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Quand nous nous approchons du plateau de tournage, les nerfs me retournent l’estomac. Mario me prend les mains et me les sépare, il ne me permet pas que je me torde les doigts.
–Nous nous approchons d’eux –dit-il en chuchotant–. Et ça –ajoute-t’il m’ajustant bien la bague avec un diamant–, toujours bien en vue. La pierre précieuse toujours être bien en vue. Tu sais, pour les jaloux. –Quand il voit ma figure d’anxiété, il ajoute–. Non, non, non, il n’y aura pas de jalouses. Seulement des amis. Mais de toute façon, le diamant en vue. Il sourit.
Quand nous descendons de la voiture, m’assaille une pluie de flashs qui m’attendait.
–Merde –murmure mon beau-frère–, je ne savais pas que la presse serait là.
Je le regarde déconcerté et il m’indique de sourire, ce que je fais par un automatisme qui me surprend moi-même. Peu après, apparait Rodolfo et il me semble presque que je le vois marcher en caméra lente, avec les habits et les cheveux bougeant doucement, comme ça arrive avec les héros dans les films. Il ne manquerait qu’une musique de piano pour que la scène soit parfaite, digne d’un des films du grand Rodolfo Vitti. C’est que, comme un héros, mon mari arrive pour me sauver des caméras et des questions qui pleuvent sur moi.
Il m’embrasse par la ceinture, me fait tourner en une fraction de seconde, me laissant pendue par les épaules, avec une jambe en l’air. Il me retient seulement de son bras musclé tout en me donnant un baiser de films. J’entends des applaudissements qui sortent d’un endroit, mais je ne veux pas ouvrir les yeux, je ne veux pas que ce baiser se termine.
Nous ne sommes malheureusement pas tout seul et le baiser doit se terminer. Rodolfo me redresse et son bras me serre encore davantage par la ceinture, bien que nous soyons maintenant côte à côte, immobiles devant les photographes. J’essaie de sourire, mais j’ignore si je suis capable d’effacer la tête d’idiote qui m’est restée après un baiser aussi spectaculaire qu’inespéré.
–Messieurs, je vous présente mon épouse, Rose Vitti,
n’est-elle pas merveilleuse?
Quand revient la pluie de questions, Rodolfo regarde son frère et lui dit:
–Niente domande! Mario, fai tu.
–Je le regrette –dit Mario à la presse –. Aucune question. Le couple ne répond à aucune question aujourd’hui.
Je vois mon beau-frère contenir la foule de photographes et de journalistes. Pendant ce temps, Rodolfo me conduit de la main jusqu’à un groupe de personnes. Je reconnais immédiatement Anna Rita Magnano, une des plus belles femmes du cinéma.
Merde, en personne et encore plus! Beaucoup plus impressionnante! Je ne me l’imaginais pas si haute ni si maigre. Elle a des yeux de tigresse, un regard magnétique auquel ni même moi je ne peux résister et une bouche que n’importe quel homme aimerait mordre.
–Anna, c’est mia moglie, Rose.
–Che bella che sei –dit Anna Rita Magnano me donnant deux baisers raisonnant comme des fusées de foire.
–Non parla italiano –lui dit Rodolfo.
Je suis sur le point de dire que si, que je le parle, quand l’actrice commence à me parler en anglais.
Merde et encore une fois merde. Merde, jusqu’à son accent est sensuel!
Après elle, Rodolfo me présente un tas d’acteurs reconnus et, bien sûr, le fameux John Oxford.
–Je vous admire beaucoup, j’admire votre travail –lui dis-je en lui donnant la main.
John me prend par la main, me tire vers lui, m’embrasse et me fait deux baisers.
–Ne me parlez pas de vous, maintenant vous faites partie de la famille.
Je cherche Mario du regard. C’est dommage qu’il ne soit pas par ici, nous aurions pu rire en secret de son imitation du Parrain et la famiglia.
Le repas s’avère plus détendu qu’espéré. Il y a quelques femmes qui aimeraient me crever les yeux, me planter un couteau dans le dos ou assaisonner mon repas avec de la cyanure. La haine avec laquelle elles me regardent ne me passe pas inaperçue. Mais je les combats avec le bouclier de ma superbe bague avec le diamant. Bon conseil de mon beau-frère. Qu’elles se tordent de jalousie, ce sont des actrices de second rang qui ne mangent pas à notre table, mais à l’une des petites à proximité. Dans notre groupe, il n’y a que des hommes, ce qui, je suppose, facilite les choses concernant la jalousie ou des choses similaires. La représentation féminine se limite à Anna Rita Magnano et à moi et il est évident Anna Rita n’a rien, mais rien du tout, à m’envier.
Peu à peu, au fur et à mesure que le repas se passe, mon image de la super diva change. Elle me confesse, sans réfléchir, combien ça lui coûte de maintenir sa ligne, elle blague avec moi:
–Qu’il ne te vienne pas à l’idée de te consacrer au cinéma. Cette chienne –dit-elle en signalant la caméra– te met au moins dix kilos de plus. Fille de mauvaise mère –ajoute-t’elle en riant–. A cause d’elle, ni pain, ni vin, ni rien. Bien sûr, aucun dessert. –Elle s’approche de moi pour que les autres ne l’entendent pas–: ça oui, le sexe, tout ce qu’on veut. Le sexe est très recommandé. Il fait maigrir–Me sourit-elle, en faisant un clin d’œil et me serrant la main–. Détends-toi, tu iras très bien avec ce petit monde.
