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Chapitre Neuf

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J’entends la discussion houleuse dans la salle à manger dorée et je n’ose pas à ouvrir les portes. Au retour de la promenade dans le désert, j’entré directement dans la salle de bain. Je ne peux pas me séparer les images de tout ce que nous avons vécu cet

après-midi, pendant que je me mouille dans les baignoires de différentes températures. J’en profite pour me mettre un mélange d’huile d’olive et d’argile que Zulema m’a préparé comme masque pour les cheveux. Elle m’a dit que ce masque, combiné avec la vapeur du bain turc, allait fairet des merveilles à ma chevelure, incontrôlée et crépue depuis que nous sommes arrivés au Caire.

Je sors de ma chambre fraîche et relaxée, avec une robe simple, disposée à commenter avec Mario notre aventure dans les dunes pendant le dîner. Mais maintenant, en me retrouvant face aux portes de la salle à manger, je suis restée pétrifiée.

Je ne distingue pas les paroles mais si les voix. Il n’y a aucun doute sur les participants à la dispute. Et c’est que la discussion a monté en intensité par moment,  et maintenant j’ai peur que d’un moment à l’autre, les frères en arrivent aux mains. C’est cette crainte qui me pousse à ouvrir les portes,  mais je n’ai ouvert qu’une petite rainure, quand les paroles commencent à recouvrir un sens et je me retrouve immobile.

–Comment as-tu pu? –crie Mario.

–Comment ai-je pu, quoi ? Dis-le, quoi? Qu’est-ce qui te scandalise autant? –répond Rodolfo.

–C’est une bonne fille.

–Et c’est pour cette raison même que je me suis marié avec elle, tu crois que je suis idiot?

–Tu sais à quoi je me réfère.

–Non, non je ne le sais pas ni ne veux le savoir.

–Tu lui fais du mal, Rodolfo, et je crains que tu lui en fasses encore davantage.

Les yeux couleur turquoise de Rodolfo ont pris une tournure presque animale, ils perforent son frère, qui se trouve tournant le dos à la porte. En un instant, ils se dévient vers la fente où je me trouve.

Je sens que mon cœur se détient quand je crois que Rodolfo s’est rendu compte de ma présence. S’il me tombe dessus, que pourrais-je lui dire? Comment pourrais-je justifier d’être ici en train de les écouter? Il ne me connait pas suffisamment, jamais il ne me croirait que ce n’était pas voulu, que jamais je n’avais eu l’intention de les épier.

Je retiens ma respiration et je peux enfin à nouveau inspirer quand je vois que Rodolfo reprend la discussion avec son frère. Il a regardé vers la porte, mais la différence d’éclairage qu’il y a entre la salle à manger et le couloir a dû jouer en ma faveur. Je suis dans la zone la plus obscure, sûrement qu’il ne m’a pas vue.

Mario lève quelque chose qu’il tient dans la main. Je ne vois pas bien de quoi il s’agit.

–Et ça, c’est quoi?

Rodolfo la lui arrache. C’est une revue, il regarde la couverture, passe les pages avec tant de furie que je suis surprise qu’elles ne finissent pas détruites

–Mensonges! –Crie-t’il. Sa voix, entraînée pour les jeux de rôles, s’étend dans tout le palais –. Mensonges, Jalousie. Envie de détruire ma carrière.

–J’espère qu’il en soit ainsi... Pour elle.

Face à ces paroles, Rodolfo prend son frère par la chemise et commence à le secouer. La revue tombe par terre.

–Ça te plait? Tu veux te la faire?

–Mon Dieu, Rodolfo, ne parle pas comme ça. Pour qui tu me prends?

–Je parle comme j’en ai envie! Après tout il s’agit de ma femme. Et quant à toi ... Je sais qui tu es, je sais la vie que tu mènes.

–Ne parlons pas de genres de vie –répond  Mario.

–Tu es un perdant –dit Rodolfo avec une voix rauque, tirant les paroles–. Il y a tant de jolies femmes au service de ce palais, pourquoi tu prétends devoir coucher précisément avec ma femme? Dis-le, réponds-moi –Il n’arrête pas de secouer Mario.

Je suis sur le point d’entrer, craignant me Mario ne fasse du mal à Rodolfo. Il est plus grand que lui et aussi plus costaud. Mais, à ma surprise, Mario ne se défend pas, et permet que son frère le secoue.

–Je ne vois pas ta femme de cette manière –dit-il enfin–. Lo giuro.

Rodolfo le lâche en le repoussant, il se passe les mains dans les cheveux et se met à rire. Ensuite, il marche vers la table des alcools et se sert un verre, le remplissant à ras bord.

–Ne bois pas –lui dit Mario.

