XVI

— Qu’est-ce que vous faites là, brigadier ? demanda Pinkerton.

Le détective se pencha davantage par-dessus le parapet.

— Vous voyez bien. Je lave mon ceinturon !

Le gendarme avait retroussé son pantalon aux genoux, attaché sa grosse chemise en nouant les pans entre eux et chaussé des sabots de bois. Il trempait son ceinturon dans l’eau, le brossait soigneusement et le replongeait dans l’eau courante. La rivière était le moyen universel de l’hygiène populaire.

— Vous pouvez faire une petite recherche pour moi ? demanda Pinkerton.

— Volontiers ! Attendez que je sorte de l’eau.

— Non, non, ce n’est pas nécessaire. C’est dans le lit de la rivière que je veux que vous cherchiez.

— Mais quoi donc ?

— Le pied d’un chevalet de peintre !

Le brigadier restait interloqué, le ceinturon dégoulinant, pendant au bout de son bras.

— Un pied de chevalet, vous êtes sûr ?

— Je vais tout à fait bien, brigadier. L’autre jour, quand nous avons perquisitionné à l’Hôtel des Voyageurs, nous avons visité la chambre d’Andrew.

— Exact. Mais encore !

— Son chevalet d’extérieur avait été rapporté par ses amis avec ses diverses affaires.

— Encore exact !

— Il manquait un pied télescopique à l’instrument.

— Henriette vous a expliqué que l’Américain l’avait bricolé. Le chevalet était tombé du porte-bagages dans un virage et il avait été endommagé.

— Je sais tout cela. Je veux malgré tout le retrouver. Il aurait dû être plié avec l’autre et sanglé comme font tous les peintres. Dites-moi donc pourquoi, il brille par son absence.

— Il a pu se détacher pendant le transport jusqu’à la chambre.

— Quelqu’un l’aurait trouvé, ramassé, et l’aurait alors rapporté à l’hôtel.

— Vous avez peut-être raison. Et où faut-il chercher ?

— Suivez le bord. Passez sous le pont. Je vous retrouve de l’autre côté.

Pinkerton traversa la chaussée et vint se placer sur la portion de parapet plus basse et faisant face aux arches soutenant les habitations.

— Je dois chercher aussi dans cette direction ? demanda le brigadier pataugeant.

— Bien sûr ! Passez sous la maison et revenez par l’autre tunnel.

Le gendarme disparut dans l’ombre. Ses pas dans l’eau résonnèrent sous la voûte. On l’entendit pester après un rat qu’il venait de distraire de son repas. Deux minutes après, il ressortait par l’autre boyau.

— Vous n’avez rien vu ?

— Eh non, monsieur Pinkerton ! Il n’y a pratiquement pas d’eau dans les deux passages. S’il y avait eu quelque chose, je l’aurais trouvé même s’il y fait presque noir. Je peux sortir de là maintenant ?

— Non, non ! Vous n’avez pas fini. Suivez le canal d’amenée du moulin de la Porte-Neuve côté déversoir. Je passe dans la rue du Quai pour vous suivre des yeux.

Le brigadier maugréa. Il commençait à en avoir assez de ce bain de pieds prolongé. De mauvaise grâce, il fit ce que Pinkerton commandait.

— Rien, rien ! disait-il à chaque enjambée.

Parvenu à la hauteur de la vanne, il monta sur le muret de séparation des eaux et vida ses sabots. C’est en se rechaussant qu’il s’exclama :

— Je l’ai !

Pinkerton exigea la discrétion et se pressa de faire le tour pour s’approcher du brigadier. Arrivé à côté de lui, il constata que l’objet recherché gisait là au pied d’un massif de fleurs enchâssé dans un fouillis d’herbes folles. Manifestement, on avait tenté de dissimuler la pièce de bois.

Avec d’infinies précautions, il tira le pied de chevalet vers lui. Quand l’extrémité apparut, il sut qu’il avait vu juste. Une longue vis munie d’un gros écrou remplaçait le papillon de serrage habituel. Des cheveux épars maintenus par des croûtes brunâtres adhéraient au métal.

Pinkerton tenait à la main l’arme du crime.