Du champagne rafraîchissait dans un seau à glace. La nappe damassée était d’une blancheur immaculée et l’argenterie étincelait dans la lueur tremblante des bougies. Au centre de la table trônait une composition de roses blanches et de freesias mauves très parfumés. Louise essaya de se concentrer sur le joli décor, mais tout ce qu’elle voyait, c’était le regard brûlant de Dimitri qui l’invitait galamment à s’asseoir.
Il ne cherchait même pas à masquer son désir. C’était d’autant plus troublant qu’ils ne s’étaient pas revus depuis sept ans et qu’ils étaient pratiquement comme des inconnus l’un pour l’autre. Les souvenirs de la seule nuit qu’ils avaient partagée menaçaient d’envahir son esprit et elle tenta de les refouler. Quant à Dimitri, il avait dû coucher avec tant de femmes depuis qu’il était peu probable qu’il se souvienne de leur expérience commune. Pourtant, quelque chose lui disait qu’il n’avait pas oublié. A cette pensée, une vague de chaleur fusa dans ses veines.
— Champagne, mademoiselle ?
— Oh… Oui, merci, répondit-elle au serveur qui l’avait tirée de ses pensées
Celui-ci remplit les flûtes, puis leur remit le menu et s’éclipsa.
— A notre amitié, dit Dimitri en levant son verre. Ce toast me paraît approprié.
L’amitié… Le cœur de Louise se serra tandis qu’elle revivait en accéléré les jours heureux remplis de rires qu’ils avaient passés sur la petite île paradisiaque. Oui, elle avait cru leur amitié solide, jusqu’à ce que sa mère intervienne pour détruire ses illusions. Tout avait été factice : leur complicité, leur passion… Comment Dimitri avait-il l’audace de proposer un toast à leur amitié ?
Mais ça ne servait à rien de remuer le passé, puisqu’elle ne le reverrait sans doute pas après cette soirée. Vaillamment, elle plaqua un sourire poli sur ses lèvres et fit tinter sa flûte contre celle de son ancien amant.
— Aux longues amitiés.
Sa gorge était sèche et les mots avaient franchi ses lèvres en un murmure rauque. Seigneur… On aurait dit la voix d’une femme fatale dans un vieux film hollywoodien !
Elle s’empressa d’avaler une longue gorgée de champagne glacé.
— Tu disais que tu serais peut-être intéressé par l’idée d’acheter Eirenne, dit-elle en s’efforçant de prendre un ton normal. Est-ce que je peux te fournir des renseignements qui te permettront de mieux te décider ?
— Je ne suis pas retourné sur l’île depuis sept ans. A-t-elle beaucoup changé ? Même ta mère n’a pu dénaturer complètement l’endroit, répondit-il, cynique.
— Bien sûr que non, répliqua-t-elle, immédiatement sur la défensive. Qu’aurait-elle pu faire ?
— Elle a bien essayé de persuader mon père de faire construire une boîte de nuit et un casino ! Pour pouvoir organiser des réceptions privées sur place.
Louise ébaucha une grimace. Devenir propriétaire d’une boîte de nuit, voilà une chose qui n’aurait pas déplu à Tina. Sa mère ne se serait sûrement pas souciée de troubler la tranquillité de l’île.
— Rassure-toi, elle n’a rien fait de tel. D’ailleurs, elle n’est pas retournée à Eirenne depuis la mort de Kostas. Je sais que tu penses qu’elle s’intéressait à ton père seulement pour sa fortune. Mais je crois qu’elle l’aimait vraiment.
Dimitri lui jeta un regard narquois.
— La seule personne que Tina Hobbs a jamais aimée, c’est elle-même. Theos ! Même toi, tu dois avouer qu’elle n’a pas été une bonne mère. Tu as passé une partie de ton enfance dans des pensionnats pendant qu’elle menait la grande vie en papillonnant d’un milliardaire à l’autre. Mon père était de loin le plus naïf, et je lui en veux autant qu’à Tina d’avoir rendu ma mère si malheureuse !
