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Je n’ai pas indiqué que je parle l’italien ou, du moins, que je le comprends. Je ne suis pas sûre de ma capacité pour parler cette langue puisque, comme je l’ai dit, je ne suis jamais arrivée à assister aux cours. Tout ce que je sais, je l’ai acquis par des cours vidéo que j’ai trouvés sur YouTube. Ensuite, j’ai acheté quelques livres d’occasion et, bien sûr, j’ai avalé les films de Rodolfo dans leur version originale plusieurs millions de fois. Au début, je n’y comprenais rien, ensuite mes oreilles se sont adaptées peu à peu au son, jusqu’à ce que, je ne sais pas si par trop plein ou pourquoi, mon cerveau a commencé à comprendre toutes les paroles.
Alors, c’est ainsi, que j’ai compris presque tout ce que les frères se sont dits depuis que nous avons décollé. Ils ont discuté sous mon nez, certains que je ne comprenais pas ce qu’ils se disaient. J’essaye de dissimuler, ne serais-je pas la reine de la perspicacité, mais je sais qu’il me convient de cacher–du moins pour le moment– que je comprends leur langue.
C’est comme ça que j’ai appris que Rodolfo m’avait choisi parmi les filles qui étaient au bar du casino de l’hôtel Paris Las Vegas. Il m’a emmené dans une des innombrables chapelles matrimoniales express qui existent. Avec mon consentement! Il l’a dit une certain nombre de fois en criant. Là-bas, semble-t’il, j’ai choisi ma robe parmi celles qui y étaient en vente et Betty a été ma marraine. Bon, selon ce que Rodolfo a dit en riant, telle avait été mon intention. Mais la cérémonie avait à peine commencé que le personnel de la chapelle avait dû sortir Betty qui n’arrêtait de vomir et qui était en train de tout gâcher. Je me demande où se trouvaient mes autres copines, pourquoi elles n’ont rien fait pour détenir cette folie de mariage.
En vérité, je me le demande? Vraiment, j’aurais voulu qu’on l’évite?
Je baisse le regard sur mes pieds et je sais que si l’opportunité de me marier avec Rodolfo Vitti s’était présentée et que mes copines avaient voulu l’éviter, je leur aurais retiré la parole. Oui, c’est si rare qu’une étoile du grand écran décide de se marier avec une fille rien de plus normale que moi, qu’il vient de connaître.
Rodolfo et Mario sont assis de l’autre côté du couloir. Ils m’ont laissée deux sièges pour que je puisse mettre ma jambe en hauteur comme l’avait recommandé le médecin. L’analgésique injecté a fait son effet, parce que je sens mon pied comme endormi.
La discussion qui se poursuit à côté de moi baisse de volume, ce qui attire mon attention et fait que je tourne la tête vers leur direction. Les frères me surprennent en train de les regarder et baissent encore davantage le volume. Mario reste immédiatement muet et Rodolfo me fait un clin d’œil, au même moment je sens comme si nous venions de passer par un trou d’air et que mon estomac a fait un saut à l’intérieur de moi. Pour beaucoup qu’il ait grandi en regardant ses photos, l’avoir près de moi, me regardant, je ne sais si un jour j’arriverai à m’y habituer.
Rodolfo dit quelque chose à l’oreille de son frère, il se lève et vient s’asseoir à côté de moi. Il lève mon pied avec beaucoup d’attention, s’assied et la pose sur les siennes. Je crois que je vais mourir d’un moment à l’autre.
–Comment va ma petite femme?
–Enchantée –dis-je, laissant que ma tête lâche sans filtre ce que réellement je ressens. Du moins, en premier je ressens et ensuite, j’exprime. –. Et confuse. Je suis enchantée et confuse.
–Pourquoi?
–C’est bien ce que je dis, moi. Pourquoi? Pourquoi tu t’es marié avec moi?
–Je te l’ai déjà dit, tes yeux m’ont ensorcelé. –Rodolfo se rend compte que je ne le crois pas. Je le voudrais bien pourtant, rien ne me ferait plus de plaisir, mais il me reste encore un minimum de sens commun en mon for intérieur –. Tes yeux, toi en entier. Mais ça a été surtout pour toutes les choses si jolies et profondes que tu m’as dites cette nuit-là. Tu étais au bar avec tes amies. Moi je rôdais par là-bas tout seul, j’avais eu une forte discussion–ajoute-il pendant que ses yeux se tournent vers Mario pour me faire comprendre que le problème avait été avec son frère–. Je me sentais perdu. Cette vie que je mène, peut être très cruelle. N’importe qui dirait que j’ai tout, que je n’ai aucune raison de me plaindre, mais ... Alors, tu es arrivée toi. Tu m’as regardé, comme tes amies, mais au lieu de rougir et te mettre à rire comme une fille de quinze ans, comme le font d’habitudes mes fans. Au lieu de te pendre à mon cou ou de te mettre hystérique, tu t’es mise très sérieuse et tu as marché vers la table ou je me trouvais.
–Tu étais tout seul? –Je lui demande. Quelque part, ça me semble difficile à le croire
–Tu m’as écouté sans juger, tu m’as dit toutes ces choses
qui ... –Rodolfo se passe une main dans ses cheveux dans un geste qui résume toute la sensualité qu’un homme peut avoir. Je meurs d’envie de lever la main et de toucher cette touffe de cheveux doux, brillant. Mais, je me retiens, je dois me concentrer sur ce qu’il dit–. Personne ne m’avait parlé comme ça. Jamais. Avec autant d’honnêteté, me disant clairement les choses que personne n’ose dire. Je suis Rodolfo Vitti, tu sais, les gens m’adulent et ensuite ils me mangent tout cru dans mon dos. Personne n’ose me dire le contraire. En revanche, toi, tu m’as tout dit : le bon, le mauvais. Tu as donné une perspective différente à ma vie. Soudain, grâce à toi, tout m’est apparu plus clair.
