Conte, conte, je Peux conter un conte ! Laissez-moi me coucher sur le dos et faire santal ( 1), plonger dans la parole et y nager à grandes brassées (2). J'y nagerai, et mes pieds battant 1’eau feront puntupanta (3). Ce que je m'en vais dire est plus merveilleux qu'un songe ! Pourtant, ce ne sont pas des balivernes, c'est la langue quifait éclater la parole Ce n'est pas la ruse qui actionne ma langue, elle tinte plus clairement que la cloche royale, elle montre la route mieux qu'un guide avisé. Ma parole intéressera tous les doués d'intelligence, p tous ceux qui méditent et refléchissent.
Ce conte est un conte mâle (4).
A l'écouter, parfois, certains en attrapent la fièvre...
C'est notre grand-père Bouytôring' qui, le premier, le fit conter par un crâne à son premier fils Hellêrè, et cela durant sept semaines. Voici comment il procéda.
Bouytôring se saisit de son bâton de berger, taillé dans l'arbre sacré nelbi (2). Ce n'était certes pas un bâton ordinaire.
Il existe trois sortes de nelbî : le nelbi de terre ferme, le nelbi des eaux et, enfin, le « nelbi-de-nulle-part » qui ne pousse ni sur la terre ni dans les eaux. Ce nelbi mystérieux n'a besoin, pour produire, ni d'eau ni d'humus. Que l'hivernage soit bon ou mauvais, il fructifie. Celui qui tient dans sa main un bâton tiré de ce bois miraculeux prédit l'avenir sans erreur. Dans les branches vertes du nelbi-de-nulle-part coule une sève de feu. C'est de l'une de ses branches que Guéno coupa le premier bâton de berger qu'il donna à Kîkala, le premier homme. C'est ce bâton même qui fut transmis de père en fils jusqu'à Bouytôring.
Ce dernier se saisit donc de ce bâton miraculeux, issu d'un arbre non. moins miraculeux, pour tracer sur le sol la figure d'un hexagramme ou étoile à six branches (3).
1. Position de détente traditionnelle : étant couché sur le dos, une jambe est repliée vers soi en gardant la plante du pied au soi ; l'autre jambe est repliée à l'horizontale., genou vers l'extérieur, le pied venant reposer sur la hanche opposée., dessinant une sorte d'équerre.
2. Parler sans embarras ni anicroches.
3. Onomatopée : frapper l'eau un pied après l'autre., d'une manière cadencée.
4. Le qualificatif " mâle " est une indication de force et de valeur. Dans un tel conte., on trouvera beaucoup d'action, de l'audace., des aventures, du courage et de la noblesse. Les qualificatifs féminins, eux., évoqueront J'amour, la pitié., la tendresse et la compassion.
5. Bouytôring est l'un (les plus connus des grands ancêtres peuls. Il a surtout été vulgarisé par la tradition peule (lu Djêri, au Fei-Io sénégalais (région (le Linguére). Il est souvent présenté comme Fils (le Kîkala, le premier homme. Les récits le concernant m'ont surtout été transmis par les grands traditionalistes Ardo Dembo et Môlo Gawlô (voir note 78).
Puis il apporta un crâne humain (4), qui avait également été transmis jusqu'à lui de père en fils, et le plaça dans la case-nombril de l'hexagramme. Prenant place dans cette case avec son fils, il incanta le crâne et celui-ci se mit à parler...
Durant sept semaines, Bouytôring et son fils écoutèrent le dire du crâne, prenant place chaque semaine dans une case différente.
C'est ce dire qui fut retenu et conservé dans les mémoires. Bouytôring en fit un conte que Hellèré recueillit et récita afin de le transmettre à sa postérité.
C'est ce récit, venu du fond des âges, qu'à mon tour je vais dérouler pour vous.
Ohé, écoutez-moi ! Je m'en vais vous conter ce que contèrent Bouytôring et Hellêrè.
Je le ferai non en mergi au rythme cadence, mais en fulfulde maw'nde, le grand parler peul'
Pardonnez-moi si je me trompe, si j'en oublie ou si j'en saute ou si ma langue devient distraite.
Pour tout dévideur,
il faut bien qu'un jour son fil s'embrouille Quand ses fils s'emmêlent, il les coupe et les noue à nouveau.
Pardonnez si ma langue se lasse ou se ramollit.
1. Mergi : poésie de rythme rapide:, fulfulde rnaw'nde : prose.