La dernière flèche

Njeddo Dewal ne s'était pas inquiétée tout de suite du temps que les enfants mettaient à retrouver le taurillon. Elle pensa qu'ils le ramèneraient le soir, en même temps que le reste du troupeau. Elle fut donc fort étonnée quand elle vit rentrer le troupeau sans le taurillon et sans les enfants et quand, de surcroît, elle constata que Blanchette était redevenue une génisse Comprenant ce qui s'était passé, elle hurla sa colère :

« Ô Bâgoumâwel, Bâgoumâwel ! Quelque chose me disait bien que la beauté de ce veau, surtout la beauté de ses yeux, n'avait rien de bovin. Mais j'ai été distraite, je me suis occupée à des riens, je n'ai pas voulu croire ce que mon instinct me suggérait. Et voilà qu'une fois de plus Bâgoumâwel m'a possédée !

« Il ne me reste plus qu'un pouvoir. C'est la dernière flèche de mon arc. Je vais la lancer, mais si elle manque Bâgoumâwel, elle se retournera pour me transpercer le coeur, et ce sera ma fin.

« Qu'est devenue ma vie... J'aurais dû m'apercevoir que le mal ne reçoit pour paiement qu'un mal plus grand encore. Mes fétiches, mes gris-gris, l'asservissement des esprits que j'ai réduits en esclavage, tout cela ne m'a servi à rien. J'ai amorcé la descente sur la pente glissante. Elle est si raide et si rapide que je ne sais comment faire pour ne pas être précipitée dans le gouffre qui s'ouvre à ses pieds (1). »

Pendant sept jours, Njeddo Dewal demeura prostrée, comme plongée dans un deuil sans fin. Mangeant peu et ne buvant presque pas, elle était à moitié vivante et à moitié morte.

Puis, sortant de cet état, elle passa à Faction. Elle n'avait plus qu'une dernière flèche à lancer contre Bâgoumâwel ? Eh bien, elle allait la lancer, et advienne que pourra! « Je suis comme un homme au ventre déchiré, se dit-elle. Peu lui importe que la récolte soit bonne ou mauvaise puisque, de toute façon, il ne pourra la manger. "

Njeddo se transforma alors en inondation. Ondulant avec une rapidité incroyable, elle envahit le pays de Heli et Yoyo, remplissant les trous et les cavernes de son eau fétide. Elle submergea les bosquets et les monticules, imbiba les murs en pisé, fit s'écrouler les cases. Elle recouvrit les prairies et noya les animaux qui y paissaient.

Le roi ordonna à toute la population de fuir et d'aller se réfugier au sommet des collines, heureusement nombreuses dans le pays. Puis, appelant Bâgoumâwel, il lui demanda ce qu'il pensait de cette inondation bizarre, que rien ne justifiait hors saison.

« C'est la dernière flèche que Njeddo Dewal lance contre Heli et Yoyo, répondit Bàgoumâwel. Tu as bien fait, ô Roi, de conseiller aux gens de fuir en emportant tout ce qui leur est précieux. »

Wâm'ndé, la mère de Bâgournâwel, entendit le grondement des eaux. Elle sortit précipitamment de sa case, laissant sur le foyer un tesson de canari dans lequel cuisait du salpêtre selon une recette héritée de son père Bâ-Wâm'ndé. Pourtant, son père lui avait bien recommandé de ne jamais abandonner cette substance lorsqu'elle la ferait cuire sur le feu, et cela quoi qu'il arrive.

1. Pour la première fois. Njeddo Dewal fait un retour sur elle-même et se livre à une réflexion lucide et salutaire. Cela illustre ce qui a été dit précédemment, à savoir qu'il y a toujours un grain de bien dans le mal et un grain de mal dans le bien. Quoi qu'il en soit., cet accès de conscience morale ne saurait durer chez Njeddo Dewal puisqu'elle a été créée pour accomplir le mal.

Voyant les flots progresser vers sa case, Wâm'ndé appela son fils :

« Taurillon du Wâlo, cria-t-elle, aide-moi, fais tout pour sauver ce salpêtre que je dois à unerecette de ton grand-père. Voilà l'inondation qui ondule vers ma case. Elle va éteindre le feu et faire fondre le salpêtre. Or nous ne devons le perdre à aucun prix. Si une telle chose se produisait, mon père m'a prédit que ce serait une catastrophe non seulement pour nous, mais pour tout le pays.

-    Ô maman! répondit Bâgournâwel, cette inondation que tu vois n'en est pas une. C'est Njeddo Dewal en personne qui se lance contre moi. Elle veut m'attirer en un lieu où elle ouvrira sa bouche infernale large comme une excavation afin que je m'y engouffre pour toujours. Et je crains fort que, pour cela, l'intérieur de ta case ne soit l'endroit idéal - elle pourra m'y avaler aussi facilement qu'un boa avale un lapin. Hors de cette case, la sorcière ne pourra rien contre moi, j'en suis sûr. Mais à l'intérieur, je serai totalement à sa merci, j'en suis tout aussi sûr.

-    Mon père, répliqua Wàm'ndé, m'a recommandé de ne jamais perdre ce salpêtre, fût-ce au péril de ma vie. Puisque tu risques de te faire avaler si tu pénètres dans la case, j'irai moi-même. Mieux vaut que je perde mon salpêtre, et même ma vie, plutôt que risquer de te perdre toi, dont la vie est si nécessaire à notre peuple. »

Et Wâm'ndé, sans crainte des conséquences de son acte, s'apprêta à retourner dans la case. Le temps d'un éclair, Bâgoumâwel pensa en lui-même :

« Un fils digne de ce nom peut-il assister sans réaction au sacrifice de sa mère ? Et puis, pour que ma mère tienne à ce salpêtre plus qu'à sa propre vie, il faut que sa valeur soit immense. Mieux vaut donc que Njeddo ait affaire à moi plutôt qu'à ma mère. Et ne serais-je pas le plus méprisable des enfants et le plus avorton des fils si je ne rachetais la vie de ma mère au prix de la mienne ?". Il se précipita pour arrêter Wâm'ndé, l'écartant avec douceur. « Reste là, lui dit-il gentiment, et prie pour moi. Je vais chercher ton salpêtre, même si je dois pour cela sacrifier ma vie. » Et joignant l'acte à la parole, animé d'une foi décuplée par l'amour filial, il pénétra dans la case (1).

Il se dirigea vers le foyer. Le tesson était posé sur trois pierres entre lesquelles brûlaient des morceaux de bois.

1. Tout l'enseignement du conte culmine dans cet épisode où Bàgoumâwel fait le sacrifice de sa vie pour sauver sa mère. Au sens moral., c'est l'amour de la mère et le sacrifice pour les siens qui est exalté. Au sens mystique. c'est l'occasion de montrer que la victoire spirituelle passe toujours par le sacrifice de soi, le renoncement, le dépouillement. En effet., c'est précisément ce geste de Bâgoumàwel qui entraînera la défaite définitive de Njeddo Dewal.

Se retournant, il s'aperçut que l'inondation l'avait rejoint et que la « tête de l'eau » pénétrait après lui dans la maison. Il se hâta de soulever le tesson de canari dans lequel le salpêtre était maintenant cuit à point.

L'eau envahit la case et éteignit le feu. Bagoumâwel, tenant assez haut le tesson, s'apprêtait à sortir lorsqu'il sentit des sortes de tentacules s'enrouler autour de ses jambes. Il en émanait une matière gluante qui essayait de se répandre sur tout son corps. Il se secoua avec force pour se dégager et essayer de rejoindre la porte. Immédiatement, le niveau de l'eau monta, atteignit sa poitrine. Bâgoumâwel ne bougea plus. Il resta calme, attentif, car il se doutait qu'avant longtemps Njeddo Dewal lui apparaîtrait, sous une forme ou sous une autre.

Au moment même où il formulait cette pensée, l'eau s'agita comme si elle entrait en ébullition. Elle prit la forme d'une grosse tête munie de sept oreilles et de trois yeux, dont un au beau milieu du front (1). La tête monstrueuse ouvrit une bouche aussi large qu'un gouffre. Elle dit:

« Ô Bâgoumâwel ! Sache que le plus vaillant des guerriers, fût-il couvert de mille victoires, peut tomber un jour sur le champ de bataille. Ce sera ton cas aujourd'hui. Tu as toujours triomphé de moi. Les jours d'antan ont été des jours de victoire pour toi et de deuil pour moi. Mais ils sont maintenant révolus, tombés dans l'oubli du passé. Ce jour est celui de ma revanche. Il ne me reste plus qu'à tendre la main pour la cueillir. Elle effacera de ma mémoire, comme de celle des hommes, le souvenir des jours fâcheux qui ont vu mes nombreuses défaites. Aujourd'hui, je suis comme un boa, et toi comme un lièvre à ma merci. Je vais enduire ton corps de matière gluante afin de t'avaler sans difficulté.

Mais auparavant je vais t'immobiliser, réduire à néant ton énergie, et c'est les yeux grands ouverts que tu verras la profondeur de ma bouche dans laquelle, impuissant, tu vas sombrer comme dans une nuit obscure qui ne serait suivie d'aucune aurore brillante. »

Et Njeddo ouvrit grandement ses trois yeux et le gouffre de sa bouche, d'une profondeur sans fin. Au moment où elle s'apprêtait à avaler Bâgoumâwei, elle ne put résister au plaisir d'ajouter: < Ô Bâgoumâwel ! Je savais que le jour où je me transformerais en inondation pour envahir ton pays serait le jour de ton trépas. C'est donc aujourd'hui que tu vas mourir !» Instinctivement, comme inspiré par l'esprit de son grand-père Bâ-Wâm'ndé, Bâgoumâwel jeta dans les yeux et dans la bouche de Njeddo le salpêtre contenu dans le tesson qu'il tenait encore à la main. La mégère hurla.

1. 7 oreilles et 3 yeux : parvenue au terme de ce long combat, dont elle croit la victoire assurée, Njeddo Dewal se montre à Bâgoumâwel sous son vrai visage., celui avec lequel elle a été créée ; autrement dit, elle montre sa vraie réalité.

Son cri se répercuta comme un puissant roulement de tonnerre. « Oh ! oh ! se lamentait-elle... Aujourd'hui où j'ai cru vaincre Bâgoumâwel, hélas, c'est lui qui me vainc définitivement, car le salpêtre de Bâ-Wâm'ndé qu'il a lancé dans mes yeux et dans ma bouche est un poison sans antidote qui entraÎnera inéluctablement ma mort. »

Dès que le tonnerre des cris poussés par la grande sorcière cessa de retentir, l'inondation disparut et Njeddo Dewal reprit sa forme habituelle; mais c'était une Njeddo devenue aveugle et muette. Affolée, courant de tous côtés, elle butait contre les obstacles tombait, se relevait et reprenait sa course désordonnée. Pour finir, trébuchante, elle alla s'affaler sur la pointe aiguë d'une souche de bois aussi dure que du métal trempé, et s'y empala (1). Son ventre fut déchiré et tout l'intérieur de son corps - intestins, foie, pancréas, poumons, coeur -se répandit sur le sol. Ainsi périt l'incarnation du mal, Njeddo Dewal, mère de la calamité.

