Chapitre 32

Depuis qu’Isabelle vit en appartement avec Christian, Sonia passe faire son tour aussi souvent qu’elle le peut. De visite en visite, elle est surprise de voir à quel point son filleul grandit vite. La dernière fois qu’elle a vu Jérôme, il venait de faire ses premiers pas et voilà qu’à peine quelques jours plus tard, il court comme une gazelle. Elle aime beaucoup le petit, et ce dernier le lui rend bien. Mais au fond d’elle-même, Sonia sait qu’elle est nettement meilleure dans le rôle de marraine qu’elle ne l’aurait été dans celui de mère. Elle n’a pas la fibre maternelle, en tout cas pas comme sa mère, Shirley, Isabelle ou même Chantal. Elle aime les enfants, mais à petites doses. Sonia ne voudra jamais sacrifier sa liberté en échange de deux petits bras pendus à son cou du matin au soir. C’est le genre de choses qui l’amuse à l’occasion mais qui lui pèserait au quotidien.

L’autre jour, Simon lui a dit qu’il ne tenait pas à tout prix à avoir des enfants.

— Ce n’est pas parce que je n’aime pas les enfants. Mais je ne suis pas prêt à payer le prix pour en avoir. J’aime beaucoup trop ma liberté.

Évidemment, Sonia était ravie que son amoureux et elle soient tous deux sur la même longueur d’ondes à ce sujet. Les propos de Simon l’ont même rassurée sur la réaction de ce dernier lorsqu’elle lui parlera de son avortement. Toutefois, certains jours, elle se demande s’il est obligatoire d’aborder ce sujet avec lui. « Après tout, c’était avant qu’il fasse partie de ma vie. »

Isabelle est resplendissante depuis qu’elle a emménagé avec son amoureux. Quand Irma la voit, elle lui dit toujours : « Que le bonheur te va bien, ma petite fille ! » Contrairement à bien d’autres jeunes femmes de son âge, Isabelle ne s’est nullement sentie dépaysée dans sa nouvelle vie de couple. Elle profite de chaque instant de sa nouvelle réalité ; ses jours s’écoulent aux côtés des deux personnes qu’elle aime le plus au monde. Hubert est définitivement sorti de son cœur et de sa tête, et elle s’en porte très bien. D’ailleurs, depuis leur brève rencontre à Montréal, jamais il ne l’a contactée pour prendre des nouvelles de Jérôme.

Isabelle a décoré l’appartement avec goût. Même si celui-ci n’est pas très grand, elle a su utiliser au maximum le moindre petit espace grâce à un choix judicieux de couleurs, ce qui donne l’illusion que les pièces sont vastes. Le tableau que Sonia a offert à son filleul trône au milieu d’un mur de la chambre de Jérôme. Comme la toile semble perdue sur une aussi grande surface, en bonne marraine la jeune femme a promis au petit de lui faire d’autres tableaux : un avion, un bateau et une auto de course.

— J’ai beaucoup de chance d’être tombée sur un homme comme Christian, confie Isabelle. Il est une soie. Figure-toi que je ne lui ai pas encore trouvé un seul défaut.

— À la bonne heure ! déclare Sonia d’un ton joyeux. Il fallait bien que le vent finisse par tourner pour toi. Et Jérôme dans tout ça ?

— S’il ressemblait le moindrement à Christian, tout le monde croirait qu’ils sont père et fils tous les deux. Dès que Jérôme voit Christian, il court se jeter dans ses bras. Hier, il l’a même appelé « papa ».

— Est-ce que c’est Christian qui le lui a demandé ?

— Pas du tout ! On pense qu’il a dû entendre ça à la garderie.

— Tant mieux alors !

