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Le « Mâle entendu »

 

Wilfrid. Un prénom chevaleresque pour un jeune éphèbe aux cheveux cendrés et aux yeux doux. Non seulement beau comme un héros de la mythologie grecque, mais aussi délicat et attentif aux moindres détails. Une rencontre furtive à la sortie d’un cinéma, les numéros de téléphone échangés et… peut-être le début d’une fabuleuse histoire romanesque ?

Premier rendez-vous, Wilfrid à la sortie de mon lycée avec un bouquet de roses dans les mains devant les yeux ébahis de mes copines jalouses. Quel pied !

Un troubadour des temps modernes, un poète de « l’amour courtois » comme dans ces récits médiévaux à la fin heureuse. Lui Tristan, moi Yseult !

Enfin un homme différent. Après les mufles à répétition rencontrés dans les discothèques ou dans les bars, quel réconfort ! Me voilà convertie en gente damoiselle au bord de la pâmoison !

Deuxième rendez-vous avec, au programme, la visite d’un musée d’art contemporain, suivie d’une soirée au théâtre. Ce soir, représentation de Rhinocéros de Ionesco, son auteur favori. Plus habituée aux boîtes et aux sorties shopping entre filles, dur, dur. Le rhinocéros ? Quel rhinocéros ? Où ça, un rhinocéros ? Mais motus et bouche cousue, et sourire béat sur les lèvres.

Le lendemain, invitation au restaurant pour une dégustation de sushis dans un restaurant japonais. Et re-Rhinocéros avec explication de la pièce en long, en large et en travers. La montée du totalitarisme à l’aube de la Seconde Guerre mondiale… Vraiment passionnant, mais mes cours d’histoire, plutôt au lycée le jeudi matin avec Madame Brocart !

Le repas terminé, pas de proposition de sortie, mais un premier baiser chaste sur la joue avec la promesse d’une balade chez les antiquaires pour samedi prochain. Bien beau tout ça, mais le sexe alors ? Au bout de plusieurs rencontres, toujours rien. Vraiment pas normal. Panique ! Petite virée devant ma psyché. De face, pas trop mal. De profil, l’horreur ! Un ventre trop ballonné et les seins flasques… Sirène du glas ! Condamnée à l’amour platonique ? Dès demain, diète avec légumes à la vapeur, fruits et un litre et demi d’eau par jour. Finis les gin-tonic.

Déjà samedi et toujours cinquante-cinq kilos ! Wilfrid devant ma porte, ponctuel et souriant comme toujours. Élégant et raffiné avec un jean, une chemise blanche, une veste noire et une cravate. Les antiquaires, une autre de ses folies, mais pas vraiment ma tasse de thé. Les vieilleries et autres bibelots du même acabit, plutôt une promenade gériatrique, oui ! Trois heures de torture avec arrêt à tous les stands et historique complet de chaque breloque digne d’intérêt. Et cerise sur le gâteau : soirée en célibataire, seule à la maison et toujours sans sexe ! Snif !

Mercredi, sonnerie du téléphone. Rancard ce soir à vingt heures dans une brasserie de la vieille ville. Avec en prime une surprise. Assaillie de doutes, mais très, très excitée, me voici rapidement costumée en Wonder Woman croqueuse d’hommes. Décolleté plongeant grâce aux Wonderbra, jupe ultra-courte, une touche de Dior et… une entrée fracassante dans le café. Silhouette tant désirée de Wilfrid là-bas au fond dans un renfoncement. Approche féline et chaloupée sous les regards lubriques des autres clients. Le baiser sur la joue cette nuit, pas question ! Plus que deux mètres, plus qu’un. Suspense… Et…

Surprise ! Ce cher Wilfrid, debout, toujours aussi élégant, triomphant, auprès d’un beau brun ténébreux au sourire « dents récemment détartrées ». Quoi, un plan à trois ? Impossible. Non, pas lui, pas après tout ce tralala. Pas avant un plan à deux… Le baiser, non, mais la baise, oui ?! Mais quelle cruche… Eh bien, non. Pire que ça.

« Roberto, voici mon amie Pascale ! Pascale, voici Roberto, mon petit copain brésilien. »

Gggrrrrrr…