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Je vais à la salle de bain, je vois les trois baignoires et je m’approche pour essayer la température de l’eau dans chacune d’entre elles avec ma main. La vérité, c’est que je suis habituée à de l’eau plus chaude. Ni même celle de la température la plus élevée, elle ne s’approche à l’eau pour peler les poulets que, moi, j’aime utiliser. Mais les bains arabes ont une renommée merveilleuse, je m’apprête donc à essayer la méthode que Zulema m’a recommandée.
Je reste figée à regarder la grosse corde dorée qui pend sur un des murs de la salle de bain. Zulema m’avait dit que si j’avais besoin d’elle ou quand je voulais qu’elle mette des pétales de rose dans l’eau, je n’avais qu’à tirer cette corde. Je n’aimerais pas la déranger, mais d’un autre côté ...
Je la tire et en l’espace de quelques secondes Zulema apparait par une porte que je n’avais même pas remarquée. Elle porte dans ses bras un panier plein de pétales de rose. Elle me regarde comme pour me demander si je l’avais appelée pour ça.
–Oui, merci –dis-je, me sentant un peu bizarre.
La femme commence à répandre les pétales sur l’eau avec beaucoup de douceur, avec des mouvements de mains des plus élégants. En l’espace de quelques secondes, l’arôme des roses envahit la salle de bain.
–Merci, Zulema. C’est tout –j’ajoute en voyant qu’elle ne s’en va pas.
–Non –répond-elle en baissant le regard par terre–. Zulema doit rester ici jusqu’à ce que vous essayez l’eau et me disiez qu’elle est bonne.
Je l’observe quelques instants. Elle ne parait pas disposée à s’en aller sans avoir rempli son devoir. Ainsi, je me déshabille toute nue et je me mets dans la baignoire du milieu, celle qui a la température intermédiaire. La tiédeur, mélangée au parfum des roses me berce immédiatement. Zulema s’approche de moi et m’offre un sablier.
–La température est à votre goût?
–Oui, merci –je lui réponds.
–Vous utilisez ce sablier. Quand le sable se termine, vous changez de baignoire.
–D’accord, merci.
Comme j’aimerais qu’elle me laisse toute seule dans la salle de bain! Zulema me répète encore une fois les instructions. Je ne dois rien oublier, ni le bain de vapeur, ni l’ordre des baignoires. Je ne dois pas oublier non plus de tirer la corde quand je termine.
Une fois que je lui garantis que je suivrai les instructions, Zulema s’en va, me laissant une théière pleine sur une petite table dans la zone de repos des bancs en pierre, au cas où je sentirais que j’ai besoin de m’hydrater. Quand je me retrouve toute seule et que je profite du silence du bain, des différentes températures et des parfums mélangés du thé avec ceux des pétales de rose, je sais que je pourrai m’habituer, assez facilement, à ces gâteries. La nuit tombant, Zulema allume les lampes en cuivre qui pendent aux endroits stratégiques de la salle de bain. Par le parfum qui s’en détache et la lumière qu’elles donnent, je suppose qu’il s’agit d’huiles. C’est comme si je m’étais transportée à une autre époque. Je soupire et me relaxe, attendant que tout le sable du sablier tombe.
Ensuite, je change vers la baignoire la plus chaude. Je retourne le sablier, le mettant au bord. Je ferme les yeux et je me relaxe. Je m’endors presque lorsque des images me surgissent à l’esprit comme des flashs violents. Mes copines et moi, de petits verres d’alcools alignés. Nous buvons, nous buvons. Même si je n’aime pas que les souvenirs me reviennent de manière si désordonnés, je me réjouis, j’espère pouvoir me rappeler enfin de ce que j’ai dit à Rodolfo, du moment où je l’ai vu dans ce bar.
C’est inutile, j’ai tout type d’images sauf celles que je désire. Les flashs m’abandonnent enfin, mon corps se relaxe à fond et avec lui ma tête se repose aussi. Le bain turc ou de vapeur, c’est une merveille, je ne l’avais jamais essayé. Le sable se termine dans le sablier et je le regarde de travers, me demandant si ce serait très mal que je reste un peu plus longtemps dans l’eau chaude. Mais je décide d’être disciplinée et de suivre les indications de Zulema. Je sors de l’eau chaude et je m’immerge dans la baignoire froide, qui bien plus que froide, elle est plutôt gelée. Je pousse un cri, mélange de froid et de plaisir. Ma peau se contracte par le changement de température, mais je sens comme si mon corps s’oxygénait de l’intérieur. Ça doit être une merveille pour la circulation.
–Je ne fais rien –dis-je, prenant une voix d’interview–.
Peut-être un peu de yoga, mais rien d’autre.
Je rigole toute seule. Elles m’ont toujours paru des menteuses toutes ces célébrités superbes, de corps et de visage merveilleux. Elles mentent quand elles disent qu’elles ne font rien de spécial. Entre autres choses, elles doivent avoir ce genre de soins.
–Comme ça, moi aussi je me défais de la cellulite, je ne te dis...