Au même instant, l'obscurité profonde qui avait submergé le pays se dissipa. Au coucher du soleil, on vit, Ô merveille, la multitude des

étoiles faire une ronde autour des vingt-huit étoiles majeures ! Fait inouï, celles-ci étaient apparues toutes en même temps dans le ciel. Elles scintillaient comme une couronne autour des douze grands signes zodiacaux qui eux-mêmes encerclaient les sept astres assemblés (2) - (87).

Sur la terre, les arbres fruitiers et les plantes médicinales de la haute brousse, auparavant desséchés, reverdirent comme en un début d'hivernage. Tout ce qui était devenu maigre ou squelettique engraissa instantanément. Les céréales remplirent à nouveau les champs. Le lait redevint abondant. Au fil des jours, chaque traite, chaque récolte, chaque cueillette fut meilleure que la précédente.

Le pays tout entier se revivifia, car le mauvais sort dont Njeddo Dewal l'avait frappé s'était évanoui à l'instant même où la grande sorcière avait cessé de vivre.

Chacun redevint joyeux. Les rires remplacèrent les pleurs. Le peuple remercia Guéno et rendit hommage à celui qui avait été l'agent de son bonheur retrouvé : Bâgoumâwel, le taurillon du Wâlo. Car toute chose a une cause, et jamais l'homme sage ne méprisera ou n'oubliera la cause.

1.    Curieuse rencontre avec le mythe occidental du vampire qui veut que celui-ci ne puisse trouver la mort que le ventre traversé par un pieu de bois.

2.    Ici, les 28 étoiles (voir note 87) apparaissent toutes en même temps ainsi que les 7 astres et les 12 signes du Zodiaque, entourées de la multitude des étoiles du firmament.. comme si la totalité du temps et de l'espace était rassemblée en cet instant où toute obscurité est abolie. La scène se passe dans un autre temps que le temps humain habituel.

Après la disparition du principe du mal, la nature retrouve son innocence première. Une expression peule dit On est retourné au point de départ... »

Là où m'a trouvé le conte de Njeddo Dewal, là il me laisse. Quant à lui, il poursuit sa route sur l'aile du temps vers des lendemains qui ne cesseront de se renouveler, vers de nouvelles oreilles qui ne cesseront d'écouter, vers dejuvéniles intelligences qui ne cesseront d'interpréter, d'adapter et de mettre en pratique (1).

Ainsi marche la vie, à petits pas ou rapidement, à la rencontre de la mort qui, elle aussi, s'approche à petits pas, ou plus rapidement.

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1. Mettre en pratique : littéralement., - imiter , le conte, c'est-à-dire méditer sur les comportements des divers personnages afin d'en tirer leçon et d'y puiser un modèle.

NOTES

Toutes les notes de cet ouvrage ont été soit écrites par A.H.Bâ luimême (grands développements des notes annexes et indications symboliques), soit dictées par lui au fur et à mesure de notre lecture cri commun du texte (entre autres, signification spirituelle des différents épisodes du conte). H. Heckmann.

1. Mythe de la création et généalogie mythique

Ce mythe de la création est commun à presque toutes les ethnies de la savane en Afrique occidentale (ancien Bafour), avec des variantes suivant les ethnies, les régions ou les conteurs, selon qu'ils veulent mettre l'accent sur tel ou tel aspect de la création. Il figure ici sous une forme condensée.

Peul    Bambara

Guéno Mâ-n'gala

L'Éternel (Dieu)

Lu ne Soleil

Temps temporel divin OEuf

Homme primordial Premier homme terrestre Son épouse

« Chacun pour soi »

« Fourche de la route "

« Vieil homme »

" Petite Vieille chenue "

Lewrou    Kalo

Nâ'ngué    Tlé

Doumounna Tourna Botchio'ndé    Fan

Neddo    Mil

KîkalaMâfolo (ou Mâkoro)

Nâgara Moussofolo (Moussokoro)

Habana-koel Bébiyéréyé Tcheli Sirafara Gorko-mawdo Tché koroba Dewel-Nayewel Moussokoronin koundjé

Les Peuls possèdent par ailleurs un mythe de la création qui leur est spécifique, fondé sur le symbolisme du lait, du beurre et du bovin. Mais à l'époque où ils furent vaincus par Soundiata Keïta (fondateur de l'empire du Mandé, ou Mali) et déportés du Nord au Sud, ils s'incrustèrent si bien dans le système culturel du Mandé qu'ils adoptèrent une partie de sa cosmogonie, à quelques variantes près, au point qu'il n'est plus possible de faire le départ entre les cosmogonies peule ou bambara. Les personnages clés du mythe appartiennent désormais à l'une et l'autre culture,

Pour mieux s'intégrer à la société, les Peuls adoptèrent également quatre noms de clan (diamu en bambara, yettore en peul) afin de se conformer au système quaternaire du Mandé. Les quatre clans peuls sont donc des emprunts. A l'origine, les Peuls n'avaient que des noms de tribu : les Bâ, par exemple, sont en fait des Wouroubé, Plus on s'écarte vers l'est de la zone culturelle du Mandé et du delta nigérien, moins on trouvera de Peuls portant un yettore ; ils porteront le nom de leur tribu.

La notion de « vide vivant » ou de « vide sans commencement » qui figure dans le mythe (et qui n'est pas sans évoquer des notions métaphysiques existant ailleurs, notamment en Extrême-Orient) est très courante dans la tradition peule. Guéno est un Être incréé, sans corporéité ni matérialité aucune (d'où l'idée de vacuité), mais il est en même temps source et principe de toute vie. La tradition distingue deux sortes de vie : la vie éternelle, principielle, propre à Guéno seul -puis la vie contingente, propre à tous les êtres créés (même les êtres supérieurs des mondes subtils). La vie sortie de Oeuf primordial est une vie contingente. Comme telle, elle suit la loi de cause à effet.

Notons qu'en bambara le mot fan (oeuf) signifie également « forge ". Le forgeron, considéré comme le Premier fils de la terre, transforme la matière pour créer des objets. Il est donc le premier imitateur de la Création originelle. Son atelier est le reflet de la grande forge cosmique. Tous les objets y sont symboliques et tous les gestes qu'il y accomplit sont rituels.

La Tradition considère qu'il y a plusieurs sortes de temps d'abord le « Temps infini intemporel », en fait l'Éternité sans commencement ni fin, demeure de Guéno ; ensuite le " Temps temporel divin » (Doumounnâ) qui couve l'Oeuf primordial; enfin le temps temporel humain (heures, jours, semaines, etc.) qui sort de l'Oeuf. Nous n'avons pas donné la succession des éléments qui naissent de l'Oeuf afin de ne pas alourdir le texte.

Comme on peut le voir dans la généalogie qui descend de l'Homme primordial (Neddo), à un certain moment l'unité est rompue. Deux voies apparaissent: celle du Bien avec le « Vieil Homme », et celle du Mal, du désordre, de l'anarchie avec la « Petite Vieille chenue ». La lutte entre le bien et le mal est monnaie courante dans les récits de la tradition africaine, et par souci moral on fait toujours triompher le bien ; en fait, les deux principes sont inséparables et considérés comme tellement unis qu'ils constituent l'endroit et l'envers d'un même rond de paille.

L'homme étant le point de rencontre de toutes les influences et de toutes les forces (en tant que résumé des vingt premiers êtres et réceptacle de l'étincelle divine), le bien et le mal sont en lui. C'est son comportement qui fera apparaître l'un ou l'autre. L'initiation va consister, précisément, à remonter en soi-même chaque degré de cette généalogie mythique afin de réintégrer l'état du Neddo Primordial, interlocuteur de Guéno et gérant de la Création, qui demeure latent en chacun.

Neddo, c'est l'homme pur, idéal, Le comportement parfait s'appelle neddakou, c'est-à-dire ce qui fait un homme dans tous les sens du terme : noblesse, courage, magnanimité, serviabilité, désintéressement. Précisons que la notion de Neddo recouvre à la fois l'homme et la femme, car on dit que Neddo contient en lui à la fois le masculin (babba: père) et le féminin (inna: mère), respectivement associés au Ciel et à la Terre. L'état de neddakou, c'est l'état d'humanité par-faite, à la fois masculine et féminine. L'iinitiation, dont on parle souvent dans cet ouvrage, peut s'entendre de deux façons qui, en fait, se complètent : il y a l'initiation reçue de l'extérieur et celle qui s'accomplit en soi-même..

L'initiation extérieure, c'est l'« ouverture des yeux », c'est-à-dire tout l'enseignement qui est donné au cours des cérémonies traditionnelles ou des périodes de retraite qui les suivent. Mais cet enseignement, il faudra ensuite le vivre, l'assimiler, le faire fructifier en y ajoutant ses observations personnelles, sa compréhension, son expérience. En fait, l'initiation se poursuit tout au long de la vie. Un adage peul dit: -L'initiation commence en entrant dans le parc, elle finit dans la tombe.

2.    Nelbi(sunsun en bambara)- diospyros mespiliformis: arbre fruitier aux vertus médicinales. C'est l'arbre sacré des Peuls, associé aux activités masculines ; le bâton du berger est toujours tiré d'une branche de cet arbre. Le kelli, autre arbre sacré, est en relation avec les activités féminines.

Dans la tradition africaine, il y a quatre bâtons : le bâton du berger, le bâton du commandement, le bâton de la sagesse et le bâton de la vieillesse.

3.    Hexagramme : figure composée de deux triangles équilatéraux qui s'interpénètrent, l'un orienté vers le haut (ciel), l'autre orienté vers le bas (terre). L'ensemble constitue une étoile à six pointes. L'entrecroisement des lignes forme six alvéoles périphériques et un alvéole (ou case) central, appelé " nombril » ou « coeur » de l'hexagramme.

Le nom peul pour hexagramme est faddunde ndaw (de faddaade : protéger, et de ndaw: autruche). On dit que l'autruche, avant de pondre, décrit en dansant la figure d'un hexagramme sur le sol, puis vient pondre au milieu de ce signe. Par analogie, lorsqu'un campement peul doit s'installer, le chef du convoi reproduit ce signe, à cheval ou à pied, autour du campement. Les silatiguis (initiés peuls, voir notes 5 et 16) l'utilisent aussi en divination.

Pour les Peuls et les Bambaras, c'est une figure de grande protection. Elle symbolise l'univers. Le triangle dont la pointe est en haut représente le feu et celui dont la pointe est en bas représente l'eau. Les six pointes représentent les quatre directions cardinales, plus le zénith et le nadir. Les sept alvéoles représentent, entre autres, les sept jours de la semaine ; les douze angles les douze mois de l'année.

