Le peintre résolut finalement de voir Delacroix, après avoir posé deux conditions : que ce dernier fît le déplacement jusqu’à sa maison de campagne et que Delécluze assistât à l’entretien auquel, il n’aurait su dire pourquoi, il pensait que la présence d’une tierce personne, un témoin, pourrait donner une autre tournure. Ou peut-être en appréhendait-il le déroulement, voire l’issue. Delécluze lui conseilla de réfléchir à ce qu’il attendait de cette entrevue. Mais le peintre avait beau essayer, il n’y parvenait pas. L’ampleur de son irritation était telle que la vue de ce patronyme, D-E-L-A-C-R-O-I-X, dans la réalité ou ne fût-ce que dans son imagination, affectait sa raison. Il était certainement beaucoup plus facile de rester fâché ad vitam aeternam avec l’artiste. Et s’il avait accepté de lui parler, ce n’était, comme le souligna son ami, que parce qu’il devait reconnaître que Delacroix avait fait le premier pas et que son geste le méritait. Ingres était convaincu que si son adversaire avait agi de la sorte, c’était parce qu’il regrettait la façon dont il l’avait traité par le passé et désirait lui présenter des excuses. C’était une grossière erreur.
Le matin du jour dit, Delécluze s’entretint longuement avec le peintre. Persuadé qu’il devait le préparer, il lui recommanda instamment de laisser parler Delacroix, de l’écouter, de méditer puis de prendre ses décisions en fonction de ce que dirait ce dernier. Mais le peintre ne semblait guère l’écouter, et lui assena sur un ton effrayant, presque menaçant :
— J’aviserai. Et je te préviens : j’agirai selon mon bon plaisir. Je ne veux pas de reproches par la suite.
À la première heure de l’après-midi, on annonça l’arrivée de Delacroix. Il avait été décidé qu’ils se retrouveraient au salon, le jardin devant être réservé à des occasions plus festives. Dès qu’il eut pénétré dans la pièce, le visiteur s’avança vers le peintre et ce dernier tendit la main comme pour la lui serrer, mais il se contenta de lui frôler les doigts. Ingres pratiquait de longue date cette technique afin d’éviter de saluer certaines personnes. Il était si rapide que l’autre ne saisissait pas l’intention d’un tel geste. Lui, si. Cela lui permettait de s’assurer qu’il était depuis le début en désaccord avec son interlocuteur et que, même si ce dernier le persuadait par la suite du contraire, il s’en était fermement tenu à sa décision.
— Mon ami, se contenta-t-il de dire pour lui présenter Delécluze après lui avoir frôlé la main.
Il ne l’invita pas à s’asseoir, bien que tout eût été soigneusement prévu et avec une grande sollicitude à cet effet. Ils restèrent debout, face à face, à une distance qui leur permettait de s’entendre.
— Comment allez-vous ? demanda Delacroix.
— Bien, merci, répondit le peintre. Et vous ?
— Bien, merci.
— L’hiver a été très long.
— Certes, acquiesça Delacroix qui fit à son insu un pas vers le peintre. Ce dernier recula d’un pas en direction du canapé. Delacroix continua d’avancer, lui de reculer.
— Nous pourrions prendre un siège ? proposa Delécluze, interrompant cette conversation laconique.
Et ils s’assirent.
— Comment vit-on à la campagne ? J’ai souvent envisagé de m’installer en pleine nature, comme vous, définitivement, dit Delacroix.
— On n’y vit pas mal, répondit le peintre, du bout des lèvres.
— Je vous prie de m’excuser, mais je n’ai pas bien entendu. Qu’avez-vous dit ? demanda Delacroix.
Le peintre se montrait d’une froideur absolue. Il arborait un air grave depuis que l’homme était arrivé.
— Dites-moi, quelle est la raison de votre visite ? lui assena-t-il davantage qu’il ne le lui demanda, d’un air crâne et direct.
