En guise de prologue
Meutre : facteur infini

L'Homme des Temps Futurs se plaça sur le siège de son véhicule à remonter le temps, lança le distributeur d'énergie, fixa le casque sur sa tête ; puis il accéléra lentement, en enclenchant la première vitesse.

Il filait maintenant à trois siècles-minute — une allure de touriste — mais il savait aussi combien le but de son voyage serait rapidement atteint. Alors il musardait un peu d'un âge à l'autre, s'arrêtant parfois pour observer des villes et des paysages au travers de son écran d'invisibilité.

Il eut d'ailleurs beaucoup de chance. Il assista au décollage de la première fusée pour Procyon. Il assista au terrible incendie qui ravagea New York en 3876 A.D. Les derniers descendants de la race centaurienne défilèrent presque devant lui, lourdement entravés de chaînes. Il visita les stands de la Grande Exposition de l'an 1900… Bref, il assista aux grands événements du passé comme s'il avait le désir de n'en rien oublier.

Car cet Homme des Temps Futurs n'était rien d'autre qu'un fou : un fanatique, un théoricien, un meurtrier tout de même… Un fou nihiliste en somme.

Et il remonta jusqu'aux âges primaires… jusqu'à l'âge du premier homme, l'homme Adam aurait dit une certaine Bible.

Il le découvrit au flanc d'une montagne, accroupi devant un feu au fond d'une caverne.

Il avait vu s'en aller la femelle ; le mâle restait seul, l'instant était propice.

Il tira de l'étui son coagulateur, approcha lentement de la grotte, puis se présenta à l'entrée.

L'entreprise était simple ; tuer Adam… et, de ce fait, assassiner l'espèce humaine.

Un grognement accompagna son arrivée. L'être primitif se redressa, s'avança. L'Homme des Temps Futurs pressa sur la détente.

Le Premier Homme tomba mort, le cœur bloqué par la coagulation foudroyante.

Et l'Homme des Temps Futurs disparut à son tour, effacé, annihilé, rayé de l'Univers.

Alors Adam se releva et regagna le fond de la caverne.

Il n'était pas mort.

Il ne pouvait pas mourir.

Car sa mort aurait signifié celle de l'humanité, donc son inexistence et, par la même, l'impossibilité pour l'Homme des Temps Futurs d'accomplir son forfait.

Cependant…

L'Homme des Temps Futurs tira de l'étui son coagulateur, approcha lentement de la grotte, puis se présenta à l'entrée.

Un grognement accompagna son arrivée. L'être primitif se releva, s'avança. L'Homme des Temps Futurs pressa sur la détente…

Le Premier Homme tomba mort, le cœur bloqué par la coagulation foudroyante.

Et l'Homme des Temps Futurs disparut à son tour, effacé, annihilé, rayé de l'Univers.

Alors Adam se releva et regagna le fond de la caverne. Il n'était pas mort.

Cependant…

L'Homme des Temps Futurs tira de l'étui…

L'infini recommencement fut le châtiment de ce meurtre impossible.


Première parution in fanzine Lunatique n°7, mai 1964,
sous le pseudonyme de Hans-Peter Antanof.
 
Version nouvelle établie à l'occasion de ce recueil.

 

 

Je crois bien que je dois à George W. Barlow l'idée de reprendre ce texte pour ouvrir le présent recueil.

Dans le numéro de la revue MOUVANCE de 1981 consacré au Temps, l'écrivain grenoblois me faisait l'honneur de considérer ce récit avec intérêt, et il s'exprimait d'ailleurs en ces termes :

« Mais c'est un français, Jean-Pierre Fontana, qui, dans Meurtre : facteur infini (signé Guy Scovel dans Fiction n° 147) a brodé sur le thème la variation la plus profonde : son personnage retourne tuer Adam, et donc toute l'humanité de tous les temps ; le cercle vicieux esquissé par Barjavel… prend sur le plan moral et religieux le sens qu'il ne pouvait avoir sur le plan logique : le criminel expie à perpétuité son crime en le recommençant toujours. L'enfer, c'est l'en-soi ! ».

Pourtant, c'est à Christine Renard que je le dédierai. Elle en fut sans doute le premier lecteur autorisé. C'était peu après la parution de son roman À Contre Temps au RAYON FANTASTIQUE. J'en avais aperçu un exemplaire inattendu chez des amis montferrandais qui m'apprirent que Madame Renard, la mère de Christine, habitait dans leur voisinage. Ainsi s'ensuivit ma première rencontre avec un écrivain de science-fiction mais, surtout, avec un auteur dont la sensibilité n'a jamais cessé de m'émouvoir par la suite.

L'entretien eut lieu courant 1963 dans l'une des nombreuses cités que l'entreprise Michelin avait essaimées dans la banlieue clermontoise et où la mère de Christine a longtemps vécu. Cette entrevue demeure d'autant plus importante à mes yeux que Christine, aujourd'hui disparue, a peut-être donné à cette occasion le petit coup de pouce qui a décidé le jeune visiteur que j'étais à poursuivre dans la voie littéraire.