Bruce était derrière la porte quand Poppy vint fermer la boutique le lundi soir. Sorrel entendit son exclamation ravie. Après l’avoir accueilli comme une vieille connaissance, Poppy l’envoya dans la réserve où Sorrel enregistrait les nouveaux arrivages.
— Poppy m’a dit d’entrer, fit-il en soulevant le rideau.
Il s’ébroua pour faire tomber les gouttes d’eau qui ruisselaient de ses cheveux et de ses épaules. Dehors, une averse automnale pressait les passants et les banlieusards surpris couraient à leur arrêt de bus avec un journal plié sur la tête.
— J’ai entendu, répliqua Sorrel sans aménité. Que veux-tu ?
— Te voir.
Il l’observa d’un œil perçant.
— Ça s’est bien passé avec Craig hier ?
— Très bien.
Rien ne l’obligeait à entrer dans les détails… Et la curiosité de Bruce, après son injonction de se débarrasser de Craig, était par trop irritante.
Elle eut la satisfaction de voir les traits de son visage se tendre mais il se reprit dans l’instant, plaquant un masque d’indifférence sur son visage. Il adopta une attitude détendue en mettant les mains dans ses poches et en s’appuyant négligemment contre le mur.
— Quand vous revoyez-vous ?
— Mon emploi du temps ne te regarde pas, rétorqua Sorrel. Excuse-moi, j’ai à faire.
Elle se concentra sur l’écran d’ordinateur et entra rapidement plusieurs colonnes de chiffres.
— Très bien. Je reviendrai quand tu auras fini.
Si Sorrel espérait son départ, elle dut déchanter. Bruce bavarda avec Poppy jusqu’au départ de celle-ci. Il revint alors dans la réserve et attendit patiemment qu’elle ait terminé. Au bout d’un moment, ayant fini tout son travail, Sorrel n’eut plus aucun prétexte pour continuer de l’ignorer.
— Pourquoi voulais-tu me voir ? demanda-t-elle, résignée.
— Je pensais te raccompagner chez toi.
Avec le temps qu’il faisait dehors, elle aurait accepté si n’importe qui d’autre l’avait proposé.
— Tu n’as pas proposé à Poppy de la ramener ? fit-elle.
— Son petit ami l’attendait. Et même si sa voiture est moins puissante que la mienne, elle semble le préférer à moi… Ce garçon est un dieu, à entendre Poppy !
Sorrel ne put s’empêcher de sourire.
— Je me demande combien de temps il lui faudra avant de réaliser que son dieu est tout simplement un être humain…
— Ne serais-tu pas cynique ?
— Non. Je tiens compte du fait qu’elle est très jeune et très amoureuse.
— Est-ce que tu as jamais ressenti cela pour moi ?
Surprise, elle le regarda alors qu’il lui tendait sa veste.
— Tu sais que je t’adorais quand j’étais gamine, fit-elle en enfilant le vêtement.
— Ce n’était pas exactement ce que je demandais…
— A treize ans, admit-elle, j’étais entichée de toi. Tu as dû le remarquer…
— Plutôt. J’étais mort de peur.
— A l’idée de devoir trimballer partout une adolescente énamourée ! Du coup, tu m’as à peine parlé pendant deux ans.
— Trois. J’avais dix-huit ans et suffisamment de mal à contrôler mes hormones. Heureusement, quand tu as atteint ta majorité sexuelle, j’avais mûri, appris à gérer mes impulsions et j’étais assez intelligent pour ne pas m’impliquer à fond avec toi avant que tu ne sois en âge de vivre quelque chose de sérieux.
Bruce se tenait toujours derrière elle et elle se retourna pour lui faire face, décontenancée.
— Tu voulais… t’impliquer sérieusement ?
— Je t’ai déjà dit que tu m’attirais terriblement quand tu étais adolescente. Même si cela doit te choquer… Mais j’étais à peine sorti de l’adolescence moi-même et la moindre amorce de sexualité entre nous aurait mis en émoi nos familles. Je voyais déjà venir les complications.
— Pourtant, ils voulaient qu’on se marie ! Je me rappelle qu’ils plaisantaient toujours sur le fait qu’à quatre ans, j’avais décidé de t’épouser… Tu avais horreur de les entendre nous taquiner à ce sujet.