— Eh bien, je déplore fortement la situation dans laquelle nous nous trouvons. Je ne comprends pas comment nous avons pu en arriver là. Je crois que la période est difficile… pour la peinture en France. Nous devrions unir nos forces, en discuter et, peut-être, par la suite, rendre nos conclusions publiques. Nous avons vous et moi beaucoup de choses à dire sur la question.
— Qu’est-ce qui vous fait penser que nous sommes tous les deux sur un pied d’égalité et que nous pouvons débattre de l’état de la peinture en France ?
Delacroix se tut. En fait, il ne savait que dire. Delécluze en profita pour servir du café à son ami et du thé à l’invité.
— Je n’oublie pas aussi facilement, savez-vous ? pour-suivit le peintre. Faut-il vous le rappeler une fois encore ? Voulez-vous que je vous rafraîchisse la mémoire sur la raison pour laquelle nous ne nous sommes pas vus depuis un certain temps ? Eh bien voilà : la ligne, la couleur, l’ancien et le moderne.
— Non, ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça, objecta Delacroix.
— Comment, alors ? s’exclama le peintre en se levant, furieux. Comment ?
Les objets semblèrent vibrer sous l’impact de sa voix. Il en profita pour demander à grands cris à Delécluze de bien vouloir lui servir immédiatement un porto.
— Je ne sais pas, finit par répondre Delacroix. J’ignore comment cela s’est produit. C’était au Salon, il y a longtemps, trop longtemps. Ça, je m’en souviens bien. Mon tableau, Scènes des massacres de Scio et, en regard, votre Apothéose d’Homère, y étaient exposés. On a dit, ou plutôt écrit de nous, que vous étiez un défenseur de l’ancien, des canons du classique, et moi un moderne, un peintre du romantisme.
— Oui, et quoi d’autre encore ? Vous semblez vraiment oublier beaucoup de choses.
— Je vous l’accorde, mais les bons mots, les libelles et les moqueries dans la presse visant nos personnes et notre travail sont arrivés beaucoup plus tard. Qui l’eût cru !
— Mais de quoi s’agissait-il ? Osez le dire une bonne fois pour toutes !
— Je ne peux pas, bien sûr. Ils ont dit que vous étiez le maître du dessin et moi celui de la couleur. Et qu’il y avait une lutte entre nous, entre nos travaux, le combat du dessin et de la couleur, la maîtrise de l’un face à celle de l’autre, que…
— … que vous étiez un hérétique et moi un orthodoxe, acheva le peintre.
Alors Delécluze, qui savait pourtant très bien ce qui s’était passé et s’en souvenait parfaitement, fit la remarque suivante :
— Ils ont parlé de vous en ces termes… Quelle horreur ! Eh bien, eh bien… Et qui a dit ça ? Les critiques, je suppose.
Delacroix et le peintre le regardèrent en silence.
— Oui, c’étaient eux, répondit enfin le premier.
Le peintre acquiesça, fermant les yeux.
— Quelle ineptie ! s’exclama Delacroix après une nouvelle pause. Affirmer que je ne me souciais pas de la correction du dessin, que j’étais négligent et que tout ce qui m’intéressait était l’improvisation ! Parce que dans le fond, c’est ce qu’ils voulaient dire en affirmant que je n’aimais pas le dessin. Mais… qu’en pensez-vous ? demanda-t-il en fixant Ingres. La dernière fois que nous nous sommes vus, c’était à ce dîner, chez M. le banquier, vous en souvenez-vous ? Devant tous les invités réunis, vous avez sévèrement critiqué ma façon de dessiner. Vous avez osé me dire que « le dessin, c’est l’honnêteté et la couleur », et vous m’avez ordonné de dessiner. « Dessinez, dessinez », m’avez-vous intimé, comme si je n’avais pas su, comme si j’avais dû apprendre et oublier la couleur à jamais.
Le peintre fit un signe de dénégation de la tête.
— Ne me dites pas que vous avez oublié ou que vous niez avoir prononcé ces mots, ajouta Delacroix, car il y avait des témoins. Rappelez-le-lui, vous, Delécluze, rappelez-lui comment il m’a traité.
Alors le peintre, avant d’impliquer davantage son ami dans l’histoire, admit les faits et acquiesça.