Comme prévu, Isabelle et Sonia ont assisté au mariage de Lise et de Louis le 22 mai dernier – mais elles sont rentrées tôt. En fait, le courant ne passe plus entre Lise et elles depuis qu’elles lui ont dit leur façon de penser dans le sous-sol des Pelletier. C’est donc sans grand entrain que les deux amies ont réservé leur soirée pour ce mariage, en se disant que c’était la dernière fois qu’elles voyaient Lise. Il n’y a pas grand-chose à raconter sur l’événement. Le mariage était convenable, mais guère plus. Lise portait une longue robe blanche qui la faisait paraître plus grosse qu’elle ne l’est en réalité. Les filles ont trouvé Louis très beau dans son habit vert bouteille, et elles ne se sont pas gênées pour le lui faire savoir. Après le souper, elles n’avaient pas traîné très longtemps dans la salle de réception. Lorsque Isabelle a prétexté une migraine, Sonia a aussitôt annoncé qu’elle était le conducteur désigné.

— Mais tu n’as qu’à revenir ensuite, Sonia ! s’est exclamée Lise.

— Ne m’attends pas, a répondu Sonia en faisant la moue. Tout dépendra si le fils d’Isabelle est réveillé. Dans l’état où elle est, je ne suis pas certaine qu’elle soit en mesure de s’en occuper. Tu comprends, s’il le faut, je vais rester pour l’aider.

Depuis, ni Isabelle ni Sonia n’ont reçu de nouvelles de Lise. Et franchement, celle-ci ne leur manque pas du tout.

— Je ne sais pas si c’est la même chose pour toi, Isabelle, indique Sonia, mais il m’arrive de penser à Lise. Tu vas rire, mais je me demande comment s’est passée sa nuit de noces.

— Tu as du temps à perdre. Pour ma part, je n’ai jamais la moindre petite pensée pour elle. Elle ne fait plus partie de ma vie et je m’en porte très bien.

Puis, sur un ton moqueur, Isabelle ajoute :

— Je doute fort que sa nuit de noces ait été le summum. Quand une fille est aussi serrée que Lise, ça doit prendre une couple de fois avant de réchauffer la place, si tu vois ce que je veux dire !

— Tu es dure avec elle. Mais c’est Louis que je plains le plus. Même le jour du mariage, je me demandais ce qu’il trouvait à Lise.

Les jeunes femmes estiment qu’elles ont suffisamment parlé de Lise pour aujourd’hui.

— Maintenant, aimerais-tu que je t’apprenne une grande nouvelle ? demande Sonia, les yeux pétillants.

— En autant que ce soit plus palpitant que le mariage de Lise !

Les deux amies éclatent de rire, ce qui fait sursauter Jérôme qui joue avec ses petites autos sur le plancher du salon. Au lieu de calmer Isabelle et Sonia, la réaction de l’enfant les encourage à s’esclaffer de plus belle.

Quand Sonia cesse de rire, elle se racle la gorge. Puis, elle déclare, en insistant sur chaque mot :

— Simon et moi allons nous installer ensemble à mon retour d’Edmonton.

— C’est vrai ? s’écrie Isabelle. Je suis vraiment contente pour toi.

Isabelle se jette dans les bras de son amie.

— Et tes parents, qu’est-ce qu’ils en pensent ?

— Je n’en sais rien, car tu es la première à qui j’en parle. Tu connais ma mère ; plus tard je la mettrai au courant, mieux ce sera pour moi. Je n’ai pas envie de me faire casser les oreilles par elle jusqu’à mon départ. Elle se fera une joie de m’énumérer tous les points négatifs et, franchement, je ne veux pas l’entendre. Je sais bien que notre décision d’aller habiter ensemble, à Simon et moi, est complètement folle. On n’a pas d’argent. On ne se connaît pas depuis très longtemps. On est encore aux études. On est très bien chez nos parents. Malgré tout, j’ai envie de sauter à pieds joints dans cette belle aventure.

— Tu fais bien ! Te rends-tu compte que c’est la première fois que tu veux vivre avec un de tes chums ?

— C’est vrai. Avec Simon, tout est différent et tellement facile.

Sonia aimerait partager son bonheur avec sa mère, mais il y a longtemps qu’elle a compris qu’aucun changement, si positif soit-il, ne la satisfera. La première réaction de Sylvie est toujours la même : elle pousse les hauts cris jusqu’à ce qu’un membre de la famille parvienne à lui faire entendre raison. Le plus souvent, cette tâche incombe à son père ou à l’une de ses tantes. Depuis quelque temps, sa mère finit par s’excuser, mais malgré tout, Sonia n’a pas envie pour autant de la mettre dans la confidence. Fidèle à elle-même, Sylvie n’a pas réservé un accueil des plus chaleureux à Simon lors de sa première visite. Sonia avait prévenu ce dernier, mais il s’est tout de même étonné de ce comportement.

