Après les nodules de marcassite des craies champenoises, qui avaient sans le retenir éveillé mon intérêt, et les prétendus « cristaux », utilisés par ma grand-mère pour la lessive, copeaux étincelants ou ternes, dont j’oubliais bientôt l’aspect de verroterie, je n’ai guère commencé à m’intéresser aux pierres que vingt années plus tard, accidentellement et dans la perspective des rapprochements interrègnes qui m’attiraient avec une très haute priorité. J’avais retrouvé dans la labradorite la couleur optique (c’est-à-dire non chimique, non pigmentaire), un bleu intense, électrique, qui d’un coup bascule dans le gris poussière suivant l’angle d’incidence de la lumière. Dans le hameau de mon enfance, j’ai été émerveillé par le même bleu capable de chavirer sur les ailes d’un papillon alors assez commun, le Mars changeant. Plus tard, au Brésil, la voilure impressionnante des grands Morphos m’avait montré le phénomène sur une plus vaste échelle. Elle m’avait confirmé dans l’idée qu’il était propre aux ailes des papillons, où il n’étonne guère que jouent à plein les sortilèges de la couleur. Voici qu’une pierre maussade s’illuminait tout à coup de la même splendeur. Je crus découvrir dans le phénomène un exemple saisissant pour un type nouveau de sciences dont je rêvais alors et que je désignais sous le nom de diagonales. Elles devaient consister selon moi en la confrontation systématique de manifestations analogues, mais éparses dans la nature et laissées pour compte par chaque discipline intéressée. En effet, isolées, elles n’y constituent alors qu’une curiosité d’un faible intérêt. Je dois avouer qu’il s’agissait d’ailleurs d’un mauvais exemple. La couleur optique, produite par la réfraction des rayons lumineux dans de menus cristaux ou sur telles écailles qui en tiennent lieu, a été parfaitement étudiée. Il n’empêche que le prodige qui paraissait somme toute à sa place sur les ailes chatoyantes des lépidoptères, me déroutait décidément dans la tristesse et l’épaisse immobilité d’une pierre.
Je ne vins pourtant pas au monde minéral par les papillons. Le phénomène des couleurs optiques m’encouragea plutôt à poursuivre mes recherches « obliques » sur le mimétisme et le masque, plus tard à entreprendre mon enquête sur la dissymétrie.
Pour les pierres, au moins une péripétie antérieure m’avait déjà orienté vers elles. Un prisme de hasard fixa mon attention d’une manière dont je m’aperçois aujourd’hui qu’elle ne s’est jamais démentie. Sans que je m’en rende compte, ma préférence, depuis ce jour, est demeurée imperturbable. Je ne ressentais alors qu’une curiosité vague, mal définie. Je ne distinguais guère d’une autre une aiguille de cristal de roche. C’était, je crois en 1942, à Belo Horizonte. Le Brésil fournissait la Grande-Bretagne en quartz pour les radars. Il le fallait d’une pureté sans défaut. Dans de vastes hangars, des ouvriers spécialisés vérifiaient les fragments qui avaient satisfait à un premier examen et faisaient sauter au marteau les parties contestables qui pouvaient subsister. L’envie me prit d’emporter quelques-uns des prismes rejetés comme visiblement inutilisables. Je fus invité à choisir parmi les rebuts. Plusieurs prismes de quartz dit fantôme me séduisirent : il s’agit d’aiguilles hexagonales, comme toutes les autres, mais à l’intérieur desquelles leur propre image se répète plusieurs fois en décroissant.
À ma rentrée en Argentine, pays neutre, mes bagages de ressortissant d’un pays en guerre furent soigneusement fouillés. Le quartz était classé comme matériel stratégique. Mes prismes méprisés furent confisqués. J’eus beau protester avec véhémence que justement ceux-ci avaient été jugés défectueux et qu’il m’en avait été fait cadeau pour cette raison. Rien n’y fit.
Je fus désolé. Je m’attachais avec désespoir aux perspectives transparentes et vertigineuses qui, maintenant qu’elles m’étaient ravies, me paraissaient soudain trésors inestimables que je ne retrouverais jamais plus.
