main dans la main, ils rentrèrent à la villa.
Cette nuit-là, Dimitri lui fit l’amour avec une passion sauvage, presque désespérée. Louise se demanda s’il regrettait lui aussi son départ. Ils étaient devenus plus proches ces derniers jours, mais peut-être n’était-ce qu’une impression. Dès le début, il l’avait prévenue qu’il ne gardait jamais longtemps la même partenaire. Sans doute s’était-il lassé d’elle, et il était trop poli pour le lui dire…
* * *
Quand ils arrivèrent à Paris, il pleuvait. Louise fit un parallèle entre le ciel gris et son humeur, qu’il reflétait parfaitement. Seule Madeleine semblait heureuse d’être de retour à l’appartement : dès que Louise eut ouvert son panier, la chatte alla s’installer à sa place habituelle, sur le rebord de la fenêtre.
— Cette mansarde n’est pas faite pour les gens de ma taille ! bougonna Dimitri qui venait de se cogner contre la poutre de l’entrée.
Il déposa la valise de Louise dans l’étroit vestibule.
— Ne la défais pas maintenant, lui conseilla-t-il. Viens, j’ai quelque chose à te montrer.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Tu verras. C’est une surprise. Je pense qu’elle te plaira.
Intriguée, Louise le suivit dans l’escalier. Ils sortirent de l’immeuble et remontèrent dans le taxi, qui les avait attendus — sur instruction de Dimitri à n’en pas douter.
— Tu veux faire une nouvelle visite du Louvre ? risqua-t-elle quand, au bout de quelques minutes, le chauffeur s’arrêta le long du jardin des Tuileries.
— Viens avec moi, répondit-il seulement en descendant.
Il la fit entrer dans un bel immeuble ancien au hall dallé de marbre.
— Vas-tu me dire ce qui se passe ? l’interrogea Louise quand ils pénétrèrent dans l’ascenseur. J’ai vu que le gardien te donnait quelque chose.
— Patience, pedhaki.
Ils débouchèrent au dernier étage. Il n’y avait qu’une seule porte sur le palier. Dimitri introduisit une clé dans la serrure et invita Louise à le précéder.
— Alors, qu’en penses-tu ?
Louise regarda autour d’elle. Ils se trouvaient dans un salon immense, haut de plafond et somptueusement meublé.
— C’est… c’est fabuleux ! Et avec vue sur les Tuileries ! Mais pourquoi m’amènes-tu ici ? Qui habite cet appartement ?
— Toi.
Dimitri éclata de rire en voyant l’étonnement se peindre sur les traits de la jeune femme.
— Si tu aimes cet appartement, je vais signer le bail à l’agence et tu pourras emménager immédiatement, expliqua-t-il.
Louise le dévisagea, l’esprit en déroute.
— Ecoute, le logement que j’occupe en ce moment me convient parfaitement. De toute façon, je ne pourrais pas me permettre de vivre ici. Le loyer doit être exorbitant.
— Ne t’inquiète pas pour ça. Je règle tous les frais. Reconnais que ton deux-pièces est trop petit pour nous deux.
Elle retint son souffle.
— Tu veux… que nous vivions ensemble ? balbutia-t-elle, fébrile. Tu vas t’installer à Paris ?
Mais son enthousiasme s’évanouit en voyant qu’il se raidissait.
— Non. Je dois rester à Athènes pour mes affaires. Mais je viendrai te rejoindre le plus souvent possible. Pourquoi me regardes-tu comme ça ?
En constatant que l’expression de Louise était devenue glaciale, Dimitri sentit l’exaspération le gagner. Que s’était-elle imaginé ? Il ne pouvait pas bouleverser davantage son existence, et il ne lui demanderait pas non plus de tout quitter pour le suivre en Grèce. Ce qu’il lui proposait était le compromis le plus satisfaisant qu’il ait trouvé.
— Si tu n’aimes pas cet appartement, il y en a d’autres dans le catalogue de l’agence, dit-il avec tact.
— Ça n’a rien à voir avec l’appartement. Ou plutôt, si… mais pas au sens où tu l’entends.
Louise masquait son amertume. Si elle avait quelque bon sens, elle partirait d’ici au plus vite. Pour préserver sa dignité. Pourtant, elle décida de jeter sa fierté aux orties.
— J’ai cru que tu voulais t’engager envers moi, d’une façon ou d’une autre, dit-elle. Parce que… ça t’importait que nous soyons ensemble.
