Chapitre 4

La bière coule à flots depuis une demi-heure déjà au magasin d’antiquités. Les langues se délient au fil des bouteilles que Michel, Paul-Eugène et Fernand décapsulent l’une après l’autre. C’est un grand jour pour les trois amis. Fernand vient de se faire proposer des parts dans le magasin ; il a bien sûr accepté la proposition avec empressement.

— Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point vous me faites plaisir en m’offrant de m’associer avec vous ! déclare-t-il, l’air réjoui. J’ai hâte d’annoncer la nouvelle à ma femme ; elle va être contente. Ce n’est pas croyable ! Depuis que j’ai laissé mon travail de camionneur, les choses ne cessent de s’améliorer pour moi. Je n’ai plus le moindre petit mal de dos, je fais ce que j’aime et voilà que maintenant, je deviens actionnaire. Je vous le dis, les gars, il faut que je me pince pour être certain que je ne rêve pas. Vous ne le regretterez pas ! J’ai pensé à quelques petites affaires pour notre ma…

Fernand éclate de rire.

— Ça me fait tout drôle ! Je disais donc que j’ai pensé à quelques petits projets pour notre magasin.

— Nous autres aussi, dit Michel, nous devons discuter avec toi. Mais pour le moment, oublions un peu le travail et buvons à notre association. Encore une fois, je suis très content que tu aies accepté, ajoute-t-il en trinquant avec Fernand, puis avec son beau-frère.

— Et moi aussi ! renchérit Paul-Eugène. À nous trois, on va faire des affaires en or.

— Tu n’as jamais si bien dit ! approuve Fernand.

Il y a bien longtemps que la bière n’a pas paru aussi bonne aux trois hommes qui, pourtant, n’ont pas l’habitude de s’en priver. À cet instant, la vie ne pourrait être plus douce pour eux. Ils sont les meilleurs amis du monde et, sans prétendre qu’ils roulent sur l’or, leurs affaires marchent mieux qu’ils n’auraient pu l’espérer. Le marché des antiquités est florissant. La notoriété de leur commerce dépasse désormais largement la banlieue où celui-ci est établi. On leur demande de plus en plus souvent de meubler des chalets dans les Laurentides, et même parfois dans Lanaudière. Quelques petites auberges du Vieux-Montréal portent leur griffe, et ça continue. Michel, Paul-Eugène et Fernand forment un trio hors pair ; ils se complètent à merveille.

— Je sais bien que j’ai dit qu’on ne devait pas parler du travail, déclare Michel, mais Paul-Eugène et moi on pense à déménager. Ici, on a de la misère à circuler entre les meubles tellement l’espace est restreint.

— Je voulais justement vous en parler, indique Fernand. Il y a un beau grand local à louer à deux rues d’ici. Si je me fie à ce que l’on voit par les fenêtres, je pense que ça conviendrait.

— On pourrait aller le voir demain, propose Paul-Eugène. Mais avant, il faudrait qu’on réfléchisse à ce qu’on veut et aussi à ce qu’on ne veut plus. Il faut dresser la liste des choses qu’on n’aime pas ici pour éviter de se retrouver avec les mêmes problèmes. Et peut-être qu’on devrait aussi se demander si on veut continuer à offrir toute la gamme de produits qu’on a actuellement. Par exemple, je pense qu’on devrait se faire une spécialité de tout ce qui touche aux armes japonaises.

Paul-Eugène ne laisse jamais rien au hasard. Il aime réfléchir avant d’aller de l’avant, tandis que Michel est plutôt du genre à agir d’abord. Ce dernier aime taquiner son beau-frère à ce sujet : « C’est pour ça qu’il t’a fallu si longtemps avant de t’apercevoir que Shirley se mourait d’amour pour toi ! » Les rares fois où les deux hommes se sont opposés au sujet du magasin, c’était parce que Paul-Eugène refusait de prendre une décision tant qu’il n’avait pas trouvé réponse à toutes ses questions. Jusqu’à présent, il ne s’est jamais trompé.

— Tu as raison, admet Fernand en se passant la main dans les cheveux. Il faut bien réfléchir à toutes les possibilités. J’ai pensé qu’on pourrait offrir un nouveau service. Les gens pourraient venir ici échanger leurs vieux meubles.

Ses deux associés l’interrogent du regard.

