L’échec de l’école ?
« Enseigner, ce n’est pas remplir un vase, c’est allumer un feu. »
MONTAIGNE
Notre école regorge d’instituteurs et d’institutrices de talent, soucieux de nos enfants et amoureux de leurs progrès, de professeurs capables de faire aimer leurs savoirs et ayant à cœur de donner à tous les mêmes chances de réussite. J’ai moi-même été ouvert à mon désir d’écrivain en cours de lettres avant de rencontrer un professeur de philosophie charismatique, Bernard Clerté, dont je peux dire aujourd’hui qu’il a changé ma vie. Et mon métier d’enseignant m’apporte quotidiennement des joies intenses. Mon propos n’est donc en aucun cas d’accabler notre modèle éducatif, d’autant qu’aucun n’est parfait.
Il me semble toutefois que notre école, en n’enseignant pas les vertus de l’échec, se condamne à échouer à remplir son rôle. Mais avant d’exposer cette critique, j’aimerais préciser d’où je parle. J’ai enseigné dans des contextes très différents : établissement banal d’une petite ville des Hauts-de-France, grand lycée parisien, établissements difficiles de Seine-Saint-Denis, lycée d’État de la Légion d’honneur, Institut d’études politiques de Paris. J’ai eu comme élèves des habitants de la cité des Bosquets de Montfermeil aussi bien que des enfants des beaux quartiers parisiens, des gens du Nord traversant les champs en VTT pour venir en cours aussi bien que de jeunes banlieusards qui n’avaient jamais vu la mer. Mais j’ai repéré des invariants qui me semblent problématiques.
Une école qui n’encourage pas assez la singularité
Le premier de ces invariants pourrait sembler anecdotique mais ne l’est pas : les élèves y sont rarement félicités pour leur manière de se tromper. Avoir une mauvaise note parce que aucun travail n’a été fourni n’est pas la même chose que s’être égaré par passion dans un hors-sujet. Nous devrions féliciter plus souvent les élèves qui se sont trompés de manière originale, souligner combien une manière de rater – curieuse, inattendue – peut augurer des succès futurs. L’élève prendrait mieux les critiques, serait encouragé à développer son talent et comprendrait qu’il n’est pas déshonorant de se tromper.
Il m’a fallu des années d’enseignement pour découvrir l’intérêt de valoriser la singularité de l’élève au moment même où il échoue. Mais j’ai pu observer depuis à quel point cette attitude était utile aux élèves. Ils adorent s’entendre dire que jamais personne n’a commis un contresens aussi drôle, qu’ils ont traité un sujet, certes sans rapport avec la question, mais absolument passionnant. Ou tout simplement que c’est « bien tenté ». Ils sont amusés, parfois flattés, jamais humiliés.
Plus généralement, nous devrions nous arrêter davantage sur les échecs. Trop souvent, nous passons à autre chose comme si nous ne voulions pas les voir, comme s’ils étaient sans valeur, honteux. Scène classique de l’école française : l’élève reçoit sa mauvaise note – souvent publiquement, ce qui serait inenvisageable aux États-Unis –, puis assiste dans la foulée au corrigé du professeur adressé à la classe entière. Le message est clair : il y a une méthode à appliquer pour réussir. C’est elle qui est intéressante, pas la manière de rater. D’où la reprise magistrale. Ce n’est bien sûr pas la seule façon de faire en France, mais il y a des pays, la Finlande par exemple, où un tel corrigé n’est même pas concevable, tant il nie le principe d’une pédagogie individualisée.
Une des spécificités de l’école française consiste en ce cours adressé d’une seule voix à une classe d’une trentaine d’élèves. Malgré le développement des demi-groupes et l’apparition des deux heures hebdomadaires d’accompagnement personnalisé, ce modèle reste dominant. En hypokhâgne, prépa HEC ou maths sup, les classes comptent même souvent quarante élèves. Observer les systèmes éducatifs d’autres pays permet de mesurer combien notre format d’enseignement tend à étouffer les talents singuliers.