Dimitri avait haussé la voix, attirant des regards curieux vers leur table. Il se tut et s’empara du menu.
Louise fit de même, tenant la carte devant elle pour éviter de croiser le regard furieux de son compagnon. Pour oublier la tension qui s’installait entre eux, elle avala une autre gorgée de champagne, goûtant le vertige bienfaisant que l’alcool lui procurait.
La soirée s’annonçait désastreuse et elle doutait maintenant de trouver les arguments qui convaincraient Dimitri d’acheter l’île. Il était trop arrogant, trop buté.
Elle reposa le menu sur la table et un frisson la parcourut en découvrant qu’il l’observait. Bizarrement, il ne semblait plus en colère.
— Louise, je suis désolé, dit-il d’un ton bourru. Ce n’était pas mon intention de déterrer ces vieilles histoires. La relation que nos parents entretenaient n’avait rien à voir avec nous.
— Comment peux-tu dire ça ? Tu en veux à Tina…
— Mes sentiments envers elle n’ont pas d’importance. Ecoute, je refuse de me disputer avec toi, pedhaki mou.
Il avait envie de contourner la table et de prendre Louise dans ses bras, de sentir contre lui son corps de déesse, de presser ses lèvres sur les siennes. Répondrait-elle à ses avances ? Son instinct lui disait qu’elle ressentait une excitation égale à la sienne.
Mais la séduction était un art et il avait l’intention d’en respecter les règles. Ils savoureraient donc un bon dîner et une conversation agréable, qui attiseraient son désir de l’attirer dans son lit. Et cette perspective-là, il la dégusterait avec délectation, comme on déguste un bon vin.
— J’aimerais oublier le passé et faire comme si nous venions de nous rencontrer, reprit-il doucement. Imaginons que nous sommes deux inconnus qui dînent à Paris et qui essaient de faire plus ample connaissance. Qu’en dis-tu ?
— Eh bien…, commença Louise.
Cette expression tendre, « pedhaki mou », avait affaibli ses défenses et, tout en écoutant Dimitri, elle résistait à une envie irrépressible de caresser son visage, qui lui faisait penser à une sculpture de Michel-Ange. Si elle avait quelque bon sens, elle insisterait pour qu’ils abordent tout de suite la question d’Eirenne, après quoi chacun s’en irait de son côté.
Au lieu de ça, elle s’entendit répondre :
— Oui. Ce serait agréable de bavarder et de dîner sans stress.
Il s’était penché vers elle et le parfum musqué de son eau de toilette titillait ses sens. Son instinct l’avertissait que sa proximité était dangereuse pour sa tranquillité d’esprit ; mais à vingt-six ans, elle n’était plus une gamine, si ? Elle ne commettrait plus l’erreur de s’amouracher d’un homme simplement parce qu’il était beau à tomber et que la petite flamme qui brûlait au fond de ses yeux était comme la promesse du paradis.
Dimitri s’écarta, soulagé de voir que l’angoisse avait disparu du regard de Louise. Il regrettait de l’avoir bouleversée en abordant le sujet de sa mère. Il n’avait pas eu l’intention de décharger son amertume sur elle.
Il jeta de nouveau un coup d’œil au menu, rédigé uniquement en français.
— Pourrais-tu m’aider à choisir ? demanda-t-il avec un sourire plein d’humilité. Je parle assez bien la langue, mais je maîtrise moins l’écrit.
— Hmm… Il vaut mieux que tu ne prennes pas les moules à la crème ni les coquilles Saint-Jacques, lui conseilla-t-elle. Je suppose que tu es toujours allergique aux fruits de mer ?
— Exact. Je suis surpris que tu t’en souviennes.
Louise se maudit en silence d’avoir fait ce commentaire, qui sous-entendait qu’elle n’avait rien oublié à son sujet.
— C’est drôle comme les petits riens vous restent parfois à la mémoire, dit-elle d’un air faussement détaché. Que dirais-tu d’un filet de bœuf avec une sauce au raifort ? C’est la spécialité de La Marianne et j’ai lu qu’un excellent critique culinaire la recommandait.