L'hexagramme est un symbole ésotérique ou religieux universel. La tradition hindoue y voit l'image de la hiérogamie fondamentale, l'union du dieu Siva et de sa dimension féminine Shakti. Dans la tradition judéo-chrétienne, on l'appelle « étoile de David » ou « sceau de Salomon ». En ésotérie musulmane, l'hexagramme est considéré comme la graphie géométrique du grand nom de Dieu : Allâh. La dernière lettre, le « hâ » (dont la forme stylisée est celle d'un triangle), sert à former le triangle montant, dit « triangle de la ferveur ». Les éléments verticaux des trois autres lettres (alif-lam-lam) servent à former le triangle descendant, ou « triangle de la Miséricorde divine ». Pour l'initié musulman, l'hexagramme n'est donc pas considéré comme un symbole exclusivement hébraïque, mais comme un symbole éternel figurant l'union de la terre et du ciel, autrement dit de l'âme contingente et du Dieu transcendant.

4.    Le crâne : l'école de Korê (tradition mandingue particulièrement conservée chez les Bambaras) a étudié les os de la tête et donné un nom à chacun d'entre eux, de même que les traditionalistes peuls du Djèri (Sénégal) rattachés au culte de Dialan. Ces derniers connaissent un rite d'invocation du crâne qui permet de prédire l'avenir. Le crâne y est considéré comme l'agent récepteur des forces célestes. Parmi tous les crânes, celui de l'homme est censé être le meilleur agent pour la réception et la transmission de ces forces. Les crânes des chefs ou des hommes de grande réputation sont conservés non seulement à titre de trophée, mais aussi en tant qu'agents propres à transmettre aux vivants les vertus de ces grands hommes disparus. Ces quelques indications permettront de mieux comprendre la fonction essentielle que remplira le « crâne sacré » tout au long de ce conte.

Selon l'enseignement bambara du " Komo, notamment celui de Dibi de Koulikoro (rive gauche du Niger en aval de Bamako), le corps de l'homme comprend sept centres répartis entre le sommet de la tête et le fondement du corps. Le crâne est considéré comme le « centre-chef », les six autres centres se succédant à partir du front - on ne peut s'empêcher de penser aux sept chakras, ou centres d'énergie, que la tradition hindoue situe également sur le corps de l'homme, du sommet de la tête à la base de la colonne vertébrale.

Sur les autels initiatiques africains, on trouve un certain nombre de vases en poterie: trois, cinq ou sept. Lorsqu'il y en a sept, ils figurent les sept centres du corps. Dans le vase représentant le crâne, on place quatre « pierres de tonnerre " : celles-ci symbolisent le feu céleste descendu sur la terre pour buriner, dans les êtres qui la peuplent, l'intelligence et la force émanée de Mà-n'gala (Dieu).

Dans une autre perspective, le crâne est assimilé à l'oeuf cosmique, lequel contenait potentiellement toutes choses avant la création du monde contingent. En tant que tel, le crâne symbolise alors la matrice du savoir.

Dans la tradition peule, les neuf os principaux du crâne sont comme les neuf voies de l'initiation. La neuvième n'est pas visible, de même que le - un " qui n'est pas considéré comme un nombre car il est l'Unité inconnaissable et indéterminée. Le secret de la connaissance de cet os est lié au secret de l'Unité, fondamentale et indivisible.

5.    Connaisseurs : en bambara, on distingue le soma et le doma, le second étant supérieur au premier. Le soma, par exemple, connaîtra simplement les diverses catégories de plantes, de minéraux, etc., tandis que le doma saura diagnostiquer la maladie et prescrire les plantes appropriées. Quand il s'agit d'application, le soma se réfère au doma.

Chez les Peuls, le gando est à la fois un soma et un doma. Le silatigi (dans la transcription courante, le mot a été orthographié « silatigui » pour en faciliter la prononciation) est toujours un gando, mais il est plus élevé que ce dernier dans la hiérarchie de l'initiation. Le titre de silatigui désigne un degré dans l'initiation, ce qu'ailleurs on appellerait « Grand Maître ». (cf. note 16).

6.    Nénuphar: Dans le Mandé, la fleur du nénuphar symbolise la vierge qui attend d'être fécondée. A ce titre, elle est comparée à une coupe cosmique prête à être remplie. Les premières pluies de l'année sont considérées comme une semence céleste qui vient remplir cette coupe. Pour les Peuls et certaines sectes des religions mandingues, la fleur symbolise l'amour; elle a une analogie étroite avec la conception. Les Peuls et les Dogons considèrent les fleurs de nénuphar comme symbole du lait maternel ; aussi emploient-ils les feuilles de cette plante en vue d'aider les mères qui allaitent à avoir beaucoup de lait. Ils procèdent de même pour les femelles des animaux. Le nénuphar symbolise également la naissance pure et la moralité exempte de tache.

La légende peule fait invoquer aux silatiguis le « nénuphar des ancêtres » dont les semences ont été apportées d'Égypte par des diasporas anciennes. Les femmes de Heli et Yoyo portaient au cou une guirlande de fleurs de nénuphar et ornaient les tresses de leurs cheveux avec cette fleur.

7.    Fromagers, baobabs et caïlcédrats : les notes concernant la signification de ces arbres, comme de certains autres végétaux ou animaux cités dans cette description, figurent au fil du récit, lorsque l'un de ces éléments y apparaît.

8.    L'eau, cet élément-mère sans âme : les quatre « élémentsmères , sont l'eau, le feu, l'air et la terre. Leur combinaison est censée avoir donné naissance à tous les êtres contingents. L'expression « sans âme " ne vaut que par comparaison avec I'âme de l'homme, car, pour la tradition africaine, tout a une âme : il y a une âme du minéral, une âme du végétai et une âme de J'animal. C'est ce qu'on appelle « les trois âmes ", chaque règne ayant une âme unique. L'exemple de l'électricité peut aider à comprendre cette notion d'âme unique : que le courant passe dans une lampe de 25 watts ou dans une lampe de 2 000 watts, c'est toujours la même électricité. Seule la puissance du réceptacle diffère. L'homme est à part car il a reçu en héritage d'être l'interlocuteur de Guéno (ou de Mâ-n'gala). Condensé en miniature de tout ce qui existe dans l'univers, animé par le souffle divin, il est à la fois le gérant et le garant, au nom de Guéno, de toute la création. D'où sa responsabilité.

9.    Fleuve : les fleuves sont des symboles de l'initiation ellemême, qui mène le néophyte jusqu'à la connaissance et à la sagesse. Le fleuve mène à la mer salée, réservoir de la connaissance. Chaque fois que le but mentionné est associé au sel, cela signifie qu'il y a là une grande initiation.

10.    Le pars septénaire : en fait, tout ce conte est sous la marque du nombre sept, à commencer par le nom même de Njeddo Dewal qui signifie « la femme septénaire ".

Le nombre sept est un nombre majeur dans beaucoup de traditions, avec le un et le trois. Les nombres impairs, dits « masculins », sont censés être plus « chargés " que les nombres pairs, dits « féminins ». Le nombre sept est lié à la notion de cycles répétitifs, donc à la notion de temps. Les Peuls disent : « Tous les sept ans. " En Islam, les multiples de 7 (70, 7 000, 70 000) symbolisent une très grande quantité, voire quelque chose d'incommensurable. Notons que la Fatiha, premier chapitre du Coran et prière canonique de base, est composée de sept versets, tout comme le Pater chrétien.

Dans la tradition peule, comme dans la tradition bambara, chacune des sept ouvertures de la tête (la bouche, les deux yeux, les deux narines, les deux oreilles) est la porte d'entrée d'un état d'être, d'un monde intérieur, et est gardée par une divinité particulière. Chaque porte donne accès à une nouvelle porte intérieure, et cela à l'infini. Ces sept ouvertures de la tête sont en rapport avec les sept degrés de l'initiation.

11.    Tamarinier: cet arbre aux vertus purgatives est à la base de la médecine africaine - ses divers éléments interviennent dans presque tous les médicaments traditionnels. Arbre sacré des traditions bambaras du N'domo et du Korê, il symbolise la multiplicité et le renouvellement. Ses racines symbolisent la longévité. Quand un homme est gravement malade, on lui dit : " Saisis bien les racines du tamarinier ». " Saisir les racines du tamarinier », c'est triompher de la maladie.

12.    Poule-mâle : coq. En Afrique noire, le coq est l'animal sacrificiel par excellence. On l'immole pour les dieux ou pour l'hôte que l'on veut honorer. Parce qu'il annonce la lumière du nouveau jour, les Peuls l'appellent le,, muezzin des animaux ». Il symbolise l'éveil de l'esprit. Sa voix indique le chemin qui mène à la lumière de Guéno. Toutes les parties du corps du coq entrent dans les usages magiques des traditions africaines car il est très bénéfique. Son ergot symbolise l'arme du héros vainqueur de ses ennemis. C'est grâce à un ergot de coq magiquement travaillé que Soundiata, le héros du Mandé, triompha de son ennemi Soumangourou. Dans la tradition peule, le coq est rattaché au secret ésotérique (cf. Kaïdara).

13.    Boeuf : pour les Peuls, l'élevage n'avait pas de but économique. Le Peul considérait le bovidé comme son parent, son frère. Il ne le tuait pas, ne le vendait pas, ne le mangeait pas. Il consommait son lait et son beurre et les échangeait pour obtenir d'autres produits de base. A la limite, pour les Peuls pasteurs de jadis, on pouvait parler de bolâtrie. Pour plus d'information sur le culte du bovidé et la fonction symbolique de celui-ci chez les Peuls, nous renvoyons à notre ouvrage Koumen.

14.    Salomon: dans leurs légendes et leurs traditions historiques, les Peuls font constamment allusion aux événements de l'époque du Prophète Salomon qui apparaît toujours comme un Maître et la source de certaines initiations. En outre, les Peuls appellent la Reine de Saba -" Tante Balqis ". Certaines théories sur les origines des Peuls leur donnent une parenté ethnique lointaine avec les Hébreux, d'autres avec les Arabes. Dans leurs propres légendes, ils se déclarent « venus de l'Orient » (cf. L'Éclat de la grande étoile, p. 51. Voir aussi fin de note 6). D'autres théories, tirées d'une étude linguistique, les font remonter à l'Inde proto-dravidienne (cf. La Question peule, d'Alain Anselin, Karthala). Quoi qu'il en soit, les gravures rupestres relevées par Henri Lhote dans les grottes du Tassili attestent de leur présence en Afrique depuis au moins 3 000 ans avant J.-C. (Voir aussi Amkoullel l'enfant peul, pp. 18-19 - collection Babel pp. 20 à 22.)