Aux États-Unis, au Royaume-Uni ou même en Allemagne, les effectifs sont plus réduits et la relation personnelle à l’élève est particulièrement développée. Dans certaines écoles anglaises, des prix sont remis régulièrement, qui récompensent aussi bien les résultats scolaires que le « cancre du jour », le « comique de la semaine » ou les « plus beaux amoureux ». Tout y est fait pour encourager l’élève à développer sa personnalité, bien au-delà de ses résultats scolaires.
La Finlande est longtemps apparue, d’après les études PISA (études menées par l’OCDE sur les acquis des élèves dans les différents pays) comme le champion toutes catégories en termes d’éducation : impact quasi nul des différences socio-économiques sur les résultats, peu d’écarts entre établissements, degré élevé de satisfaction des élèves… Leur nombre moyen par classe y est de dix-neuf et la pédagogie s’adapte au rythme d’apprentissage de chacun. Pour ne prendre qu’un exemple, qui surprendra bien des Français, les petits Finlandais ont jusqu’à neuf ans pour apprendre à lire. Les premières années sont dédiées à l’éveil des aptitudes individuelles et de la curiosité. Ils ne sont pas notés avant l’âge de onze ans. Entre sept et treize ans, tout au long de « l’école fondamentale », ils ont un programme commun. Dès l’âge de treize ans, ils peuvent construire leur cursus de manière souple en choisissant jusqu’à six matières optionnelles. À partir de seize ans, ils sont libres de composer entièrement leur programme. La classe traditionnelle, au sens où nous l’entendons en France, n’existe pas. Il n’y a presque pas de cours magistraux. Alors que les professeurs français sont tenus de respecter des programmes, et régulièrement inspectés, les enseignants finlandais jouissent d’une liberté pédagogique immense. Résultat : ce petit pays de moins de six millions d’habitants est devenu l’un des plus innovants au monde, avec l’un des plus forts taux de brevets. Et ce n’est pas une question de moyens puisque la dépense globale d’éducation de la Finlande est de 7 % du PIB, à peu près comme celle de la France.
Au cœur de cette réussite, on trouve une idée simple, résumée par M. Hannu Naumanen, principal du collège Pielisjoki de Joenssu : « Valoriser ce qui est su plutôt que ce qui n’est pas su. Le plus important est que les élèves aient le sentiment d’être bons dans quelque chose. » De là découle une tout autre vision du devoir imparfait ou de l’exercice raté. Souvent interprété en France comme un manquement à la règle, les enseignants finlandais y voient un éclairage précieux, une indication permettant d’orienter l’élève vers le lieu d’expression de son talent.
Deuxième invariant : les élèves sont invités à travailler leurs faiblesses davantage que leurs forces. J’ai mis du temps à m’en rendre compte mais je ne cesse depuis de le constater. J’ai assisté à des dizaines de conseils de classe où les professeurs préféraient souligner la faiblesse d’un élève dans une matière plutôt que ses excellents résultats dans les autres. Si un élève de quatorze ans se montre particulièrement doué en dessin ou en français, mais obtient de mauvais résultats en mathématiques, la discussion portera le plus souvent sur la façon de progresser en mathématiques. Aux États-Unis ou en Finlande, l’accent sera mis sur l’atout que représente, à l’échelle d’une vie, un talent en dessin ou en français. L’idéal de notre école est celui de l’élève complet, appliqué, « dans la norme ». Les élèves assez bons partout sont préférés aux profils atypiques, brillants ici, mais faibles là.
Il y a derrière notre manière de procéder une vision du monde qui mérite d’être questionnée. Que faut-il donc pour réussir son existence ? Ne pas avoir de points faibles ? Ou avoir des points forts ? Être assez bon partout en appliquant les méthodes sans se tromper ? Ou assumer sa singularité jusque dans ses forces et ses faiblesses ?
Julien Gracq répond à cette question. L’auteur des chefs-d’œuvre que sont Le Rivage des Syrtes ou Au Château d’Argol, évoque dans Un beau ténébreux la stratégie gagnante du joueur d’échecs : « Celle-ci par exemple de Niemzovitch, la plus profonde peut-être et la plus générale qu’on ait émise – et sans doute applicable à toute autre chose aussi qu’au jeu d’échecs : “Ne jamais renforcer les points faibles – toujours renforcer les points forts.” »
Julien Gracq n’était pas simplement ce styliste éblouissant, influencé par le surréalisme, qui refusa le prix Goncourt en 1951. Il a aussi été, toute sa vie, professeur d’histoire-géographie au lycée. Cette phrase traduit probablement sa sagesse d’enseignant. S’il est nécessaire de travailler ses points faibles pour qu’ils ne deviennent pas handicapants, il faut surtout « renforcer les points forts » – miser sur son talent.