— Ça a l’air appétissant. Attends, je vais me rapprocher. Je pourrai mieux suivre tes commentaires sur les autres plats.
Avant que Louise ait pu émettre une objection, il déplaça sa chaise et vint s’asseoir auprès d’elle, si près que sa cuisse frôlait la sienne.
Oh ! la, la ! Si elle tournait juste un peu la tête, la bouche de Dimitri ne serait plus qu’à quelques centimètres de la sienne. Ce constat mit ses sens en alerte. Son bras nu effleura accidentellement la manche de sa veste et elle sentit sa peau s’échauffer à ce simple contact. En même temps, ses seins se dressèrent de façon provocante contre la soie de sa robe.
Mortifiée, Louise expliqua brièvement le menu. Sa voix était de nouveau affreusement rauque. Elle avala une gorgée de champagne dans l’espoir de recouvrer un peu d’assurance.
Ce fut avec un réel soulagement qu’elle vit le serveur arriver à leur table et Dimitri retourner à sa place.
— Depuis combien de temps vis-tu à Paris ? demanda-t-il après qu’ils eurent commandé.
— Quatre ans. Mais je m’y sens chez moi depuis toujours. Ma grand-mère habitait à Montmartre. Quand j’étais enfant, je passais souvent mes vacances chez elle.
Dimitri parut surpris.
— La mère de ton père ?
— Non, ma grand-mère maternelle, Céline. Elle a épousé Charles Hobbs et ils ont vécu en Angleterre, où ma mère est née. A la mort de son mari, elle est revenue vivre à Paris.
Dimitri vit une expression nostalgique envahir les traits de Louise, tandis qu’elle caressait le diamant autour de son cou. Pensait-elle à celui qui le lui avait offert ? Un amant fortuné ?
Il fut saisi d’une impulsion de lui arracher le collier. Mais ce ne fut pas cette réaction qui le surprit le plus. Il venait de constater, sidéré, que même s’il s’avérait que Louise avait des amants par douzaines il la désirerait encore. D’autre part, il était sûr que si elle passait une nuit avec lui, elle oublierait vite celui ou ceux qui occupaient une place dans sa vie…
Il interrompit le fil de ses pensées, car on leur apportait leur plat. Il se mit à manger machinalement. Le mets était certainement succulent ; cependant, il ne pouvait l’apprécier quand Louise accaparait toute son attention.
Comme lui, elle semblait montrer peu d’intérêt pour le contenu de son assiette et picorait du bout des lèvres.
— En somme, tu es une vraie Parisienne, dit-il pour détendre l’atmosphère devenue pesante.
— C’est une ville que j’adore. Tu disais que tu venais souvent ici pour affaires : je suppose que tu connais bien Paris, toi aussi.
— Seulement les espaces conférence des hôtels et les salles de réunion des entreprises, répondit Dimitri, désabusé.
— Dommage. Tu devrais essayer un circuit en bus ou une promenade en bateau-mouche.
— Mmm… Peut-être. Mais j’aurais besoin d’un guide. Quelqu’un qui connaisse parfaitement la ville et son histoire. Intéressée ?
Comme pour appuyer l’ambiguïté de sa question, une lueur malicieuse traversa son regard.
— Tu rentres bientôt en Grèce ? biaisa Louise, le cœur battant.
— Demain. Mais nous avons encore la nuit devant nous…
Délaissant sa pièce de bœuf, Dimitri tendit une main par-dessus la table et emprisonna les doigts de Louise. Il perçut le léger frisson qui la parcourait.
— J’ai entendu dire que la vue depuis le sommet de la tour Eiffel était spectaculaire, dit-il en resserrant ostensiblement son étreinte.
Du pouce, il se mit à caresser l’intérieur de son poignet, là où le pouls battait de plus en plus vite.
Louise tenta désespérément de se concentrer.
— Tu… Tu veux monter en haut de la tour Eiffel ?
