<?xml version="1.0" encoding="UTF-8"?> <html xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml"> <head><meta name="charset" content="UTF-8"/><title></title><link rel="stylesheet" href="main.css" type="text/css"/> </head> <body><h4><a id="bookmark0"></a><span style="font-weight:bold;font-style:italic;">Où Bâ-Wâm'ndé atteint son but</span></h4> <p>Une fois sorti de ce tunnel, Bâ-Wàm'ndé aperçut la ville de Wéli-wéli qui s'étirait devant lui d'est en ouest, si immense qu'il ne pouvait en discerner les limites. Il ne sut jamais comment, tout à coup, il se trouva transporté dans une grande avenue de la cité !</p> <p>Chose curieuse, malgré la beauté des maisons dont beaucoup étaient à étages, il ne vit ni ne perçut aucun signe de vie ni de présence humaine. Sans savoir où il allait, il continua sa marche. Après avoir longtemps déambulé, il finit par déboucher sur ce qui, apparemment, était la place du marché. Mais au lieu d'y voir assemblée, comme il eût été normal, une foule de vendeurs et d'acheteurs, il ne vit que des animaux, et, de 'surcroît, des animaux qui se livraient à des activités tout à fait bizarres: sous un hangar, des chiens présentaient du mil à des singes - ailleurs, des guenons offraient du lait de bufflonne à des pores; des boucs puants parlaient haut à des oiseaux géants ; des tortues s'adressaient en murmurant à des panthères.</p> <p>Plus loin, un âne installé devant une forge fabriquait des houes, des couteaux, des clous et des aiguilles. Un petit hérisson actionnait la soufflerie. L'âne, qui se servait de sa bouche pour saisir les outils avec lesquels il forgeait à chaud ou à froid, lançait, avant chaque opération, un braiment spécial.</p> <p>Devant tant de choses plus extraordinaires les unes que les autres, Bâ-Wâm'ndé resta interloqué, ne sachant que faire. « certainement, se dit-il en luimême, il s'agit là d'êtres métamorphosés par sortilège ! » Alors, se souvenant tout à coup de l'alliance sacrée qui existe entre Peuls et forgerons (<span style="font-weight:bold;">45</span>), il se dirigea vers l'atelier de l'âne.</p> <p>« Bonjour, forgeron aux grandes oreilles qui manie ses outils au moyen de ses mâchoires ! s'écria-t-il.</p> <p>Bonjour, gandin de Peul ! répliqua l'âne. Je parie qu'au lieu de te trouver ridicule toi-même, tu crois que c'est moi qui le suis ? Et d'ailleurs, que viens-tu faire ici avec ce mouton ?</p> <p>-    Il n'est pas pour toi, repartit Bâ-Wâm'ndé. Je le destine à quelqu'un qui se trouve dans cette ville, je ne sais exactement où. Si tu peux nie donner quelque indication à ce sujet, les mânes de mes ancêtres et des tiens t'en sauront gré, car ton geste te sera peut-être utile , a toi et à tous les êtres que je vois ici bizarrement métamorphosés.</p> <p>-    Alors, dit l'âne, tiens-toî bien, car je vais dégager un vent qui vous emportera, toi et ton mouton, dans un endroit où tu verras ce que tu verras. »</p> <p>Bâ-Wàm'ndé saisit fermement la corde de son mouton. L'âne sortit alors de son fondement un pet aussi puissant que tonitruant. La violence du souffle fut telle que nos deux compagnons furent soulevés et projetés au loin. Ils allèrent retomber sur une charge de piments. Sous le choc, les gousses s'écrasèrent. Une fine poudre s'éleva, enveloppa Bâ-Wâm'ndé et lui piqua douloureusement les yeux et les narines. Ses larmes coulèrent en abondance. Aveuglé, il voulut s'essuyer les yeux du revers de la main. Il lâcha la corde du kobbou. Aussitôt, celui-ci s'échappa et se précipita dans une rue voisine, bêlant de toutes ses forces.</p> <p>Après avoir recouvré la vue, Bâ-Wâm'ndé constata la disparition de son mouton. Entendant au loin les bêlements de l'animal, il s'élança dans la rue, tendant l'oreille, regardant à droite et à gauche, s'arrêtant de temps en temps pour mieux s'orienter. Arrivé devant une fourche où deux voies s'offraient à lui il ne sut laquelle prendre car il n'entendait plus rien. Il récita alors la formule peule <span style="font-style:italic;">diali'nga diali'nga' (1).</span> Le dernier mot lui ayant indiqué la voie de droite, il s'y engagea sans hésiter. Un peu plus loin, il trouva le mouton tout occupé à se gratter.</p> <p>Au fur et à mesure que l'animal raclait sa toison de laine, des étincelles en jaillissaient pour aller retomber sur une sorte de vestibule métallique qui donnait accès à on ne savait quel édifice. Bâ-Wàm'ndé s'approcha du mouton. Au même moment, un être bizarre apparut : doté d'une tête humaine surmontant un tronc de caïlcédrat, il était porté par deux gigantesques pattes d'autruche. Cet être, à la fois humain, végétal et animal (<span style="font-weight:bold;">46</span>), s'adressa à Bâ-Wâm'ndé:</p> <p>« Ô bonhomme malchanceux! Qu'est-ce qui a pu (1) A l'origine. c'était une formule magique que l'on récitait pour trouver sa route. Dès le dernier mot prononcé. on savait quelle route prendre. Aujourd'hui, la formule est surtout utilisée comme un jeu par les enfants.</p> <p>t'amener en ce lieu, interdit à tout être vivant sous peine de mort violente ? Si Njeddo Dewal apprend que tu es là, elle enverra son bourreau pour te castrer, te suspendre par les pieds et déchirer ta chair en lambeaux avant de te trancher la tête ! Si tu veux éviter ce malheur, donne-moi ton mouton. »</p> <p>Au lieu de s'exécuter, Bâ-Wâm'ndé demanda à l'étrange créature quel tait ce lieu et dans quelle pièce donnait ce vestibule métallique.</p> <p>« Le vestibule, répondit la créature hybride, donne sur une pièce où Njeddo Dewal séquestre ses ennemis et ceux qui refusent de la servir.</p> <p>-    Je te remercie de ton information, dit Bâ Wâm'ndé. Quant au mouton que tu me demandes, je ne puis te l'offrir car il ne m'appartient pas. J'ai été chargé de l'amener à Wéli-wéli pour le donner à Siré, le sourd-muet-borgne qui s'y trouve emprisonné. Or, à ce que je vois, tu es loin d'être cet homme.</p> <p>-    En effet, répondit l'homme-plante-animal. Je ne suis ni Siré, ni Abdou son frère puîné le bossu-borgneboiteux-cagneux. » Et tout à coup, sans en dire plus, il disparut.</p> <p>Pendant tout ce temps, le mouton avait continué à se gratter. Les étincelles qui jaillissaient de sa toison se focalisaient sur la porte du vestibule. Elles finirent par en faire fondre la serrure, mais le battant restait toujours fermé. Il était si lourd que trois éléphants n'auraient pas réussi à l'ébranler. Alors, à la manière d'un bélier prêt à charger, kobbou-nollou recula, puis fonça sur le battant qui céda miraculeusement. Suivi de BâWâm'ndé, il pénétra dans le vestibule.