Et si l’école osait ?
Notre école de la République semble donc ne valoriser que les bons élèves, « dans la norme ». Mais inviter au respect de la règle plus qu’à l’audace de devenir soi, n’est-ce pas la logique même de l’école égalitaire ? A-t-on raison de le lui reprocher ?
Si les audacieux et les originaux se sentent à l’étroit dans les murs de nos salles de classe, peut-être prennent-ils ainsi la mesure d’une différence qu’ils pourront ensuite exprimer hors de l’école. La chanteuse Camille a suivi sa scolarité au lycée Henri IV de Paris avant d’entrer à l’Institut d’Études politiques. Cela ne l’a pas empêchée de devenir l’une des voix les plus singulières du paysage musical français. Jean-Jacques Goldmann est diplômé de l’EDHEC, et le chanteur Antoine de la prestigieuse École centrale. Une enquête de l’Insee révèle d’ailleurs que les artistes sont en moyenne, en France, plus diplômés que les autres. Notre école, en bridant les singularités, les nourrirait donc en même temps.
À cette idée réconfortante, on peut objecter que cette même école a été quittée par un grand nombre d’audacieux qui n’en supportaient pas les contraintes. Jean-Paul Gaultier l’a abandonnée avant le baccalauréat, pressé de se confronter au monde, de déployer son art à temps plein. Il a envoyé ses croquis à Pierre Cardin, qui les a adorés. Il n’avait pas dix-huit ans. Alain Ducasse n’a pas supporté l’enseignement académique et a quitté le lycée pour entrer en apprentissage au restaurant Le Pavillon landais de Soustons. François Pinault a arrêté l’école à seize ans. Jean-Claude Decaux a fondé à dix-huit ans son groupe de mobilier urbain JCDecaux… Tous ont dû fuir l’école des bons élèves pour donner une chance à leur talent. 22 % des créateurs d’entreprise ont arrêté les études avant le bac ou juste après.
Faut-il donc militer pour une autre école ? Avant de répondre, faisons un peu d’histoire. Le but premier de notre système scolaire était de rendre l’égalité des droits réelle, non de permettre une mise en avant des particularités. Au cœur de ce projet, l’idée de donner à tous les citoyens les mêmes savoirs, et donc la même capacité à exercer leur citoyenneté. Ses concepteurs, Jules Ferry, Ferdinand Buisson ou Victor Cousin, étaient tous influencés par la philosophie des Lumières de Kant, pour qui l’éducation à la liberté passe par l’apprentissage de la règle et de la loi. Nous sommes donc dans un schéma de pensée universaliste et rationaliste : l’erreur y a des allures de faute et n’est jamais valorisée comme preuve d’audace.
Ce modèle a longtemps été vertueux. Il a permis à des enfants de milieux défavorisés de s’arracher à leur condition. L’ascenseur social a fonctionné grâce à cette école qui était la même pour tous, enfants d’ouvriers, de professeurs ou de notables. Sans cela, ceux qui n’étaient pas des héritiers n’auraient pas pu faire valoir leurs talents singuliers. Les « hussards de la République » que vantait Charles Péguy ont existé : lorsque, fraîchement agrégés, ces professeurs descendaient sur le quai de gare d’une petite ville de province pour prendre leur fonction le jour de la prérentrée, le préfet se tenait là pour les accueillir, et les remercier au nom de la France. Au nom de l’égalité.
Mais les temps ont changé. Les études PISA montrent les résultats déplorables que notre pays obtient. Les conditions socio-économiques déterminent aujourd’hui les résultats scolaires. Les grandes écoles sont celles de la reproduction sociale. Malgré la bonne volonté d’enseignants souvent exemplaires, notre système éducatif est en crise. Il n’assure plus la mobilité sociale. Le collégien de Stains en Seine-Saint-Denis ne reçoit plus le même enseignement que le Parisien ou le Lyonnais du centre-ville. Ce n’était pas le cas il y a cinquante ans.