Le quartz fantôme n’est pas si rare. J’en retrouvais des exemplaires, mais bien plus tard, dans des boutiques d’Idar-Oberstein. Ce fut, si je me souviens bien, le premier minéral dont je tentais la description. Je m’étendis sur la série vertigineuse des prismes nébuleux diminuant progressivement, emboîtés les uns dans les autres et devenant de moins en moins nets comme les reflets dans deux miroirs confrontés. La transparence du cristal, la perspective des suaires géométriques plus frêles qu’une buée, l’appellation si juste de quartz fantôme, tout contribuait à impressionner un esprit avide d’énigmes et de prodiges irrécusables qui, comme ces aiguilles, semblent défier à la fois la raison et la durée.
Je n’avais encore nulle idée de la structure d’un cristal. J’ignorais que les silhouettes vaporeuses marquaient les étapes de sa croissance. J’étais plus préoccupé par les rapports de la peinture et des jeux minéralogiques, par la similitude et par la différence avec certaines des entreprises de l’art contemporain des dessins qu’il arrive de découvrir à l’intérieur des pierres. Autrefois, il y eut même collaboration entre l’artiste et le minéral. Les peintres y ont ajouté des personnages ou des bouquets d’arbres. Souvent, ils se sont contentés d’intituler et de signer des pierres à images, les présentant audacieusement comme des équivalents naturels de leurs propres ouvrages. Italiens ou Chinois ont usé ainsi des pierres-à-masures, des agates, des albâtres, des marbres.
J’étudiai la série de ces malversations, je mis en concurrence les septaria et les jaspes avec les tentatives de la peinture abstraite. Je me plus à faire le bilan des contrastes et des convergences qui se laissaient constater. Les pierres, une fois ouvertes et polies, ne paraissaient pas indignes des tableaux exposés dans les galeries. Elles étaient les tableaux involontaires de la nature somnambule. Je les confrontais avec les toiles, les trouvailles, parfois avec les fadaises du mammifère voué, contrairement aux autres, à la création d’œuvres extérieures à lui-même.
L’écriture des pierres, comme je disais, réduisait toutefois au domaine esthétique un phénomène qui me paraissait d’une plus vaste portée. Malgré moi, poussé par l’évidence, j’avais rangé les minéraux en deux classes principales : ceux qui obéissent aux courbes et les autres où l’angle est despotique. Deux domaines étanches irrémédiablement séparés : d’un côté, la fantaisie des volutes, des méandres dans les motifs des dessins internes et, pour l’extérieur, les bosses irrégulières, rugueuses, des géodes et des rognons ; de l’autre, la rigueur d’arêtes rectilignes et de biseaux impeccables, une morphologie strictement polygonale, faces planes et lisses comme miroirs d’eaux calmes, architecture parfaite et close, volontiers transparente, mais qui, même opaque, aurait encore nécessité, pour la construire, le secours d’un ouvrier magicien.
Je m’en tenais, comme on voit, aux apparences immédiates. Cependant, la différence de celles-ci impliquait, sinon dès leur plus lointaine origine, du moins par leur lente genèse comme par leur faciès final, une opposition radicale : un antagonisme allant jusqu’à l’incompatible.