— Oui, c’est vrai ; mais qu’avaient-ils dit auparavant de moi et de mon rapport à la couleur ? Un autre mensonge.
— Cela ne vous donnait toutefois pas le droit de porter certaines accusations contre moi.
— Oui, mais que vous ne me compreniez pas, que ce soit précisément vous qui ne saisissiez pas mon rapport à la couleur… Je ne pouvais l’accepter. Vous, vous…
— Alors il s’agit d’un simple malentendu, intervint de nouveau Delécluze. Un malentendu provoqué par les critiques, comme toujours.
— Oui, comme toujours, reconnut le peintre, et Delacroix lui fit écho.
— Même si Baudelaire a reconnu beaucoup plus tard ce que je faisais depuis longtemps et avais versé dans L’Apothéose d’Homère : mon rapport à la couleur. Il a assuré que je la maîtrisais et l’utilisais passionnément, poursuivit le peintre.
— Dites-moi, quelle était votre véritable intention dans L’Apothéose d’Homère ? en profita pour lui demander Delacroix.
— Vous voyez ? Vous voyez que vous ne le comprenez pas vous-même ? fit le peintre. Quel désastre, quel désastre ! s’exclama-t-il, portant les mains à sa tête en la secouant de façon très théâtrale.
Mais à ce stade, ils avaient déjà plusieurs verres de porto à leur actif, et les esprits, tout d’abord échauffés, étaient devenus joviaux.
— Dans cette œuvre, j’ai montré comment les couleurs des fresques et des tableaux inventaient l’Antiquité, une Antiquité différente, ajouta le peintre.
— Oui, c’est possible, répondit Delacroix. Laissez-moi me rappeler… Sans doute, sans doute… Ah, l’Antiquité ! Nous avons si souvent bu à sa source, nous avons appris à dessiner d’après elle, à la peindre, à la recouvrir de couleur et de désirs. Nous lui devons tant ! Il porta une main à sa poitrine et ajouta :
— Et c’est moi qui dis ça, Delacroix, qui déteste la précision, les normes et la discipline.
Cette dernière remarque déclencha l’hilarité générale et ils en profitèrent pour passer au cognac et allumer trois cigares odorants. À travers les fenêtres, on apercevait les arbres et l’horizon, même si aucun d’entre eux ne leur avait prêté attention de l’après-midi. Le soleil était encore assez haut, ils avaient le temps de continuer à bavarder. Delécluze songea à plusieurs reprises qu’il assistait vraisemblablement à un moment important, voire historique, et qu’il devrait en consigner le contenu. Il estima toutefois que cela n’avait guère de sens, car s’il l’avait proposé, la teneur de la discussion entre les deux artistes en aurait très certainement été modifiée. Devant la tournure de plus en plus libre que prenait la conversation, le peintre se risqua à dire à Delacroix :
— Vous avez dû remarquer la précision de mon travail…
— La précision ? Dites plutôt l’assurance. Oui, c’est le terme qui convient. Et j’ai certes beaucoup réfléchi à celle qui se dégage de vos œuvres, répartit Delacroix.
— Vous croyez que cela a un rapport avec la froideur ?
— Non, ce n’est pas de la froideur qu’elles transmettent. Ce qui est froid, presque glacé, c’est votre coup de pinceau. D’où cette sensation d’assurance, de connaissance sûre et claire de ce que vous faites, car vous semblez très bien savoir ce que vous cherchez.
— Oui, oui… Vous l’avez remarqué car votre peinture est réaliste, du moins en ce qui concerne les êtres vivants : la représentation des corps, des animaux… Vous savez à quel point j’ai insisté sur la nécessité d’une discipline et d’une précision absolue dans l’étude du naturel.
— Oui, il est possible que je sois réaliste, sur certains plans du moins. Mais si tel est le cas, comment vous qualifieriez-vous ?
— Je ne sais pas, répondit le peintre, devenant nerveux. « La peinture face à la peinture », se dit-il.
— Allons, intervint Delécluze. Fais un effort pour répondre. C’est l’occasion rêvée, tu n’en auras pas de meilleure.
