Leys
Simon Leys est un marin, il a beaucoup navigué, il vit en Australie loin du bruit, il pense, comme Euripide, que « la mer lave toutes les souillures des hommes ». Il y a eu un éditeur courageux pour le suivre dans une entreprise extravagante mais de salut public, La Mer dans la littérature française, deux gros volumes, de François Rabelais à Alexandre Dumas, et de Victor Hugo à Michelet87. On lit, ou on relit, ces pages plus ou moins géniales, la littérature est une mer, voilà ce qu'il fallait démontrer.
Leys cite Conrad dans son liminaire : « Soudain, j'éprouvai à nouveau ce bonheur que donne la grande sécurité de la mer comparée aux agitations de la terre ; je me félicitai du choix que j'avais fait de cette existence dénuée de tentations, exempte de problèmes troublants, et à laquelle l'absolue franchise de ses exigences et la simplicité de son but confèrent une fondamentale beauté morale. » À propos de Hugo, « l'un des plus puissants écrivains marins de la littérature universelle », on se souvient que l'auteur des Travailleurs de la mer a dit de lui-même : « J'ai eu deux affaires dans ma vie : Paris et l'Océan. » Suivent deux cent quatre-vingt-dix pages extraordinaires.
Au hasard, 12 février 1856 : « L'équinoxe commence à traverser notre ciel et notre mer avec ses splendeurs et ses furies. Il pleut du rayon et de l'ouragan : l'immensité et la terre, le soleil et l'océan, la nuée et l'écume ne font qu'un paysage ; paysage violent, féroce, charmant, lumineux, ténébreux, inouï. Il ne fait pas jour le jour et il ne fait pas nuit la nuit. On dirait que le bon Dieu consulte Rembrandt sur les horizons qu'il me fait. J'habite le plus magnifique des clairs-obscurs. » À la voile, donc, loin des voiles. Leys a raison : la mer nous rend à nous-mêmes, elle a sa vérité propre, son silence spécial. Les marins mentent moins.
28/12/2003