Lecture

Bernard-Henri Lévy est un drôle de type. Que diable va-t-il faire dans la galère pakistanaise ? L'assassinat horrible du journaliste américain Daniel Pearl le fascine, le meurtrier principal aussi. Il va, il vient, il enquête, prouve que l'islam est devenu un énorme business, frôle les services secrets, les déchiffre, et arrive à la conclusion que le terrorisme est une affaire d'État, tout près de la bombe atomique. Le Diable existe, dit-il. On serait presque rassuré de l'apprendre, ce qui entraînerait que Dieu, lui aussi, persiste dans ses intentions. Une autre hypothèse, plus inquiétante, est qu'une machine, ou une machination, fonctionne toute seule, à travers les États-Unis eux-mêmes. Qui a tué Daniel Pearl62 ? Peut-être faudrait-il plutôt se demander quoi ? Comme l'écrit François Meyronnis dans L'Axe du néant63, livre désormais incontournable : « À quoi sert-il de débusquer, derrière les événements, telle ou telle formation de puissances, avec des buts précis ? Ces formations existent, pourtant, mais fondues dans le Consortium planétaire, figures transitoires déjà oblitérées au moment où elles se constituent, n'ayant d'autre intelligence que celle du réseau […]. Le terrorisme islamiste, même s'il affecte de constituer une contre-polarité en face de la domination de l'Occident, n'est en réalité qu'une figure du Consortium, attirant vers lui les demi-portions de la haine. » Une certaine unification mondiale engendre ses maladies : nouvelle physiologie, nouvelles fragilités, nouveaux crimes. Histoire de l'Infamie, comme disait Borges. Et voici, au contraire, une autre expérience qui aurait enchanté André Breton, celle du jeune romancier Yannick Hænel, dans Évoluer parmi les avalanches64 : « C'est une solitude qui absorbe chaque instant. Une solitude retentissante, mais à retardement. Une solitude de derniers étages, une solitude d'éclats comprimés, qui ne vit que d'elle-même, c'est-à-dire de tous les élans possibles, et de tout ce qui existe, des millions de visages qu'elle a retenus en elle comme une araignée, et à qui elle s'adresse en silence. Une solitude qui respire en permanence la violation, le surchauffement, la froideur. Une solitude peuplée de gestes microscopiques, et qui les promène lorsqu'elle sort avec eux, au jour. Une solitude qui ne desserre pas le poing fermé sur sa propre clé. Qui est un mystère à ses propres yeux. Qui s'apparente aux chambres vides du barillet dans la roulette russe. » Lisez le reste, c'est très beau.

27/04/2003