— Laissez-moi vous expliquer. Par exemple, j’ai une antiquité chez nous et je n’en veux plus. Soit tout simplement parce que je ne peux plus en supporter la vue, soit parce qu’elle n’est pas en harmonie avec mon nouveau décor. Peu importe ! Eh bien, je l’apporte ici pour la faire évaluer. Ensuite, je choisis une autre antiquité en échange de la mienne.

— Wo ! proteste Michel. On est là pour vendre, pas pour faire des échanges. Tu vas vite t’apercevoir que ça coûte cher de gérer un magasin.

— Je sais tout ça. Mais d’après moi, ce serait une bonne manière d’attirer de nouveaux clients. Écoutez bien. Si le client ne trouve rien à son goût dans les meubles à échanger, il va forcément regarder les nôtres. Et c’est là que ça devient payant pour nous. Moi, je pense que c’est une manière d’obtenir des antiquités sans que nous ayons à lever le petit doigt. Pensez-y ! On va pouvoir facturer pour le transport aller-retour, et aussi exiger un pourcentage pour le service d’échange.

L’idée de Fernand fait son chemin dans la tête de Michel et de Paul-Eugène.

— À première vue, cette idée n’est pas bête, commente Paul-Eugène. Mais il faudrait prendre le temps de bien réfléchir avant de se lancer.

— Je ne comprends vraiment pas comment on pourrait y trouver notre compte, objecte Michel. Vous avez l’air d’oublier qu’on est là pour faire de l’argent.

Michel n’est pas ivre, mais son cerveau fonctionne au ralenti. Habituellement, un nouveau projet le rend enthousiaste. Toutefois, quand il est sous l’effet de l’alcool, c’est chaque fois pareil : tout ce qui a une apparence de nouveauté l’effraie au plus haut point.

Comme ce n’est pas la première fois que ce dernier joue les rabat-joie quand il a bu, Paul-Eugène et Fernand se contentent de lever leur bière en direction de celle de Michel. À ce moment-là, des petits coups secs résonnent sur la porte du magasin, ce qui fait sursauter les trois hommes.

— Je me demande qui ça peut être ! s’exclame Fernand qui décide d’aller ouvrir. Le magasin est fermé depuis plus d’une heure.

— Et toutes les lumières sont éteintes à l’exception de celle qui est au-dessus de nous, maugrée Paul-Eugène.

Quelle n’est pas la surprise de Fernand en apercevant Sylvie, Shirley et Aliette, sa femme. À peine a-t-il ouvert la porte qu’elles franchissent le seuil, l’obligeant à leur céder le passage. Quand elle passe à sa hauteur, Aliette saute au cou de son mari. Fernand est si surpris par ce geste qu’il manque de perdre pied, ce que sa femme remarque. Mais cette dernière dit simplement :

— Je voulais être la première à te féliciter.

La seconde d’après, elle l’embrasse fougueusement. Fernand se dit qu’il est sûrement en train de rêver. Son Aliette n’a rien de commun avec cette femme qui lui laboure la bouche comme une déesse.

Fernand ne le sait pas encore, mais Sylvie a dû beaucoup insister pour convaincre Aliette de les accompagner, Shirley et elle. La femme de Fernand a invoqué toutes les raisons du monde pour ne pas venir. Cela exige toujours un tour de force pour faire sortir Aliette de sa cuisine. Cependant, une fois qu’elle se décide, elle s’en donne à cœur joie. Elle est vraiment très fière de son mari. Sylvie lui a fait valoir qu’il fallait qu’elle le dise à Fernand. Aliette n’est pas la personne la plus chaleureuse qui soit, et elle-même le sait. Contrairement à bien d’autres femmes, il lui est difficile de se laisser aller. Avant, Fernand et elle se réservaient des moments en tête à tête, même quand les enfants étaient petits. Toutefois, au fil des années, ils ont ralenti leurs sorties ; maintenant, celles-ci ne sont plus qu’un pâle souvenir. Pourtant, depuis que la mère d’Aliette habite avec eux, ils pourraient s’éclipser aussi souvent qu’ils le souhaitent. Mais à force de prendre soin des autres, Fernand et Aliette ont oublié comment s’occuper d’eux.

— On a pensé qu’on pourrait aller fêter votre association tous ensemble, explique Sylvie à l’intention de Michel et de Paul-Eugène.