Dimitri s’approcha d’elle et se rembrunit en voyant qu’elle reculait. Ah, les femmes… Jamais il n’arriverait à les cerner. Il croyait avoir compris Louise et voilà qu’elle lui faisait une scène !
— Te louer un appartement est une forme d’engagement, il me semble, répliqua-t-il.
— Et moi, je refuse d’être ta favorite attitrée !
— Gamoto ! Qu’est-ce que tu as été pendant deux semaines ?
Il aurait voulu la secouer, mais il avait encore plus envie de la prendre dans ses bras et de l’embrasser jusqu’à ce qu’ils oublient cette stupide dispute.
— Moi qui pensais que tu te plaisais en ma compagnie, reprit-il, acerbe. Et je ne parle pas seulement du sexe, mais de tout le reste. De l’amitié, de la complicité que nous avons partagées… Qu’attends-tu d’autre de moi ?
Brusquement, il se rendit compte que ce genre de querelle lui était familier. Il avait déjà tenu ce discours à certaines de ses ex et, chaque fois, cela avait auguré d’une rupture. Dès qu’une femme parlait d’engagement, il s’en allait en courant. Alors pourquoi ne filait-il pas immédiatement ? Pourquoi l’idée de quitter Louise le rendait-il irascible ?
— Qu’espérais-tu ? Un mariage ? lança-t-il avec un rire froid.
— Non, bien sûr que non, se récria Louise en s’empourprant.
Elle avait seulement espéré quelque signe qui lui aurait prouvé qu’elle comptait un peu à ses yeux — plus que Tina n’avait compté pour tous les hommes qui s’étaient servis d’elle. La décision de Dimitri de l’installer dans un appartement était bien loin de l’attachement dont elle avait rêvé. Peut-être avait-il des maîtresses ainsi logées dans les différentes villes d’Europe où il voyageait pour affaires. Eh bien, pas question pour elle de venir grossir leurs rangs !
La sonnerie de son téléphone la fit sursauter. Elle fouilla rapidement dans son sac avec l’intention de refuser l’appel, mais quand elle vit s’afficher le nom de la clinique américaine un frisson glacé la parcourut. La sonnerie s’arrêta avant qu’elle ait eu le temps de décrocher.
Elle reporta son attention sur Dimitri et se mordit la lèvre. Il semblait furieux, et peut-être avait-il de bonnes raisons de l’être. Avait-elle mal interprété sa décision de lui louer cet appartement ?
— Je dois rappeler cette personne, dit-elle d’un ton déterminé.
— Oui, bien sûr.
Se détournant de la fenêtre, Dimitri traversa la pièce.
— Le taxi t’attend en bas pour te raccompagner chez toi. Je rapporterai la clé à l’agence en disant que je ne veux plus de l’appartement.
Il ressentait une profonde frustration. Dire que les événements ne s’étaient pas déroulés comme il l’avait prévu était un euphémisme !
— Je dois partir en Norvège dès ce soir. Une réunion que j’ai déjà reportée la semaine dernière.
Ce n’était pas l’entière vérité : il avait prévu de passer la nuit avec elle dans cet appartement et de s’envoler tôt le lendemain. Mais cela lui ferait du bien de mettre un peu de distance entre eux tant il était blessé qu’elle ait rejeté de la sorte sa surprise.
Au cours de ces deux dernières semaines, il avait apprécié bien plus que les plaisirs physiques avec elle. Néanmoins, il la considérait toujours comme une maîtresse. Il ne voulait rien de plus. A quoi bon s’engager de toute façon ? Ses parents avaient été mariés pendant trente ans, puis leur couple avait volé en éclats et sa mère avait fini par mourir de chagrin. La vie était bien plus simple sans les émotions qui venaient tout compliquer.
Louise l’avait suivi dans l’entrée. D’un geste brutal, il ouvrit la porte et se tourna vers elle. Ses beaux yeux étaient remplis de larmes et il en eut le cœur serré.
— Dimitri…
Sa voix était rauque comme si le fait de parler lui blessait la gorge.
— … je suis désolée, murmura-t-elle.
— Moi aussi.
Il avait envie de l’embrasser et se retint, sachant qu’il risquait de faire des promesses qu’il ne tiendrait pas.
— Je t’appellerai.
C’était ce qu’il disait chaque fois, mais il ne la rappellerait pas. Cela ne servirait à rien. Ils se trouvaient dans une impasse.
Elle passa devant lui et il la regarda s’éloigner. En entrant dans l’ascenseur, elle ne se retourna pas.
Les portes se refermèrent. Ce fut seulement à cet instant que Dimitri comprit que tout était fini.