15.    Description de Heli et Yoyo : cette description soulève beaucoup de questions. On y voit en effet que si les Peuls sont bien « possesseurs de grands troupeaux >, ils habitent cependant dans des villages ou même de grandes cités, et qu'ils ont des demeures « plus belles les unes que les autres », ce qui ne correspond guère au caractère essentiellement nomade de ce peuple dont il est dit, à la page suivante, que « rien ne le retient nulle part » et qu'il est « plus vagabond que le cyclone ». Certes, les Peuls se fixent auprès de certains villages pendant la saison sèche, mais leur habitat, généralement constitué de précaires cases de paille, est toujours situé à l'écart des limites du village et l'on ne saurait dire que cela constitue une véritable sédentarisation. La fondation de certains empires entraîna la création de villes et de villages, mais c'est là un phénomène relativement récent dans l'histoire des Peuls.

Faut-il conclure de ce récit que, dans un très lointain passé, les Peuls vécurent dans un pays inconnu un autre genre de vie et que la nomadisation lui fut postérieure ? Ou faut-il voir dans cette description une influence des traditions propres aux peuples du Mandé avec lesquels les Peuls vécurent en relative symbiose (cf. note 1) ? Derrière les emprunts et les influences réciproques qu'il est difficile aujourd'hui de démêler, il reste que le peuple peul se souvient d'un lointain et terrible cataclysme qui l'a chassé d'un pays merveilleux où non seulement les hommes vivaient heureux et accomplis, mais où ils avaient atteint un haut degré de connaissance et de savoir-faire. On dit : « La seule chose que les Peuls de Heli et Yoyo ne pouvaient pas faire, c'était de faire marcher un cheval sur un mur ou de pencher un puits pour y boire comme dans un verre ! » Mythe ou réalité, ou mélange des deux, ce récit évoque aussi le mythe de l'âge d'or ou du paradis perdu, qui est commun à presque toutes les traditions du monde.

16.    Silatigui: Le silatigui est le grand maître initié des Peuls pasteurs. Chef spirituel de la communauté, il est le maître des secrets pastoraux et des mystères de la brousse. Généralement doté d'une connaissance supranormale, il préside aux cérémonies et prend les décisions pour tout ce qui concerne la transhumance. la santé et la fécondité du bétail. Il représente le stade suprême de l'initiation. Tout berger initié rêve de devenir un jour silatigui. Kournen est le texte initiatique qui décrit les étapes suivies par Silé Sadio pour devenir silatigui. Dans L'Éclat de la grande étoile, récit postérieur à Kaïdara, Bâgoumâwel (qui intervient dans le présent conte sous l'aspect d'un jeune garçon) sera la figure du silatigui exemplaire, maître initiateur d'un roi.

Chez les Peuls traditionnels de jadis, essentiellement nomades. le commandement spirituel et temporel se trouvait entre les mains des silatiguis. Les arbe (sing. ardo) ou guides du troupeau. étaient désignés chaque jour par les silatiguis en fonction des augures. Peu à peu, surtout avec les conquêtes et la sédentarisation relative qu'elles entraînaient, le commandement passa aux mains des arbe qui devinrent chefs et rois temporels, les silatiguis ne conservant que leur fonction d'initiés et de maîtres initiateurs. Cependant, on connut encore certains cas où l'ardo chef de village fut en même temps silatigui : celui d'Ardo Dembo, par exemple. du village de Ndilla, cercle de Linguère (Sénégal), à qui je dois mon initiation pastorale et le texte de Kournen.

17.    Chat noir, bouc noir: S'agissant ici d'une création porteuse de malheur et de calamités, c'est le noir, couleur des ténèbres où la sorcellerie s'exerce de préférence, qui domine. Le chat et le boue, considérés comme particulièrement " chargés " parce que récepteurs de forces, figurent dans beaucoup de traditions. Les fétiches les plus actifs sont conservés dans des peaux de chat noir ou dans des peaux de boue. On sacrifie d'ailleurs le bouc plus souvent que le taureau. Jadis, chaque village de la boucle du Niger avait son bouc qui vaquait à sa guise en tous lieux. Censé recevoir tous les malheurs qui devaient frapper le village, il en était considéré comme le gardien et le protecteur. Le symbolisme du bouc est également en rapport avec la puissance génésique (voir Kaïdara).

18.    La tortue est considérée comme l'un des premiers animaux de la création. Symbole de longévité et de durée, elle est

aussi symbole de protection en raison de la carapace sous laquelle elle peut se retirer tout entière. Ici, le fait de vivre au sein des mers lui donne en plus une fonction de vitalité, car l'eau est considérée comme source de la vie.

19.    L'oeuf est un symbole de vie car, après l'eau, toute vie vient de l'oeuf Même les graines de végétaux sont considérées comme des oeufs. Ne dit-on pas : " la fleur a éclos... » ?

20.    Un vieux caïman : le caïman est, lui aussi, un symbole d'ancienneté et de longévité. Ne pas oublier qu'en Afrique tout ce qui est vieux, ancien, est chargé de nyama, de puissance occulte, en tant que réceptacle d'une force émanée du Dieu créateur, lequel est l' " Ancien » par excellence. C'est donc un peu de la force divine elle-même (sous son aspect de durée et de pérennité) qui se retrouve dans tout ce qui est vieux, en raison de la loi de correspondance analogique qui prévaut dans la pensée africaine. Nous employons le terme -: symbole » faute de mieux, mais il ne s'agit pas ici d'un symbolisme abstrait ou purement intellectuel ; il s'agit d'une correspondance concrète ou, si l'on veut, d'une manifestation de l'un des aspects de la force divine originelle (durée, vitalité, puissance, etc.) à travers un réceptacle, les degrés d'intensité de cette manifestation variant selon la nature des réceptacles.

21.    7 oreilles et 3 yeux : les sept oreilles sont l'une des manifestations de la loi du septénaire qui marque toute l'existence de Njeddo Dewal. Le troisième ceil est frontal et destiné à la vue intérieure. On l'appelle l'« oeil du connaisseur » ou l'« oeil du sorcier », car cette connaissance, neutre en elle-même, peut mener au bien comme au mal, selon l'utilisation que l'on en fait.

22.    Scorpion : en symbolisme diurne (positif) il incarne l'abnégation et le sacrifice maternel (et non « paternel » comme il avait été imprimé par erreur dans la première édition de

Kaydara par les ex-NEA d'Abidjan). On dit en effet que les petits du scorpion femelle labourent ses flancs et mangent ses entrailles avant de naître.

En symbolisme nocturne (négatif), le scorpion incarne l'esprit belliqueux, de méchante humeur, toujours embusqué et qui n'apparaît que pour piquer et parfois donner la mort. On évite en général de prononcer son nom car il est maléfique.

Ses huit pattes, ses deux pinces et sa queue symbolisent les onze forces qui constituent tout un thème d'études ésotériques.

On voit souvent, dans des cases mandingues ou bambaras, voire peules, des scorpions noirs suspendus à l'entrée du vestibule ou de la pièce réservée aux cérémonies funéraires. L'animal symbolise alors l'esprit conjuratoire contre le mal lié à la nuit et les entreprises des vampires nocturnes.

23.    Les éléphants, les vautours, les baobabs et les montagnes sont par excellence des symboles d'ancienneté. Dans L'Eclat (p.43), on cite le " conseil du baobab », assemblée secrète que tiennent chaque année le vautour-ancêtre, l'éléphant et le baobab pour examiner ensemble les événements passés et à venir. Seul le silatigui Bâgoumâwel a pu assister à ce conseil interdit aux hommes et recevoir l'initiation de ces trois ancêtres des vivants.

24.    Que la pluie dessèche et que la chaleur reverdit : cette inversion des phénomènes est fréquente dans les contes. Elle indique que l'on se trouve dans un autre monde, auquel les lois matérielles ne s'appliquent pas. Elle est souvent citée lorsqu'il s'agit de grands initiés (cf. Bâgoumâwel dans L'Éclat) ou de grands magiciens.

25.    Le roi: dans la société traditionnelle, les fonctions de roi (ou de chef) n'étaient pas totalitaires et ne donnaient pas tous les droits. Les rois devaient compter avec la puissance des chefs spirituels traditionnels, véritables maîtres des décisions dans leur domaine propre (« Maître de la terre », « Maître du couteaù " ou sacrificateur, silatigui peul, etc.). En outre, ils étaient astreints à des interdits très stricts.

26.    22, 56 : Chez les Peuls (comme en Islam), les nombres 11 . 22 et 56 sont des nombres forts, d'une très grande fonction symbolique.

27.    L'étoile maléfique : l'apparition d'une étoile est toujours un signe soit négatif (comme c'est le cas ici), soit positif, comme plus loin dans le conte lorsqu'une étoile annoncera et précédera la conception de Bàgoumâwel. Que l'étoile demeure visible longtemps ou disparaisse rapidement, elle est toujours très chargée de signification.

28.    Fin de la prédiction : cette description d'une société arrivée à son déclin est à rapprocher des descriptions du même genre qui existent dans d'autres traditions, notamment en Islam. Dans tous les cas il s'agit d'une fin de cycle où toutes les valeurs s'inversent, puis la société connaît une grande calamité avant de repartir sur des bases nouvelles.

29.    Le sa est sacré car il est le véhicule de la vie. Quand un homme perd son sang, il perd d'abord sa vitalité, puis sa vie même. Dans les sacrifices traditionnels, les dieux sont censés ne demander que le sang des victimes, non leur chair qui est ensuite utilisée par les hommes. En absorbant cet élément vital, Njeddo Dewal renforce son propre sang et marque sa qualité de sorcière, car on dit que les sorcières « sucent le sang des jeunes gens pour se revigorer ».

30.    La biche : à notre connaissance, la biche ne joue pas un très grand rôle dans les traditions africaines de la savane. Elle ne semble pas être un animal sacrificiel notoire. Notons cependant qu'il existe un masque bambara portant le nom de sogonikun : « tète de gibier », par extension K biche ». Dans la tradition peule, la biche symbolise la sveltesse et, par analogie, la belle femme. Voir une biche en songe est interprété comme un signe de joie, et la voir avec ses petits un présage de prospérité. Il existe une variété de biche appelée Kbiche naine » (oomre en peul) dont les cornes et la tète servent à fabriquer des talismans. Elle est considérée comme très chargée de nyama, ou puissance occulte.

31.    Ne pas Are doublée d'une co-épouse : l'adage dit : « Celui qui " double " une femme parfaite ne pourra ni dormir ni siester et souffrira de cent onze indispositions, car ses ancêtres viendront le tourmenter. " Les quatre qualités de la femme parfaite sont : être une femme bonne, une femme belle, une bonne mère et une femme d'amour.

32.    Aga Nouttiôrou * littéralement, « berger pinceur ». Cela peut signifier qu'il avait pour petite manie de pincer les enfants ou ses élèves. Nouttiôrou signifie aussi « qui fouine un peu » ; c'était donc un homme qui « pinçait », ou « prenait », un peu de toutes les connaissances.

33.    Le grand fétiche peul : on entend par fétiche un objet qui a été rituellement « chargé » pour devenir le support d'une force.