Afin de mettre un peu de distance entre leurs parents et eux, Simon et Sonia ont décidé de s’installer à Montréal. Si ce n’avait été de leur peur de se faire envahir, ils seraient restés à Longueuil. Depuis que sa famille a quitté Montréal, Sonia s’est toujours dit qu’elle reviendrait y vivre un jour. Maintenant, même si elle aime toujours autant Montréal, la vie de banlieue lui plaît énormément. Aussitôt qu’ils auront trouvé un appartement, elle annoncera la nouvelle à son père. Comme Simon et elle ne sont pas très fortunés, elle demandera à Michel s’il peut leur vendre quelques meubles à bon prix. Sonia déteste mettre sa mère à l’écart, mais dans les circonstances elle n’a pas le choix. Et puis, contrairement à Sylvie, son père se réjouira pour elle.

— Mais tu ne sais pas encore la meilleure ! Figure-toi que Simon va m’accompagner à Edmonton.

— Wow ! Comment faites-vous pour avoir les moyens de vous payer un voyage en avion alors que vous allez bientôt vous installer ensemble ?

— C’est simple ! Pour ma part, je n’ai rien à payer. La galerie paie la moitié de mon billet d’avion et mon oncle André, l’autre moitié. Quant à Simon, son père lui offre le billet comme cadeau de fête.

— Ayoye ! Simon en a de la chance ! Ce n’est pas demain la veille que je vais recevoir un billet d’avion en cadeau de fête !

— Si ça peut te rassurer, moi non plus. N’oublie pas que son père est docteur, et puis, Simon est le plus jeune de la famille. Mais tu as raison, il est très gâté. Pour ce qui est du reste, on va rester chez mon oncle. Comme j’ai déjà vendu trois duos de toiles, ce sera suffisant pour couvrir nos dépenses une fois sur place. J’ai tellement hâte de retourner à Edmonton. Je ne sais pas si je te l’ai déjà dit, mais c’est une de mes villes préférées. Mon oncle m’a demandé d’apporter quelques tableaux. Il veut les montrer à ses amis.

* * *

C’est la troisième fois en peu de temps que les jumeaux se présentent sans crier gare au magasin de leur père après l’école. À leur première visite, François et Dominic ont annoncé à Michel qu’ils voulaient prendre la relève le jour où celui-ci partirait à la retraite. Deux jours plus tard, ils sont repassés pour connaître sa réponse. Ils étaient fous de joie quand Michel leur a dit que ses associés étaient d’accord pour qu’ils assurent la suite. Et aujourd’hui, les garçons viennent voir leur père pour organiser les vacances d’été.

— Alors, c’est oui ou c’est non ? s’enquiert François.

Comme chaque fois qu’il réfléchit, Michel se frotte le menton. Ce tic commence à impatienter sérieusement ses fils.

— Sauf tout le respect que je te dois, je ne comprends pas que ça te prenne autant de temps pour te décider, explose Dominic. Ce n’est quand même pas une demande en mariage. Tout ce qu’on veut savoir, c’est si tu veux nous emmener à la pêche au chalet de ton cousin cet été ?

— Mais sans Luc, cette fois, intervient François.

Michel sait déjà ce qu’il va leur répondre, mais il aime bien taquiner ses benjamins. C’est la raison pour laquelle il prend tout son temps. Quand il ouvre enfin la bouche, les jumeaux expirent fortement.

— Ce soir, j’appellerai mon cousin pour lui demander s’il peut nous prêter son chalet pendant une semaine.

Le regard des jumeaux s’illumine.

— Et puis, je n’ai pas de problème à vous laisser ensuite chez vos cousins. Mais il va d’abord falloir qu’on trouve quelqu’un pour vous ramener.

— On n’a qu’à demander à grand-maman Marie-Paule, suggère François. Elle connaît sûrement quelqu’un qui va venir à Montréal cet été.

