L’estime de soi: ça sera pour une autre fois
Bébé me tend une petite coccinelle bleue en caoutchouc qu’elle a volée dans un jeu appartenant à sa grande sœur. (Bon, je dis «volée», mais j’ai tort, puisque, pour Bébé, l’univers et toutes ses créatures lui appartiennent de droit.)
— Tins, maman.
— Oh, une coccinelle!
— NON! (Crétine!) C’é PAS une cossinelle! C’é un bôôôôbô.
— Ah! Un bonbon. Bien sûr. Un beau bonbon bleu. C’est pour moi?
— Ui.
Je porte la cocci- pardon, le bonbon, à cinq centimètres de ma bouche et roule des yeux en signe de fervente délectation.
— Mmm! Que c’est bon! Crounch, crou-
— NAOOOOOOON! (Imbécile!) Faut san-semblant!
— Heu, oui, évidemment, faut faire semblant. C’est ce que je…
— Faut SAN-SEMBLANT! (Bordel!) Cô ça!
Bébé m’arrache des mains l’objet du litige et, me regardant de l’air de dire «observe et tire des leçons, espèce de tarée», se met à faire «crounch crounch» en tenant la coccinelle (pardon, le bonbon, je n’apprendrai jamais) à un bon 30 centimètres de sa bouche. Voilà, maman, comment on san-semblant.
Non mais.
Ensuite, Bébé replace délicatement le «bonbon» sur la table et me jette un regard d’avertissement.
— Toupa.
— Touche pas? D’accord, maman n’y touchera pas.
Sauf que, tout de suite après, Bébé me regarde de l’air d’un revendeur de Xanax qui rencontrerait Carla Bruni six mois après son mariage. Suave. Assuré de faire une vente.
— Oh! Gad’, maman! Un bôbô pou touâââ!
Un bonbon? Pour moi??
— Oh, un bonbon pour moi! Merci chérie! Je vais bien faire san-semblant, regarde!
Je m’empare de la coccin-
— NOOOOOON!!! TOUPA, Z’AI DIT!!! TOUPAAAAA!
Bon sang! Je… Je viens de me faire avoir comme une débutante!
Retour de la coccinelle sur la table. Et retour de l’air suave chez l’héritière fourbe. Qui me murmure d’une voix invitante:
— Rhôôôô… Gad’ maman… Un beau bôbô pou TOUA!
La tentation est énorme. La pression, étouffante. Mais trop d’intérêts sont en jeu. Ne. Pas. Flancher. Sous le regard vigilant de Bébé, je reste par-fai-te-ment immobile. Deux, trois… cinq longues secondes.
Et, sur les jolies lèvres roses de Bébé, naît ce qui ne peut être qualifié que de rictus de satisfaction.
Elle n’a pas dit «Excellent, Fido, nous finirons par faire quelque chose de toi. Et maintenant, cou-couche panier.» Non. La vraie femelle alpha n’a point besoin d’enfoncer le clou.
Mais, devant vous, je fais cette promesse solennelle: lorsque, un jour, Bébé me traînera dans les concours d’obéissance canine, j’irai pas la chercher, la ba-balle.