</p> <p>Celui-ci donnait sur une cour parsemée de clous pointus qui en tapissaient le sol aussi drument que des épines sur le dos d'un hérisson. Une voix se fit entendre: "Malheur! disait-elle, à celui qui vient d'ouvrir la porte du vestibule pour pénétrer dans la cour interdite!» Au même moment, un bruit semblable à un coup de tonnerre éclata, assourdissant Bà-Wâm'ndé. Comme par enchantement, son mouton disparut. Il était a\ nouveau bien embarrassé. Que faire ? Que dire ? Où aller ? A peine se posait-il la question que le ciel s'obscurcit au-dessus de sa tête. Un éclair en jaillit, suivi d'un grondement de tonnerre si violent qu'il fit trembler la terre et s'évanouir Bâ-Wâm'ndé.</p> <p>Encore à moitié inconscient, il sentit qu'on le transportait, puis qu'on le déposait sur le sol. Quelque chose lui léchait le bras. Il entrouvrît les yeux. C'était son kobbou-nollou, tout aussi miraculeusement réapparu, qui le réveillait ainsi avec douceur (1).</p> <p>1. Avant d'arriver devant la termitière où il va découvrir Siré, première grande étape de sa quête, Bà-Wâm'ndé s'évanouit. Autrement dit, il perd la conscience propre a son monde habituel. C'est un passage a un autre niveau de conscience., un changement de plan, une petite mort. La conscience lui est rendue par un geste du mouton miraculeux, c'est-à-dire par une aide des forces supérieures incarnées dans cet animal bénéfique.</p> <p>Il vit qu'il avait été déposé au pied d'une termitière géante, tout entière façonnée d'argile jaune clair, sculptée de reliefs puissants terminés par des sortes de pinacles, comme on en voit au faite des maisons ou au sommet de certaines collines. La reine tourna le dos à Bâ-Wâm'ndé, lui présentant son abdomen aussi énorme qu'une grosse tortue de fleuve salé. Quant au roi, dont la tête était aussi volumineuse que celle d'un éléphanteau, il fit face à Bà-Wâm'ndé. Le temps de quelques clignements de paupière et sans qu'on sache comment, les deux termites géants avalèrent le mouton kobbou-nollou sans en laisser de traces. Puis ils rotèrent, comme font certains après un bon repas.</p> <p>Les ouvrières-termites, dont chacune était aussi grosse qu'un énorme crocodile, sortirent de leur cité avec affolement, cherchant un endroit où se cacher. Chacune se mit à creuser un trou dans le sol, malgré les cris du roi et de la reine leur ordonnant de rester sur place. Tous les termites finirent par disparaître sous terre.</p> <p>Brusquement, la reine se jeta sur son mâle, le dévora, puis courut vers la termitière pour s'y réfugier. Mais celle-ci, comme rongée par l'action d'une pluie persistante, s'effondra sur elle-même, découvrant aux regards Siré, le sourd-muet-borgne, qui se tenait en son milieu. Bâ-Wâm'ndé constata que ce dernier était non seulement borgne, sourd et muet, mais encore bossu par-devant et par-derrière. Son cou était pris dans un carcan et ses membres chargés de chaînes rivés à un gros tronc de caïlcédrat. Son corps était couvert de brûlures et de plaies où des vers se nourrissaient de sa chair.</p> <p>La reine des termites vint auprès de Sire.</p> <p>« Mon salut dépend de toi, dit-elle, et de toi seul. C'est notre maîtresse Njeddo Dewal, la grande magicienne aux yeux rouges comme un soleil couchant, qui nous a donné l'ordre, à mon mari, mes compagnons et moi-même, de te charger de fers et de maçonner notre demeure autour de ton corps afin que personne ne puisse te délivrer. Elle a ensuite fait entourer notre termitière d'une muraille si haute et si lisse que même un lézard n'y peut grimper sans glisser et retomber à terre.</p> <p>Cette enceinte n'a qu'une entrée : un vestibule métallique magiquement fermé par une porte dont le battant est si épais et si lourd que la foudre elle-même ne peut le transpercer. »</p> <p>Sire - dont la langue et l'ouïe s'étaient déliées comme par enchantement dès l'instant où le mouton kobbou-nollou avait pénétré à l'intérieur de l'enceinte - lui demanda:</p> <p>« Pourquoi Njeddo Dewal me séquestre-t-elle et me fait-elle maltraiter nuit et jour au fouet et au fer rouge ?</p> <p>- Tu es détenteur d'un secret mortel pour elle, répondit la reine. Or elle n'a réussi ni à te l'arracher, ni à te faire accepter de devenir son allié pour l'aider à parfaire son oeuvre, qui est la destruction du pays de Heli et Yoyo et l'extermination de ses habitants par le feu, l'eau, le vent et la sécheresse. Le seul pouvoir qu'elle a eu sur toi a été de t'emprisonner comme elle l'a fait.</p> <p>« Ta libération équivaut à sa perte. Le vestibule a été miraculeusement ouvert je ne sais comment ni par qui. C'est l'heure de ta délivrance qui vient de sonner, car il était dit que celle-ci surviendrait quand mes ouvrières auraient disparu sous terre et que j'aurais dévoré mon mari après que tous deux nous aurions avalé un mouton kobbou-nollou. Je ne sais qui a introduit le kobbou-nollou dans notre demeure ni comment on s'y est pris pour le faire. Quoi qu'il en soit, nous sommes devant le fait accompli et maintenant, pour mon salut, je dois trouver une cachette sûre »</p> <p>Siré eut pitié de la reine des termites. Non seulement il lui pardonna, mais il oublia à l'instant même tout le mal qu'il avait subi par sa faute (1).</p> <p>« Que puis-je faire pour t'éviter les représailles de Njeddo Dewal ? lui demanda-t-il.</p> <p>- Presse sept fois mon abdomen avec les trois premiers doigts de ta main gauche en tenant repliés les deux derniers », répondit-elle.</p> <p>Siré s'exécuta sans se le faire répéter deux fois. Sous la pression de ses doigts, l'abdomen de la reine creva comme un abcès mûr. Il en sortit deux gros nuages, l'un sombre et épais comme la nuit, l'autre léger et clair comme la lumière. Tous deux s'élevèrent rapidement dans l'atmosphère. Le premier rejoignit la nuit et augmenta son obscurité, le second rejoignit le jour et intensifia sa clarté.</p> <p>Les chaînes et les carcans qui rivaient Siré fondirent comme beurre au soleil. D'un seul coup, il fut non seulement délivré de ses liens mais miraculeusement guéri et de ses plaies et de ses infirmités. Ces dernières n'étaient dues en effet, tout comme celles de son frère Abdou, qu'à un charme de Njeddo Dewal, et ce charme se trouvait rompu.</p> <p>Une fois recouvrées sa santé et sa forme normale, Siré se révéla être un homme bien bâti et fort comme un taureau.</p> <p>Voyant devant lui Bâ-Wâm'ndé, il lui dit: 1. Les héros du conte, Bâ-Wàm'ndé, Siré et Bâgoumâwel., ont toujours une attitude de noblesse. de générosité., de pardon et de pitié envers toutes ces créatures vivantes, même les plus mauvaises ; ce qui leur vaut., comme par compensation., de toujours bénéficier d'une aide imprévue dans les moments les plus difficiles. Dans la tradition peule., on donne une grande valeur au pardon, On l'accorde même à celui qui vous a fait le plus de mal. La vengeance est considérée comme un réflexe regrettable. On dit qu'un homme qui peut se contenir ne se venge pas. Dans les enseignements africains, la vengeance West ni admirée ni mise en valeur. On laisse à un homme le droit de se venger s'il a subi un tort. S'il pardonne., c'est bien; mais s'il ne pardonne pas, on ne peut pas non plus le lui reprocher.