Pas spécialement, s’avoua-t-il in petto. Mais il n’avait pas envie que la soirée s’achève. Il avait lancé cette idée sur un coup de tête, sachant d’avance qu’elle refuserait une invitation en boîte de nuit. Elle semblait à cran et son instinct lui disait que, le dîner terminé, Louise lui souhaiterait une bonne nuit et se précipiterait chez elle. Il voulait la retenir, faire de nouveau connaissance avec elle. S’il voulait se montrer honnête avec lui-même, il lui tardait surtout d’ôter sa robe noire affriolante et d’embrasser son corps nu.
Il prit une profonde inspiration avant de répondre d’un ton qu’il voulut convaincant :
— J’avoue que l’idée de monter là-haut en ascenseur me tente assez.
Le sourire sexy qui accompagna cette déclaration électrisa Louise.
— L’ascenseur est le moyen le plus raisonnable, déclara-t-elle en s’efforçant d’adopter un ton neutre. Il y a plus de mille marches.
— Alors, c’est réglé. Mais d’abord, veux-tu commander un dessert ? Une autre coupe de champagne ?
— Non, merci.
Son appétit s’était envolé. Quant au champagne, elle en avait assez bu — même si elle savait que c’était Dimitri et non l’alcool qui lui mettait les nerfs à vif.
* * *
Louise fut soulagée de sortir du restaurant et inspira à pleins poumons la brise légère et rafraîchissante. Au loin, la gigantesque structure illuminée de la tour Eiffel se profilait contre le ciel d’encre.
Même à cette heure tardive, le célèbre monument restait une attraction populaire et une petite foule faisait la queue au pied de l’ascenseur. Devant eux, un jeune couple s’enlaçait à qui mieux mieux, manifestement gagné par l’atmosphère romantique de Paris.
Ce devait être magnifique d’être amoureux à ce point, pensa Louise avec mélancolie. Les étreintes des jeunes tourtereaux lui rappelaient les quelques jours magiques qu’elle avait passés à Eirenne en compagnie de Dimitri. Une vague de chaleur l’envahit et elle ne put se résoudre à regarder son compagnon, ni le couple qui se bécotait. En désespoir de cause, elle fixa le macadam sous ses pieds.
Ils prirent l’ascenseur jusqu’au deuxième étage, puis un autre les mena rapidement au sommet de la tour. Louise entendit Dimitri retenir son souffle lorsqu’ils débouchèrent sur la plate-forme.
— J’espère que tu n’as pas le vertige, le taquina-t-elle.
Il se mit à rire. Il se tenait immédiatement derrière elle et observait le panorama nocturne à travers le grillage d’acier.
— On se croirait en plein ciel. La vue est époustouflante !
Louise acquiesça.
— Paris scintille de mille feux comme un immense joyau. Et toutes ces lumières qui se reflètent dans le fleuve…
La vue était certes époustouflante, mais ce n’était pas la seule explication aux difficultés qu’elle éprouvait à respirer : les autres visiteurs se trouvaient à l’opposé sur la plate-forme, de sorte que Louise avait l’impression d’être seule avec Dimitri sur le toit du monde.
A cette hauteur, le vent était plus fort et plus frais. Elle remonta son étole sur ses épaules. Dimitri remarqua son geste.
— Tu as froid ? Tu veux ma veste ?
Louise secoua la tête.
— Non, ça va.
— Menteuse, dit-il doucement. Tu grelottes.
Dans l’obscurité, il était difficile de distinguer ses yeux, mais elle sentait son regard insistant peser sur elle. Pendant le dîner, déjà, elle avait été terriblement attirée par lui ; elle ne pouvait plus lutter contre la chaleur intense qui déferlait à présent dans ses veines.
— Viens ici.
Sa voix était grave et caressante tout à coup, avec quelque chose de rude qui attisait ses sens. Louise sentit l’air se bloquer dans sa gorge. Elle fut incapable de réagir quand il passa un bras autour de ses épaules pour l’attirer contre lui.
Sa chaleur et son parfum l’enveloppèrent ; elle perçut contre elle les battements sourds de son cœur. Elle leva les yeux vers lui
— Theos ! marmonna Dimitri en plongeant le regard dans le bleu pur de celui de Louise.