–Ce ne sera pas toi qui me diras ce que je dois ou ce que je ne dois pas faire dans ma vie.–Rodolfo s’approche de Mario avec le verre plein. Il le regarde fixement dans les yeux et le défie. Ensuite il se baisse  et ramasse la revue, la regarde avec rage et la lance avec un mouvement rapide par la porte de la terrasse.

Ensuite, il boit à fond tout le contenu du verre, tousse un peu et s’essuie la bouche avec le dos de sa main

–Parlons comme des personnes civilisées –dit Mario–. Cherchons une solution bonne pour tous.

–Regarde où je me mets ta solution –lui répond Rodolfo lui montrant le majeur de sa main.

Il remplit son verre d’alcool encore une fois, en boit tout le contenu et le lance le verre vide par où était sortie la revue en volant auparavant.

Quand j’entends le bruit du verre se brisant quelque part tout près de la piscine je ne peux me retenir davantage, j’ouvre complètement les portes coulissantes et j’accède à la salle à manger. Les deux frères sont perplexes, me regardant avec des yeux identiques.

–Rodolfo –dis-je et je cours vers lui.

Mon mari me reçoit les bras ouverts, bien que déconcerté, comme s’il ne s’attendait pas à me voir. Quelques instants se passent pour que ses bras se ferment enfin autour de moi et dans mon dos. Mais, c’est une étreinte froide, comme jouée, une étreinte de film.

–Dînons –propose Mario.

–Bonne idée –J’ajoute moi.

Rodolfo parait revenir à sa situation normale, il me prend par la main et m’accompagne à table, où il tire une chaise pour que je m’asseye. Ensuite, il s’assied en face de moi, à côté de son frère.

–Tu profites bien du Caire? –me demande-‘il.

–Oui, Mario a été très aimable. Bien que tu sais, avec le doigt cassé, je n’ai pas pu marcher beaucoup.

–Quel doigt?

–Celui du pied, Rodolfo –dit Mario–. Celui du pied droit de ta femme.

–Certainement. Ton doigt de pied, comment va-t’il?

–Cassé –Je réponds et Mario se met à rire, Rodolfo le suit ensuite en riant aussi.

On dirait que mon idée soit au moins parvenue à relâcher un peu les esprits.

–Tu me manques –dis-je, incapable de retenir ce qui me ronge intérieurement. –. Je comprends que tu sois en train de travailler, mais si, je pouvais aller te voir au plateau de tournage. Au moins un jour, même un moment.

Rodolfo me regarde. Il analyse ma tête comme s’il me voyait pour la première fois, comme si devant lui, ce n’était pas moi qui était assise, mais une inconnue.

–Oui, définitivement, oui –dit-il après quelques instants.

–Mais je ne crois pas que John...

Rodolfo interrompt Mario.

–John ne verra aucun  problème. Arrange-ça avec les gardes du corps pour qu’ils l’emmènent demain sur le plateau.

–Je peux l’emmener moi-même  –dit Mario. 

–Bien, très bien –répond Rodolfo avec le plus beau de ses sourires de séductions, sans cesser de me regarder–. Et toi, mets-toi quelque chose de jolie, quelque chose qui les éblouisse. Tu veux que Mario t’emmène faire des achats?

–Non, je n’en ai pas besoin, j’ai acheté assez d’habits le premier jour.

–Je crois que nous devrions aller faire quelques achats –dit Mario en intervenant.

–Mais, pourquoi ? J’ai trop de choses à me mettre.

–Rien de styliste–argumente mon beau-frère.

Rodolfo me regarde surpris.

– Elle n’est pas entrée dans une seule boutique de créateur. –explique Mario.

–Mais, tu l’as emmenée où?

–Au meilleur centre commercial. Elle avait tout là-bas, des stylistes étrangers et égyptiens ... Rien. Je suis surpris qu’elle n’ait pas voulu qu’on l’emmène chez un H&M.

–J’ai acheté des choses de chez Benetton.

Rodolfo se met à rire, ensuite, il reste sérieux en voyant que je ne blague pas.

–Pourquoi ? –il me demande déconcerté.

Je hausse les épaules.

–Il ne mettait pas venu à l’esprit que les habits de chez Benetton étaient mauvais–dis-je finalement–. Je n’ai pas pensé ... Je croyais que je n’avais pas besoin. Et en plus ... Je m’achèterai des choses de créateurs avec mon argent. 

–Oui ? Lequel? –demande mon mari.

Mario le poignarde du regard.

–Je veux dire  –ajoute-t’il en se corrigeant–, quoi, quel argent à toi tu veux dépenser en étant ma femme? Tout ce qui est à moi, est à toi, ne fais pas de différences. Achète-toi de jolies choses, des choses qui soient à la hauteur de qui tu es.

Je baisse le regard vers ma robe en lin blanc et tant Rodolfo que Mario se rendent compte de ce que je suis en train de penser.