Il m’est impossible de rester dans l’eau froide jusqu’à ce que le sable baisse complètement dans le sablier. Je sors et cours à la vapeur pour me réchauffer. Je sais, j’ai déjà sauté l’ordre préétabli, mais on ne peut pas devenir riche du soir au matin, ou si?
–Oui, moi oui –Je dis en soupirant, dans la solitude de mon bain d’eau chaude. Je ne peux encore croire à la chance que j’ai eue. Parce que ça, mes chers messieurs, c’est une bonne chance. Le reste, ce sont des conneries.
Je retourne aux baignoires, je bois du thé, je m’allonge sur les bancs en pierre, j’observe les voutes du plafond de la salle de bain. Je retourne à la vapeur. Quand je termine toute la routine, je tire sur la corde et apparait Zulema avec un plateau plein de petits pots.
–Sandale, Cannelle, Cardamome, Violettes ou Roses. Vous choisissez.
Ce sont les odeurs des huiles qu’il y a dans les pots. Elle m’explique les propriétés de chacune d’entre elle et je choisis celui des violettes. Je m’allonge sur une table de soins que Zulema a préparée avec des serviettes chaudes. Je me sens un peu violente, car c’est la première fois que je m’allonge entièrement nue devant une femme. Zulema me demande de me mettre sur le ventre. Elle a sans doute remarqué mon incommodité, elle me couvre les fesses avec une petite serviette. Tout de suite, ses mains commencent à travailler sur mon dos et j’ai du mal à ne pas m’endormir du relaxant qu’est son massage.
Elle me masse tout le corps, sans précipitation, avec une maîtrise simplement parfaite. La séance se termine avec des pierres volcaniques que Zulema conservait su un réchaud portable.
Ceci dit: Je pourrais m’habituer très facilement à tout cela. En fait, je veux que Zulema soit toujours près de moi, qu’elle voyage avec nous où que mon mari et moi, nous devions aller. Comme Giovanni, cuisinier particulier, qui accompagne toujours Rodolfo, je veux qu’il en soit ainsi aussi avec ma fidèle Zulema.
Enveloppée dans une sortie de bain en merveilleux coton égyptien, je dis à Zulema qu’elle peut partir et je me dirige vers le lit. Je vais m’allonger seulement un petit moment. Une seconde et ça y est. Ensuite, je me préparerai pour le dîner.
***
J’ouvre les yeux deux heures après. La pendule qui se trouve en face du lit indique que les trois heures qu’avait proposées Mario se sont avérées trop courtes. En fait, j’arrive avec plus d’une
demi-heure de retard. Je me lève rapidement et je mets la robe genre tunique aux couleurs vives. J’ajuste le ruban qu’il comporte comme ceinturon et j’enfile des sandales que je trouve dans l’armoire. J’attache mes cheveux, d’abord sans leur donner beaucoup d’importance, car peu importe ce que Mario puisse penser de moi. Mais en me regardant dans le miroir, juste avant de sortir de la chambre à coucher, je me demande s’il est possible que Rodolfo apparaisse avant que prévu, qu’il se présente au milieu du dîner. Lui, oui que c’est important pour moi, pour rien au monde je ne laisserais qu’il me voit avec des boucles incontrôlées résultat de la combinaison bain-massage-sieste.
En sortant de ma chambre, je me retrouve avec un homme qui monte la garde face à ma porte. Sur le moment, je sursaute, ensuite je suppose qu’il fait partie du personnel de sécurité et je me demande si le pays est si dangereux pour qu’une mesure de ce genre soit nécessaire. Je lui demande la salle à manger et l’homme me répond qu’il y en a quatre.
–Vous savez où Monsieur Mario est en train de dîner?
L’homme acquiesce, il dit quelques paroles en arabe à une jeune fille qui passait par là-bas à ce moment-là avec une pile de nappes repassées dans les bras et elle m’accompagne.
Heureusement! J’aurais été tout à fait incapable de trouver le chemin dans ce labyrinthe de couloirs et d’escaliers. Finalement, nous arrivons à une salle à manger luxueuse. Tous les murs sont en couleur vieil or. Les grandes fenêtres sont ouvertes, enfin il y a un peu de courant d’air. La table est mise, il y a différentes salades et différents plats froids, mais Mario ne se trouve pas ici. Je m’approche pour voir s’il a déjà terminé de dîner et je me rends compte que rien n’a été encore utilisé. Il se peut que lui aussi ait perdu la notion du temps. Peut-être que lui-aussi, il ait pris un bain et maintenant ...
Mario entre depuis la terrasse et sa présence inespérée me fait sursauter.
–Tu devrais sortir ici –me dit-il–, il fait une nuit magnifique. Ça te dirait que je demande qu’on transfert le dîner sur la terrasse?
Je sors pour me retrouver avec un ciel rempli d’étoiles. C’est comme si cette nuit égyptienne était beaucoup plus obscure que les nuits américaines, comme si le ciel dans ma partie du monde ne se teignait pas de d’autant de noirceur. Je n’avais jamais vu non plus autant d’étoiles ensemble, ni même petite, quand je rendais visite à ma grand-mère dans la champagne. Je croyais que voir les étoiles dépendait de l’intensité de lumière électrique. Mais dans la campagne de ma grand-mère, il n’y avait pas d’éclairage public et, même comme ça, ces étoiles n’ont rien à voir avec celles qui nous observent maintenant, mon beau-frère et moi depuis les hauteurs de ce ciel merveilleux.
