17.

Le « Mâle axé »

 

L’amour fou ! Une métaphore douce à l’oreille ; l’annonce d’une liaison sulfureuse, passionnée, la certitude d’un engagement profond et sans limites. Le préambule d’une histoire idyllique.

Mais pas du tout le cas avec Paul.

Cinq heures du soir en plein centre-ville, un véritable coup de bol. Là, juste en bas de mon immeuble, une place vacante de parking ! Un espace aussi grand qu’un camion. Parfait pour ma Twingo. Clignotant, contrôle dans le rétroviseur, marche arrière, trottoir, emballement du moteur… Et un grand boum. Oh non ! Le devant du véhicule de derrière complètement embouti. Regards anxieux à droite et à gauche. Ouf, personne. Ni une ni deux, redémarrage en douce et sortie discrète sur la route avant un arrêt brusque devant un homme au regard peu engageant. Le proprio de la voiture carambolée.

Troisième constat en moins d’un an. Une vraie catastrophe pour le malus appliqué à ma police d’assurance. Pourtant, aussitôt sortie de mon véhicule, le visage défait et les papiers en main, retournement inespéré de situation. Changement d’attitude inexplicable de ce même homme à deux doigts d’un sacré bon coup de gueule deux minutes auparavant. Une explication comme une autre quant à sa soudaine indulgence, ma ressemblance frappante avec son premier amour d’adolescent. Plus question de constat ou d’assurance, mais en compensation, une soirée au restaurant avec lui le soir même. Pourquoi pas ? Toujours préférable au doublement de ma prime. Quoique…

Un repas chinois laborieux avec plus de riz sur ma chemise qu’entre les baguettes, une musique d’ambiance asiatique trop aiguë et répétitive et… Paul ! Cinquante ans, lourdaud, la couperose au bord du nez et un ventre Heineken. Côté conversation, un monologue à bâtons rompus autour des qualités de sa seule femme jamais aimée, une certaine Jeanine à l’époque bien révolue de son adolescence. Cette chère Jeanine, mon portrait tout craché. Bien ma veine !

Le lendemain matin, sept heures, sonnerie de mon interphone. La tête à l’envers, encore emmitouflée dans mon pyjama polaire, direction le combiné mural. Et, mauvais karma, au bout de la ligne, Paul, détective privé de première, en exploration devant le lieu de l’incident la veille, en recherche de ma voiture et par déduction grâce à mon prénom sur les étiquettes des boîtes aux lettres, de mon adresse. Mon premier ressenti, une colère noire assortie d’une réponse cinglante. Une intrusion sans gêne dans mon intimité et en plus, à sept heures du matin !

Plus de nouvelles pendant quelques jours avant une seconde attaque. Paul devant ma Twingo, un bouquet de roses rouges dans les mains et une déclaration d’amour pathétique avec des mots terrifiants : « la femme de sa vie », « la réincarnation de son premier amour », « pour toujours », « jusqu’à la mort »…

Poursuites quotidiennes, surveillance jour et nuit symptomatique d’une obsession de plus en plus manifeste, d’un amour irraisonné, d’un esprit malade axé sur ma pauvre personne. Autant de preuves de l’imminence d’un danger. Installation de la peur et emménagement provisoire chez une amie avant une décision difficile, mais inéluctable, la dénonciation aux services de police pour harcèlement. Une expérience traumatisante certes, mais hélas, toujours pas d’indigestion envers la gent masculine ! Persistante, la nana !