–Moi, j’ai fait quelque chose comme ça? –Je demande avec une surprise qui déborde mes yeux.
–Je ne pouvais pas te laisser échapper. La vie de quelqu’un comme moi peut être très solitaire. Je suis toujours entouré de gens, oui. Mais, à qui je peux faire confiance? Avec qui je peux parler? Avec qui, je peux être moi-même, sans craindre que mon image d’idole parfait ne se fissure? Je n’ai personne. –Ses doigts s’entrelacent avec les miens–. Ou plutôt, seulement je t’ai toi –Avec un sourire merveilleux, il ajoute–: Je sais que je n’ai besoin de rien d’autre. Du moment que tu es à mes côtés, ma vie est parfaite. Jamais plus, je ne me sentirai à nouveau seul, jamais plus il ne manquera une affection réelle.
–Non –Je dis avec un filet de voix et en faisant un mouvement de tête.
A Rodolfo, une affection réelle ne pourrait pas lui manquer car je l’aime depuis que je suis née. De nombreuses fois, en regardant ses photos collées dans ma chambre d’adolescente, alors que je pleurais pour mes problèmes de familles, je me disais que lui et moi nous étions nés pour être ensemble. J’étais consciente de la folie que je me disais, ne croyez pas que non. Je devais avoir treize ou quatorze ans, mais je savais que ces pensées n’avaient sans doute ni queue ni tête. Cependant, ce que je sentais à l’intérieur de moi était si fort, si vrai, qu’il me suffisait de regarder ses photos pour savoir que tout irait bien, que tôt ou tard nos vies se croiseraient, celle d’une fille d’un quartier pauvre d’Alabama avec celle d’un acteur de cinéma. Après tout, Rodolfo aussi a connu la pauvreté, lui aussi est sorti d’un quartier marginalisé.
Il lève ma main et pose sur elle un baiser si doux qu’il semble fait de nuage.
–Dis-moi que jamais tu ne me laisseras –Me demande-t’il en me regardant dans les yeux.
–Jamais –Je chuchote.
Mario, le frère de Rodolfo, nous observe depuis son siège de l’autre côté du couloir. Un arôme d’épices commence à flotter à l’intérieur de l’avion. On dirait, qu’ils ont une cuisine équipée, pas pour des sandwichs ou des plats à emporter. Peu de minutes après, Rodolfo me demande de me lever pour dîner et il me tient par la ceinture pour m’aider à marcher en évitant de m’appuyer sur le pied du doigt cassé.
A ma grande surprise, au fond de l’avion, derrière une porte, il y a une salle à manger complètement équipée. Elle n’est pas trop grande, elle a un espace pour six personnes, mais ça m’impressionne de trouver quelque chose comme ça dans un avion. Nous nous asseyons à une table préparée avec de la vaisselle en porcelaine et des couverts qui je suppose sont en argent. Un homme de haute taille, aux joues rougies et d’aspect bon enfant rentre avec une soupière et verse devant mes yeux le bouillon le plus aromatique que j’ai jamais vu dans ma vie.
–Giovanni –dit Rodolfo–. Notre fidèle Giovanni, mon chef. Il est du village de la mamma. Je ne pourrais pas vivre sans lui.
Le tel Giovanni sourit et me fait un geste de la tête pour me souhaiter la bienvenue dans le clan familial. Il est comme j’aurais imaginé le bon cuisinier dans n’importe quel conte de fées. En goûtant sa soupe, je sais qu’effet, il est de conte de fées. Ce sont des saveurs qui te font flotter, qui te font perdre la notion du temps. Les herbes paraissent s’ouvrir dans le palais, se cédant la place les unes après les autres. Quand tu en identifies une, apparait la suivante.
–A quoi tu te consacres, Rose? –demande Mario.
–Je suis... –je me souviens de ce que m’avait dit Rodolfo dans la suite de l’hôtel–. J’étudie ce que je ferai à partir de maintenant. Avant de me marier, j’étais gondolière dans un supermarché, chez Wallmart, département électrodomestiques.
–A Las Vegas?
Je remue la tête négativement.
–Montgomery, Alabama.
Je suppose que la question est obligée et Mario ne tarde pas deux secondes à la poser:
–Et que faisait une fille d’Alabama à Las Vegas? Un peu loin, non?
–Le fil rouge nous a attirés –intervient Rodolfo prenant ma main sur la table et me faisant un clin d’œil.
–Le fil rouge, d’accord –dit Mario. Quelques secondes se passent et il n’ajoute rien d’autre.
–Tu connais l’histoire? – je lui demande timidement.
–Je la connais, je la connais. Très belle–dit-il sans trop de conviction.
Rodolfo commence à me parler du Caire, de toutes les choses que je peux faire pendant qu’il est sur le tournage.
–Mario t’emmènera faire des courses. Nous avons été beaucoup de fois dans cette ville et Mario est merveilleux pour trouver les meilleurs établissements. Il t’emmènera aussi au musée, si tu es de celles qui aiment voir des cailloux et des choses anciennes. Mario se chargera de tout, ce n’est pas vrai, fratellino?
–Oui, bien sûr –dit le fratellino ou petit frère pas très convaincu–. Au musée et aux pyramides –il me regarde–, si tu es de celles qui apprécient de voir de bâtiments anciens. Très anciens