— Crois-moi, les taquineries ont cessé quand tu as eu treize ans ! Ton père et le mien se sont débrouillés pour me faire comprendre qu’il n’était pas question que je te touche en dehors du cadre légal !
Sorrel ouvrit des yeux ronds.
— Ils ne m’en ont jamais rien dit…
— A toi, non. Mais avec moi, le message a été clair !
Bruce s’interrompit pour jeter un bref coup d’œil à sa montre.
— Je suis garé n’importe comment et si la fourrière passe, nous serons condamnés à marcher sous la pluie ! Attends-moi, je file récupérer la voiture et je passe te prendre.
La pluie avait redoublé.
Il s’approcha de la boutique autant qu’il le put pour lui éviter d’être mouillée.
— Tu n’es pas trempé ? s’enquit-elle en s’installant à ses côtés.
— Ma veste, si, fit-il en désignant le vêtement dégoulinant qu’il avait placé sur le siège arrière.
— Et ton pantalon ? Il doit être à essorer…
Bruce lui jeta un regard amusé.
— Comme tu as dit l’autre jour, je survivrai. Au fait, comment va ce pouce ?
Elle n’avait plus besoin que d’un sparadrap à présent. Mais ce n’était pas sa santé qui la préoccupait. Elle brûlait de poursuivre leur conversation précédente sans savoir comment s’y prendre pour amener le sujet. D’ailleurs, l’averse persistante requérait toute l’attention de Bruce et Sorrel préféra le laisser se concentrer.
— Quand déménages-tu ? demanda-t-il alors que la pluie se calmait un peu.
— Je n’en sais rien encore. Il me manque pas mal d’ustensiles de cuisine et quelques meubles. Un lit, en particulier.
Bruce lui jeta un coup d’œil entendu.
— Assure-toi qu’il soit confortable.
Sorrel lui répondit d’un ton pincé.
— Je n’ai pas besoin de tes conseils.
— Et grand aussi… assez pour deux.
C’était bien son intention de prendre un lit deux places, voire extra-large. Elle s’était accoutumée à ce confort en Australie. Mais l’insistance de Bruce lui donnait envie de revenir au matelas une place, rien que pour le voir pâlir de dépit !
* * *
Elle emménagea le samedi suivant, et se fit livrer le lit ainsi qu’une coiffeuse.
La propriétaire avait laissé dans le salon un lourd sofa, et avec les achats effectués pour équiper la cuisine, sans parler des appareils électroménagers donnés par Rhoda, Sorrel avait de quoi s’installer.
Une fois la livraison terminée et les meubles placés, elle commença à organiser le salon. D’abord, il lui fallait bouger le sofa, qu’elle voulait installer face à la baie vitrée. Ainsi, elle pourrait en toute saison contempler le patio. Elle voulut tirer le meuble elle-même mais il était imposant et son poids la surprit. Elle l’avait à peine déplacé de quelques centimètres qu’un coup de sonnette interrompit ses efforts. Laissant le meuble en travers de la pièce, elle remit en place une mèche de ses cheveux, essuya son front et alla ouvrir.
Bruce se tenait sur le seuil. Il scruta le visage de Sorrel rosi par l’exercice.
— A quoi joues-tu ?
— Je bouge des meubles, répondit-elle. Et toi, que fais-tu là ?
Il se contenta d’un juron pour toute réponse et entra en écartant Sorrel de son chemin. D’un coup d’œil, il jaugea la situation.
— Où le veux-tu ? demanda-t-il en la gratifiant d’un regard furieux.
Ce n’était même pas la peine de discuter, elle le savait d’avance. L’expression déterminée qui se lisait sur le visage de Bruce, Sorrel la connaissait depuis toujours… D’un geste las, elle désigna la baie vitrée. Bruce vint à bout de l’affaire en dix secondes, plaçant le canapé exactement où elle le souhaitait et refusant toute forme d’aide.
— D’autres déménagements prévus ? demanda-t-il en se redressant.
— Non… Merci, ajouta-t-elle après une pause.
— Si tu envisages d’autres travaux de force, tu es priée de m’appeler.
— Ce n’était pas un travail de force.
— Quoi qu’il en soit, ne t’amuse plus à cela toute seule.
Sorrel leva les yeux au ciel. Quand cesserait-il de la surprotéger ?
— Je viens à peine de quitter mes parents, je n’ai pas besoin que tu prennes le relais !