Toute la soirée, il avait eu envie de l’embrasser ; à présent, la tentation de ses lèvres humides, légèrement entrouvertes, était trop forte. Il se pencha et prit sa bouche en un baiser léger, aérien, presque un effleurement. Ses lèvres étaient incroyablement douces et avaient gardé le goût du champagne.
Louise se laissa aller à ce baiser voluptueux. Ses seins étaient tendus, lourds ; leurs pointes, pressées contre le torse de Dimitri, devenaient hypersensibles. Elle avait aussi conscience d’une chaude palpitation au creux de son ventre, une exaltation incontrôlable qui la poussait à plaquer ses hanches contre les cuisses de Dimitri, dont la virilité érigée palpitait contre son ventre.
Il l’embrassait encore et encore, goûtant avidement sa bouche avec un érotisme si brûlant qu’elle se mit à trembler.
« Idiote, que fais-tu de ta fierté ? » souffla une voix dans son esprit. Mais elle l’ignora, s’abandonnant tout entière à la magie de l’instant.
Un bruit de voix non loin d’eux brisa le sortilège, la ramenant brutalement à la réalité : les touristes qui visitaient la plate-forme venaient dans leur direction.
Louise s’écarta de Dimitri et, haletante, palpa sa bouche meurtrie.
Seigneur ! Qu’est-ce qui lui avait pris ? Depuis le début de la soirée, les souvenirs de leur brève liaison à Eirenne la hantaient en permanence. Mais ce n’était pas une raison pour lui tomber dans les bras ! Le passé était mort et enterré.
— Tu n’aurais pas dû, balbutia-t-elle, encore sous le choc de la tempête d’émotions qu’il avait réveillée en elle.
— Tu n’as rien fait pour m’arrêter.
Ses yeux verts étincelaient dans l’ombre et son sourire était légèrement moqueur. Toutefois, quand il balaya doucement une mèche blonde qui s’était égarée sur sa joue, Louise remarqua non sans surprise que sa main tremblait. Ainsi, Dimitri n’était pas plus maître de ses émotions qu’elle-même…
— Partons, dit-il d’une voix rude.
Ils restèrent silencieux dans l’ascenseur qui les ramenait vers la terre ferme. Il était presque minuit ; Dimitri héla un taxi.
Louise se pelotonna sur la banquette arrière et regarda par la vitre. Elle était sonnée, mortifiée en songeant à la façon dont elle avait répondu à son baiser. Maintenant, il allait croire qu’elle avait passé ces sept dernières années à se languir de lui. Ce qui était… Elle secoua la tête : elle ne voulait pas se demander s’il y avait une part de vérité dans cette hypothèse.
Ils n’avaient même pas abordé la question d’Eirenne. Elle s’en voulait de n’avoir pas insisté pour maintenir la conversation sur ce sujet pendant le dîner. Et qu’est-ce qui lui avait pris de consentir à cette visite de la tour Eiffel ? Elle savait pourtant bien que c’était le lieu de rendez-vous préféré de tous les amoureux. Pourtant, l’atmosphère romantique de Paris ne pouvait aucunement constituer une excuse à son comportement, d’autant qu’elle avait embrassé Dimitri avec voracité.
Le taxi s’arrêta. Toujours honteuse de son comportement, Louise mit pied à terre. Elle fronça aussitôt les sourcils en s’apercevant qu’elle n’était pas devant son immeuble. Elle leva les yeux sur la façade majestueuse d’un hôtel réputé, puis posa un regard interrogateur sur Dimitri.
— Veux-tu boire un verre ? suggéra-t-il. Nous pourrons reprendre notre discussion sur mon éventuelle acquisition d’Eirenne.
Louise se mordilla pensivement la lèvre. Persuader Dimitri d’acheter l’île était la seule chose qui comptait. Sa seule chance réelle de sauver sa mère. Cependant, ce serait le comble de la stupidité d’accepter son invitation quand il la regardait avec cette expression intense qui lui faisait bouillir le sang.