</p> <p>« Ô Bâ-Wâm'ndé ! Voilà sept ans que je t'attends. A chaque soleil qui se levait, j'espérais te voir arriver avec le mouton providentiel kobbou, Et chaque fin de journée, chaque fin de semaine, de mois et d'année ne faisaient qu'augmenter mon désespoir. Mais mieux vaut tard que jamais (1). Tu es là, et me voici non seulement libéré de ma prison mais aussi guéri de mes infirmités. »</p> <p>Cela dit, il se secoua énergiquement et s'étira comme un homme qui vient de se réveiller d'un long et lourd sommeil. Puis il reprit :</p> <p>« Partons d'ici sans attendre, car Njeddo ne tardera pas à apprendre ce qui vient de se passer. Or, c'est un signe de malheur pour son pouvoir ! »</p> <p><span style="font-weight:bold;font-style:italic;">Nouvelle étape vers l'inconnu</span></p> <p>Siré et Bâ-Wâm'ndé quittèrent les lieux en courant. Dès qu'il eurent gagné la rue, Siré arracha deux poils de ses aisselles, un à gauche et un à droite. Il les noua et souffla dessus. Les deux poils se métamorphosèrent en un boa long de quatorze coudées et gros comme un tronc de baobab.</p> <p>« Bâ-Wâm'ndé, s'écria-t-il, monte sur ce serpent et frappe ses deux flancs de tes talons. Il lui poussera des ailes et il s'envolera dans les airs (<span style="font-weight:bold;">47</span>). Il sera aussi rapide que l'éclair. Ne t'effraie pas des bruits que tu entendras et pour rien au monde ne te retourne pour regarder en arrière. Et si d'aventure quelque chose te frôle et semble prêt à se saisir de toi, n'éprouve aucune peur. Et surtout, je te le répète, ne te retourne pas, à aucun prix (2). Il y va de ton salut " !</p> <p>Bâ-Wâm'ndé enfourcha l'énorme boa et le piqua des talons, comme l'aurait fait un cavalier de ses éperons. Aussitôt, le reptile géant prit les airs comme un oiseau. Il s'éloigna rapidement dans le ciel avec son passager'.</p> <p>1 . Littéralement Que cela dure longtemps vaut mieux que si cela ne se faisait pas. »</p> <p>2. Le fait que, pour la première fois., Bâ-Wâmn'dé prend les airs, qui plus est en chevauchant un animal hautement initiatique d'une grande puissance occulte., signifie que, là encore., il a changé de plan, autrement dit de niveau de conscience ; d'où l'importance du conseil qui lui est donné de ne pas céder à la peur et de ne jamais regarder " en arrière , de rie pas retomber dans les réactions propres à son niveau habituel. C'est une étape importante dans sa quête et il est significatif que Njeddo Dewal éprouve un malaise précisément à ce moment-là, et non quand Siré a été délivré.</p> <p>2. Dans le langage africain, on emploie souvent le mot " ventre , à la place de « tête ». On ne dit pas il a cela dans la tète " mais " il a cela dans son ventre . On considère le ventre comme une sorte de cerveau, de lieu de force central. Cette grande cavité centrale est d'autant plus mystérieuse qu'elle contient les sept viscères : pancréas, foie, coeur, intestins.. estomac, reins, rate.</p> <p>A l'instant même, Njeddo Dewal, dans sa demeure, fut prise d'un malaise terrible. L'air lui parut anormalement lourd, sa respiration devint difficile, sa poitrine se rétrécit. Elle se mit à se trémousser sur sa couche, pressentant que quelque chose se passait au vestibule métallique. Pour s'en assurer, elle envoya l'un de ses esprits serviteurs vérifier sur place si tout était en ordre. Une fois parvenu sur les lieux, l'esprit-serviteur trouva la lourde porte du vestibule entrebâillée. Il entra et constata la disparition de la termitière jaune clair. Ce que voyant, son ventre se remplit du désir d'informer'. Il prit le chemin du retour avec hâte, crai gnant que son ventre trop rempli ne se déchire (1) et que les informations qui y étaient contenues ne s échappent. Hélas, malgré toutes ses précautions, son ventre se déchira et les nouvelles se répandirent sur la terre. Il les ramassa à la hâte, les remît dans son ventre et cousit la déchirure. Sept fois, sur le trajet qui sépare le vestibule métallique de la demeure de Njeddo, son ventre se déchira et sept fois il le recousit. Lorsqu'il arriva enfin en face de Njeddo, il se mit à bégayer de frayeur: " Nje... Nje... Njeddo Dewal ! J'ai trouvé le vestibule ouvert. La termitière a disparu et les clous se sont rétractés sous la terre comme des griffes de félin au repos." A cette nouvelle, Njeddo Dewal poussa sept cris stridents. Une brusque chaleur lui parcourut tout le corps. Une sueur chaude détrempa son visage. Ne pouvant rester en place, elle s'agitait, se trémoussait, elle en vint même à souiller ses vêtements. Quand elle fut un peu calmée, elle appela sept esprits qui faisaient partie de ses serviteurs dévoués. " Allez voir immédiatement ce qui se passe au vestibule métallique, commanda-t-elle. Si d'aventure Siré le sourd-muet-borgne se trouve sur les lieux, emparezvous de lui et tranchez-lui la tête avec le sabre que voici. » Et elle remit au chef des sept esprits un sabre dont la lame était faite d'un alliage de sept métaux. « Avant d'exécuter Siré, ajouta-t-elle, allez ouvrir les sept cratères des sept monts volcaniques qui entourent Wéli-wéli. Commandez aux montagnes de vomîr les feux de leurs entrailles. Que les flammes consument les nuages du ciel et carbonisent tout sur la terre, jusqu'aux grains de sable, et que tout soit réduit en cendre grise ! Que le feu ne laisse aucune vie subsister, qu'il empêche toute respiration, que rien ne demeure sur sa base ni dans son état naturel ! Allez!» Comme une flèche, les esprits s'élancèrent, prêts à exécuter les ordres donnés par Njeddo Dewal. Arrivés devant le vestibule métallique, ils cherchèrent des yeux Siré, mais ils ne le virent pas. « Peut-être, se dirent-ils entre eux, Siré s'est-il caché dans un coin du vestibule ? Allons nous en rendre compte. » 1 . Expression métaphorique évoquant la peur qu'éprouve le porteur de nouvelles d'être devancé par un autre., de voir son secret découvert.</p> <p>Se suivant à la queue leu leu, ils se rapprochèrent craintivement du vestibule, hésitant à y pénétrer bien que le battant en soit entrebâillé. Ils étaient en train de se concerter, quand Siré surgit tout à coup derrière eux. Il leur ordonna sur un ton incantatoire :</p> <p>« Entrez dans le vestibule malgré vous ! Telle est la volonté de Guéno (1) ! »</p> <p>Les sept esprits se sentirent attirés comme par un aimant. Malgré leur résistance, ils furent précipités à l'intérieur du vestibule. La salle s'enflamma aussitôt et tous les sept périrent dans le feu. La lourde porte se referma et, miraculeusement, le vestibule et la muraille d'enceinte disparurent sous terre. A ce moment, Bâ-Wâm'ndé et sa monture volante n'étaient plus qu'un petit point noir à l'horizon. Njeddo Dewal, dans sa prescience, ressentit en elle ce qui venait de se passer. Furieuse comme un grand feu de brousse, elle se leva et prononça sept paroles magiques. Immédiatement, le firmament rougit comme s'il venait d'être teint avec du sang. Le soleil s'obscurcit, se détacha de son embasement, se rapprocha de la terre et déversa sur elle une chaleur infernale.