L’expression de Bruce se détendit et il se laissa aller à sourire.
— Ta mère va donc mieux ?
— Elle est tout à fait remise, fit Sorrel, souriant en retour malgré sa volonté de rester fâchée. Je ne serais pas partie, autrement. Mais comme tu le vois, je n’ai pas encore eu le temps de m’installer.
— Et ta chambre, est-elle prête ?
— J’ai acheté ce que j’estimais nécessaire, inutile de m’imposer tes recommandations !
Bruce la regarda, amusé.
— Je voulais simplement savoir si je pouvais t’aider à placer les meubles…
— Non. Le livreur s’en est chargé.
— Tu vas me montrer le résultat ? s’enquit-il avec un regard pétillant d’humour.
— Non.
L’humour céda place à l’expression patiente d’un fauve attendant son heure.
— Très bien. Chaque chose en son temps.
— Tu es bien sûr de toi…
Bruce ne se donna même pas la peine de répondre, se contentant de hausser les sourcils d’un air moqueur.
— As-tu de quoi me faire un café ? J’en aurai besoin quand j’aurai fini de tondre la pelouse.
— Je peux très bien m’en occuper !
Il n’écouta pas ses protestations et se dirigea vers le jardin. L’herbe se trouva coupée en un temps record. Sorrel pouvait difficilement lui refuser un café…
Elle sortit les tasses, mit la bouilloire en route… Gestes qu’elle avait accomplis des centaines de fois… Mais était-ce parce qu’il la regardait si attentivement, jamais elle ne s’était sentie aussi nerveuse. L’imposante silhouette de Bruce rendait la cuisine encore plus étroite.
Par nervosité, elle renversa du sucre en poudre sur la table. Pendant qu’elle nettoyait, Bruce versa l’eau bouillante sur le café.
— Pourquoi ne pas le prendre dehors ? suggéra-t-il.
Il porta lui-même les tasses sur le patio, où les attendait un banc de bois. L’arôme du café se mêla à l’odeur de l’herbe fraîchement coupée tandis qu’ils buvaient en silence, assis l’un à côté de l’autre face au jardin. Une abeille butinait une verveine tout près d’eux et ils l’observèrent un moment. Bruce avait presque fini son café quand il se pencha en avant, les coudes sur les genoux, la tasse au creux de ses mains.
— Alors, que vas-tu faire au sujet de Craig ?
— Rien.
Elle s’attendait à une explosion de sa part. Aucune réaction ne vint. Il continua quelques instants à observer le fond de sa tasse puis il la vida et se leva.
Sorrel se raidit… Mais Bruce s’éloigna d’elle et fit quelques pas sur le patio. Se retournant enfin, il s’appuya d’une main au treillis végétal.
Un moment, son regard resta fixé sur les briques usées qui dallaient le patio puis il revint chercher celui de Sorrel pour ne plus le quitter.
— Je m’y suis très mal pris avec toi, avoua-t-il soudain. Quand tu as refait ton entrée dans ma vie, j’allais offrir une bague de fiançailles à Cherie. Elle est tout ce qu’un homme peut désirer, tendre, loyale, aimante… Et très amoureuse de moi, comme tu l’as remarqué.
Le regard de Bruce se perdit un instant dans le lointain mais revint à Sorrel, dont les mains s’étaient crispées autour de sa tasse. Elle attendit, ne sachant trop à quoi menait ce préambule.
— Et tu es arrivée, reprit Bruce, et tout a tourné au chaos.
— Je n’ai rien fait, se défendit Sorrel.
— Tu n’en avais pas besoin… Il te suffisait d’être là. Soudain, ma vie a été bouleversée. J’éprouvais des émotions inattendues, complètement nouvelles pour moi…
— Par exemple ?
— Je me suis rendu compte que j’étais jaloux. Je n’avais jamais eu besoin de l’être puisque tu m’étais promise depuis l’enfance.
— Tu n’avais qu’à claquer des doigts, et j’étais là…
— Si on veut. Car il n’était pas question de sexe entre nous avant le mariage, objecta Bruce.
— Je ne crois pas que nos parents auraient été choqués si nous avions eu une relation prénuptiale, du moment que le mariage était programmé… Mais tu ne m’as rien proposé.