— Peut-être, mais vous ne resterez quand même pas un mois là-bas, déclare Michel. J’ai décidé de vous laisser cette partie-là entre les mains. Moi, je me charge de la pêche.

— Merci papa ! s’écrie Dominic qui est vite imité par François.

Alors que les deux garçons, le sourire aux lèvres, vont sortir du magasin, Michel dit :

— Je ne crois pas que Luc tienne à venir avec nous, mais je vais quand même le lui proposer.

En une fraction de seconde, la joie des jumeaux disparaît. Ils n’ont rien contre leur frère, mais ils n’ont pas envie de courir le risque que Luc les empêche d’aller pêcher chaque fois qu’ils voudront pratiquer cette activité.

Sur le trottoir, Dominic se tourne vers François.

— C’est simple : si on ne veut pas que Luc nous accompagne, on doit le décourager de venir.

— Peux-tu être plus précis ? s’enquiert François, l’air songeur.

— Pas pour le moment, mais on trouvera bien.

* * *

Pendant ce temps, à la maison, Sylvie fait des bulles avec sa petite-fille. Voilà déjà plus d’une demi-heure qu’Hélène court après les bulles pour les faire éclater. Sylvie est toujours étonnée de voir à quel point les enfants s’amusent avec des riens. Un peu de savon à vaisselle et de l’eau ont eu plus de succès que la poupée Barbie qu’elle a offerte à la petite à son arrivée. C’était pareil pour ses propres enfants. Les garçons passaient un temps fou à jouer avec une boîte de carton chaque fois qu’elle revenait de l’épicerie. Et Sonia s’amusait des heures durant avec ses poupées de carton et leurs vêtements de papier.

Sylvie affectionne particulièrement passer un moment seule avec sa petite-fille, ce qui arrive trop rarement à son goût. Avec tous les spectacles qu’elle a donnés ces derniers mois, elle n’a pas eu beaucoup de temps pour jouer à la grand-mère. Elle voyait Hélène le dimanche soir au souper, avec ses parents, et c’était à peu près tout. Il s’agissait également du seul moment qu’elle passait avec toute sa famille. Bénéficiant de quelques semaines de congé avant de reprendre ses répétitions de chant, Sylvie s’est arrangée pour garder sa petite princesse un après-midi par semaine. Elle apprécie beaucoup son rôle de grand-mère. « C’est si facile comparativement à celui de mère : pas de discipline à imposer, pas de nuits blanches, pas de crises de larmes. » Elle sait d’avance à quelle heure Hélène arrivera et repartira, et ça, c’est toute la différence. Sincèrement, même si elle adore sa petite-fille, Sylvie ne recommencerait pas à élever des enfants. « Jamais ! » Elle ne l’a dit à personne, mais quand elle passe devant une église, en plus de faire brûler un lampion pour que Sonia ne tombe pas enceinte hors mariage, elle en fait brûler un autre pour que les parents de la belle Hélène vivent au moins jusqu’à la majorité de celle-ci. Sylvie n’aurait pas la force d’élever une troisième famille, pas plus qu’elle ne supporterait que sa petite-fille soit élevée par des étrangers.

— Regarde, Hélène, il y a une grosse bulle derrière toi ! s’écrie Sylvie.

Dans un éclat de rire, la petite fille tourne sur elle-même. Puis, elle fait éclater la bulle en la touchant de son petit doigt.

— J’ai réussi ! se réjouit-elle. Encore !

C’est ainsi qu’Alain trouve sa mère et sa fille lorsqu’il les rejoint dans la cour arrière. Il reste à l’écart quelques secondes et les observe. Au moment où elle se retourne pour attraper une bulle de savon, Hélène aperçoit son père. Elle court se jeter dans ses bras en criant :

— Papa ! Papa ! Je joue aux bulles avec grand-maman.

— J’ai vu ça, commente Alain en serrant sa fille très fort dans ses bras.

— Viens en faire avec nous.

— Cinq minutes, pas plus, dit Alain. Il faut que je retourne travailler.

— Tu es sérieux ? lui demande Sylvie.

— Oui, répond-il. C’est nouveau, le bureau est ouvert trois soirs par semaine. Tu devrais voir à quel point les clients sont contents.