</p> <p>La sorcière fit alors venir un gros oiseau auprès d'elle. Les uns disent que c'était un aigle pêcheur de très grande envergure ou un aigle chasseur, d'autres que c'était un aigle de haute montagne qui ne descend que rarement dans la plaine. Toujours est-il que Njeddo fixa sur le dos de l'oiseau gigantesque un siège dans lequel elle s'assit confortablement.</p> <p>Elle commanda à son gardien de tam-tam de battre de son tambour de sorcier recouvert de peau humaine. Au fur et à mesure que les sons du tam-tam se répandaient dans l'espace, les bêtes les plus méchantes de la terre sortaient de leurs nids ou de leurs terriers pour se lancer à la poursuite de Siré et de Bà-Wâm'ndé qu'elles avaient mission de rechercher. Njeddo Dewal avait su, en effet, que le mouton kobbou-nollou avait été amené par Bà-Wàm'ndé. « Il faut coûte que coûte que vous attrapiez ces deux hommes, hurla-t-elle. Sinon, c'est la fin de mon pouvoir ! »</p> <p>Avant de partir, elle prit soin d'installer ses filles dans les branches touffues d'un grand caïlcédrat entouré d'un bosquet d'acacias (2). Puis elle commanda à son oiseau de prendre les airs.</p> <p>1 . Ces paroles prouvent que Siré est, lui aussi, un grand magicien mais, à l'inverse de Njeddo Dewal. il agit au nom de Guéno et uniquement pour le bien. On comprend mieux pourquoi Njeddo Dewal devait le retenir prisonnier.</p> <p>2. Symbole même de la protection complète. Les caïlcédrats sont en effet de très grands arbres et les acacias des épineux dont les haies sont quasiment impossibles à franchir.</p> <p>Siré, après avoir vu périr les sept esprits et disparaître sous terre muraille et vestibule, avait prononcé quelques paroles magiques. Aussitôt le mouton kobbou-nollou - qui avait, on s'en souvient, été avalé en un clin d'oeil par la reine et le roi des termites - ressuscita et apparut devant lui, mais beaucoup plus grand qu’auparavant. Il avait la taille d'un pur-sang des sables (1). Siré l'enfourcha et ils s'élancèrent dans la direction qu'avait prise Bâ-Wâm'ndé. Ils fonçaient au galop sur la terre tandis que, perché sur son boa ailé, Bâ-Wâm'ndé fendait les airs.</p> <p>Njeddo Dewal se lança à la poursuite de BâWâm'ndé. Son coursier ailé étant particulièrement rapide, elle eut tôt fait de le rattraper. Elle toussa plusieurs fois. Aussitôt, un essaim de guêpes et d'abeilles sortit de ses narines. Elle leur ordonna d'aller piquer le boa volant jusqu'à ce que ses contorsions fassent tomber son cavalier, puis de descendre piquer Siré qu'elles trouveraient non loin de l'endroit où s'abattrait BâWàm'ndé.</p> <p>Armés de leur dard, les insectes prirent leur vol, si nombreux qu'ils en obscurcissaient le ciel. Ils donnèrent la chasse à Bâ-Wâm'ndé, mais celui-ci disparaissait régulièrement derrière des nuages semblables à des montagnes, les uns noirs comme du fer, les autres blancs comme des flocons de coton.</p> <p>L'oiseau de Njeddo flottait sur les airs comme une embarcation sur l'eau. Tantôt il s'élevait si haut qu'il paraissait frôler les nues, tantôt il descendait si bas qu'il semblait vouloir balayer la terre.</p> <p>Quant à sa maîtresse aux yeux rouges, ses cheveux étaient ébouriffés comme de l'herbe folle, ses ongles aussi pointus que des javelots, ses talons épais comme une masse de forgeron, ses bras tranchants comme des sabres, sa bouche aussi grande qu'une caverne, ses dents plus grosses que celles d'un hippopotame. Son costume était fait d'un treillis métallique.</p> <p>Les abeilles et les guêpes avaient rattrapé BâWam'ndé. Elles s'attroupèrent autour de lui, prêtes à le piquer ainsi que sa monture. Siré, qui suivait la scène de loin, récita quelques paroles magiques. Ces paroles donnèrent naissance à une fumée tourbillonnante qui s'éleva rapidement dans le ciel. La fumée enveloppa les insectes voltigeurs, puis se transforma en un feu ardent qui leur brûla les ailes. Privées de leurs ailes, les porteuses d'aiguillon devinrent tels de gros vers maladroits et tombèrent sur le sol comme de vulgaires grêlons. Njeddo Dewal, persuadée que son armée d'insectes avait réussi à désarçonner Bâ-Wâm'ndé, éperonna son oiseau et piqua vers la terre pour s'attaquer à Siré.</p> <p>1. Après sa mort provisoire. kobbou ressuscite plus grand. En accédant au statut de monture (étape nouvelle) le mouton providentiel devient pour nos amis un auxiliaire plus précieux encore.</p> <p>Elle l'aperçut monté sur Kobbou. Aussitôt, elle comprit intuitivement qu'il venait de sauver Bâ-Wâm'ndé. Elle piqua sur lui, mais Siré fonça vers une montagne qui se trouvait à l'horizon. Arrivé devant la montagne, il l'incanta. Elle s'ouvrit et il s'y réfugia avec sa monture. L'ouverture étant restée béante, Njeddo et son oiseau s'y engouffrèrent. Immédiatement, les deux parois du tunnel se resserrèrent et happèrent l'oiseau, le serrant si fort qu'il en pondit un oeuf. L'oeuf se cassa et il en sortit une colonie de fourmis dont chacune était armée de dents en fer trempé, plus tranchantes qu'un taillet (1) de forgeron. Les fourmis se ruèrent sur la montagne. Le temps de quelques clignements d'yeux, elles la grignotèrent en totalité. L'immense masse rocheuse fut réduite en une farine de pierre qui s'étala comme une vaste plaine sablonneuse.</p> <p>Njeddo Dewal avait magiquement suscité les fourmis pour détruire la montagne, ouverte par Sire non moins magiquement. N'entendant ni ne voyant rien qui puisse signaler la présence de Sire, Njeddo crut qu'il avait été enterré sous les sables. Elle remonta sur son oiseau qui avait été délivré et se lança à la poursuite de Bâ-Wàm'ndé, cherchant ses traces entre ciel et terre.</p> <p>Elle balaya du regard les points cardinaux et collatéraux, mais elle n'aperçut rien, pas le moindre Petit point dans le ciel, pas même un semblant de trace! Furieuse, elle cria sa colère, hurla de douleur, vociféra de désespoir. Or les cris de Njeddo sont aussi puissants que le tonnerre. Tous les êtres qui les entendirent crurent que c'était le ciel qui tonnait à en faire craquer les pierres et trembler la terre. Comme pour leur donner raison, la terre se mit à trembler au point que les racines des arbres s'extirpèrent de leur logement. Rien ne resta paisible. Des déserts jadis calmes et silencieux comme une nuit profonde entrèrent en ébullition, telle l'eau d'une marmite surchauffée. Les eaux des fleuves, des lacs, des rivières et même des puits se mirent à bouillir.