Un tel objet devient l'outil, le véhicule de la force d'un esprit ou d'un dieu - lequel n'est lui-même qu'une émanation de la force primordiale du Dieu suprême, unique créateur de toutes choses.

Il s'agit ici, comme on le verra plus loin, de l'un des 28 dieux du panthéon peul, dont la force est ainsi asservie et emprisonnée par Njeddo Dewal pour servir ses entreprises destructrices. En principe, chacun des 28 dieux lares peuls (cf. note 53) possède un tel support qui sert aussi pour les sacrifices, en général de lait et de beurre, car les sacrifices sont rarement sanglants chez les Peuls. Guéno et Kaïdara sont les seuls à ne pas posséder de « fétiche » ; toutefois, le fait de brûler des parfums et des plantes entre dans tous les rites.

34.    La sauterelle est en général considérée comme symbole de fléau et de destruction. Ici, elle est présentée sous son aspect hybride, réalisant une sorte de symbiose de plusieurs animaux. Elle a, dit-on, une tête de cheval, des cornes et des yeux de gazelle, un cou de taureau, une poitrine de caïman ou de scorpion, un abdomen de ver, des ailes d'aigle et des pattes de girafe. Sa couleur verte s'apparente à l'hivernage et sa teinte jaunâtre à la sécheresse.

35.    Termitière : La termitière est considérée comme la première maçonnerie de la terre. Cet art aurait été enseigné aux hommes par les termites, qui sont donc les maîtres des maçons de même que l'araignée est en rapport avec le tissage.

La termitière est censée être l'habitat des esprits. Elle sert aussi souvent de lieu de conservation des objets rituels et ornements religieux. On creuse, dans une très grande termitière où un homme pourrait loger, une cavité où l'on dépose ces objets. les termites maçonnent tout autour et ces objets sont ainsi hermétiquement protégés.

36.    Le chien: La mythologie mandingue, comme beaucoup d'autres mythologies dans le monde, a réservé au chien une grande place. En effet, le coq, le bouc et le chien sont considérés comme les guides des âmes désincarnées.

Indépendamment du fait que l'on sacrifie le chien aux six grands dieux traditionnels du Mandé (N'tomo-woulou, komo, nama, kono, tchi-wara et koré), le chien est sacrifié à la terre pour qu'elle produise et aussi pour qu'elle soit « légère » sur les corps des défunts. On le sacrifie également pour conjurer le mauvais sort pendant les éclipsés.

Le chien étant considéré comme très familier avec l'invisible, son crâne, comme celui de l'homme, entre dans les rites de divination. Dans certaines sociétés initiatiques du Mali et du Niger, on utilise quelques parties du chien - notamment sa tête - pour les danses de possession.

37: Chassie des yeux de chien : elle est utilisée pour provoquer des rêves prémonitoires. On dit aussi qu'elle permet la vision, notamment ajoutée à de l'antimoine, plante qui a pour vertu d'améliorer la vue et de guérir la conjonctivite.

38.    Fôgi : landolphia-owariensis (foogi en peul, nzaban en bambara). Cette plante, attribuée à la lune et au jour de lundi, est une liane grimpante dont la fleur met un an pour devenir fruit. Lorsqu'on veut l'utiliser, on la salue avec la formule : « Fleur cette année, mûre l'année prochaine ! »

Le fôgi, qui est une plante à vertus, représente également la flexibilité et la souplesse car il épouse un autre végétal en s'enroulant autour de lui.

39.    Le voyage des Poissons migrateurs : on a constaté exactement le même processus chez les poissons migrateurs du fleuve Niger.

40.    Crocodile à la queue écourtée : ces crocodiles, qui ont perdu une partie de leur queue par accident, sont réputés pour être les plus méchants. A Bandiagara, mon village natal, un crocodile à la queue écourtée vivait, avec ses congénères, dans une poche de la rivière Yamé, appelée " mare aux caïmans ». C'était le seul qui blessait les animaux ; les autres crocodiles n'attaquaient jamais ni les hommes, ni les enfants, ni les animaux.

41.    Baobab : ce n'est pas par hasard que ce crâne sacré hérité d'un très lointain passé, et qui va jouer un rôle capital tout au long du conte, sort d'un fruit de baobab, arbre sacré par excellence, symbole de longévité et d'ancienneté, de sagesse et de générosité. En effet, dans le baobab comme chez le bovin, tout peut être utilisé ; c'est pourquoi l'on dit que le baobab est, parmi les végétaux, ce que sont la vache ou le boeuf parmi les animaux.

42.    Araignée : prototype du tisserand (voir note 83).

43.    L'aigrette, sorte de héron blanc, est en harmonie avec le Peul car c'est elle qui, sous le nom de « pique-boeuf », accompagne le bovin pour manger les parasites logés dans sa peau.

44.    Cigognes : ce sont les cigognes qui montrent à BâWâm'ndé le chemin de Wéli-wéli, en raison de leur qualité d'oiseaux migrateurs.

45.    Alliance entre Peuls et forgerons : cette alliance sacrée remonte à Bouytôring et Nounfayiri, ancêtres des pasteurs et des forgerons selon un mythe du Ferlo sénégalais (voir note 78).

De telles alliances, qui existent aussi entre certaines ethnies, certains villages ou certains degrés de parenté (belle-soeur et beau-frère, grands-parents et petits-enfants, etc.) ont donné naissance à ce que l'on appelle la " parenté à plaisanterie » (sanankunyu en bambara; dendiraku en peul).

46.    L’être à la fois humain, végétal et animal: cet être hybride réunit en lui les trois règnes, ce qui implique une notion d'unité. Dans la tradition peule, on croit que l'on a d'abord été minéral, puis végétal, enfin animal. Le couronnement, c'est l'homme. Quelquefois, on entend les Peuls dire : « Ca, c'était quand j'étais une pierre ! » Ici, l'étrange créature est le symbole de cette unité perdue. C'est une occasion, pour le maître conteur, de faire une digression et de donner des enseignements sur les trois règnes qui composent l'unité de la vie.

Cet être, dont la tête est humaine - le « supérieur - y est donc bien à sa place - est un être neutre ; il se retire d'ailleurs sans faire de mal. C'est la Providence qui l'envoie pour dire à Bâ-Wâm'ndé ce qu'il y a derrière le vestibule. Dans le déroulement de tous ces événements, on voit comment, à travers chaque détail, la Providence mène peu à peu Bâ-Wâm'ndé vers son but. Dans la tradition peule, le hasard n'existe pas. Il y a seulement des « lois de coïncidence » dont nous ignorons le mécanisme.

47.    Le serpent : on peut dire que le serpent est un symbole majeur dans presque toutes les traditions du monde, à commencer par la tradition africaine où il occupe une place très importante. Essentiellement énigmatique et ambivalent, son symbolisme peut être positif ou négatif, faste ou néfaste. Il peut symboliser un dieu ou le diable. Selon les légendes, on voit tour à tour l'homme et le serpent se présenter Comme des amis étroitement complémentaires, presque des frères, ou comme des ennemis irréductibles. Dans les mythes, le serpent semble être au commencement du processus de la création, l'homme se situant à son aboutissement. Il est en rapport avec la vibration primordiale émanée du Dieu créateur suprême. Dans les dessins rupestres, il est souvent figuré par un trait ondulé replié sur lui-même, ou parfois brisé.

La tradition poullo-mandirigue connaît le serpent sous divers aspects symboliques et lui donne chaque fois un nom spécifique. Dans la tradition mandingue, le python ni'nki-na'nkan est censé être l'excavateur des lits des cours d'eau qui ont formé le neuve Djoliba (Niger). Dans les traditions bambara-malinké du Komo et du Korê, le serpent symbolise I'infini et l'horizon inaccessible. Parfois appelé « ceinture de la terre », il symbolise également l'éclair, donc la rapidité. Les liseurs de traces interprètent les empreintes qu'il laisse dans la poussière, après s'y être lové. Sous un autre aspect, l'arc-en-ciel est considéré comme un serpent céleste multicolore buveur de l'eau de pluie ; en tant que te), il est le symbole du néfaste qui engendre la sécheresse.

Chez les Peuls, le serpent mythique Tyanaba, considéré, comme le propriétaire des bovidés au nom de Guéno, a amené les troupeaux au cours d'un long périple d'ouest en est 1 ses lieux de campement sont cités par la tradition. Uun des grands ancêtres des pasteurs peuls, [Io, fut considéré comme son frère jumeau et hérita d'une partie de ses animaux. Au Bénin, on voue ut) culte spécial aux pythons sacrés, particulièrement à ceux qui sont conservés dans le temple d'Abomey.

La tradition soninké connaît Bida, le grand serpent qui habitait le puits mystérieux de Ouagadou et qui exigeait qu'on lui sacrifie chaque année (ou tous les sept ans selon certaines versions) une jeune fille vierge choisie par un comité de sages. En échange de ce sacrifice humain, Bida, en tant que dieu, maître et formateur du minerai, assurait la richesse en or du Ouagadou. Le meurtre de Bida causa, selon la légende, la destruction de l'empire du Ouagadou.

D'une manière générale, dans les mythes africains, le serpent a souvent une " charge » sacrée très positive, notamment lorsqu'il est associé à la notion de fécondité. Il est également associé à la notion de cycle et de renouvellement en raison de sa mue. Sa tête est censée receler toute sa puissance occulte.

Dans le présent conte, le serpent (particulièrement puissant puisqu'il s'agit d'un boa) devient volant, ce qui implique un changement de plan et un enrichissement. Le fait, pour BâWàm'ndé, de le chevaucher, signifie qu'il est maître de la force que représente le serpent. Il n'est pas rare de rencontrer des serpents volants dans les légendes africaines, ce qui est à rapprocher des dragons volants des traditions extrême-orientales, qui sont souvent les gardiens de « trésors cachés "

48.    La montagne: dans les mythes, la montagne typifie la limite entre deux mondes, la barrière infranchissable sauf par l'initié et sous certaines conditions. Elle représente la frontière entre le monde limité des connaissances humaines et le monde sans limite des connaissances divines où seuls des élus parviennent à pénétrer. Sous d'autres aspects, elle symbolise l'initiation elle-même : la difficulté, l'épreuve, l'obstacle à franchir. C'est aussi un symbole de protection.

Toutes les religions connaissent le symbolisme de la montagne sacrée. Du fait de sa verticalité, elle est considérée comme le chemin qui mène au ciel ou qui permet de communiquer avec lui. Sa cime est le lieu privilégié des manifestations ou communications divines (mont Sinaï, mont des Oliviers, mont Hira où le Prophète Mohammad reçut la prime révélation du Coran, etc.). Au Mali, on connaît, entre autres montagnes sacrées, les deux mamelons de Koulikoro appelés Nianankoulou (attribués au dieu Nianan), Tamakoulou dans la région de Kayes, le mont Songo non loin de Bandiagara, etc.

