Entre deux épilations, j’écris des chansons d’amour. Quelquefois des poèmes. Mais c’est plus difficile. Une cliente m’a dit qu’elle ne comprenait rien à ce que je lui lisais, occupez-vous de mes jambes. Fanny, ma collègue, m’a trouvée ridicule, pour qui je me prenais. Elle a peut-être raison, j’ai pas la formation.
A l’institut, j’étais la première arrivée, j’avais choisi la cabine avec la fenêtre. C’était une petite fenêtre, jamais de soleil à cause des murs gris de la cour, un local à poubelles sans toit, juste un peu de lumière pour relever la tête après avoir arraché ma bande de cire. J’évite toujours de regarder la cire noircie par les poils. Ça me dégoûte. Je ne m’y habitue pas. Jamais. Ma main se pose sur la peau toute neuve, toute lisse, j’atténue la douleur. La cliente sourit en regardant son morceau de peau propre. J’aime bien ce sourire. Je le connais. Je n’ai plus besoin de le voir. Je peux l’imaginer et en faire ce que je veux.
Un jour, Mme Albertini a décidé que l’épilation marchait bien, il fallait s’agrandir, se spécialiser, ne rien faire d’autre. Elle a dit que les gens voulaient redevenir des gosses, n’assumaient pas leurs poils, c’était une affaire juteuse. Elle a changé l’enseigne, l’a rebaptisée Epil’Express. Ça faisait moderne. Ça faisait sérieux et pas cher. Elle a fait poser un néon qui se voyait de loin, dès la sortie du métro.
Fanny a été embauchée, recommandée par une amie de la patronne. Il lui fallait la fenêtre parce qu’elle était claustrophobe, la nouvelle cabine ressemblait à une tombe rose avec trop d’halogènes. On m’a demandé si j’accepterais de changer. J’ai pas osé dire non, je ne voulais pas que Mme Albertini me fasse une remarque. Je ne supporte pas les remarques.
Au café, Fanny m’a offert un verre pour me remercier. T’es vraiment trop sympa, elle a dit. T’es trop mignonne. On dirait une poupée chiffonnée. (J’ai du mal à dormir, c’est peut-être ce qui donne cet effet, et puis je ne suis pas très grande, c’est de famille.) Fanny est immense. Elle sourit, toujours, sauf quand elle ne va pas bien. Elle n’a pas traîné, c’est ce que j’aime chez elle, m’a tout de suite parlé de ses mecs, elle en avait beaucoup, tout le temps, ne pouvait pas s’en passer, la solitude, ce n’était pas pour elle. Elle m’a demandé où j’habitais, j’ai dit dans une petite chambre avec des toilettes à l’étage. Juste un endroit pour dormir. Elle m’a proposé de venir habiter chez elle, une partie de son salon était libre, elle avait besoin d’argent parce qu’elle était une baignoire trouée, mais, tu sais, c’est plus fort que moi. Je la trouvais plutôt sympa, je n’ai pas refusé.
J’ai fait ma valise, rempli quelques cartons et des sacs-poubelles, emballé ma lampe Habitat et ma minichaîne et je me suis installée chez elle, rue Balard. Elle aimait bien Céline Dion. Moi aussi. Au début, on se passait tous les soirs le même CD en préparant le dîner.
— Un jour, je serai comme Jean-Jacques Goldman.
Fanny m’a ri au nez. J’ai ri aussi.