</p> <p>Les plantes et les herbes vertes de la zone d'inondation se desséchèrent. Les animaux qui se trouvaient dans les environs crevèrent. Pas même un chaton n'échappa à la catastrophe. Tous les êtres vivants étaient plongés dans la terreur. Ils s'entremêlaient, se tortillaient, se desséchaient avant de mourir lamentablement. L'angoisse et les tortures étaient telles que chacun appelait la mort comme une délivrance.</p> <p>1. Sorte de ciseau de forge : épaisse masse de fer terminée en biseau très tranchant, capable d'entamer le métal.</p> <p>Pendant ce temps, Bâ-Wàm'ndé continuait d'avancer dans les airs sur son boa qui transperçait les nuages comme une flèche lancée à travers l'espace. Au fur et à mesure que le boa se pliait et se dépliait, les distances disparaissaient, comme avalées une à une. Tout à coup, le boa sentit qu'il était poursuivi. il péta et ses pets se transformèrent en un ouragan capable d'emporter à la dérive tout ce qui se trouvait derrière lui.</p> <p>Njeddo Dewal vit l'ouragan déchaîné se diriger vers elle. Elle en déduisit que Bâ-Wâm'ndé se trouvait de l'autre côté. Elle orienta son oiseau en conséquence et lui ordonna de se tenir prêt, lorsque les vents approcheraient, à s'envoler plus haut qu'eux. A peine avait-elle fini de parler que l'ouragan s'enfla démesurément, formant comme une muraille unissant le ciel à la terre.</p> <p>Le boa volant et le coursier ailé de Njeddo se livrèrent alors dans l'espace à un duel fantastique. Ils s'élevaient si haut qu'ils en frôlaient le plafond du ciel où les étoiles semblaient paître comme du bétail paisible, ou descendaient si bas qu'ils rasaient le sommet des collines. Ils semblaient jouer à cache-cache à travers l'espace, contournant les grandes étoiles pour se cacher derrière elles, enjambant les petites, bousculant les moyennes, sans parvenir jamais à se trouver nez à nez nulle part !</p> <p>Njeddo Dewal fit sortir un coq de sa poitrine. Le coq saillit l'oiseau qui pondit un nouvel oeuf entre terre et ciel. Njeddo attrapa l'oeuf au vol et le plaça dans sa bouche pour le chauffer. Quand il fut brûlant, elle le jeta sur l'ouragan. L'oeuf s'y écrasa et l'inonda de son liquide gluant. Aussitôt, la tempête s'apaisa comme par enchantement.</p> <p>Toute réjouie, Njeddo Dewal fit redescendre son oiseau. Elle piqua du ciel vers la terre. Dans sa descente vertigineuse, elle se heurta à des étoiles qui s'entrechoquèrent comme des poissons-chats troublés dans l'eau d'un fleuve. Des queues d'étoiles filantes laissaient de grandes traînées de lumière. Dans la crainte de recevoir les projectiles qui semblaient pleuvoir du ciel, toutes les créatures de la terre baissaient la tête.</p> <p>Chaque fois que Njeddo Dewal se rapprochait du sol, elle levait les yeux pour embrasser du regard l'étendue du ciel, espérant y apercevoir Bâ-Wâm'ndé ne serait-ce qu'au loin, ou sentir sa présence plus près d'elle. Ayant accompli plusieurs fois ce manège sans rien découvrir, la mégère, folle de colère, descendit de son oiseau. Elle frappa la terre de son talon tout en mordillant son index jusqu'à la deuxième phalange. Et chaque fois qu'elle mordait son doigt, un crachat épais, puant comme un excrément de poule, se répandait dans l'air.</p> <p>Un vieux vautour des hautes montagnes, alléché par l'odeur puante, accourut afin de se régaler. Njeddo lui dit</p> <p>" Tu ne te repaîtras de ce dont tu as senti l'odeur qu'à condition d'accepter de me servir en exécutant aveuglément mes ordres ! »</p> <p>Le vautour accepta.</p> <p>« Alors vole, vole très haut, dit-elle, et fouille l'horizon pour y découvrir les traces d'un fils d'Adam monté sur un boa volant, Dès que tu l'apercevras, lance sur lui la corde à noeud coulant que voici. Si tu l'accroches, tire avec force sur la corde, puis place son extrémité dans un feu ardent.</p> <p>- Et comment ferai-je pour trouver du feu alors que je serai dans les airs ? » demanda le vautour.</p> <p>Njeddo Dewal lui tendit deux pierres: « Tiens-les dans tes serres. Et lorsque tu auras besoin du feu, cogne-les l'une contre l'autre. Il en jaillira des étincelles qui enflammeront la corde. " Le vautour prit son élan. Il s'éleva très haut, entra dans les nuages et fonça dans la direction où il pensait trouver Bâ-Wâm'ndé. Filant plus rapidement que le boa, il ne tarda pas à l'apercevoir. Il augmenta encore sa vitesse. Arrivé à quelques coudées, il lança vers BàWâm'ndè la corde que Njeddo Dewal lui avait donnée. Cette corde, qui était aussi solide que du métal, traversa l'espace en faisant entendre un sifflement aigu. A ce bruit, le boa comprit qu'un projectile était lancé contre eux et piqua vers le bas, à une vitesse qui surprit le vautour. La corde passa par-dessus Bâ-Wâm'ndé et sa monture. Poursuivant sa course, elle heurta un gros nuage qui alla en percuter un autre. Des étincelles jaillirent ; une détonation assourdissante retentit ; l'atmosphère devint brûlante comme si elle avait pris feu. Des nuages entrechoqués jaillit une immense langue de flamme qui s'étira jusqu'à atteindre le boa. Celui-ci, faute d'avoir pu s'esquiver suffisamment à temps, eut les ailes brûlées et le corps touché.</p> <p>Il décrocha et se mit à tomber, roulant comme une pierre, pirouettant sur lui-même, Bà-Wâm'ndé toujours fermement rivé à son dos. Après plusieurs culbutes, ils amorcèrent une chute vertigineuse vers la terre où rien ne semblait pouvoir les empêcher de s'écraser. Siré, parvenu à proximité, vit leur chute. Il descendit en toute hâte du dos de Kobbou et lui ordonna de s'envoler afin d'aller saisir Bâ-Wâm'ndé et sa monture dans leur descente mortelle. Aussitôt, Kobbou prit son essor. Tel un aigle-chasseur étalon, il fendit les airs à la vitesse d'un bolide et attrapa au vol Bà-Wâm'ndé qui se retrouva miraculeusement assis à califourchon sur son dos.</p> <p>Malheureusement pour le boa, la langue de flamme ne s'était pas contentée de lui brûler les ailes, elle avait également cuit son corps. Celui-ci, carbonisé, finit par se disperser dans l'atmosphère.