— Tu allais devenir ma femme. Il me semblait mieux d’attendre…
Bruce lui adressa un regard perçant avant de reprendre :
— As-tu été déçue ? Tu aurais voulu goûter aux joies du sexe avant le mariage ?
— Qui te dit que je t’avais attendu pour cela ?
Le visage de Bruce changea.
— Je suis prêt à jurer que tu étais vierge… à l’époque.
Il avait raison, bien sûr… Sorrel ne se donna pas la peine de confirmer.
— Alors que toi, tu ne l’étais plus, rétorqua-t-elle.
Une expression de profond regret se peignit sur les traits de Bruce.
— J’en suis désolé, avoua-t-il.
Le cœur de Sorrel se serra sous l’effet d’une jalousie rétrospective.
— Tu regrettes ? fit-elle d’un ton acerbe. C’est aussi une émotion nouvelle pour toi, le regret, non ?
Bruce hocha la tête.
— Depuis ton départ, j’en ai expérimenté beaucoup… Du chagrin, d’abord, une peine incroyable qui a remplacé le choc des premiers instants, le refus obstiné de croire à ce qui m’arrivait. C’est à ton retour seulement que j’ai compris à quel point j’avais étouffé un autre sentiment, bien plus violent.
— La colère…
— Oui, et si féroce, si dangereuse, que je me l’étais cachée à moi-même. Dès l’instant où je t’ai revue, je n’ai plus été capable de réfléchir ni de raisonner sainement. La fureur avait pris le dessus… Et le pire, c’est qu’au même moment, j’avais ce désir impérieux de te faire l’amour, un désir aussi impérieux que celui de revanche…
La gorge de Sorrel se serra. Elle aussi avait envie de faire l’amour avec lui. Mais elle redoutait les conséquences que pourrait avoir une passion aussi longtemps refrénée.
— J’ai tenté de combattre mon désir, poursuivait Bruce, je me disais qu’une fois habitué à ta présence, les choses se calmeraient. Mais la situation n’a fait qu’empirer… Je me surprenais à fabriquer des excuses pour te voir, à inventer des prétextes faussement rationnels, me persuadant qu’à force de te fréquenter, j’en viendrais forcément à te mépriser…
Son rire sans joie claqua comme un coup de fouet.
— Cela n’a pas marché, bien sûr.
Pour elle non plus. A chacune de leurs rencontres, au contraire, elle se trouvait plus intensément attirée par lui.
— Je faisais du mal à Cherie, avoua-t-il sans détour. Et j’avais horreur de cela. Il n’était pas raisonnable de lui faire croire qu’un avenir était encore possible entre nous. Elle ne méritait pas une telle malhonnêteté.
— Tu m’as rendue responsable de cette rupture, commenta Sorrel avec amertume.
— C’est vrai et j’ai eu tort de transférer sur toi ma colère, comme ma culpabilité. Je te dois des excuses. Ce n’était pas ta faute.
— Pas plus que la tienne, observa Sorrel. Tu avais fait une erreur en croyant que tu aimais Cherie mais tu n’as pas voulu lui faire de tort. Et tu ne l’as pas blessée volontairement.
— Cela ne me dédouane en rien de mes responsabilités.
— Je sais ce que tu ressens.
Le regard de Bruce se fit plus dur.
— Sans doute. Quand tu m’as claqué la porte au nez pour te réfugier en Australie, je présume que ta conscience t’a quelque peu travaillée…
— Un peu, oui, rétorqua-t-elle sur le même ton de froide ironie. Ce n’était pas exactement une partie de plaisir.
— Pour moi non plus. Mais j’imagine que tu n’avais pas le choix, étant donné ce que tu ressentais à l’époque, admit-il.
Même si Bruce avait parlé avec réticence, c’était la première fois qu’il semblait comprendre le dilemme qui l’avait déchirée.
— C’est juste… Et je suis heureuse que tu le reconnaisses, répondit Sorrel d’une voix tremblante.
— Nous ne pouvons nouer une nouvelle relation sans avoir déblayé les ruines de l’ancienne.
— De quelle nouvelle relation parles-tu ?
— Tu le sais très bien, répondit Bruce en retenant le regard fuyant de la jeune femme. Il faut clarifier la situation. Tu es restée trop longtemps dans le déni, Sorrel. Nous ne sommes plus des enfants, comme tu me l’as fait remarquer il n’y a pas si longtemps. Nous savons tous deux vers quoi nous allons.