Je continuais de décrire les pierres sans trop me soucier de leur contradiction. Cependant, plus je les décrivais et plus je me trouvais conduit à accroître de cette antinomie la portée et les conséquences. Je considérais une lave fluide, puis refroidie, une pâte enfermant panaches et festons, franges ourliennes et corolles dilatées, feuillages et figures de ballets, épaules en pente douce comme d’otaries ou hanches déclives comme de femmes foulbées ; faucilles, crocs ou dards de forficules, d’articulés ; draperies anticipant toute flore, tout paysage, l’immense répertoire des formes, des simulacres possibles ; falaises, alpages et bastions, villes en ruine, toute figure dont le nom déclenche une lointaine résonance, une évocation inhabituelle ou désuète, une atmosphère plutôt qu’un objet commun dont on n’ignore ni l’aspect ni l’usage et que l’on connaît par expérience ; ou bien des bêtes, des plantes, des personnages de pays exotiques ou d’époques révolues, des griffons, des gypaètes, des harpies, un funambule avec son balancier, des lansquenets aux bannières immenses, une faune de bestiaire fabuleux ou d’armoiries, un monde de fête, de mascarades, de livres illustrés, en un mot ce qui fait appel aux nostalgies du désir et de l’enfance plutôt qu’aux réticences ou aux scrupules de l’exactitude et du contrôle. Les géodes enveloppent sous leurs écorces maussades et râpeuses une pinacothèque infinie, où des styles reconnaissables selon les gîtes et les espèces répartissent par manières ou par sujets les innombrables tableaux.
Jamais cependant le plus bref segment de droite, le moindre profil d’une intersection, domaine exclusif des prismes irréprochables où une substance homogène décline d’avance la fantaisie, la grâce anarchique du monde, tout ce qui n’est pas pour ainsi dire tiré au cordeau par une inflexible rectitude, par une profonde ordonnance moléculaire, par l’immuable permanence des angles et des symétries. Rien d’ambigu, nulle contestation.
J’étais obligé de tenir compte de la flagrante antinomie. Dans les tableaux de la muséologie minérale, tout n’est que conjecture et interprétation. Comme si, à l’imprécision de l’imagerie devait nécessairement correspondre la complaisance de l’imagination. Il existe une presque inconcevable alliance, mais nécessaire, entre deux formes différentes et complices de facilité et de caprice : en somme, deux dévergondages dont le premier, celui de la matière, engendre et encourage le second, celui de la fabulation. À moins que le second ne fasse que prolonger le premier dans un autre règne. Je me retenais en effet de feindre par-devers moi que la pierre fût déjà sommée, à son niveau, de choisir entre la mansuétude taoïste et la rigueur d’Ignace de Loyola ou du second Saint-Just.
Pour les pierres, ce ne sont pas les merveilles des simulacres qui constituent le vrai miracle, mais bien l’intégrité géométrique du cristal. Il est matière décantée et, d’abord, quintessenciée, ordonnée. Il ne supporte aucune compromission. Sa forme est en partie soumise à des circonstances de hasard, mais elles ne l’affectent pas essentiellement. Elle tient le contrat. Il n’est pas au monde de fidélité si inflexible. Le cristal doit céder, il va de soi, à quelque obstacle qui limite sa croissance. Il arrive aussi qu’il doive absorber un élément fortuit, imprévisible, étranger, une écharde enfin, mais il n’est jamais altéré que par violence. En outre, comme ferait un corps vivant, il tend à expulser l’intrus. Il ne l’accepte jamais autrement que comme une brimade qu’il doit passagèrement tolérer. Son implacable structure peut-être en aura raison à la fin. Cette victoire arrive parfois, mais pas inévitablement.
Aussi n’y a-t-il guère dans les cristaux de simulacres, de décors, de franges, ni rien qui ne soit le résultat de l’inclusion ou de la permanence d’un corps indésirable, clairement incompatible avec sa nature même de cristal. Dans le quartz, des épines de fer, des mousses de chlorite, des cheveux de rutile, des traverses de tourmaline n’aboutissent qu’à un peuplement monotone, étranger et qui le demeure fondamentalement. Rien qui se compose ou s’assimile. Des pluies sans doute, ou des écheveaux gelés des buissons, jamais d’images ni rien qui y ressemble, seulement des brindilles, des fils d’une finesse extraordinaire, à la rigueur des nœuds, des chignons comme de maladies de rosiers, mais pas la moindre chose qui soit pour ainsi dire digérée, dissoute. Il reste, au sens fort du mot, impénétrable. Sa stricte architecture moléculaire lui interdit toute flexibilité, par suite tout début d’illustration interprétable. L’intégrité d’un cristal ne supporte aucune altération de sa substance, je veux dire de son espèce chimique ; ni de son code, je veux dire de sa définition cristallographique. Des accidents endogènes, drapeaux, crapauds, iris ou buées investissent souvent le cristal dont la limpidité semble pourtant une seconde nature. Les envahisseurs étrangers ne s’y diluent à peu près jamais, sauf dans le quartz améthyste ou dans la halite, où des brumes violettes paraissent parfois flotter.