Mais alors, si l’école n’est plus celle de l’égalité, pourquoi ne deviendrait-elle pas celle des singularités ? Si elle n’est plus capable d’apporter à tous les mêmes savoirs, pourquoi ne mettrait-elle pas l’accent sur les talents particuliers, la créativité, le sens de l’initiative ? Puisqu’elle n’est plus l’école de la norme, pourquoi n’apprendrait-elle pas à encourager ceux qui osent ? Au lieu de nous accrocher à un modèle passé, nous pourrions prendre acte du changement d’époque, y voir une chance de refonder notre système éducatif. Pour cela, il faudrait parler autrement de l’entrepreneuriat, mais nous allons voir que nous partons de loin. Pour cela, il faudrait être capable de valoriser les « savoirs utiles », mais nous allons voir que ce n’est pas dans notre culture.
Troisième invariant : l’entreprise est souvent méconnue des enseignants, et sa réalité caricaturée. De nombreux manuels d’économie véhiculent encore des clichés sur les patrons « exploitant les travailleurs » qu’on ne trouve même pas dans l’œuvre autrement plus subtile de Karl Marx, et ne proposent jamais dans leurs pages de portraits d’entrepreneurs audacieux. Logiquement, et contrairement aux États-Unis, on ne trouve aucun chef d’entreprise dans la liste des personnalités préférées des Français. De nombreuses initiatives sont prises pour essayer de changer les choses. La plus significative est celle du chef d’entreprise et écrivain Philippe Hayat, qui a créé en 2007 l’association 100 000 entrepreneurs, pour les faire témoigner dans les collèges et lycées. L’association, en à peine dix ans, a touché 10 % d’une classe d’âge. Philippe Hayat raconte dans L’Avenir à portée de main comment ces hommes et ces femmes débarquent sur les estrades pour décrire aux élèves l’étrange métier d’entrepreneur : partir d’un désir, d’une idée ou d’un besoin, trouver des financements, limiter le risque, et puis risquer sa chance. Ils leur disent aussi qu’il y a en France deux fois moins d’entreprises de taille moyenne qu’au Royaume-Uni, trois fois moins qu’en Allemagne, et qu’il suffirait d’en doubler le nombre pour résoudre le plupart des maux de notre pays : chômage de longue durée, déficit des comptes publics, faillite des organismes de protection sociale. S’ils arrivent parfois à allumer de la lumière dans les yeux de la jeunesse, ils se heurtent à certaines questions récurrentes : Comment fait-on sans argent au départ ? Comment savoir si notre idée est bonne ? Mais une question revient plus souvent que les autres : « Et si j’échoue ? »
La peur d’échouer est le principal frein de notre jeunesse.
Quatrième invariant : notre incapacité à valoriser les « savoirs utiles ». Les connaissances sont trop souvent présentées comme des fins en soi ou de simples occasions d’évaluation. D’après les études PISA, les élèves français sortent de l’école avec de nombreuses connaissances – beaucoup plus, par exemple, que les élèves américains. Mais si notre école réussit à apporter à nos élèves tous ces savoirs, elle les présente sous un jour trop théorique, trop scolaire, pas assez « existentiel ».
Or, une connaissance ne vaut pas en elle-même, mais relativement à ce qu’elle va pouvoir changer dans une vie. Il faudrait assumer clairement cette relation vitale, « instrumentale » au savoir. Être lucide sur la baisse de niveau globale devrait achever de nous convaincre : il faut partir de ce que les élèves pourront faire des savoirs pour les y intéresser. De nombreux enseignants en sont convaincus – professeurs d’histoire montrant aux élèves combien la connaissance du passé peut leur permettre de mieux comprendre l’actualité, professeurs de philosophie suggérant aux enfants des couches sociales les plus défavorisées qu’ils pourront trouver dans la philosophie des méthodes pour s’exprimer, voire pour justifier leur rébellion. Mais ces professeurs sont souvent sanctionnés par des inspecteurs académiques qui font semblant de ne pas voir que la France a changé, et taxent de démagogues les professeurs qui commencent par se mettre au niveau des élèves. Il n’y a pourtant pas d’autre manière d’instaurer une relation. Je me souviens d’un inspecteur qui m’avait fait la leçon. Après avoir critiqué mes méthodes, il m’avait rappelé d’un air habité le sens du mot « institution » : « Une institution, c’est ce qui ne bouge pas quand tout le reste bouge, ce “ tuteur ” à quoi les élèves peuvent s’accrocher quand le reste s’effondre. » Tout était dit, assez joliment d’ailleurs. Ma conviction est que notre pays vit une telle mutation que l’école, bien au contraire, doit « bouger » pour s’adapter au monde qui change.