Inquiet, le peintre s’agitait sur son fauteuil, il ne savait que dire, car il ne savait ce qu’il voulait entendre de la bouche de Delacroix. Il se tut, les deux autres l’imitèrent. Et il s’aperçut qu’il était inutile de se livrer à des conjectures sur ce que son adversaire allait lui répondre, car il ne le devinerait jamais et, surtout, parce qu’il n’avait plus besoin de son approbation. Il s’exprima donc librement.
— Je ne suis pas réaliste. Je suis hyperréaliste.
— Pardon ? Expliquez-vous. Qu’entendez-vous par là ? Reproduire la réalité avec une fidélité absolue ?
— Non, non. Il ne s’agit pas de ça. C’était peut-être ma première intention, en bon élève de l’Antiquité et de David. Mais je crois que même à l’époque… Non, hyperréaliste au sens propre du terme, du préfixe : être au-dessus de la réalité, aller au-delà.
— Cela m’intéresse au plus haut point. Poursuivez, je vous en prie.
— Ah oui ? Et pourquoi ?
— Parce que cela dépend de ce qu’on imagine et de ce qu’on souhaite, répondit Delacroix. De la contemplation de la réalité, mais afin de l’interpréter d’après elle-même. Entendez par là pour la déformer, car on y projette ce qu’on voudrait y voir. J’aime l’imagination par-dessus tout, comme vous le savez. L’inachevé, le trait de couleur qui m’incite, ainsi que les autres, à prolonger ce que nous voyons.
— Non, non. Je ne parle pas de l’imagination, répliqua le peintre, même si je peux comprendre que vous l’ayez interprété ainsi au vu de la manière dont je l’ai dit. Je ne me suis peut-être pas exprimé clairement... Il s’agit d’une chose plus intellectuelle, avec votre permission. Peut-être plus élaborée. J’ai peint les images en tentant de les adapter à un ordre intellectuel. En modifiant, en transformant la réalité du corps, en tentant d’aller plus loin.
— Un ordre plus abstrait, peut-être. Qui ne touche qu’à des éléments de forme, de couleur, de structure et de proportion, s’aventura Delacroix.
— Oui, oui, c’est possible. Mais aussi plus abstrait parce que, savez-vous, cela me dépasse. Quand je travaille, j’assiste avec surprise à l’émergence de formes que je n’avais pas du tout envisagées au départ. Des déformations aux hanches, des allongements inhabituels…
— Des volumes, en définitive, commenta Delacroix.
— C’est cela, des volumes.
— Vous, le roi de la retenue, soulignant, par ces traits de peinture, ce que vous admirez le plus dans les corps que vous contemplez. Savez-vous que j’admire votre retenue ? Être capable de transmettre cette sensation, de soutenir le mouvement des corps malgré le désir qu’ils suscitent en vous...
— Vraiment ? C’est ce que vous pensez de mes figures ? demanda le peintre.
— Oui, bien sûr.
Il ferma les yeux et pinça les lèvres. Il resta songeur un long moment. Une grande tension avait crispé ses traits.
— Avec votre permission, je crois que vous maîtrisez tous deux l’expressivité. En outre, vous êtes tous deux des poètes. Des poètes de la ligne et de la couleur, intervint Delécluze, toujours attentif au tour que pouvait prendre la conversation afin d’anticiper les éventuelles conséquences.
Delacroix et le peintre l’écoutèrent attentivement et ses paroles les réconfortèrent.
— Nous pourrions aller nous promener ? proposa le peintre quelques instants plus tard.
— Quelle horreur ! répliqua Delacroix. Il fait froid et il doit y avoir des animaux et de la boue. Et puis nous n’avons pas encore abordé le plus important, la véritable raison qui m’a conduit ici.
— Laquelle… ? s’enquit le peintre.
— La peinture française. L’avenir de la peinture française.
— Mais… vous croyez vraiment que c’est à nous d’en parler et de prendre des décisions à son sujet ?
— À qui d’autre, sinon ?