Alors qu’attendait-elle pour lui souhaiter une bonne nuit et remonter dans le taxi ? Et pourquoi son esprit ressassait-il le souvenir brûlant de son baiser ? Elle devait refuser de le suivre. D’un autre côté, l’idée de le quitter lui était insupportable. Après ce soir, elle ne le reverrait sans doute jamais…
Les yeux de Dimitri s’assombrirent. Il prit sa main et la porta à ses lèvres.
— Alors, tu viens ? murmura-t-il d’une voix chaude, aussi fondante que le plus onctueux chocolat.
Cessant de lutter contre elle-même, Louise acquiesça d’un mouvement de tête.
* * *
Tenant toujours sa main dans la sienne, Dimitri l’entraîna à l’intérieur de l’hôtel. Elle eut vaguement conscience d’un hall luxueux et doré, orné d’élégantes colonnades, puis ils pénétrèrent dans l’ascenseur. Quelques instants plus tard, ils débouchèrent au dernier étage et longèrent le couloir. Dimitri s’arrêta et la fit entrer dans sa suite.
— Quelle chambre splendide ! s’exclama Louise pour tâcher d’apporter une touche de normalité dans cette situation de plus en plus irréelle.
Le salon baignait dans une belle harmonie de gris, avec des tapis de velours, une soie murale gris perle et des sofas profonds gris-bleu, comme les tentures des fenêtres. Des teintes qui se répétaient dans la chambre, nota Louise en jetant un coup d’œil discret par une porte entrebâillée. Mais la vue d’un grand lit à baldaquin à rideaux de mousseline lui fit rapidement détourner les yeux.
— Je passe trop de temps dans les hôtels pour les apprécier, répondit Dimitri en se débarrassant de sa veste.
Il se dirigea vers le bar. Là, il prit une carafe, remplit deux verres et revint vers elle.
— Du Cointreau, expliqua-t-il en lui tendant son verre.
Louise hésita. Elle n’avait vraiment pas besoin de boire davantage d’alcool. Mais il lui sembla plus prudent d’accepter la liqueur que de croiser le regard de Dimitri.
Le liquide fort et sucré distilla une chaleur bienfaisante dans tout son être. Pour autant, elle ne parvint pas à contrôler ses tremblements.
— Je t’en prie, assieds-toi, déclara-t-il en lui désignant un canapé juste assez grand pour deux.
Elle se raidit en imaginant qu’il viendrait s’installer tout près d’elle. Oh non, surtout pas ! Elle était déjà assez embarrassée comme ça.
Maintenant qu’il avait ôté sa veste, elle distinguait la toison sombre de son torse sous la soie fine de sa chemise. Elle n’aurait jamais dû le suivre jusqu’ici. Car ce n’était pas de Dimitri qu’elle avait peur, mais d’elle-même et de son incapacité à résister à la ténébreuse sensualité du bel armateur Grec.
Désemparée et un peu affolée, elle termina son verre en hâte.
— Ecoute, Dimitri, il est tard et je ne vois pas ce que je pourrais te dire d’autre sur Eirenne. Je ne suis pas retournée là-bas depuis que nous… depuis sept ans, se reprit-elle. Voudrais-tu me passer un coup de fil quand tu auras pris ta décision ? Merci pour le dîner. Tu pars demain, donc je pense que nous n’aurons pas l’occasion de nous revoir…
— Ne sois pas bête ! coupa Dimitri avec impatience. Tu penses vraiment que je vais te laisser t’en aller comme ça ?
Il posa son verre sur la table basse et s’avança vers elle, déterminé.
Incapable de bouger, Louise retint son souffle en voyant l’éclat de son regard vert. Le temps parut s’arrêter.
— Louise…, murmura-t-il, avec un accent si sensuel qu’elle en eut la chair de poule. Viens vers moi, pedhaki.
Une voix dans sa tête lançait des signaux d’alarme ; mais encore une fois, Louise refusa d’en tenir compte.
Un cri presque désespéré jaillit de sa gorge et elle se jeta dans les bras de Dimitri.
Alors, le monde cessa d’exister.