— Une aventure ?
— Si c’est ainsi que tu veux l’appeler…
— Qu’en diront nos parents ?
— Cela n’a plus d’importance aujourd’hui.
Il avait raison. Une relation d’ordre purement sexuel, et la fin éventuelle de celle-ci, pourrait générer quelques tensions mais sans perturber leurs parents ni rejaillir sur les affaires familiales comme cela aurait pu être le cas auparavant. Tous deux étaient adultes à présent, et leur vie privée ne regardait qu’eux.
— A supposer que je ne veuille pas d’une aventure ? hasarda Sorrel.
Pendant une seconde, Bruce s’abstint de répondre. Quand il le fit, ce fut sans passion, d’un ton calme, marqué au sceau de l’évidence.
— Tu me désires.
Sorrel releva fièrement le menton.
— Ce n’est pas la même chose.
Bruce la fixa durement.
— Je t’ai offert autre chose, il y a quatre ans. Tu m’as repoussé.
— Je ne veux pas d’alliance.
— Quoi, alors ?
De l’amour. Du respect. De la confiance. La reconnaissance qu’il y avait plus entre eux que de simples pulsions, un besoin purement physique à satisfaire. Même si son corps réclamait cette satisfaction, son esprit savait que celle-ci ne lui suffirait pas. Mais ce n’était pas le genre de déclaration qu’on pouvait exiger, pas même suggérer. Il fallait que ce soit offert, du fond du cœur, spontanément. Bruce n’était pas prêt à lui faire ce don.
Peut-être ne le serait-il jamais…
Elle s’humecta les lèvres.
— Rien…
— Que veux-tu dire ?
Bruce n’avait pas bougé, mais son immobilité était celle d’un tigre se préparant à bondir.
— Je crois que je ne me suis jamais remise de l’adoration que j’avais pour toi quand j’étais adolescente. Cela ne veut pas dire que je vais coucher avec toi.
— Facile à dire, ironisa Bruce. Mais si je te mets au pied du mur…
Il s’approcha d’elle et l’agrippa aux épaules. Elle se raidit.
— Pourquoi combats-tu ce que ton corps désire, Sorrel ?
Elle ferma les yeux.
— Laisse-moi, murmura-t-elle.
Pendant un instant, les mains de Bruce se crispèrent sur sa peau et elle crut qu’il allait l’attirer à lui, briser sa résistance d’un baiser. Puis elle l’entendit jurer, et soudain, il la lâcha.
— Tu peux me décerner la médaille d’or de la volonté, fit-il d’une voix grinçante. Est-ce que Craig a eu droit à ta froideur de princesse, lui aussi ?
Sorrel ouvrit les yeux, mi-soulagée, mi-déçue.
— Je n’avais pas besoin de l’éloigner. Il n’aurait jamais…
Elle s’interrompit en se mordant la lèvre inférieure.
— Tu parles au passé ? L’aurais-tu congédié ?
Son air de triomphe était insupportable et Sorrel explosa :
— Certainement pas ! C’est lui qui a décidé de rompre.
— Comment ça ? s’étonna-t-il.
— Il m’a dit d’en finir avec toi si je voulais continuer avec lui, avoua Sorrel avec amertume.
Bruce réagit presque violemment.
— C’est bien aimable ! s’écria-t-il. Tu n’étais peut-être pas assez bien pour lui ?
— Ce n’est pas ce qu’il voulait dire, soupira Sorrel.
Bruce afficha une grimace sceptique.
— Quoi qu’il en soit, l’un de vous deux a au moins eu le bon sens de s’apercevoir que ça ne marcherait pas entre vous.
Sa remarque ulcéra Sorrel.
— Il a dit qu’il saurait attendre.
Les yeux de Bruce jetaient des éclairs.
— Pas la peine de chanter ses louanges !
— Il a ajouté que si tu me traitais mal, tu devrais lui en rendre compte !
Un rire cynique lui répondit.
— Je suis mort de peur…
Sorrel serra les poings, dominant à grand-peine son envie de le frapper.
— Oublie Craig, reprit Bruce d’une voix soudain pressante. C’est toi et moi dont il s’agit. Donne-nous une chance, Sorrel.