— Et les jeunes ? Courbet, Millet… Leurs prises de position sont courageuses. Il faut reconnaître qu’ils ont des choses à dire…
— Et la tradition ? rétorqua Delacroix. Où est la tradition, alors ?
— Il est amusant que ce soit précisément vous qui en parliez, répondit le peintre. Vous l’hétérodoxe, le romantique… celui qui l’a refusée.
— Pourquoi ? Ne nous a-t-elle pas formés ? Qui étaient nos maîtres ? Nous avons eu les mêmes, qui lui devaient tout et qui nous ont fait rêver d’elle et en elle, affirma Delacroix.
— Oui, mais nous l’avons perdue. Maintenant nous le savons : nous l’avons perdue tous les deux, remarqua le peintre.
— Vous surtout. Comme c’est curieux ! Je ne m’en étais pas aperçu jusqu’alors, dit Delacroix. Oui, nous avons perdu l’innocence, l’innocence stylistique. Nous pouvons encore malgré tout nous réclamer de la tradition, mais pas à l’Antiquité, plutôt à la peinture qui l’a suivie et lui est à son tour redevable.
— Oui, la tradition constitue une empreinte pour le reste de la vie ; plus encore, un manque, dit le peintre.
— Oui, c’est exact, un manque, en convint Delacroix.
— Un manque, répéta Delécluze.
Ils continuèrent à fumer tous les trois en silence, semblant contempler les volutes de fumée qui se perdaient dans l’espace, sur le point de dessiner de grandes arabesques. Dehors, la lumière commençait à baisser. Le moment était vraisemblablement bien choisi pour mettre un terme à l’entrevue, car elle avait été intense et ils étaient tous épuisés. Delécluze se leva le premier et se mit à arpenter la pièce. Delacroix, qui s’était laissé glisser sur le canapé, se redressa. Le peintre resta courbé, le cigare à la bouche, absorbant son arôme.
— Que préparez-vous, actuellement ? À quoi travaillez-vous ? demanda Delacroix sur un ton innocent.
— À rien, répondit le peintre.
— Vraiment ?
— Oui, il y a longtemps que je ne travaille plus.
— Ah oui ? Et pour quelle raison ?
— J’ai perdu le désir et cela a transformé le regard que je porte sur les choses. Je ne trouve rien qui vaille la peine d’être couché sur la toile, je n’imagine même pas ce que je pourrais peindre.
— C’est terrible.
— Quoique dernièrement…
À ces mots, Delécluze, qui continuait ses allées et venues dans l’attente de la fin de l’entrevue, s’arrêta, attentif à ce qu’il allait entendre. Il ne bougea pas, ne tourna même pas la tête pour regarder le peintre.
— Dernièrement, les choses ont changé, poursuivit Ingres. Je ne peux pas en parler et bien sûr, encore moins peindre, mais cela commence à venir, je me sens différent. Je ne peux rien vous avancer. À toi non plus, mon cher ami, ajouta-t-il en jetant un regard à Delécluze.
Delacroix comprit immédiatement que les derniers mots du peintre exprimaient sa volonté de rester seul, et lui, de son côté, n’avait plus rien à faire à la campagne. Il pensa à Paris et désira regagner la ville. Il se leva, prit congé des deux amis et se félicita grandement d’avoir partagé cet après-midi avec eux. Inoubliable, selon ses propres paroles.
Le peintre sentit la mélancolie le gagner, peut-être parce que la nuit tombait ou parce qu’il avait vécu l’après-midi avec une intensité qu’il ne connaîtrait plus jamais.
— Nous reverrons-nous ?
— Mais certainement, répondit l’autre.
Ils sortirent, traversèrent le jardin et le peintre l’accompagna jusqu’à son attelage. Avant que Delacroix n’y montât, ils se dirent au revoir avec effusion, quoique brièvement. Peu avant de se séparer définitivement, le peintre le retint un instant et lui demanda :
— Une question me trotte dans la tête depuis longtemps et j’ai besoin de vous la poser, peut-être aurez-vous la réponse. Et notre peinture ? Comment notre peinture va-t-elle vieillir ?