— On a même réservé une table au restaurant chinois, annonce Shirley.

— Comme on a réservé pour sept heures, on a le temps de prendre une bière avec vous, déclare Sylvie.

Puis, sur un ton taquin, elle ajoute :

— S’il vous en reste…

Aussitôt, les deux femmes se retrouvent avec une bière dans la main.

Enlacés et le sourire aux lèvres, Fernand et Aliette viennent rejoindre leurs amis. Même si la scène surprend tout le monde, personne n’ose commenter. Après qu’Aliette a reçu une bière à son tour, les trois femmes portent un toast au succès de leurs maris.

* * *

Parfois, Junior et Daniel font un petit détour par la cabane à patates Chez Raymond après leur cours de guitare. Entre deux bouchées de hot dog dégoulinant de ketchup, de mayonnaise, de relish et de moutarde, les deux jeunes hommes discutent allègrement. Ils s’entendent comme larrons en foire, et ce, depuis le jour où Sonia les a présentés l’un à l’autre. Leur emploi du temps chargé ne leur permet pas de se voir en dehors de leurs cours de guitare, mais Junior et Daniel savent qu’ils peuvent compter l’un sur l’autre.

— Franchement, dit Daniel la bouche à moitié pleine de frites, tu m’épates. Je ne sais pas comment tu fais, mais tu t’améliores d’une semaine à l’autre. Tu es tellement bon que si je tombais malade, tu pourrais me remplacer haut la main.

— Si tu le dis ! répond Junior d’un air détaché même s’il est fier comme un paon. Mais dernièrement, je ne suis pas content de moi. Je ne répète pas autant que je le voudrais. Entre mes cours au cégep, mes contrats de photographie, les spectacles, ma blonde et les enfants, il ne me reste plus beaucoup de temps.

— L’essentiel, c’est que tu continues à jouer.

Daniel reste à l’affût pour Junior. Ce dernier est maintenant assez bon pour jouer dans un groupe professionnel. En fait, selon lui, Junior est meilleur que plusieurs guitaristes qui font carrière actuellement. C’est pourquoi, chaque fois qu’il entend parler d’un possible contrat, il va aux nouvelles. Et là, il a bon espoir que ça marche pour Junior.

— Je sais bien que tu as déjà ton groupe, mais si tu veux, je pourrais parler de toi à un de mes amis. Il fait partie des musiciens qui accompagnent Renée Claude. Le guitariste vient de partir.

De prime abord, Junior ne se considère pas comme un grand admirateur de la chanteuse. Mais en réfléchissant, des titres lui reviennent en mémoire : C’est notre fête aujourd’hui, À soixante-quinze ans, La rue de la Montagne, Le début d’un temps nouveau, Tu trouveras la paix. Cette brève réflexion lui permet de constater qu’il n’a pas échappé à la vague Renée Claude lui non plus. Il connaît les paroles de plusieurs chansons de l’interprète, et il les fredonne dès qu’il les entend.

Comme s’il avait lu dans les pensées de son élève, Daniel ajoute :

— Je ne sais pas si tu es au courant, mais Renée Claude est la première chanteuse à atteindre les meilleures positions du palmarès avec du matériel québécois original. Depuis le temps qu’elle roule sa bosse, c’est du solide et, d’après moi, elle est là pour longtemps. Sa musique n’est peut-être pas aussi éclatée que celle de Robert Charlebois, mais ça te permettrait au moins de passer dans la cour des grands et de montrer ce dont tu es capable. Qu’en penses-tu ?

Junior est très flatté de l’intérêt que lui porte Daniel. Il faut que son ami ait une grande confiance en son talent de musicien pour vouloir le référer. Seulement, il ne sait pas trop quoi faire. Renée Claude ne donne certainement pas un seul spectacle par mois et, en plus, elle ne se produit certainement pas seulement à Montréal et les environs. Junior devrait donc prendre moins de cours, et peut-être même abandonner ses études… Il entend déjà sa mère pousser les hauts cris. Même si Junior a de grandes ambitions, il ne pourra pas tout faire. Et il n’a pas envie non plus d’abandonner la photographie. Mais la proposition de Daniel est une occasion en or qui ne se représentera peut-être plus jamais.

— Je pourrais aller la rencontrer, laisse-t-il tomber.