Dans la tradition peule, chaque pie, chaque aiguille montagneuse représentent une lance que Guéno a fichée en terre à une occasion donnée. Dans l'ensemble de la tradition mandingue, la montagne et les cavernes - considérées comme ses vestibules abritent des esprits. Les sommets sont habités par des esprits blancs (bénéfiques), alors que les esprits noirs, détenteurs de forces mauvaises, résident plutôt dans les cavernes et dans les gouffres où sont censés se réfugier les sorciers, magiciens et envoûteurs. On verra plus loin que Njeddo Dewal, lorsque sa cité sera détruite, se réfugiera dans une caverne.

La connaissance est considérée comme une montagne dont il faut entreprendre l'ascension au prix de nombreuses indispositions ou épreuves. Les grands vautours, symboles de l'initiation africaine, nichent au sommet des collines ou des montagnes, dans des endroits inaccessibles. C'est pourquoi il est presque impossible de voir le poussin du vautour. La tradition dit: « Il faut peiner pour acquérir la connaissance, qui est aussi rare que le poussin du vautour ». Ici, la - montagne frontière » est circulaire et entoure un grand océan dont elle interdit l'accès.

En Islam également, on connaît la - montagne de Qaf », invisible et inaccessible aux hommes ordinaires, qui ceinture la terre et la sépare des mondes plus subtils.

49.    Gecko: sorte de lézard (reptile saurien) portant des lamelles adhésives aux doigts de ses quatre pattes. Dans les contes, le gecko a la réputation de pouvoir entrer dans le feu. Symboliquement, il est lié à cet élément.

50.    Lien de sang, lien de lait : le lien de sang est le lien qui unit toute la parenté du père : frères ou soeurs de même père, oncles, tantes, neveux et cousins du côté paternel, etc. Le lien de lait unit la parenté maternelle.

Le serment paternel, qui unit les alliés par le sang, touche aux questions d'honneur. C'est un lien de fortune et de gloire. Les alliés par le sang peuvent, dans un accès de colère, se souhaiter réciproquement la mort, mais jamais la honte ou le déshonneur car cela rejaillirait sur eux. Le lien paternel n'est donc pas désintéressé puisqu'il en va de l'honneur de la famille. Il y va aussi de sa fortune car, chez les Peuls, l'héritage va plutôt aux consanguins. Le serment maternel entraîne, lui, un lien d'amour et de pitié. Lorsqu'on rend un service à son cousin du côté maternel, on le fait sans espoir de récompense ou de compensation puisqu'on n'héritera pas de lui, alors que l'on hérite de son cousin par le sang. Il y a donc compensation du côté des liens de sang, et assistance désintéressée du côté des liens de lait. L'adage dit: " On meurt totalement pour son cousin de lait, mais on ne meurt pas totalement pour son cousin de sang " (puisqu'il peut en tirer prorit).

51.    Les sept cieux et les sept terres : dans la tradition peule, comme en Islam et dans les traditions orientales, on dit qu'il y a sept cieux superposés et sept terres étagées en profondeur. Les sept cieux sont en rapport avec les sept soleils de la tradition initiatique peule (voir Koumen). Parmi les sept terres, seule la terre « contemplatrice des étoiles » est l'épouse du ciel, les autres se succédant au sein d'une profondeur occulte invisible.

52.    La lune, détentrice des secrets de Veau, du feu et du vent on connaît la relation traditionnelle de la lune avec l'eau, la femme et les végétaux. Ici, le feu est entendu en tant que chaleur. La lune influe en effet sur le mouvements des vents - or, les vents amènent soit la pluie, soit la grande chaleur ; d'où sa relation avec l'élément - feu ».

53.    Les 28 dieux du parc des Peuls pasteurs: le panthéon peu] compte 28 dieux, ou esprits gardiens (singulier lare, pluriel laredji), associés aux 28 demeures (mansions) de la lune et aux 28 séquences de l'année présidées par 28 grandes étoiles (voir note 87). Les douze premiers laredji (les plus importants) régissent les douze mois de l'année solaire ; les seize derniers régissent les seize maisons de la géomancie. Pour les Peuls, ces dieux ne sont que les attributs, ou les agents, de Guéno. Ils sont, en quelque sorte, des aspects spécifiques de la Grande Force primordiale émanée du dieu suprême. Le conte nous enseigne qu'une force n'est en soi ni bonne ni mauvaise, et qu'elle peut servir le bien ou le mal selon la manière dont on l'utilise, à l'image de l'eau qui n'a ni couleur ni forme, seulement celles qu'on lui donne.

L'incarnation de ces forces spécifiques, ou dieux, dans un être ou dans un objet qui leur sert de support (par exemple le fétiche, ou un masque) s'opère selon des modalités qui constituent la base même du secret de la confrérie initiatique.

54.    Le coeur et la cervelle : la tradition africaine considérant l'homme comme un microcosme, on pense qu'il contient en lui toutes les forces du cosmos, lesquelles sont incarnées d'une manière privilégiée dans certains de ses organes (cf. note 4 sur le crâne). L'amour et le courage sont censés siéger dans le coeur, l'intelligence dans le cerveau.

55.    Fumigation à l'aide de cheveux brûlés : la fumigation est, en général, utilisée comme moyen de purification. Ici, la fumée des cheveux, tout imprégnée des forces bénéfiques qui sont incarnées en Bâ-Wâmndé et qui ont fait de lui le meilleur homme de son temps, pénétrera la matrice de son épouse pour la préparer avant qu'elle ne reçoive le germe des enfants à venir.

56.    Gaêl-wdlo, « Taurillon de la zone inondée,: nom_particulièrement bénéfique. Le taureau est en effet le symbole de la force (ici la force juvénile), tandis que la zone inondée, ou inondable, est le symbole même de la fertilité et de la prospérité, son humus étant constitué de tous les éléments rassemblés par le neuve au cours de son périple et régulièrement déposés par lui.

57.    Les sept premiers fils : à côté d'un nom profane donné par les parents à leurs enfants (en général celui d'un ancêtre), les Peuls nomment leurs fils selon le code suivant : Hammadi est le nom du premier fils consacré au dieu Ham ; Samba est le nom du deuxième fils consacré au dieu Sam - Demba le nom du troisième fils consacré à Dem ; Yero le nom du quatrième fils consacré à Yer ; Pâté le nom du cinquième fils consacré à Pat ; Njobbô le nom du sixième fils consacré à Njob ; enfin Delô le nom du septième fils consacré au dieu Del (" Ham-pâté » est donc un premier fils, né d'un cinquième fils). Il existe un système analogue pour les noms des cinq premières filles.

58.    Baobab, cailcédrat et fromager plantés en triangle : ces trois arbres hautement symboliques ne sont certainement pas là par hasard, car dans ce voyage tout a un sens. Notons que c'est au pied de ces trois arbres que pour la première fois les sept frères trouveront une nourriture providentielle. La triade, surtout disposée en triangle, est chargée de sens dans la tradition peule (cf. les trois pierres du foyer dans le conte Kaïdara). Dans le processus de la création, la triade représente deux éléments qui se confondent pour en réaliser un troisième : tels le père et la mère qui se rencontrent dans l'enfant. La triade symbolise l'unité du principe actif, du principe passif et du résultat né de leur conjonction.

Baobab : voir notes 23 et 41.

Cailcédrat : l'écorce du caïlcédrat, très amère, sert à la purification et est censée préserver l'homme des effluves néfastes et des mauvaises influences Le diala (cailcédrat) est par excellence l'arbre des écoles initiatiques bambaras du Korê et du Komo. Le chant du Komo invoque « le diala amer qui se trouve derrière le neuve et celui qui se trouve derrière la mare ». Le fleuve et la mare symbolisent ici les épreuves qu'il faut traverser pour atteindre la connaissance, dont l'acquisition est aussi amère que la décoction de l'écorce du diala.

Fromager: dans le conte peul de Kaïdara, le fromager a servi de refuge au « petit vieillard à la colonne déformée » qui n'est autre que l'une des incarnations de Kaïdara lui-même, dieu de l'or et de la connaissance. Par ce canal, les Peuls rattachent le symbolisme du fromager à celui de la Divinité suprême.

Le baobab, le caïlcédrat et le fromager sont par excellence des arbres sous lesquels se tiennent les palabres, comme aussi les séances d'initiation.

59.    « Ta grand-mère... la femme »: il est de coutume qu'une vieille femme soit automatiquement considérée comme une grand-mère par rapport à un petit garçon s'ils sont dans la même maison ou si leurs parents ont des relations d'amitié ou de voisinage. Dans la tradition africaine du Bafour, les petits-fils sont considérés comme les « petits maris " de leur grand-mère et comme les rivaux de leur grand-père. A l'inverse, les petites filles sont considérées comme les « petites femmes » de leur grand-père et les rivales de leur grand-mère. Cette tradition est une source inépuisable de plaisanteries gentilles à l'intérieur des familles. C'est là une forme de dendiraku, parenté à plaisanterie (sanankunyn en bambara) qui existe également entre d'autres catégories sociales ou ethniques (voir note 45).

60.    La hyène est considérée comme la maîtresse des fétiches. Là où il y a danse de possession (holle chez les Songhaï), elle est le chef des initiés à ce rite.

Diatrou est une hyène mythique noire, née du roi de l'or noir. Dans l'initiation africaine, il y a en effet trois ors: l'or noir, qui est invisible, l'or jaune et l'or blanc. En tant que grande sorcière, Diatrou est considérée, dès sa naissance, comme la reine de tous les singes hurleurs et de tous les carnassiers. (Voir aussi Amkoullel, p. 326 -coll. Babel p. 421.)

On recherche toujours le bout du nez de la hyène, son crâne et sa peau pour en faire des talismans et des fétiches. Les oiseaux et les hyènes sont les animaux les plus augures, surtout la hyène tachetée. On interprète ses cris comme on le fait pour ceux des tourterelles.

61.    Vautour: dans la tradition africaine, le vautour est un animal hautement significatif. Son symbolisme est multiple. Parce qu'il niche souvent sur des sommets inaccessibles où l'on ne peut voir son petit, il est le symbole même de l'initiation, c'est-à-dire de la connaissance difficile à atteindre. Parce qu'il vit longtemps, il est un symbole d'ancienneté. A ce titre, le « Vautour ancêtre fait partie du grand conseil du baobab (cf. note 23).

En outre, parce qu'il vit de charognes et de cadavres, le vautour est en rapport avec la mort. Sa tête et son cou nus et colorés symbolisent la terre morte. C'est sans doute en raison de cet apparentement avec la mort qu'il figure à cette place dans le conte.

62.    Singe le singe est considéré lui aussi comme un " sorcier " ou un animal doué de forces occultes parce qu'il est une sorte de transition entre l'animal et l'homme. Il est comme un vestibule entre deux demeures. Or les êtres ambivalents sont toujours considérés comme très " chargés .