</p> <p>Son passager solidement agrippé à sa toison, Kobbou redescendit à terre et se posa doucement devant Siré. " J'ai pu sauver Bâ-Wâm'ndé, lui dit-il, mais non le boa. Il a péri et son corps calciné s'est volatilisé. "</p> <p>Sire remonta sur Kobbou et prit Bà-Wàm'ndé en croupe (1). Après avoir cheminé quelque temps, ils aperçurent au loin, leur barrant la route, une montagne infranchissable. Elle était si haute que nul n'aurait pu l'escalader et si vaste qu'on n'aurait pu en faire le tour, même en plusieurs mois de voyage. Les fugitifs n'en continuèrent pas moins d'avancer vers elle. Njeddo Dewal avait assisté de loin à la chute vertigineuse du boa et de son cavalier. Certaine d'être arrivée au bout de ses peines en ce qui concernait BâWâm'ndé, elle pensa n'avoir plus à chercher que Siré et Kobbou et à les tuer comme elle l'avait fait du boa. Le plaisir qu'elle en ressentit fut tel qu'elle se pâma de rire. Elle était aussi joyeuse qu'une ânesse altérée qui tombe inopinément sur une mare et qui, de contentement, brait à s'en égosiller et pète à s'en déchirer le rectum ! « Ah ! se dit-elle en elle-même, au comble de la joie, les ailes du boa ont flambé et la terre n'a même pas daigné accepter ses cendres. Sans aucun doute, BâWâm'ndé n'est plus. Maintenant, Siré, à nous deux ! » Et elle enfourcha à nouveau sa monture volante.</p> <p>L'oiseau s'élança si haut qu'il semblait vouloir frôler la calotte du ciel. Njeddo Dewal aperçut au loin la montagne dont, à la vérité, elle connaissait tous les secrets. Elle savait que si le mouton miraculeux parvenait à l'atteindre, dès que son regard multicolore se poserait sur sa paroi, le tunnel secret qui permettait de la franchir serait dévoilé, car seul le regard de Kobbou pouvait opérer ce miracle.</p> <p>Qu'était-ce donc que cette montagne mystérieuse vers laquelle Siré se dirigeait et que la grande magicienne voulait à tout prix l'empêcher d'atteindre ? C'était la frontière entre le monde visible et palpable des hommes et le monde caché que seuls peuplent les génies (<span style="font-weight:bold;">48</span>). Cette montagne de forme circulaire entourait un lac d'eau salée d'une étendue incommensurable'. Au milieu du lac se dressait une île, et c'est au coeur de cette île, on s'en souvient, que Njeddo Dewal avait enfoui sous terre la gourde métallique contenant son grand fétiche dont le pouvoir lui permettait d'opérer ses miracles et de dominer les êtres des trois règnes de notre terre: minéral, végétal et animal.</p> <p>Njeddo Dewal s'avança vers la montagne, scrutant l'horizon de tous côtés ; mais elle n'y découvrit trace ni de Siré ni de sa monture. Alors, expirant profondément, elle fit jaillir de ses poumons un puissant rayon lumineux avec lequel elle éclaira la gigantesque paroi afin de pouvoir y déceler le moindre mouvement, de la base jusqu'au sommet.</p> <p>1. Nouvelle étape symbolique sur le chemin de nos amis vers l'unité.</p> <p>Puis elle chargea l'un de ses esprits, Bourreau-exterminateur-de-ses-ennemis, d'aller explorer minutieusement chaque recoin des environs de la montagne. Elle l'arma d'un <span style="font-style:italic;">palel, </span>petite gourde ronde en calebassier, et lui dit:</p> <p>« Cette gourde contient tayre-kammu, la foudre'. Va au pied de la montagne, et cherche Siré monté sur Kobbou. Dès que tu l'apercevras, approche-t'en jusqu'à 44 coudées et lance sur lui le <span style="font-style:italic;">palel. Mais</span> prends garde, car Siré a le pouvoir de se métamorphoser de multiples façons. Aussi, vise tout ce qui bouge ou te semble insolite !</p> <p>« Ce palel ne manquera pas de frapper violemment le crâne de Siré. La foudre (1) qu'il contient grillera son cerveau et coagulera son sang dans ses veines. Son corps se flétrira comme une herbe de saison sèche. Tu arracheras ses nerfs (2) en les tirant. Ils se sépareront facilement de sa chair car ils sont aussi fermes et solides que des fils métalliques. Sa moelle durcie sortira des tuyaux de ses os par ses doigts, ses orteils, ses paumes et ses talons.</p> <p>« Si Siré et son mouton nous échappent, un grand malheur m'attend et, par voie de conséquence, t'attend également ainsi que tous mes serviteurs. Aussi, déploie tous tes efforts en vue de réussir ta mission ! Va !"</p> <p>L'esprit, éclairé par le rayon de Njeddo Dewal, se dirigea vers la montagne. Quand il en fut proche, il aperçut sur ses parois l'ombre non pas d'un, mais de deux cavaliers avançant sur une même monture:</p> <p>c'était l'ombre de Siré et de Bâ-Wâm'ndé montés sur Kobbou.</p> <p>Njeddo Dewal avait aperçu l'ombre en même temps que l'esprit. Elle poussa un cri si puissant que la terre en trembla.</p> <p>« Malheur! Malheur! s'écria-t-elle. Notre perte est en train de se consommer car, sans nul doute, Siré, BâWâm'ndé et Kobbou sont déjà au pied de la montagne. Or, il est dit que le jour où le regard du mouton aux yeux multicolores se posera sur sa paroi, l'entrée secrète du tunnel qui la traverse apparaîtra au grand jour. »</p> <p>Njeddo activa sa monture, laquelle redoubla de vitesse. Arrivée à proximité de la montagne, elle commanda à l'oiseau de voler le plus bas possible afin de pouvoir observer attentivement les lieux.</p> <p>1.    Littéralement « feu du ciel -.</p> <p>2.    Le mot - nerf " désigne également les veines.</p> <p>Tout à coup, elle aperçut une autruche mâle occupée à solliciter sa femelle. L'oiseau poussait des cris semblables au rugissement du lion, mais loin d'exprimer la colère, c'étaient là cris de tendresse et de câlinerie, manière, pour le grand volatile, de cajoler sa compagne. C'est le moment que Njeddo choisit pour s'écrier: « Ô autruche ! Viens vers moi en courant de toute la vitesse de tes longues jambes ! »</p> <p>Le galant oiseau fit la sourde oreille. Il continua de chatouiller délicatement la croupe de sa bien-aimée, agitant ses ailes comme pour lui donner de l'air et déployant les plumes de sa queue en éventail comme pour mieux l'éblouir.</p> <p>Devant son entêtement, Njeddo Dewal mit pied à terre. Elle lui renouvela l'ordre de venir se mettre à son service. Derechef, l'amoureux au long cou refusa.</p> <p>Alors, furieuse, Njeddo Dewal prononça contre lui et sa descendance une imprécation dont nous constatons encore aujourd'hui les effets : « Périssent tes deux ailes, ô autruche de malheur ! s'écria-t-elle. Jamais plus tu ne pourras t'envoler comme tu le faisais jusqu'à présent ! »</p> <p>L'autruche femelle, tout aussi récalcitrante que son soupirant, lui chuchota à l'oreille : « Puisque nous ne pouvons plus nous envoler, essayons de courir avant que Njeddo Dewal ne maudisse aussi nos pattes... »</p> <p>L'attention de la grande sorcière venait d'être attirée par l'ombre qui se profilait à nouveau sur les parois de la falaise. Les deux oiseaux en profitèrent pour détaler à toute vitesse vers le pied de la montagne. Quand Njeddo se retourna, elle constata qu'ils avaient disparu. Les fuyards avaient déjà réussi à rejoindre Sire et Bâ-Wâm'ndé auxquels ils signalèrent la présence de Njeddo dans les environs. Puis ils reprirent leur course.</p> <p>De son côté, l'esprit serviteur qui devait détruire Siré n'était pas encore parvenu à ses fins. Sonpalel à la main, il suivait l'ombre qui se mouvait sur la paroi de la montagne, cherchant à découvrir son origine.