–Je ne dis pas que la robe que tu portes ne soit pas belle–se justifie Rodolfo–. Elle l’est. En plus, peu importe ce que tu te mets, tout te  va à merveille, tu es déjà si belle.

–C’est un très belle robe–ajoute mon beau-frère.

–Je t’ai choisie, toi, parmi toutes les femmes. Tu es unique, différente

Je ne sais que dire.

–Tu sais que la jalousie est une très mauvaise chose, non? –demande Rodolfo.

–La jalousie? –je demande, sans avoir la moindre idée sur où il veut  en venir

–Toutes les femmes aimeraient être à ta place –m’explique Mario–. Elles vont te manger toute crue.

–Non pas tant. Allons, Mario, tu vas effrayer à mio amore. Mais oui, mon amour, elles vont observer ce que tu portes. Point par point. Elles vont faire des commentaires, les femmes sont spécialement jalouses.

–Pas moi –dis-je en me portant un bout de pain à la bouche et mâchant sans cesser de regarder les deux hommes que j’ai devant moi.

–Gucci, comme un minimum. Disons que  Gucci pour être à la maison, capito? Tu comprends? –me dit Rodolfo, m’offrant sa tête la plus douce–. Sinon, c’est moi, qui passe mal. Qu’est-ce que tu crois qu’elles penseront de moi? Que je suis mesquin, que je ne m’occupe pas de toi, que je ne t’aime pas. Et toi tu sais combien je t’aime. Parce que tu le sais, non?

J’acquiesce en regardant ma bague.

–Je comprends, Gucci, c’est un minimum.

–Ne fais pas cette tête  –continue Rodolfo–. Tu n’es pas heureuse? N’importe quelle femme se réjouirait qu’on les envoie acheter des vêtements de couturiers.

–Rose n’est pas une femme quelconque –dit Mario tout bas.  –Tu dis comment? –lui demande Rodolfo.

–Rien, je n’ai rien dit. Que demain, à première heure, nous irons faire des achats. Ainsi, on pourra passer te faire une visite sur le plateau de tournage dans l’après-midi. 

–Très bien  –répond Rodolfo avec un sourire qui lui illumine le visage.

Je les regarde comme une idiote, je ne peux l’éviter. Sa présence remplit le salon tout entier, il nous baigne Mario et moi comme s’il ne s’agissait pas d’un être humain, sinon un être très spécial. Il est si beau, si parfait, il a l’air si sûr de lui-même. Son pied me recherche sous la table et, quand je le sens contre ma jambe, je lui regarde la figure et il me fait un clin d’œil. Mon estomac se resserre, mon cœur s’accélère, j’ai tous les symptômes d’une adolescente amoureuse à puissance trois. Rodolfo baisse son regard  sur son assiette, attrape une oreille d’abricot du couscous avec la fourchette et se la porte à la bouche sans cesser de me regarder, partageant avec moi un code que seuls lui et moi, nous pouvons comprendre. C’est comme si tous les deux, nous sachions que dans cette bouchée, je me retrouve moi, que ça c’est  ce que Rodolfo désire à ce moment-là, me savourer doucement. C’est comme s’il me disait ce qui se passera dans quelques heures.

–Quand tout le monde dormira –dit-il, et Mario le regarde sans comprendre–. Rien, fratellino, je répétais mon texte du film. Quand tout le monde dormira! –récite-t’il en levant une main et usant un ton élevé pour prononcer les paroles.

Il fait de nouveau un clin d’œil, pour que je comprenne clairement que ce qu’il a dit à Mario est un mensonge, qu’il ne s’agit pas du texte qu’il doit dire dans le film, sinon d’un message rien que pour moi.

Cette nuit, quand tous dormiront, il viendra me voir dans la chambre et je sais que les heures jusqu’alors vont se convertir pour moi en années. 

Enfin, nous aurons un petit morceau de notre lune de miel interrompue. Je me convertirai en la bouchée que Rodolfo veut savourer.

Je rougis légèrement et me concentre sur le repas, essayant de faire en sorte que Mario ne se doute de rien.

Rodolfo a raison, il m’a choisie parmi toutes les femmes du monde, je ne devrais pas l’oublier. Demain, je pense me laisser guider par mon beau-frère, je m’achèterai n’importe quelle chose d’un styliste qu’il considère adéquate. Je vais être une bonne épouse pour Rodolfo Vitti, la meilleure qui puisse exister sur la face de la terre. Je me préparerai pour recevoir les regards jaloux de toutes les femmes, pour qu’elles m’étudient millimètre par millimètre.  Je me fabriquerai une bonne carapace pour que peu m’importe ni la façon dont elles me regardent ni ce qu’on peut dire. Que les gens rigolent, qu’ils chantent s’ils veulent, qui Rodolfo Vitti a choisi, à qui il a passé la bague, c’est à moi. Mais surtout, le plus important, la femme qu’il aime, c’est moi.