Ma première vraie rencontre avec les pierres, qui fut celle du quartz fantôme, ne m’a donné ni le goût des pierres imagées, qui ont attiré la curiosité, sinon l’admiration des artistes, ni celui de la parfaite transparence, de l’absence de défaut, de nuage ou d’accident, qui fait la qualité des gemmes, du diamant par exemple. J’en ai reçu bien plutôt une prédilection durable, jamais encore démentie en tout cas, pour le cristal chargé de spectres et, si je puis dire, le plus occupé, au sens militaire du mot. Comment douter que les perspectives vaporeuses du prisme fantôme de Belo Horizonte ne continuent encore de m’inviter à suivre leur progressif éloignement ?
À cause sans doute de ce choc originel, je persiste à regarder avec une faveur que je serais fort embarrassé de justifier un cristal, à la fois tabulaire et complet, comme il arrive peu souvent, et qui se présente comme un lieu maudit où aurait poussé un fourré d’épines d’autant plus enchevêtré et touffu que le manque d’espace le contraint à toujours revenir sur soi. Un cristal tabulaire et complet est terminé en haut et en bas par la pyramide habituelle, mais aplatie elle aussi, si bien que la pointe en est remplacée par une crête parfaitement rectiligne et horizontale. Les côtés s’achèvent en deux biseaux symétriques : telle est la figure qu’il est possible de reconstituer et que celui-ci devait présenter avant le terrible accident qui en a ravagé et presque entièrement détruit la pyramide inférieure. Elle est noire, calcinée, informe. Une consistance de mâchefer est tout ce qui subsiste de la perfection géométrique de naguère La face postérieure du cristal se trouve en outre fondue jusqu’à mi-hauteur en moutonnements de caillots charbonneux et durs, en grumeaux et en cloques de lave saisie à l’instant de la plus grande turbulence.
Le quartz est pratiquement infusible. Je me demande quelle fournaise fut assez ardente pour lui donner pareille apparence d’éponge pétrifiée. La surface entière du cristal était couverte d’un revêtement noir qui en cachait entièrement la limpidité : la face tabulaire demeurée intacte a été polie. La transparence a été restituée au minéral. La base atteinte, ténébreuse, ne laisse passer le jour que par quelques rares interstices, puis se dégage, sortant de la fange solide en un inextricable hallier qui va s’éclaircissant jusqu’à la pyramide indemne. Les dernières brindilles, maintenant relativement distinctes, n’en atteignent pas le sommet. La plus haute, qui est aussi une des moins grêles, se trouve rompue presque à angle droit avant d’y pénétrer, comme si une force supérieure l’avait brisée faute d’avoir pu la courber par révérence ou comme si elle avait dû brusquement éviter un milieu trop pur, qui lui aurait été en quelque sorte irrespirable.
Entre le fouillis primitif et le recul final, un buisson de moins en moins touffu. Des tigelles obstinément rectilignes s’entrecroisent en tout sens. Fines, cassées et cassantes, elles sont bois mort qu’aucune sève désormais n’assouplit. Des épines effilées, tronquées, qui retiennent sur elles une sorte de duvet comme si elles avaient accroché au passage un peu de la toison de moutons impossibles. Plutôt, les gouttelettes d’une rosée captive devenue à la longue poussiéreuse. Quelque chose de plus léger, de plus duveteux que les toiles d’araignée ou les fils de la Vierge ou la trace d’une buée. Ainsi, de chaque brindille s’élève, se détache la pellicule d’une écorce… Ainsi, sur chaque brindille, repose une ouate argentée…
La broussaille déshydratée à l’extrême, n’en demeure pas moins un entrelacs d’aiguilles dont la roideur étonne. Le cristal, même habité, encombré, obscurci par une averse épaisse d’où sa limpidité n’a émergé qu’avec peine, trouve en son style de droites et d’angles une connivence qui, mieux que les écheveaux du rutile, convient à la nature du quartz. Elle souligne que sa pureté s’accommode mal des paysages sans rigueur que propose à l’imagination avide une matière brouillonne, non assujettie aux servitudes de la matière cristalline. Comme toutes conventions, comme celles des jeux, des arts, de la justice, mais à la suprême puissance, elles sont à la fois arbitraires et inéluctables. Par arbitraires, j’entends qu’elles pourraient être différentes ; par inéluctables, qu’il n’est pas au pouvoir d’un être qui en est lui-même le produit, à un niveau plus subtil, plus fragile, de les modifier.