Soulagé, Daniel lui tend la main.

— C’est une excellente décision, déclare-t-il. Il sera toujours temps de battre en retraite. Tu n’as qu’à me dire quand tu es disponible et je me charge de te prendre un rendez-vous.

Sur un coin du menu qu’il a déchiré, Junior indique ses disponibilités pour une première rencontre. Il remet ensuite le bout de papier à Daniel.

— Je te remercie beaucoup, signale-t-il.

— Tu n’as pas à me remercier. Et puis, je ne me mouillerais pas pour toi si tu n’étais pas bon.

Chaque fois que Junior passe un moment avec Daniel, il meurt d’envie de lui demander pourquoi Michel et lui sont si proches. Il se retient toujours, car il considère que cela ne le regarde pas. Mais aujourd’hui, quelque chose lui dit que le moment de poser la question est venu. Advienne que pourra ! Junior prend une grande respiration et se jette à l’eau sans plus de réflexion.

— J’aimerais savoir quelque chose. Chaque fois que je te vois en compagnie de mon père, c’est clair pour moi qu’il y a quelque chose de spécial entre vous deux. De quoi s’agit-il ?

Daniel savait depuis longtemps que ce moment arriverait. Il a l’intention de répondre franchement. La dernière fois qu’il est allé boire une bière avec Michel, il lui a confié que si quelqu’un de la famille l’interrogeait, il dirait la vérité. Sur le coup, Michel s’est objecté ; mais après avoir entendu Daniel, il a fini par se rallier à sa cause. « Tu n’as pas à te sentir gêné de m’avoir pris pour ton fils. Au contraire, c’est tout en ton honneur. Le fait que tu ne parles pas de Martin ne signifie pas que tu l’as oublié. »

— Je vais tout te raconter.

Quand Daniel termine son récit, Junior est abasourdi. Il a beau observer attentivement son ami, il ne lui trouve aucune ressemblance, si minime soit-elle, avec son frère Martin. Il fallait que son père ait beaucoup de peine pour avoir cru reconnaître son fils dans un parfait inconnu.

Alors que Junior est perdu dans ses pensées, Daniel ajoute :

— J’ai eu des parents formidables, mais j’aime les tiens autant que je les aimais. Je ne l’ai jamais dit à personne, pas même à Sonia, mais ton père m’a en quelque sorte sauvé la vie. Savoir qu’il y avait quelqu’un pour qui j’étais important m’a permis de panser mes blessures et de me remettre d’aplomb. Sans lui, et vous tous, je ne sais pas ce que je serais devenu.

Daniel se lève pour aller aux toilettes. C’est alors que Junior voit pourquoi son père l’a pris pour Martin.

— Je comprends tout maintenant ! s’écrie-t-il. Tu marches exactement comme lui !

Lorsque Daniel revient à la table, Junior lui dit :

— Tu l’aurais aimé, mon frère.

— Je n’ai aucun doute là-dessus, car je vous aime tous sans exception. Vous représentez la famille que j’ai toujours voulu avoir. Tu sais, être fils unique n’a pas que des avantages. Je m’ennuyais terriblement. Quand j’étais petit, chaque jour je mettais ma main sur le ventre de ma mère et je lui demandais quand j’aurais un petit frère ou une petite sœur. Je m’en souviens comme si c’était hier. Parfois, de grosses larmes coulaient sur ses joues. Avec le temps, j’ai fini par comprendre que ce n’était pas parce qu’elle ne voulait pas avoir d’autres enfants, mais bien parce qu’elle ne pouvait pas. Elle était passée près de mourir en accouchant de moi. Le médecin avait prévenu ma mère : elle ne devait plus tomber enceinte, car elle mourrait.

Daniel aimait beaucoup ses parents, mais il vouait une réelle admiration à sa mère. Il détestait la voir pleurer. Chaque fois, il faisait tout ce qu’il pouvait pour la consoler.

— Mais ils auraient pu adopter, comme mes parents l’ont fait avec Sonia.

— C’est certain, mais j’ignore pourquoi ils n’ont pas choisi cette solution. On évitait ce sujet chez nous. Dès que j’ai été en âge de comprendre, mon père m’a signifié clairement de ne plus embêter ma mère avec mes histoires.