</p> <p>Les autruches ne se doutaient pas que, dans leur course folle, elles se dirigeaient tout droit vers lui. Il perçut leurs pas. Pensant qu'il s'agissait de Siré et de Bâ-Wâm'ndé, il leva le bras et s'apprêta à lancer son palel. Quand les oiseaux-coureurs furent à quelques coudées de lui, il s'écria :</p> <p>« Malheur à toi, Siré ! Malheur à toi, Bâ-Wâm'ndé 1 car vos mères ont accouché de cadavres (1).</p> <p>1 . Expression signifiant : vous pouvez vous considérer comme morts</p> <p>-    Ô esprit, répliqua l'autruche mâle, tu fais erreur, nous ne sommes ni Bâ-Wâm'ndé ni moins encore Siré. Bien au contraire, nous sommes des oiseaux tout dévoués à Njeddo Dewal. Celle-ci nous a dépêchés vers toi pour te conduire à l'entrée du tunnel que recherche Siré. Il ne tardera pas à le découvrir: aussi est-ce là que tu dois l'attendre. »</p> <p>Naïvement, l'esprit tomba dans le piège. Le voyant si bien disposé, le grand oiseau ajouta : « Mon long cou et ma tête plate lanceront le <span style="font-style:italic;">palel</span> bien mieux que ta main ne saurait le faire, d'autant que ma haute taille me permettra d'apercevoir Siré et Bâ-Wâm'ndé plus vite et mieux que toi ! »</p> <p>Comme pris sous l'effet d'un charme, l'esprit trouva la proposition judicieuse. Il plaça le <span style="font-style:italic;">palel </span>sur la tête de l'astucieux oiseau et prit sa route dans la direction que celui-ci lui indiquait, tandis que le couple aux longues pattes rebroussait chemin pour aller avertir Sire et BâWâm'ndé. Dès qu'ils les eurent rejoints, l'autruche mâle dit à Siré:</p> <p>-    J'ai réussi à détourner dans une fausse direction l'esprit-serviteur de Njeddo Dewal. Il était chargé de lancer sur vous l'engin que voici. A toi d'en faire ce que tu voudras, Siré, mais fais vite, car Njeddo ne tardera pas à réaliser que son serviteur a été berné et à nous découvrir tous. Le moins que nous risquions est notre capture, qui nous mènera inévitablement à la mort. »</p> <p>Avant même que l'autruche eût fini de parler, BâWâm'ndé perçut des cris épouvantables qui le remplirent d'effroi. Son affolement fut tel que Siré en fut troublé au point de perdre momentanément ses moyens et de ne savoir que faire. Ce que voyant, l'autruche mâle leur dit : « Ne bougez pas et tenezvous tranquilles ! Je vais exécuter ma danse magique en traçant autour de vous un hexagramme. Si vous restez en son centre, vous bénéficierez d'une protection occulte (1). »</p> <p>Le magicien ailé entama sa danse hiératique. Évoluant de gauche à droite, il traça un premier triangle dont il entoura ses protégés, puis un second triangle de forme inversée, obtenant ainsi une figure composée de six cases encerclant une septième case centrale. Sa danse terminée, il sauta à pieds joints dans la case centrale où se trouvaient déjà sa compagne et ses nouveaux amis.</p> <p>1. Hexagramme : voit note 3.</p> <p>Les cris perçus par Bâ-Wâm'ndé avaient été poussés par l'oiseau géant de Njeddo Dewal. Celle-ci approchait rapidement. Elle survola bientôt Siré et ses compagnons sans les découvrir, voilés qu'ils étaient par les vertus occultes de l'hexagramme. Pendant qu'elle était ainsi occupée à chercher Siré et à retrouver son démon exterminateur, le mouton Kobbou leva la tête et fixa la montagne de ses yeux bicolores. Tout un pan de la muraille s'écroula et laissa apparaître l'entrée d'un passage (1).</p> <p>« Vite ! Vite ! crièrent l'autruche et sa femelle à Siré et à Bâ-Wâm'ndé. Entrez dans le tunnel avant que la porte ne se referme ! »</p> <p>Aussitôt, Siré et Bâ-Wàm'ndé enfourchèrent Kobbou qui s'élança vers l'ouverture. Mais hélas, le palel que Siré tenait à la main, et qui était destiné à Njeddo Dewal, lui échappa, roula jusqu'au seuil de la galerie béante et s'y engagea. Là il heurta la paroi intérieure. Il éclata. Des flammes jaillirent et se répandirent dans la galerie qui devint un véritable puits de feu d'où s'échappait une épaisse fumée asphyxiante.</p> <p>Des langues de feu, sortant du tunnel, s'élevèrent et embrasèrent la montagne comme un vulgaire toit de chaume. En un instant, elle devint un brasier ardent. Tous les petits animaux, crapauds, souris, rats, "gueules-tapées", lézards et renards, pour ne citer que ceux-là, furent rôtis par les flammes.</p> <p>Njeddo Dewal contemplait de loin avec délectation cette rôtisserie aussi gigantesque qu'inattendue. Pour mieux jouir du spectacle, elle commanda à son oiseau de s'approcher davantage. lis formaient dans le ciel comme un épais nuage noir qui grossissait rapidement. Bâ-Wàm'ndé fut le premier à l'apercevoir. , Ô Siré, s'écria-t-il, notre mort est à point car ce gros nuage noir qui évolue vers nous ne peut être que Njeddo et son sinistre oiseau. Or, il nous est impossible de nous engager dans le tunnel en feu. Qu'allons-nous faire ? »</p> <p>Il avait à peine fini de parler que la calamiteuse était au-dessus d'eux. Elle éclata d'un grand rire féroce, puis prononça des paroles magiques propres à rompre le charme qui les protégeait encore.</p> <p>« Malheur à vous ! s'écria-t-elle, car je vais lancer contre vous un deuxième palel, puisque le premier n'a fait qu'embraser la montagne. » Aussitôt, un gecko gros comme un caïman et rouge comme une braise sortit sa tête des flammes (<span style="font-weight:bold;">49</span>).</p> <p>1. Seul le regard miraculeux (lu mouton prédestiné peut faire apparaître l'ouverture secrète de la montagne. L'un de ses yeux est blanc, couleur du lait. symbole (le la pureté totale : il peut donc voit- le pôle spirituel ou caché (les choses. L'autre est brun ou rouge, couleur de la terre : il peut donc voir le pôle matériel. Autrement dit, son regard couvre tout l'éventail des couleurs : or les couleurs symbolisent les différentes manifestations de la Réalité Une qui, elle, est sans couleur. Le regard de Kobbou, comme celui (le l'initié accompli, fait s'évanouir l'illusion et apparaître la réalité secrète cachée derrière les apparences (ici l'ouverture secrète de la montagne.)</p> <p>Ouvrant tout grand sa large gueule, il dit :</p> <p>« Ô pourchassés de Njeddo Dewal ! Entrez sans peur dans ma bouche. Je vais vous faire traverser le tunnel sans dommage et la grande sorcière n'aura pas raison de vous.</p> <p>-    Qui donc es-tu, Ô animal providentiel ? questionna Siré.</p> <p>-    Je possède plusieurs noms, répondit l'animal, mais le plus courant est gueddal. La gent saurienne à laquelle fappartiens vit dans les régions chaudes. Guéno nous a dotés d'une tête plate et large et de doigts garnis de lamelles adhésives qui nous permettent de courir le long des parois et même des plafonds. Bien que nous soyons intelligents, les hommes ne nous aiment pas. Ils nous considèrent comme des êtres nocturnes haïssables.