Si je n’étais qui je suis, je serais tentée de rester avec
Anna Rita pour un café, j’essaierais de devenir des copines. Elle est si aimable avec moi, si douce, que je me laisserais presque portée par les apparences. Mais on m’a prévenue, la crise que j’ai eue dans ma chambre avant le repas m’a servie pour penser, pour me mettre une carapace, comme me l’avait conseillé Mario. Je me répète l’une ou l’autre fois que la majorité de ces gens se consacrent au jeu de rôles: ce sont des professionnels de la tromperie. Je dois être prudente, attendre de connaître davantage la Magnano avant de la considérer comme inoffensive.
Ainsi je profite de l’expérience et du merveilleux repas et je ne baisse pas la garde, à aucun moment.
Rodolfo est plus affectueux que jamais. Il profite de n’importe quelle occasion pour me faire un baiser rapide sur les lèvres, pour me faire un clin d’oeil, pour me dire quelque chose à l’oreille. Presque tout ce qu’il me chuchote, ce sont de jolies paroles en italien qui me font comprendre, ou je me trompe, qu’il est vraiment amoureux de moi.
–Je pense acheter un palais vénitien à cette beauté –commente Rodolfo à voix haute, en levant ma main pour la baiser.
–Un palais vénitien? Mais, que c’est ennuyeux! –dit
Anna Rita.
–Sauf si ça vient avec un fantôme inclus –ajoute
John Oxford.
Les gens saluent l’idée avec des rires. Lorsque les desserts arrivent, apparait un flash que personne n’attendait.
Mario, Rodolfo et John se lèvent comme des bêtes enragées et sortent le photographe qui est parvenu à se moquer des services de sécurité.
Quand Rodolfo revient à table, il est agité et si fâché qu’il me parait presqu’il fait semblant. Sa colère est trop exagérée.
–Ne devrions-nous pas nous occuper de la presse? –lui dis-je tout bas, m’approchant beaucoup de lui–. Je ne sais pas. Peut-être que si nous répondions à leurs questions, ils nous laisseraient tranquille.
–Ce sont des charognards, ils ne nous laissent jamais tranquille. Ils ne respectent rien.
Je lui serre la main pour qu’il se tranquillise.
–Mais, qui les a appelés? –demande Mario, ça doit être la dixième fois qu’il le dit depuis que nous sommes arrivés.
John Oxford et son équipe jurent que ça n’a pas été eux. Quand Anna Rita nous regarde, Rodolfo se fâche, cette fois le plus franchement du monde:
–Moi? –dit-elle, montrant du doigt sa poitrine–. Vraiment, il te semble ça a pu être moi?
Elle jette la serviette froissée sur la table et se retire avec tant de violence que sa chaise tombe par terre. Un des acteurs qui nous accompagne fait un commentaire:
–De toutes les personnes présentes, Rodolfo est le plus jaloux de son intimité.
–J’en témoigne –dis-je, faisant allusion à ce que si un fan comme moi n’a pas été capable de trouver beaucoup d’information sur son idole adoré tout au long des années, c’est en réalité parce que rien ne filtre sur la vie privée de Rodolfo Vitti.
Anna Rita baisse la tête.
–Je le regrette –me dit-elle–. Je n’avais pas l’intention de le fâcher.
–Il était déjà fâché avant –lui dis-je pour la tranquilliser.
John Oxford regarde sa montre et nous dit, le repas s’est, malheureusement, trop étendu.
–Nous devons profiter de la lumière–m’explique-t’il.
C’est ainsi que je dis au revoir à tout le monde et je retourne à notre voiture blindée avec Mario. Nous parcourons le chemin du retour suivis, comme toujours, de notre escorte. Les mêmes rues, le même contraste exorbitant de richesse et de pauvreté extrême. La même chaleur, le même chaos dans la circulation. Mais moi, je me sens différente. C’est comme si j’avais perdu dix ou quinze kilos.
–Tu penses à quoi? –me demande Mario.
–Que j’ai perdu quelques kilos.
–Ça se voit, avant c’était comme si tu portais une pierre sur toi. Je te l’avais dit que tu n’aurais aucun problème pour t’adapter. La seule chose importante, c’est que tu ne crois pas que ce sont tes amis. Je me réfère à des amis comme tu le comprends toi dans ton monde.
Bien que je sache que ses paroles contiennent une certaine vérité, et malgré que moi-même j’ai baissé la garde pendant le repas, je veux montrer que ça me plait où je suis et que je suis disposée à m’adapter.
–Maintenant, c’est mon monde. Maintenant, je suis une Vitti.
Mario acquiesce en souriant, mais son sourire ne dure que quelques secondes. Ensuite, il se tourne vers sa fenêtre, et peu après, ses yeux et son attention retournent sur sa tablette. Le travail, c’est sa vie.