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Il y a quelques années, au Brésil, on exhuma d’un gîte unique de grands cristaux luisants, opaques et dissymétriques entièrement, comme si un malin génie avait pris soin qu’ils ne comportent jamais deux faces tout à fait parallèles, deux angles absolument identiques, deux arêtes de même longueur. Pourtant, malgré cette différenciation savamment étendue à chaque repère concevable de la figure, les parois étaient absolument lisses et unies. On eût dit des cristaux extrêmes où la disposition de chaque élément avait été méticuleusement calculée et vérifiée, de façon que même le hasard n’eût pu y introduire la moindre régularité, duplication en concordance. Une plus monstrueuse contradiction y attend le minéralogiste : l’intérieur du cristal n’est pas habité par la substance rigoureusement homogène, sans surprise, qu’il est assuré d’y trouver, mais par la gamme entière des imprévisibles merveilles des géodes. Plus superbes et, comme par défi, plus complexes que jamais. Elles viennent s’aplatir et disparaître après plusieurs strates intermédiaires de plus en plus rigides contre la surface nue, irréprochable du polyèdre. Aucun nom n’a encore triomphé, je crois, pour désigner sans équivoque ces volumes énigmatiques, ni aucune explication qui rende compte de façon irrécusable d’un rapprochement à ce point étroit et contre nature des deux états incompatibles de la matière solide. Aucune des théories avancées ne semble avoir fait l’unanimité des doctes.
Pour moi, je n’espère pas percer le secret de la conjonction impossible. J’ignore ce que j’admire le plus : la réunion intime des deux modes opposés des prodiges que peuvent offrir les minéraux : la structure du cristal et la féerie du spectacle intérieur ; ou cette autre conjugaison de la régularité avec une espèce de cristal qui a réussi à éliminer de son architecture la moindre symétrie — et qui pourtant demeure clos, complet, autonome. Microcosme étanche.
Rêves et spéculations naissent et renaissent sans fin de la double provocation miraculeuse. Les agates paradoxales, comme je les ai nommées, résument et comblent, pour moi, la capacité d’ouverture et de stimulation que j’ai constamment recherchée dans les objets-pièges. L’un après l’autre, ils apportaient à ma songerie des aperçus inédits qui la contraignaient à s’engager à l’improviste vers la fraîcheur et l’aventure. Ils m’ont lentement obligé à l’anabase qui, d’antagonisme en antagonisme, m’amène à celui-ci, situé sinon à l’origine du monde, en tout cas à celle de ses extrémités qui est la plus étrangère à ma propre espèce. Grâce à eux, je me trouve au pied de l’ultime cloison où je puisse atteindre, celle d’une première ligne de partage, décision minérale, impassible, à jamais référentielle. Elle est le contraire de nos émotions éphémères, comme de nos choix sans cesse à reconduire ou à reprendre. Et de notre condition d’un jour. C’est comme si cette sorte d’objets que j’ai retenus, cette sorte de pierres totales où m’ont conduit les pierres incomplètes, m’avaient aidé, comme quelque Petit Poucet, à retrouver mon chemin perdu, à m’affranchir par instants des limites d’un être précaire, membre interchangeable d’une espèce elle-même provisoire.