63.    " Ô esprit ete ete » : on retrouve les éléments de base de cette incantation dans Koumen (p.89). C'est la longue incantation chantée par Silé Sadio pour triompher de la dernière épreuve (le lion Goumbaw) avant de devenir silatigui et de connaître, le « nom secret du bovidé ".

64.    Mi Heli Yoo - yoo... mi Heli !: c'est le cri que poussent les Peuls (en allongeant le son yo ... ) quand ils sont dans la détresse,

en souvenir du pays origine). « Mi (moi) Heli Yoyo », c'est-à-dire « Moi (de) Heli et Yoyo ", sous-entendu : " Je voudrais redevenir ce que j'étais au temps du bonheur à Heli et Yoyo. " Aujourd'hui, on ne l'entend plus vraiment que dans la Boucle du Niger. Il faut dire, d'ailleurs, que les lamentations de jadis, qui étaient souvent de la grande poésie improvisée, sont presque perdues. A présent les gens crient à tue-tête, mais, à part de rares exceptions, ils ne déclament plus.

65.    La chaîne : il existe, chez les Peuls, une chaîne d'initiation qui est censée remonter jusqu'à Doundari (le Tout-Puissant). La coutume veut que dans une invocation (en tradition africaine comme en ésotérisme musulman) on cite la chaîne d'initiation à laquelle on est rattaché.

66.    Ngelôki, safato: on brûle des feuilles desséchées de ngelôki sous le ventre des animaux lorsqu'ils sont dans le pare. Cette fumigation aurait une vertu protectrice. Une petite branche de ngelôki placée derrière l'oreille lorsqu'on sort ou dans la maison lorsqu'on reste chez soi est utilisée comme protection contre la foudre. Le ngelôki et le doki sont deux végétaux dont on pense qu'ils peuvent lutter contre la mort et, parfois, triompher d'elle.

Le ngelôki et le safato font partie des plantes médicinales dont l'utilisation provoque la divination, d'où leur emploi dans le présent épisode.

67.    Chauve-souris : la tradition mandingue considère la chauve-souris comme le confluent des contraires : elle a des ailes comme l'oiseau et comme lui pond des ceufs, mais elle allaite comme un mammifère ; elle voit la nuit et est aveugle le jour ; elle dort ou se repose suspendue par les pattes, la tête en bas. Son symbolisme varie selon les régions et les traditions. Pour les uns, c'est un animal impur associé aux sorciers en tant que vampire suceur de sang ; pour d'autres, son corps entre dans la préparation de gris-gris de longévité et de bonheur. Dans certaines traditions, on utilise le cerveau de la chauve-souris pour préparer des ingrédients censés procurer aux enfants et aux néophytes une intelligence vive et une mémoire développée. La chauve-souris est souvent considérée comme un animal d'outre-tombe parce qu'elle vit dans les cavernes et niche dans les branches des grands arbres plantés au milieu des cimetières ou dans des endroits lugubres.

Chez les Peuls., le symbolisme de la chauve-souris est double au sens diurne (positif), elle est le symbole de la perspicacité qui permet de voir même dans l'obscurité ; au sens nocturne (négatif), elle est le symbole de l'extravagance, de l'imbécillité qui fait tout faire à contresens. Elle est en outre le symbole de la puanteur et de la laideur au sens matériel. Le moins que l'on puisse dire est que son symbolisme est ambivalent. Comme les grands sorciers ou les grands ascètes, elle n'apparaît que la nuit. Quelques interprètes de songes recommandent de ne rien entreprendre de sérieux après une nuit où l'on a vu en songe une chauve-souris.

Ici, les chauves-souris ne refusent pas leur secours à Njeddo Dewal car elles ne font pas partie des catégories d'animaux qui se sont séparés d'elle : singes, vautours, hyènes (voir aussi Kaidara).

68.    berger mythique de la tradition peule du Ferlo. Il fut l'un des premiers à qui Koumen confia les secrets de la vie pastorale tandis que Foroforondou., son épouse, confiait les " secrets du lait " à Adia, femme d'Aga. Par extension, le nom d' " Aga " est donné au pasteur initié ; il signifie, en quelque sorte, le " connaisseur de brousse ,, car le pasteur est constamment avec les animaux. Il est censé donner des conseils parce qu'il a I'expérience de la vie.

69.    Poème Aga t'a dit " : Tout ce petit poème est extrait du grand poème traditionnel " Lootori " (Bain sacré) qui est récité au nouvel an (il figure en annexe à la fin de L'Éclat de la grande étoile).

70.    Faire caracoler son cheval quand on voit une femme est une coutume peule. Il est d'usage, lorsqu'un cavalier peul rencontre une femme, que son cheval fasse la courbette et s'agenouille pour la saluer. Ici, bien qu'il fasse nuit et que les femmes ne puissent les voir, les sept frères caracolent pour les honorer, comme le veut la coutume.

71.    Le jujubier sacré: n'dabi. Littéralement là où j'ai mis (la plante du) pied ». Le jujubier sacré de Heli et Yoyo échappe au temps. Tous les stades de la vie sont présents en lui. Il porte à la fois des bourgeons, des fleurs et des fruits. Planté dans un monde qui suit la loi de

Njeddo Dewal (la sécheresse), lui-même ne la subit pas car il participe d'un autre monde. Il est comme une limite, une frontière entre deux mondes. En Islam, le jujubier est un arbre paradisiaque. Placé à la limite du septième ciel, on l'appelle le « jujubier de la limite " Au-delà, c'est le monde purement divin. Les fruits du jujubier sont l'une des nourritures de base des soufis qui se retirent dans la brousse.

Dans le récit initiatique Koumen, le jujubier joue un rôle très important. C'est lorsque Silé Sadio arrive dans la douzième clairière, dernière étape de son initiation, que Foroforondou, épouse de Koumen, lui donne à manger les fruits du « jujubier de la demeure " Après quoi Koumen l'assure que, maintenant, il n'a plus rien à redouter sur la voie, car Foroforondou " ne sert de jujubes qu'à ses amis ". Lorsque Silé Sadio a bu le lait du bovidé hermaphrodite primordial et mangé les fruits du « jujubier de la demeure », il s'écrie: « Maintenant que j'ai bu le lait après avoir mangé les jujubes, je suis consacré 1 Aucun noeud ne me sera énigmatique 1 Aucune émanation ne sera dangereuse pour moi. Je saurai tout et spontanément, comme le nouveau-né sait téter au premier mouvement des lèvres. " Le jujubier est donc le symbole du sommet de l'initiation, sommet des connaissances possibles, après quoi il n'y a plus que la connaissance divine. Les Peuls recommandent de mettre des feuilles de jujubier aussi bien dans la bouche du mort que dans sa tombe.

Dans le présent épisode, le symbolisme est particulièrement riche car, pour se préparer à recevoir une révélation, non seulement Bâgoumàwel mange des fruits du jujubier sacré, niais il s'abreuve à la source d'eau vive qui coule à ses pieds : autre symbole de vie, souvent associé à la vie éternelle.

72.    Koumen : si Tyanaba, le python mythique, est le « propriétaire " des bovidés au nom de Guéno, Koumen est son auxiliaire, son berger et le dépositaire des secrets concernant l'initiation pastorale. Il a été chargé par Guéno de veiller sur la terre, les pâturages et les animaux herbivores, sauvages ou domestiques. Il peut prendre toutes les formes qui lui plaisent : il peut apparaître aux hommes sous la forme d'un enfant de trois, sept ou neuf ans, sans jamais dépasser onze ans. Il peut aussi porter une barbe de vieillard. L'ouvrage Koumen relate l'initiation de Silé Sadio, lun des premiers silatiguis du Ferlo. Silé Sadio cherchait sa " vache égarée », symbole de la connaissance. C'est au cours de sa recherche qu'il entendit la voix de Koumen, le rencontra, et reçut de lui l'initiation.

73.    L'abeille : dans toutes les traditions, le symbolisme de l'abeille est d'une haute portée spirituelle. C'est un symbolisme solaire et impérial. L'ancienne Égypte dit que I'abeille serait née des larmes de Râ (le dieu Soleil) tombées sur la terre. Partout, elle est liée à des notions de sagesse ou d'immortalité de l'âme. Elle a donné son nom à l'une des sourates du Coran où plusieurs versets lui sont consacrés (sourate XVI, v. 68-69). La tradition musulmane fait du miel le symbole spirituel de la nourriture des saints. Il symbolise par ailleurs la connaissance mystique qui conduit à la Réalisation.

En Afrique, le miel est considéré comme un liquide supérieur béni et comme la synthèse de la sève de toutes les plantes. Il entre dans la préparation de l'hydromel, qui fut d'abord sacrificiel avant d'être boisson d'agrément. Le processus de la transformation du miel est comparé à celui de l'âme qui évolue vers Dieu. Chaque fleur est considérée comme un maître et les pollens qu'elle produit comme des leçons permettant à l'âme " amère " de devenir progressivement douce et riche comme du miel. L'abeille, symbolise souvent l'initié, le maître, le sage.

74.    " Demande à la grenouille d'ordonner à la Reine abeille... en Afrique, la coutume veut que l'on passe toujours par un intermédiaire pour présenter à quelqu'un un remerciement, une doléance ou une demande, ou simplement pour exposer une affaire. Cette coutume sociale est le reflet de la hiérarchie céleste, car on passe toujours par des intermédiaires (dieux ou ancêtres) pour adresser une demande à Guéno (ou à Mà-n'gala). En revanche, dans les cérémonies, le dieu suprême est toujours nommé en premier : " Je vais faire cela si Guéno l'accepte... "

75.    Les onze forces fondamentales: ce sont la pierre, le fer, le feu, l'eau, l'air, l'homme, l'ivresse, le sommeil, les soucis, la mort, la résurrection. Chacun de ces éléments a la propriété de détruire celui dont il est issu, ou d'en triompher: la pierre est fendue par le fer; le fer est fondu par le feu ; le feu est éteint par l'eau; l'eau est asséchée par le vent ; l'homme peut triompher du vent (il est le seul à marcher contre le vent, les animaux ne le font pas); l'ivresse anéantit l'homme -le sommeil a raison de l'ivresse ; les soucis font disparaître le sommeil ; à son tour la mort tue le sommeil, mais la résurrection (la vie dans l'au-delà) anéantit la mort.

Pour la tradition africaine, toutes ces forces sont constitutives de la nature de l'homme. Celui-ci, on le remarquera, occupe une position médiane entre, d'un côté, cinq forces matérielles et, de l'autre, cinq forces immatérielles.

76.    Génie tutélaire, ou esprit gardien : de même que le bétail a des esprits gardiens (ou génies tutélaires, ou petits dieux), chaque métal a également son esprit gardien. En fait, toute chose visible est en rapport avec une force invisible qui a pouvoir sur elle et à laquelle il faut s'adresser si on veut l'utiliser.