— C’est normal. Il y a beaucoup de gens qui ne peuvent pas quitter leur emploi pendant la journée, même pour aller chez le dentiste.

Depuis qu’il a terminé son cours, Alain travaille chez un dentiste de Longueuil. Même s’il apprécie son emploi, il n’a pas abandonné l’idée d’ouvrir un jour son propre cabinet avec un de ses amis dentistes. Pour le moment, vu le coût très élevé du matériel, ils n’ont pas les moyens de se lancer en affaires. De toute façon, ils ne sont même pas certains que la Caisse accepterait de leur accorder un prêt.

Sylvie a toujours en tête de donner un peu d’argent à Alain. D’ailleurs, avant de prendre la décision de s’acheter une voiture flambant neuve, elle a pris soin de calculer – et deux fois plutôt qu’une. Elle a même ouvert un deuxième compte dans lequel elle a déposé suffisamment d’argent pour faire un cadeau à chacun de ses enfants après leurs études. Lorsqu’elle versera l’argent aux jumeaux, il ne lui restera plus rien de l’héritage de son amie Jeannine. Enfin, ce n’est pas tout à fait exact puisque celui-ci lui aura permis d’acquérir sa Mustang et la maison. Parfois, Sylvie se demande ce qu’elle aurait fait sans tout cet argent. « J’en ai acheté des choses grâce à lui ! » Normalement, elle aurait dû remettre son cadeau à Alain depuis un bon moment, mais tout est allé tellement vite récemment qu’elle a oublié. Pour une fois qu’elle est seule avec son fils, Sylvie décide d’en profiter pour lui apprendre la bonne nouvelle.

— Je sais que tu es pressé, dit-elle, mais j’aimerais te parler de quelque chose. Rassure-toi, ça ne prendra pas beaucoup de temps.

Sylvie réfléchit à la meilleure façon de présenter l’affaire.

— Eh bien, poursuit-elle, j’ai un cadeau pour toi.

Alain est surpris : sa mère n’a pas l’habitude de faire des cadeaux sans raison. Suspendu à ses lèvres, il attend patiemment la suite.

— Tu es le premier à qui j’en parle. Tu te souviens que j’ai hérité de mon amie Jeannine ?

Pour toute réponse, Alain hoche la tête.

— J’ai mis de l’argent de côté pour vous le donner à la fin de vos études, à ta sœur, tes frères et toi. Ce n’est pas la mer à boire, mais j’ai 2 000 dollars pour toi.

Alain n’en revient pas.

— Tu as bien dit 2 000 dollars ? demande-t-il pour s’assurer qu’il a bien compris.

— Oui, confirme Sylvie en souriant. Je sais bien que c’est loin d’être suffisant pour partir à ton compte, mais…

Avant même que sa mère finisse sa phrase, Alain la soulève dans les airs. Étonnée, Sylvie attend en silence que son fils daigne la déposer par terre. Il y avait longtemps qu’elle n’avait pas vu son aîné aussi heureux. Émue, Sylvie sent poindre deux larmes au coin de ses yeux.

— Je te remercie, maman, dit Alain. Lucie va être très contente quand je vais lui annoncer la bonne nouvelle. C’est certain que cette somme n’est pas suffisante pour ouvrir mon bureau, mais cela va m’aider à partir en affaires. Merci encore, termine-t-il en reniflant.

Un tel moment revêt une grande importance pour Sylvie. Chaque fois qu’elle vit un événement semblable, cela lui prouve à quel point elle a de bons enfants.

Comme il n’y avait plus personne pour lui faire des bulles, Hélène s’est emparée de la bouteille et s’est mise à la tâche. C’est sa petite voix qui ramène sur terre Sylvie et Alain.

— Ah non ! Je suis toute mouillée ! pleurniche l’enfant.

La mère et le fils éclatent de rire en voyant Hélène. Cela enrage la petite fille, qui jette tout son attirail au bout de ses bras.

— Je ne sais vraiment pas de qui elle tient son mauvais caractère ! plaisante Sylvie avant qu’Alain et elle s’esclaffent à nouveau.

— Sûrement de sa mère ! déclare le jeune homme aussitôt qu’il reprend son souffle.