Une multitude d’articles de Paris, des hectolitres de vin, des quintaux de livres, des tonnes de bibelots s’exportent dans les années 1860 aux quatre coins du monde, principalement à destination des élites européennes, américaines et coloniales. Des ingénieurs lillois construisent des locomotives pour le Brésil et la Chine, et des ouvrages d’art en Égypte et en Russie. Des religieuses et institutrices propagent dans le monde le modèle d’éducation féminine « à la française », ses bonnes manières et ses talents d’agrément. À la fin du siècle, la troupe de l’« impératrice du théâtre », Sarah Bernhardt, triomphe en Europe et aux Amériques, tandis qu’Auguste Escoffier popularise la « grande cuisine » à Londres et New York. Alliances françaises et chambres de commerce promeuvent à l’étranger la langue nationale et les produits manufacturés. Cette mondialisation est également impériale car la France multiplie les conquêtes territoriales en Afrique et en Asie pour bâtir le Second Empire colonial de la planète, un empire sous-administré, avec peu de soldats et de colons français car la métropole elle-même manque de bras.
La France devient alors un grand pays d’immigration, dénombrée pour la première fois en 1851, année d’instauration de la première forme de droit du sol. À la suite des techniciens britanniques y convergent des journaliers belges, des paysans juifs fuyant l’Empire russe, des travailleurs italiens, allemands, polonais, suisses et espagnols. Cette France cosmopolite est magnifiée à l’occasion des Expositions universelles (1855, 1867, 1878, 1889 et 1900) qui transforment Paris en capitale de la modernité. Et les pratiques culturelles françaises s’enrichissent d’un nouveau goût de l’ailleurs, à l’exemple de l’anglomanie : les dandys des années 1860 adoptent la redingote avant que les classes populaires jouent au football à partir des années 1890. Des personnalités d’ascendance étrangère – la comtesse de Ségur, Léon Gambetta, Émile Zola, le baron Haussmann, Jacques Offenbach, Marie Curie, Guillaume Apollinaire, etc. – illustrent désormais aux yeux du monde le génie français, alors que les ouvriers étrangers font face à une vague de violences xénophobes dans les années 1880-1890, période protectionniste qui transforme l’immigration en enjeu politique.
La République, tout en excluant les sujets « indigènes » de son Empire, s’applique alors à nationaliser la société française, traversée par de nombreux conflits sociaux, politiques et confessionnels, en fusionnant nationalité et citoyenneté, en forgeant un nouveau récit national (« nos ancêtres les Gaulois »), en imposant le français aux dépens des langues régionales, en instaurant le service militaire universel et l’école primaire obligatoire. La « francisation » de la France et la cristallisation de son identité collective s’opèrent précisément au moment où, par un paradoxe apparent, le pays réinvente ses cultures régionales, comme le félibrige, et éprouve pour la première fois la « mondialisation ». Le mot apparaît en 1904 sous la plume de Pierre de Coubertin, promoteur de l’olympisme.