77.    Maître du fer: dans la société africaine, ce sont les forgerons qui sont « maîtres du fer ,, c'est-à-dire détenteurs des secrets d'utilisation du fer tant sur le plan pratique que sur le plan occulte ; mais ils ont un chef qui, lui, est le véritable Maître du fer.

78.    Pacte originel entre Bouytôring et Nounfayri : ce mythe, très répandu chez les Peuls du Ferlo sénégalais, m'a été transmis en 1943, entre autres, par le grand silatigui Ardo Dembo, originaire de N'Dilla (canton de Moguère, cercle de Linguère, Sénégal) et par Môlo Gawlô, de la caste des Gawlô généalogistes, lui-même spécialiste des Peuls. Ce récit est également répandu chez les Peuls du Mali. Au Ferlo, on connaît le nom de Bouytôring, mais pas celui de Nounfayiri que l'on appelle l'« ancêtre des forgerons ". Au Mali, on connaît le nom de Nounfayiri, mais non celui de Bouytôring que l'on appelle l'« ancêtre des Peuls ".

Voici un condensé de ce mythe:

Bouytôring, ancêtre des Peuls., était travailleur du fer. Ayant découvert les mines appartenant aux génies (djinn) du Roi Salomon, il allait chaque jour y dérober du fer. Un jour, pourchassé par les génies, il fut surpris et dut se sauver. Dans sa fuite, il arriva auprès d'une très grande termitière qui était située dans un pare à bovins. Comme elle comportait une grande cavité, il s'y cacha.

Ce parc était celui d'un berger nommé Nounfayiri. Le soir, lorsque le berger revint du pâturage avec ses bêtes, il trouva Bouytôring caché dans la termitière. Ce dernier lui avoua son crime et lui dit que les génies le cherchaient pour le tuer. Alors, pour le protéger, Nounfayiri fit coucher ses animaux tout autour de la termitière, Et quand les génies arrivèrent, il leur dit : « Ceci est mon domaine. Je n'ai rien à voir avec le fer. " Les génies furent ainsi éconduits et Bouytôring sauvé.

Le lendemain, Nounfaviri dit à Bouytôring de ne pas sortir de la termitière. Il mena ses animaux au pâturage durant toute la journée. Le soir, après avoir trait ses vaches, il donna du lait à Bouytôring. Sept jours durant, Bouytôring resta caché, le temps d'être sûr qu'il n'était plus recherché par les génies.

Le septième jour, Bouytôring dit à Nounfayiri Je voudrais l'instruire de la façon de travailler le métal. " Et il l'initia aux secrets du travail du fer. Puis il dit : « Toi, apprends-moi l'élevage. » Noutifayiri répondit : « Pour cela, il faut que moi je reste dans la termitière et que toi tu partes avec les animaux. " Et il lui enseigna ce qu'il fallait faire.

Quelques jours passèrent ainsi. Bouytôring avait appris à garder le troupeau et à traire les vaches. Il savait parler aux animaux. Ceux-ci s'attachèrent à lui. De son côté, Nounfayiri avait pris plaisir à travailler le fer. Un jour, Nounfayiri dit Voilà ce que nous allons faire. Toi, tu vas devenir ce que j'étais, et moi je vais devenir ce que tu étais. L'alliance sera scellée entre nous. Tu ne me feras jamais de mal et tu me protégeras; moi aussi je ne te ferai jamais de

mal et je te protégerai. Et nous transmettrons cette alliance à nos descendants. " Nounfayiri ajouta : « Nous mêlerons notre amour, mais nous ne mélangerons pas notre sang. "

C'est pourquoi il y a interdit de mariage entre les Peuls et les forgerons. Cet interdit ne connaît qu'une seule exception : quand un Peut est devenu roi, il peut épouser une forgeronne, la présence de cette dernière auprès de lui étant alors considérée comme protectrice. Nous ignorons toutefois à quelle époque est intervenue cette exception.

Je profite de cette note pour rappeler que les interdits de mariage n'ont en général rien à voir (en tout cas à l'origine) avec des notions de supériorité ou d'infériorité de caste ou de race. Il s'agit soit de respecter des alliances traditionnelles (comme c'est ici le cas), soit de ne pas mélanger des « forces " qui ne doivent pas l'étre. Les castes artisanales (nyamakala) étaient en effet des voies d'initiation spécifiques considérées comme porteuses de nyama (ou force occulte). Elles pratiquaient l'endogamie afin de conserver en leur sein le secret de leurs connaissances et d'éviter des « mélanges de forces " qui pourraient se révéler néfastes. J'espère pouvoir un jour développer ce sujet dans un autre ouvrage. Rappelons seulement l'adage C'est le noble (horon) qui a créé le captif (djon), mais c'est Dieu (Mâ-n'gala - Guéno) qui a créé le nyamakala (l'artisan). "

Ce mythe, de même que la description de Heli et Yoyo, soulève beaucoup de questions qui restent sans réponse. Il est étrange, en effet, de voir un ancêtre des Peuls présenté comme travailleur du fer et non comme pasteur nomade. Mais, comme nous l'avons dit dans la note 1, il fut un temps, au Mandé, où les ethnies vivaient en symbiose et où certains mythes mandingues et peuls se fondirent au point qu'il est aujourd'hui difficile de démêler ce qui appartient aux uns ou aux autres. Le présent mythe semble entrer dans cette catégorie. Pour les Bambaras (tradition du Mandé), le premier homme, « premier fils de la terre », était un forgeron. Quoi qu'il en soit, cette légende témoigne d'une très ancienne alliance qui est probablement à l'origine du lien de parenté à plaisanterie (dendirakul/sanankunya) qui unit Peuls et forgerons (cf. note 45).

Dans le Ferlo sénégalais, tous les Peuls rouges (pasteurs) sont considérés comme descendants des huit fils de Bouytôring. La vallée de Bokoul citée dans le conte est un lieu mythique, mais une vallée du même nom existe au Sénégal.

79.    - Par le secret du beurre et du lait, : dans les traditions pastorales, les Peuls jurent par le beurre et le lait, substances sacrées. Le lait, symbole de la substance primordiale, liquide nourricier par excellence et emblème de la pureté en raison de sa blancheur, donne le beurre qui est censé concentrer en lui les forces vitales essentielles. Ainsi les forces cosmiques bienfaitrices sont-elles considérées métaphoriquement comme du beurre liquide coulant des mamelles miséricordieuses de Guéno. Dans de nombreuses traditions, le beurre consacré ou l'huile sont des éléments privilégiés d'offrande ou d'onction. Foroforondou, déesse du lait, épouse de Koumen, dit à son néophyte Silé Sadio : - Serstoi de la main de ton coeur (la main gauche) pour jeter une boule de beurre sur le brasier de Guéno et tu verras le feu monter plus haut : dis alors une prière à lintention du Créateur. »

80.    Nouvel an : le nouvel an s'accompagne de réjouissances populaires et de rites, le plus important étant le « bain rituel " (lootori) des animaux et des hommes. A cette occasion, on chante des poèmes en partie traditionnels, en partie improvisés. La date du nouvel an, calculée selon le calendrier lunaire, avance chaque année (voir poème du Lootori à la fin de L'Eclat).

81.    " Dont la gloire était la seule récompense jadis, on ne distribuait pas de prix comme on le fait de nos jours, mais certaines personnes aimant particulièrement les chevaux pouvaient faire des - cadeaux au cheval » sous forme de nourriture ou de dons d'animaux, généralement du bétail. Le propriétaire du cheval vendait ces animaux pour acheter des harnachements ou de la nourriture en vue d'améliorer l'état de son coursier.

82.    Attitude du roi: le roi de Heli est ici le prototype même du roi idéal : honnête, scrupuleux, soucieux du bonheur de ses sujets avant le sien propre. Ce n'est pas parce que le peuple accepte de se sacrifier pour lui qu'il fait passer le sort de son fils avant celui des jeunes gens.

A travers les contes, il y a toujours toute une éducation sociale : ce que doivent être un fils, une épouse, un mari, etc. Ici, on entend montrer ce que doit être un roi, ou un chef, digne de ce nom. Jadis, l'éducation sociale n'était pas séparée de l'éducation initiatique, car l'initiation préparait à ce que devait être le comportement global, aussi bien social qu'individuel et spirituel. En fait, la séparation entre sacré et profane n'existait pas. Le comportement spirituel affectait tous les actes de la vie. L'homme vivait intégré dans le sacré.

83.    La reine des araignées : l'araignée est considérée comme le premier tisserand à qui Guéno enseigna ]*art et les secrets du tissage, de même que le termite est considéré comme le premier maçon à qui Dieu enseigna l'art de la construction. Sur le symbolisme des métiers (forgeron, tisserand, etc.), voir mon article « La tradition vivante " dans le tome 1 de l'Histoire générale de l'Afrique, (de préférence dans l'édition intégrale Jeune Afrique/ Unesco).

84.    Goumbaw : le lion noir (pelage sombre,), que l'on trouvait notamment en Haute-Volta (Burkina Faso), était un lion mangeur d'hommes, alors que le lion rouge, ou brun., ne s'attaque le plus souvent qu'aux animaux. D'une manière générale., le lion incarne la puissance et la force brutale. En tant que lion noir, cette force est comme décuplée par la méchanceté.

Dans Koumen, Silé Sadio, après avoir traversé les douze clairières de l'initiation, doit affronter, avant de devenir silatigui, sa dernière épreuve : combattre le lion mythique Goumbaw et triompher de lui. Le fait qu'ici le dieu Koumasâra maîtrise et chevauche le redoutable Goumbaw montre toute sa puissance.

85.    Dikoré Dyâwo, Diafaldi, Kogoldi : ce sont tout à la fois des personnages mythiques et les noms de silatiguis qui ont réellenient existé et qui ont tenu un rôle éminent dans la grande chaîne d'initiation peule (citée également dans Koumen, p.83). Dikoré Dyâwo est une femme qui, en des temps très anciens, a vécu au Sénégal, sur les rives du fleuve Gambie (Gayobélé). C'était une grande maîtresse d'initiation peule, une " maîtresse du lait ". Elle figure parmi les aïeules d'Ardo Dembo, le grand silatigui du canton de Moguère (Sénégal) qui m'a initié en 1943 aux traditions initiatiques pastorales peules.

86.    Rayon orange: dans Koumen, Silé Sadio découvre, au fur et à mesure de son initiation, les sept soleils qui correspondent aux sept cieux étagés. Chaque soleil émet un rayon de l'une des couleurs de l'arc-en-ciel. Le rayon orange émane du cinquième soleil.

87.    Les 28 étoiles: 28 étoiles servent de calendrier aux Peuls. Au cours de l'année, chacune de ces étoiles apparaît successivement pendant 13 jours, l'une d'elles restant présente 14 jours, ce qui donne un total de 365 jours. Ces 28 étoiles sont en relation avec les 28 laredji (dieux du panthéon peut) ainsi qu'avec les 28 demeures de la lune.

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