Une chance ? Et de quoi ? D’entretenir une relation sans risques, une petite amourette sans conséquence où seuls comptaient les désirs du corps ? Ne serait-ce pas plutôt pour elle la chance d’avoir le cœur brisé ?
— J’ai peur, laissa-t-elle échapper.
— De moi ? s’étonna Bruce.
— Pas physiquement…
— Je ne cherche pas à me venger, Sorrel. J’ai dépassé ce stade-là.
Et à présent, elle savait qu’elle n’avait plus aucun droit à exiger un engagement qu’elle avait refusé de façon si catégorique, si brutale…
Il se pencha, et, lui prenant le menton, releva son visage pour l’étudier longuement.
Elle vit le désir flamber derrière l’éclat interrogateur de son regard. Puis il baissa la tête vers elle, lentement, lui laissant tout le temps de s’écarter, de le refuser. Involontairement, elle entrouvrit les lèvres et la bouche de Bruce fut sur la sienne, tendre, d’un érotisme bouleversant.
Il tenait le visage de la jeune femme au creux de ses paumes comme le trésor le plus précieux pendant qu’il approfondissait son baiser, passionné, exigeant d’elle une réponse.
Elle la lui donna, son corps s’arquant instinctivement contre le sien. Alors il la plaqua contre lui, une main au creux de sa taille, l’autre mêlée à sa chevelure, sans cesser de l’embrasser.
Le monde se mit à tanguer autour de Sorrel. Ses jambes la maintenaient à peine.
Bruce releva la tête, et la couvrit d’un regard brûlant.
— Est-ce un oui ?
Il lui demandait de se prononcer, lui laissant tout loisir de reprendre sa liberté. Pour la dernière fois… Elle savait ce que signifiait sa question. Bruce ne voulait pas qu’elle se sente bousculée, brutalisée en aucune façon.
Sorrel perçut la tension qui émanait de lui alors qu’elle hésitait à répondre. Il semblait suspendu à ses lèvres. L’esprit en feu, elle tentait désespérément de faire le tri entre les exigences du corps et celles de la raison.
C’était un pari, risqué. L’enjeu n’était autre que son cœur, son avenir… sa vie.
— Oui, répondit-elle.
Bruce laissa échapper un long soupir puis l’embrassa encore, longuement, farouchement. Lorsqu’il s’écarta, ce fut pour enlever Sorrel dans ses bras et la porter vers la chambre, qu’il ouvrit d’un coup de pied.
— Ah, remarqua-t-il avec un grondement satisfait, tu as acheté un lit de bonne taille…
— Pas pour toi, se défendit faiblement Sorrel.
Sa voix était étranglée. Bruce referma la porte comme il l’avait ouverte et déposa Sorrel sur le lit avant de protester d’une voix rauque :
— Si, pour moi et personne d’autre.
Arrachant les couvertures du lit, il se mit en devoir de déboutonner le chemisier de Sorrel. Une fois le vêtement retiré, il posa son regard sur le minuscule soutien-gorge qu’elle portait.
— Très joli…
Une de ses mains couvrit la dentelle, attisant le désir de Sorrel. Il lui sourit avant de poser les lèvres sur la courbe de son sein.
Elle retenait sa respiration… Sa tête s’inclina en arrière en une muette invite tandis qu’elle glissait les mains dans les cheveux drus de Bruce, dont la bouche remonta vers sa gorge.
Il en explora le vallon, effleura la chair tendre sous le lobe de son oreille et Sorrel gémit. Elle vint à la rencontre de ses lèvres, satisfaite seulement quand elles se plaquèrent aux siennes.
Mais elle voulait plus et se pressa contre lui. Il comprit le message et répondit en glissant le pouce sous la dentelle du soutien-gorge, titillant la pointe qui se durcissait.
De l’autre main, il défit l’attache de son jean, ouvrit la fermeture Eclair et fit glisser le tissu sur ses hanches. Le jean tomba à terre et Bruce souleva Sorrel pour qu’elle puisse s’en débarrasser, ainsi que de ses chaussures. Puis il l’assit au bord du lit pendant qu’il arrachait sa chemise.
D’une main tremblante, Sorrel lui défit la ceinture de son pantalon et bientôt, il se retrouva en caleçon devant elle. Le cœur battant à la vue de son érection, elle prit une courte inspiration.
