D'Ormesson

Jean d'Ormesson a décidé de faire mentir le mot célèbre de De Gaulle sur la vieillesse comme un naufrage. À soixante-dix-sept ans, il bondit, pétille, fonce, enfonce son clou, vibrionne, saute, patine, rebondit, sprinte, embrasse tout le monde, rafle les plateaux télé, feint la modestie comme personne, sort Chateaubriand toutes les trente secondes, Figaro-ci, Figaro-là, de toutes parts on me demande, ah, laissez-moi respirer. C'est le vieillard colibri, l'acrobate du quatrième âge, le marquis vital en rollers. Ophélie, ma libraire d'habitude exigeante et maussade, est sous le charme, elle en abandonnerait Echenoz pour lui. « Je suis né dans un château, dit d'Ormesson, c'est mon trotskisme à moi. » Et Ophélie, ô stupeur, trouve ça drôle. D'Ormesson et Ardisson, dans un numéro étourdissant, échangent leurs identités : c'est Jean d'Ardisson et Thierry d'Ormesson. La jeunesse applaudit à tout rompre. Un jeune téléspectateur, du nom de Salomon, écrit que si l'Académie française est comme d'Ormesson il rêve d'y rentrer un jour. « Votre livre (car il s'agit malgré tout d'un livre) est un roman, un essai ? » « Peu importe, répond d'Ormesson, c'est un truc. »

Des féministes aux anges écoutent sans ciller des phrases de ce genre : « Je me suis servi des femmes pour être connu, et ensuite je me suis servi du fait d'être connu pour avoir des femmes. » Là-dessus, il saute au cou d'une actrice suédoise massive, deux fois plus grande que lui. Son regard est de plus en plus bleu, son pull à col roulé est bleu, tout devient bleu autour de lui, c'est la marée bleue. D'Ormesson est immortel, il le sait, et s'en excuse presque. S'il devait mourir un jour, ce qu'à Dieu ne plaise, on sent qu'il répondrait à une interview dans l'au-delà avec la même ébriété. « Votre expérience de la mort ? — C'était rien. » Et voilà le travail, disait mon grand-père.

26/01/2003