J’espère que cela ne retardera pas trop la collection, hasarda Gray. Il craignait que le professeur ne réagisse négativement – sur leurs sujets de recherche, les universitaires sont parfois d’une jalousie maladive, irrationnelle – mais celui-ci se montra au contraire plutôt enthousiaste. Enfin, le grand public (Gray grimaça) s’émouvait du phénomène. Le professeur voulut tout savoir : comment Gray en était-il venu à s’intéresser à la question ? Les gens peinaient à prendre la collection au sérieux.
Un auteur lui en avait parlé, dit Gray ; un auteur dont il était l’assistant. Il faisait des recherches (pour un mort, ricana le mort dans sa tête). Un romancier, un auteur de fiction, s’empressa-t-il d’ajouter afin de rassurer sa cible – afin que le professeur ne juge pas la concurrence déloyale. En fin de compte, il avoua être venu à Venise pour le rencontrer, lui, le spécialiste de la question (le professeur ne nia pas). Mais un accès de paralysie, ou le respect des convenances, l’avait empêché de l’entreprendre sur ce point dès son arrivée.
Il lui sembla que l’assistante le gratifiait d’un long regard sceptique, par en dessous. Cependant le professeur, enthousiaste, parlait. Il était là pour cela en effet. Il avait établi une espèce de calendrier, et s’il n’avait jamais vu la collection lui-même, son auxiliaire et lui se rapprochaient du but. Ils sillonnaient le globe depuis plusieurs mois, et c’était la première fois qu’un tiers partageait leur intérêt.
La collection vient quand elle veut. C’est du moins ce qu’affirma initialement le professeur. Chacun la rencontre à sa façon ; les rumeurs n’étaient d’aucune aide. On prétendait qu’elle avait été fondée pour abriter les photos de la Castiglione elle-même, cette beauté fatale qui, au XIXe siècle, créa ses propres archives. Pour autant qu’il le sache, rien ne confirmait cette hypothèse. Du reste on apprenait très vite à se méfier des noms lorsqu’on avait affaire à la collection. Des noms, et des mots en général.
Il vous faudra apprendre une certaine réserve. Un retrait. Mais si cela doit se faire (il parlait, imagina Gray, de la rencontre – mais peut-être était-ce plutôt de ce retrait qu’il défendait comme nécessaire), si cela doit se faire, ne vous inquiétez pas, cela viendra naturellement. Cela vous paraîtra une évolution personnelle, rien de plus – un darwinisme de la distance.