2 heures 02. Le numéro de Domino.

1844, les chevaux. Traversent la frontière entre l’ouest et l’est de l’île. Était-ce bien cette année-là? Traversent la frontière dans les deux sens depuis si longtemps. L’île est une sapotille coupée en deux. Partagée entre un Espagnol et un Français par un jour de bonté. Puis vinrent les exclus, qui firent rendre au Français sa moitié, puis louchèrent vers l’autre : images de chevaux franchissant la rivière entre deux grosses fesses, tandis que. Entrait Domino :

les fesses de Domino en culotte à volants à dentelles à broderies à fanfreluches elle défait lentement les lacets de son corset en une pose lascive la main qui remonte lentement Domino se désassemble se penche met en valeur les rondeurs les ampleurs les chaînes de montagnes de sa croupe

les chevaux n’en finissent pas d’avancer les cavaliers semant la foudre sur leur passage enflammant les cases à nègres pulvérisant les cabanes à nègres maintenant retraversent en sens inverse d’est en ouest

Domino la poitrine encore comprimée par le corset montre un éclair de peau nue sous la grille des lacets se retourne se réenroule de nouveau se déroule donne à voir les losanges de peau couleur sapotille la poitrine se décomprimant à mesure le ventre de Domino se dilate Domino hanches extensibles tandis que le temps se rétrécit nous sommes en 1844 ma moitié d’île a été restituée ou plutôt reconquise depuis quarante ans du moins officiellement puisque dans cette implacable avancée des chevaux il n’y a pas eu de moment zéro où rien ne fut puis de moment un puis de moment deux je voyais de nouveau la salle de classe sous la tonnelle et les pupitres et le maître nous présentant notre moitié d’île en marche vers une substance finale forte de son droit moral libre démultipliée en des millions d’êtres libres roue qui roule vers la Beauté la Vérité la Liberté or il n’y avait pas de progression imaginez un manège

et Domino s’évase s’aventure s’entrebâille pur Séant qui titille aiguillonne la main de Domino la géante lentement glisse le temps s’envole

ma moitié d’île dit le maître vit en mauvaise intelligence avec l’autre depuis le temps de la guerre entre les concombres et les aubergines tourne le manège se pose la question de son identité de sa valeur propre fin de parcours nuit contemporaine fatale où tout semble s’évanouir se dérober à toute prédiction défaillir sur le chemin de la belle Beauté

Domino fait la roue les mains posées sur les hanches s’accroupit Domino est une jarre d’argile pleine d’eau fraîche fait semblant de se déculotter TiKokob tire la langue Didier Bonne Mesure ne bronche pas sérieux comme un pape Didier Bonne Mesure c’est tradition plus modernité la jarre se relève chaloupe sur une trille du clavier déploie ses anses sur une volée de cuivres

et voici la préhistoire fœtale le moment zéro où l’on prétend que rien ne fut hormis un balbutiement hormis cette langue n’est-ce pas naturellement imagée des Indiens hormis un divertissement les planteurs français célébrant les fruits les fleurs et les hanches les oiseaux cui cui cui la verdure éternelle de la perle des Antilles

la fée Domino se penche sur les ténèbres de ma primitivité avec les areytos des sambas mon point le plus obscur le plus mythé mon point de plus forte fabulation ça vient TiKokob langue pendante Didier toujours bonne mesure Domino la gaillarde exécute sa spécialité la main sur la croupe plaf plaf plaf mère étendue sur le cheval de nos douleurs

le bébé va naître la horde des chevaux sillonne ma moitié d’île de part en part le bébé naît commence à faire ses premiers pas se développe s’épanouit galope éclate de maturité avant le déclin la débandade

Domino traverse la Scène

il n’y a pas eu de moment zéro puis l’âge héroïque des pionniers puis les trois âges de notre romantisme puis enfin l’âge de la dictature à renverser

Domino remonte par l’escalier tournant une cavalcade de congas la salue Louis Hé Elle a gagné.