En bas, on entend un cœur abondant de grillons qui donne une ambiance de tranquillité. Il doit y avoir un jardin comme celui que j’avais vu depuis ma chambre, au moins en peu semblable, bien qu’il soit impossible de le savoir dans l’obscurité de la nuit.
–Je regrette d’arriver tard, je me suis endormie.
Mario se retourne vers moi avec un regard mystérieux. Je n’arrive pas à deviner ce qu’il pense de moi. Je n’ai aucune idée non plus s’il s’est gêné de mon manque de ponctualité ou si ça n’a pas la moindre importance pour lui. Il frappe des mains et apparaissent différents majordomes auxquels il s’adresse dans une langue que je suppose être de l’arabe.
–Tu parles l’arabe? –je lui demande surprise.
–Je parle huit langues. Oui, l’arabe est l’une d’entre elles. Je leur ai demandé qu’ils déménagent le dîner sur la terrasse, peu de nuits on peut profiter de cette tranquillité.
–Non, ça ne me semble pas être une zone de fêtes –je blague, faisant allusion à que cet endroit doit toujours être aussi magique.
Mario m’explique que les tempêtes de sable sont assez fréquentes. Le désert est relativement loin, mais comme il n’y a rien qui coupe le passage entre le palais et les dunes, quand il y a une tempête il faut sceller les fenêtres.
–Les sceller? –Je demande.
–Tu n’as pas idée de la finesse de ce sable et jusqu’où il peut pénétrer. Bien sûr, au cours de ces nuits, il n’est pas question de dîner sur la terrasse. Non, du moins si tu ne veux pas manger de sable –blague-t’il.
J’ébauche un sourire alors que le personnel allume les torches qui illuminent les bords de la terrasse. C’est alors que je vois qu’en bas il n’y a pas un jardin, comme je le supposais, mais une grande piscine entourée de palmiers et de fleurs.
Ils ont amené la table de l’intérieur avec les services installés.
–Je savais que tu t’endormirais –dit Mario quand nous terminons de manger les entrées dans un silence incommode–. Tu as essayé le bain arabe, non?
J’acquiesce avec honte pour le prévisible que je suis et pour m’être endormie.
–Et le massage ?
J’acquiesce à nouveau.
–Tranquille –dit Mario–. Je te confesse que moi aussi je suis arrivé un peu tard.
Son sourire me déconcerte. A certains moments, Mario semble être un homme agréable et à d’autre un espion, quelqu’un qui doute profondément de moi, bien que je ne sais pas exactement ce qui pourrait lui paraître si douteux chez moi. Bien entendu, je ne crois pas ressembler à une personne dangereuse. Parce que je suppose que c’est ce qu’il s’imagine, il craint que je leur fasse quelque chose, à lui ou à son frère.
Le restant du dîner se passe de manière plus ou moins décontractée. Aussi décontractée que quand on te pose des millions de questions sur ton passé. J’ai fini par tout lui raconter. Mon père alcoolique, ma mauvaise relation avec ma mère. Mon frère que je ne vois pas depuis quinze ans. L’affection que j’ai pour mes copines.
–Nous nous connaissons depuis l’école primaire. Nous avons toujours été ensemble–j’explique.
Je parviens à garder pour moi mon manque d’études. Je n’ai pas fini le Baccalauréat. Non pas parce que je ne voulais pas en faire, sinon parce que la situation de ma famille m’a obligée à travailler. Quand je vois tout ce que je lui ai raconté, ça ne peut pas l’encourager pas à me faire plus confiance, bien plutôt le contraire, j’essaie de changer de sujet..
–A quelle heure viendra Rodolfo?
–Demain, à un certain moment de la journée –répondMario.
Je parviens à savoir que dans sa famille ils sont deux frères et qu’il y a aussi une sœur. Ça, c’est nouveau. Rodolfo a toujours été si réservé sur son intimité qu’il n’y a aucun journal, revue ou web qui contienne cette information. Sa sœur s’appelle Simona, elle est mariée et elle a trois enfants. Le père de Rodolfo est décédé, mais sa mère vit encore.
Nous faisons le programme pour le jour suivant. Mario m’accompagnera pour faire des achats. J’insiste qu’il n’est pas nécessaire qu’il m’achète un téléphone portable, que ça suffit si je peux appeler l’une ou l’autre de mes copines depuis n’importe quel téléphone.
–Je veux seulement qu’elles sachent que je vais bien –j’explique.
–Tu es plus que bien, moi je dirais.
Je le regarde en roulant des yeux, je n’aime pas l’insinuation que j’ai crue comprendre dans cette phrase. Croit-il que je veuille profiter de la richesse de son frère, c’est ça?
Nous nous souhaitons bonne nuit. Le peu de cordialité qui était apparue entre nous s’était dissipé avec ce dernier commentaire. Une des filles du service m’accompagne de retour à ma chambre.