— La vie est bizarre parfois. Je ne sais pas pourquoi on envie toujours le voisin plutôt que d’apprécier ce qu’on a. Sans dire que j’aurais voulu être fils unique, je t’avoue que certains jours j’aurais aimé avoir un peu de tranquillité. Au nombre qu’on était dans la maison, on pouvait dire adieu à toute intimité. Peu importe où on allait dans la maison, il y avait toujours quelqu’un qui s’y trouvait déjà. Et avec les jumeaux, ce n’était vraiment pas évident. Je ne sais pas comment ils faisaient, mais on les avait toujours dans les jambes. Depuis qu’ils sont nés, ils prennent beaucoup de place, ces deux-là. C’est à croire qu’ils sont seuls au monde.

Junior adore François et Dominic, mais ils lui en ont fait voir de toutes les couleurs lorsqu’ils étaient enfants. Ils se faisaient un malin plaisir de lui voler ses petites autos. Comme ils appuyaient sur elles de toutes leurs forces pour les faire rouler sur le plancher, quand Junior les récupérait enfin, il finissait par les leur donner parce qu’elles n’étaient plus en état de rouler.

— Tu vois, dit Daniel, moi je les aime beaucoup. Je les trouve drôles, et tellement attachants.

— Moi aussi, mais ça n’empêche pas qu’il y ait eu des moments où je les aurais vendus pour une vieille chique de gomme. Entre les voir à l’occasion et vivre avec eux au quotidien, il y a toute une différence. On dirait que la terre tourne autour d’eux. Et quand ce n’est pas le cas, ils s’organisent pour que cela change.

— Ouais ! Mais n’empêche que François et Dominic me font bien rire avec leurs mauvais coups.

— Tant que je ne suis pas leur victime, ça va. Connais-tu la dernière ?

Pour toute réponse, Daniel hausse les épaules.

— Écoute bien ça ! Hier, je suis allé faire un tour à la maison. Ils avaient laissé une enveloppe pour moi sur la table. Tu ne devineras jamais ce qu’il y avait dedans.

Suspendu aux lèvres de Junior, Daniel attend la suite. Il se réjouit à l’avance. Avec les jumeaux, on peut s’attendre à n’importe quoi.

— Eh bien, les deux sacripants ont noté dans un petit carnet noir le nom de toutes les filles avec qui j’ai couché entre Christine et Édith.

Daniel éclate de rire.

— C’est pour ça que je les aime ! explique Daniel entre deux hoquets.

— J’ignore comment ils ont fait. Figure-toi qu’ils ont même inscrit les dates ! Même s’ils n’arrêtaient pas de me harceler avec leurs sempiternelles questions, jamais je n’aurais imaginé qu’ils écrivaient tout ce que je leur disais. Il n’y a qu’eux pour faire des choses pareilles. Ils ont aussi rédigé un message dans le carnet : Au cas où tu t’ennuierais de ton ancienne vie un jour, tu pourras au moins rêver à toutes ces filles. Maudit chanceux !

— Ils m’impressionnent vraiment, ces deux-là ! s’exclame Daniel. Il ne manquerait plus qu’ils fassent le lien entre les petites culottes et les filles ! ajoute-t-il avant de s’esclaffer.

Ce commentaire amène Junior à s’interroger sur l’endroit où il a rangé les culottes avant de quitter la maison. « J’aurais dû les jeter à la poubelle. S’il faut que les jumeaux mettent la main là-dessus, je ne suis pas mieux que mort. La prochaine fois que j’irai chez nous, je les jetterai. »

— As-tu le temps d’aller prendre une bière ? demande Daniel.

— Non ! Je ferais mieux d’y aller. J’ai promis à Édith que je rentrerais tôt.

— Tu es vraiment devenu un homme rangé, ma parole !

— Pas tant que ça ! À quoi ça sert de vivre avec une femme si tu ne passes jamais de temps avec elle ? Tiens-moi au courant pour Renée Claude.

Daniel réfléchit à la remarque de Junior concernant la vie commune. Il sort avec la chanteuse du groupe de Junior depuis plusieurs mois ; et même si elle est charmante, l’idée de passer plus de temps avec elle ne lui a encore jamais effleuré l’esprit. Pourtant, Daniel l’aime bien. Mais pas autant qu’il a aimé Sonia et qu’il l’aime encore aujourd’hui…