Comment perpétuer les rêves de grandeur nationale après la perte de l’empire colonial ? Au seuil des années 1960, l’indépendance de l’Algérie et des pays d’Afrique francophone marquent la fin de la domination territoriale que la France exerçait sur des millions de sujets colonisés depuis le XIXe siècle. Le pays n’en a pas pour autant fini avec son passé impérial, que de multiples liens humains, économiques, culturels et mémoriels prolongent bien après le temps des indépendances. Le rapatriement des pieds-noirs et des harkis, l’arrivée des travailleurs maghrébins logés dans les bidonvilles ou les foyers Sonacotra, la venue d’étudiants africains dans les universités françaises dessinent les traits d’une nation postimpériale. Terre d’accueil, la France reste un refuge pour les émigrés chiliens, vietnamiens ou cambodgiens, et compte de nombreux travailleurs venus du sud de l’Europe ou des Caraïbes. Jusqu’au revirement du milieu des années 1970, qui voit l’État afficher sa volonté de maîtriser l’immigration, placée au centre du débat public à mesure que se réveillent les courants xénophobes et les inquiétudes économiques.
Relever la France et réaffirmer sa souveraineté, tel est le défi auquel s’attache la République du général de Gaulle et de ses successeurs. À défaut d’empire, c’est par la modernité technologique et nucléaire, la conquête de l’air (Concorde) et de l’espace (le bien-nommé satellite Astérix en 1965 puis la fusée Ariane, lancée pour la première fois depuis Kourou en Guyane en 1979), l’aménagement volontariste de son territoire que le pays cherche à se frayer un chemin étroit dans le monde bipolaire de la guerre froide. Les élites françaises s’efforcent de maintenir leur influence dans les nouveaux États issus de la décolonisation, jetant les bases, à coups de barbouzeries et d’investissements économiques, de la « Françafrique ». Mais c’est surtout par sa participation à la construction européenne, dès la signature du traité de Rome en 1957, que la France modernise son agriculture, se rapproche de son voisin allemand à travers les couples successifs Giscard d’Estaing-Schmidt puis Kohl-Mitterrand, et s’intègre à un nouveau marché économique. L’arrivée au pouvoir des socialistes en 1981, porteuse d’espoirs et de réformes, n’y change rien, le destin monétaire et financier de la France reste lié à celui de la Communauté économique européenne.
Ces rêves de grandeur nationale et technologique sont contestés dès les années 1960. À la France gaullienne répondent les innombrables courants intellectuels et politiques qui se réclament d’icônes internationalistes, à l’image du Che, de Mao Zedong ou de Salvador Allende, et s’abreuvent aux écrits de Sartre, Fanon ou Althusser. Révolte étudiante et ouvrière, mai 1968 ouvre une époque de mobilisations transnationales, qui érigent la défense des droits des femmes, la cause homosexuelle ou l’antitotalitarisme en nouvelles luttes globales. Avec la crise économique, le chômage de masse et la prise de conscience écologique, la mondialisation change pourtant de visage. Les espoirs internationalistes se dissipent, les modèles soviétique, cubain et chinois ne font plus guère illusion, et le capitalisme libéral pense voir venir son triomphe prochain.