Dans la Seconde Considération intempestive Nietzsche s’emporte contre « l’érudition vaine » et « l’esprit petit-bourgeois ». Avec humour, il raille ceux qui soignent leurs connaissances comme des antiquaires leurs « bibelots » : ils les époussettent à longueur de journées mais n’en font rien. Et finissent par manquer de souffle à cause de la poussière. Il nous rappelle que la question essentielle n’est pas « que sais-je ? » mais « que vais-je faire de ce que je sais ? ». Nietzsche distingue deux types d’usage du savoir. Soit nous utilisons notre savoir pour nous rassurer et nous enfermer dans une logique de stricte compétence. Nous cédons alors à « l’instinct de la peur ». Soit nous partons de ces connaissances pour aller voir ailleurs, et les abordons avec « l’instinct de l’art ». Dans ce cas, la fonction des connaissances est de nous lancer dans la vie, dans l’action, dans la recréation perpétuelle de nos existences.
On trouve dans un autre couplet du poème If de Rudyard Kipling une belle résonance de cette philosophie nietzschéenne de la connaissance :
« Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître
Penser, sans n’être qu’un penseur. »
Dans une vision audacieuse de l’existence, le savoir doit être présenté dès le début comme ce qui aspire à être dépassé, les connaissances comme ce qui délimite une zone de confort dont il faudra sortir.
Nous avons là une idée décisive pour orienter la réforme de l’école : tout savoir doit favoriser, en chacun de nos élèves, le triomphe de « l’instinct de l’art » sur « l’instinct de la peur ». Il faut leur apprendre à « penser », bien sûr, mais aussi à n’être jamais « qu’un penseur ».
On imagine les implications d’une telle idée directrice à tous les niveaux. Les programmes d’une matière doivent être allégés ? Ce point de vue nietzschéen pourrait aider à distinguer ce qui doit être conservé de ce qui est moins utile. Faut-il encore enseigner le latin ou le grec ? Oui, mais à la condition de souligner la manière dont les langues mortes aident à comprendre le français d’aujourd’hui. Les bacs professionnels peinent à être valorisés alors qu’ils sont nécessaires et débouchent sur des emplois ? Dans un monde où la question principale ne serait plus « que sais-tu ? » mais « que vas-tu faire de ton savoir ? », ils le seraient de fait.
Ce rapport libre, créatif et « instrumental » aux connaissances est exactement ce que propose l’enseignement de la philosophie en classes de terminale. Il s’agit, en partant des théories des grands auteurs, d’apprendre à penser par soi-même. Le but n’est pas d’enseigner l’histoire des idées, mais la joie d’une pensée libre. Découvrant que la liberté est selon Descartes une capacité de choix et qu’elle est le contraire pour Spinoza, les élèves sont invités à se faire « leur » idée de la liberté : les références servent de prétexte à leur réflexion. Les élèves les retiennent d’autant mieux qu’elles n’ont pas été présentées comme « ce qu’il faut connaître », et les ont conduits à une analyse personnelle. Voilà pourquoi la philosophie devrait être enseignée dès l’école primaire. Ce serait une bonne manière de donner le la de ce rapport utile, existentiel au savoir, d’insuffler à notre jeunesse, le plus tôt possible, cet esprit critique qui est le meilleur rempart contre les idéologies et les crispations identitaires.
Une bonne manière, également, de leur montrer qu’une vie réussie est une vie questionnée. De les initier au beau risque de vivre.