— Ce n’est pas la première fois que tu déshabilles un homme, n’est-ce pas ? demanda Bruce d’une voix rauque, la basculant avec lui sur les oreillers.
Elle aurait tellement voulu pouvoir le détromper !
— Non…, murmura-t-elle, rongée par le regret.
Bruce lui plaqua un baiser vengeur sur les lèvres et quand il s’écarta, elle lui jeta, un peu hors d’haleine :
— Tu n’imaginais quand même pas que j’allais rester vierge toute ma vie ?
— Combien y en a-t-il eu ?
Sa voix avait claqué comme un ordre.
— Cela ne te regarde pas.
Au fond, elle avait surtout cherché à exorciser son souvenir, d’abord en se donnant à un gentil garçon sans intérêt, rapidement quitté, puis en entretenant une relation plus longue mais aussi peu satisfaisante.
Bruce l’embrassa de nouveau, avec une sauvagerie qui la laissa pantelante.
— Tu n’avais pas le droit, gronda-t-il.
Son arrogance était si irritante, et pourtant tellement représentative de son caractère, que Sorrel sentit son cœur fondre. Mais elle ne voulut pas lui laisser marquer ce point.
— Pas plus que toi ! Combien de femmes se sont succédé dans ton lit ?
Le sourire de fauve revint fugitivement jouer sur ses lèvres mais il écarta les cheveux du visage de Sorrel avec douceur.
— Je suis désolé.
De quoi ? D’avoir dormi avec d’autres ou de lui avoir demandé le nombre de ses amants ? Au moins, il s’était excusé de quelque chose…
Les doigts de Bruce retournèrent à son soutien-gorge, dont il fit glisser les bretelles sur ses épaules.
— Tourne-toi.
Sorrel le défia du regard. Il sourit.
— Chère Sorrel, reprit-il avec une contrition parfaitement irritante, peux-tu s’il te plaît tourner ton joli corps de façon à ce que je puisse défaire ce soutien-gorge et poser les mains sur tes seins ravissants ?
— Non, répondit Sorrel, se redressant pour défaire les agrafes elle-même.
Il ne l’avait pas quittée du regard et elle vit briller un éclair dans ses yeux pendant qu’elle se dénudait pour lui. Puis il s’empara de ses seins et pressa doucement les pointes durcies entre ses doigts. Sorrel gémit sous l’exquise sensation. Bruce ferma brièvement les yeux, comme pour mieux goûter ce qu’elle lui offrait.
Il se laissa glisser à son côté et ce fut bientôt au tour de Sorrel de clore les paupières quand elle sentit sa bouche se refermer sur ses seins, et sa langue taquiner l’un après l’autre les bourgeons palpitants de ses seins, la soumettant à la plus délicieuse des tortures.
C’en était trop… Cambrée par le plaisir, elle eut un premier orgasme, et murmura son prénom en un sanglot. Bruce se redressa avec une exclamation de surprise et la tint serrée contre lui jusqu’à ce que son corps ait retrouvé son calme.
— C’était bon ? demanda-t-il doucement.
— Je suis désolée, chuchota Sorrel, la bouche appuyée à la gorge de Bruce.
— Désolée ?
Il planta dans ses yeux son regard étincelant.
— J’espère bien que tu ne l’es pas. C’était tellement excitant qu’il a bien failli m’arriver la même chose !
Il reprit sa bouche, longuement, comme assoiffé d’elle et pendant que leurs langues se cherchaient, elle le sentit durcir encore entre ses cuisses.
Bruce s’écarta un peu d’elle pour pouvoir la caresser. Sa main tiède s’insinua au cœur de sa féminité et il prit tout son temps, la ramenant à un état d’excitation extrême. Sorrel s’abandonna à l’érotisme de son geste et quand il sentit sa respiration s’accélérer, il suspendit sa caresse.
— Encore une fois ?
Sans un mot, elle hocha la tête.
Alors il se positionna sur elle et elle s’ouvrit à lui, l’accueillant de tout son corps, le gainant de chaleur intime et moite.
Son orgasme, cette fois, fut plus lent mais plus intense et quand elle sentit Bruce la rejoindre, elle fut secouée par une vague de bonheur triomphal, instinctif, presque aussi fort que la jouissance. Bruce s’arc-boutait en elle et elle le serra dans ses bras, profitant jusqu’à la dernière étincelle de ce feu passionnel qui les consumait tous deux.