Note sur l’accident autoérotique

La sixième photographie n’a pas été retenue parce que j’ai l’air (début de citation) d’un obsédé sexuel et d’un pervers – en plus d’être si triste (fin de citation). Je me demande ce que nous aurions compris de nous-mêmes, de ce qui nous attendait, si nous avions mieux regardé ces clichés. Passons.

 

De toutes les façons d’en finir, l’asphyxie autoérotique est sans doute la plus embarrassante. Étant donné son caractère grotesque, c’est un dénouement réservé en majeure partie à la gent masculine. Les statistiques sont sans appel.

Le postulat étant que le manque d’oxygène décuple la jouissance, provoquant des sensations à la fois raffinées et violentes (le principe est le même que celui du jeu du foulard qui sévissait dans l’école de ma fille, la donnée sexuelle en plus). Évidemment il faut accepter de se pendre, nu, à un bouton de porte – mais on n’a rien sans rien. (Une paire de collants, ou un bas, fourniront un nœud coulant à la fois doux et résistant.) La position du sujet, en plus d’être grotesque, laisse particulièrement vulnérable. L’exercice est délicat : il s’agit de frôler la perte de conscience, sans rien abdiquer de la sensation. Autant dire qu’un accident est vite arrivé.

Ne hasardons pas une liste des trépassés autoérotiques célèbres : le temps commence à manquer. Citons seulement, pour mémoire, l’acteur Albert Dekker, vu dans La Blonde incendiaire (1945) et dans En quatrième vitesse, souvent désigné sous son titre original, Kiss Me Deadly (1955), où il joue le rôle du maléfique Dr Soberin, lequel détient une valisette que l’on croit précieuse et n’est que radioactive. (Il est abattu. Ensuite : la fin du monde.) Albert Dekker fut retrouvé en 1968 par sa fiancée, en fâcheuse posture puisque agenouillé dans la baignoire, la corde au cou, le corps couvert d’obscénités écrites au rouge à lèvres, ai-je lu – ou inventé ; et je me plais à croire qu’il se trouvait peut-être, parmi ces imprécations, un message d’une autre nature, plus noble et plus secrète (je me souviens parfaitement de ce que j’ai écrit sur ton front ce jour-là, tu sais).

Quoique de mauvais goût, et en dépit de l’embarras qu’il cause, l’accident autoérotique n’est pas un dispositif dénué d’élégance morale, ni même de générosité. D’aucuns y voient même une solution cosmétique intéressante, ayant le mérite de reléguer au second plan l’épineuse question du suicide et de ses conséquences. Son aspect grotesque comme la mesure de perversion qu’il suppose masquent avantageusement, sous les traits les plus déplaisants et obscènes de la frénésie de jouissance (en d’autres termes : du désir), les questions infiniment plus subtiles de l’impossibilité d’être soi et de l’amour malheureux. L’objet de ce dernier, révolté par le caractère éminemment avilissant de cette fin (un roux grisonnant, langue pendue et sexe à l’air, pendu à un bouton de porte), pourra s’en détourner avec dégoût. Le choc visuel lui permettra, estimons-nous, de poursuivre sa route, ou son existence, sans se retourner.

En somme, l’accident autoérotique aurait l’avantage d’affranchir l’objet de l’amour malheureux (disons, par convention, la veuve) de toute culpabilité liée à la question délicate du suicide.

 

Quand bien même l’objet de l’amour malheureux (disons, par convention, la blonde) trouverait le mort dans une autre posture, elle serait encouragée à considérer cette fin comme un accident autoérotique et, si l’élégance de son esprit l’y autorise, à en maintenir la fiction vis-à-vis du public.