</p> <p>« Siré, ajouta-t-il, ton compagnon est un ami fidèle des animaux. Aussi, par devoir de reconnaissance, vais-je vous faire passer de l'autre côté de la montagne. »</p> <p>Sans perdre une seconde, Siré, Bâ-Wâm'ndé et Kobbou se jetèrent tous les trois dans la gueule enflammée de gueddal le gecko.</p> <p>Juste au moment où celui-ci refermait ses mâchoires sur les trois compagnons, l'oiseau de Njeddo Dewal se posa devant l'entrée du tunnel. Njeddo descendit, palel en main. Elle le lança contre la montagne. Il en jaillit des flammes d'une puissance prodigieuse qui rendirent le brasier plus ardent encore. Persuadée que les fugitifs étaient à l'intérieur, elle tenait à réduire en cendres la montagne et ses occupants. Mais ce fut peine perdue ! C'était sans compter avec la formidable capacité de résistance de la montagne.</p> <p>S'approchant de l'entrée de la galerie, Njeddo Dewal aperçut le gecko mais ne put l'identifier en raison de son envergure et, surtout, de la grosseur de son ventre.</p> <p>« Qui es-tu, lui dit-elle, ô animal qui nage dans les flammes comme un silure dans l'eau ? A quelle espèce appartiens-tu ? Je ne te reconnais pas. Je n'ai jamais vu de rampants tels que toi. Ta tête, tes pieds et ta queue ressemblent à ceux d'un gueddal des cavernes, mais ton envergure et le volume de ton ventre ne sont pas ceux des geckos ordinaires. Comment et pourquoi te trouves-tu à l'entrée de ce tunnel ? Que fais-tu là ? Qui cherches-tu ?</p> <p>-    C'est à toi, répliqua le gueddal, de me dire pourquoi tu es là et ce que tu cherches.</p> <p>-    Je cherche trois grands malfaiteurs, répondit Njeddo: deux hommes et un mouton magique qui peut marcher sur terre et voler dans les airs avec la rapidité de l'éclair. Les deux hommes se nomment Siré et Bâ-Wâm'ndé et leur monture Kobbou. Je suis moimême Njeddo Dewal, la propriétaire de File magique située au milieu du grand lac salé qu'entoure cette montagne. J'ai enfoui dans l'ile une gourde métallique contenant un secret mortel. C'est cette gourde que Siré convoite. Et le jour où il la trouvera et l'ouvrira, l'ile, le lac et la montagne qui les entourent seront anéantis. Je te demande donc, ô gueddal, de collaborer avec moi pour empêcher mes trois ennemis de franchir la montagne et d'accéder à l'île ! En récompense de ta collaboration, je te donnerai le turban de la royauté et tu commanderas à tous les êtres de la montagne.</p> <p>-    Ô Njeddo Dewal, dit le gueddal, je reconnais ta puissance ! Si tu vois mon ventre si gonflé, c'est qu'il est rempli de mes oeufs que je suis en train de pondre.</p> <p>-    Éloigne-toi un peu de l'entrée, assieds-toi et attends que j'aie fini d'expulser les oeufs qui renferment ma progéniture. Ensuite, je deviendrai ton serviteur dévoué et ne laisserai aucun être vivant passer. »</p> <p>Joignant le geste à la parole, le gueddal souleva sa queue et se mit à geindre, comme étreint par les douleurs de l'enfantement.</p> <p>Njeddo s'éloigna sans méfiance.</p> <p>Le gueddal pondit effectivement quelque chose c'étaient nos trois amis, qui sortirent de son ventre par son anus. Dès qu'ils furent au-dehors, l'air marin qui soufflait doucement depuis l'autre extrémité du tunnel les revigora. A l'instant même, les feux de la montagne s'éteignirent. Au plus grand étonnement de Njeddo Dewal, non seulement le gueddal disparut mais l'entrée du tunnel se referma si hermétiquement qu'elle parut n'avoir jamais existé.</p> <p>En voyant s'éteindre les flammes, Njeddo comprit qu'elle était en voie de perdre la partie. Mais il en fallait beaucoup plus pour décourager la grande sorcière. Elle s'écarta de quelques coudées du lieu où elle était tapie et poussa un cri semblable au ululement du hibou. Intensifié par l'écho, ce cri gronda comme un tonnerre lointain. La calamiteuse fit alors venir son oiseau, le chevaucha et lui commanda de franchir la muraille de pierre. L'oiseau prit son élan. En un clin d'oeil il s'éleva si haut qu'il atteignit le sommet de la montagne. Il passa de l'autre côté, redescendit et déposa sa maîtresse à l'entrée de la plaine qui dévalait jusqu'aux rives du grand lac salé.</p> <p>Siré, Bâ-Wam'ndé et Kobbou avaient devancé Njeddo Dewal et étaient déjà arrivés au bord de la rive.</p> <p>Ils virent une tortue de mer géante qui nageait à la surface des eaux. Épuisée, elle faisait le va-et-vient entre les rives du lac et les bords de l'île, cherchant visiblement de la nourriture. Bâ-Wâm'ndé sortit de son sac le fruit de fôgi donné par le porc-épic et le lui jeta. La tortue se précipita sur le fruit, dévora ses graines et s'en rassasia. Puis, joyeuse comme une nouvelle mariée, elle nagea vers Bâ-Wâm'ndé, lançant allégrement ses pattes en de larges brassées. « Ô Bâ-Wâm'ndé, dit-elle, puisse Guéno te récompenser dignement! Tu m'as trouvée affamée à hurler, les tubes de mon estomac et de mes intestins si emmêlés que mon âme avait tout désappris. Huit jours durant, mon ventre est resté collé, rien n'y est entré et rien n'en est sorti. Tu m'as apporté ce fruit de fôgi et j'en ai mangé à satiété. Maintenant que j'ai recouvré mes forces et ma vigueur, si je puis quelque chose pour toi et tes compagnons, dis-le. J'essaierai de vous être utile en remerciement de ton bienfait.</p> <p>-    Ô tortue de bon augure ! répondit Bâ-Wâmndé. Puisse Guéno prolonger tes jours et qu'ils soient aussi nombreux que les grains de sable de l'île que j'aperçois là-bas au milieu du lac ! Tu peux effectivement nous aider. Mon compagnon et moi voudrions atteindre cette île et y débarquer. Je dois y amener le mouton kobbou que voici afin qu'il y fourrage et se rassasie de son herbe abondante. J'aime tellement mon mouton que je suis prêt à aller partout où il trouvera de la bonne herbe à brouter.</p> <p>« Mon compagnon que tu vois se nomme Siré, ajouta-t-il. Nous sommes liés par un serment plus sacré que celui du sang paternel ou du lait maternel (50). Solidaires pour le meilleur et pour le pire, nous allons partout ensemble et ne voulons pas nous séparer (1).</p> <p>-    Ô Bâ-Wâm'ndé, s'écria la tortue, prends garde</p> <p>Abstiens-toi d'aller sur cette île où les ongles et les dents des visiteurs tombent comme des fruits mûrs. Oui, homme de bien, l'île est peuplée de vers énormes dont les poils gros comme des brosses de sanglier sont hérissés comme des pics : ces vers grignotent et réduisent en poudre tout ce qui se trouve à portée de leur bouche.</p> <p>« Je vous ai suffisamment informés sur ce qui vous attend dans cette île. Je ne vous en ai rien caché, rien du tout. Mais si, malgré cette mise en garde, vous désirez toujours vous y rendre, alors je peux vous y conduire en vous servant d'embarcation. »</p> <p>Bâ-Wâm'ndé ayant acquiescé, elle continua</p> <p>« Je vous conseille cependant de me laisser accoster à l'endroit de mon choix. Je connais en effet un coin de l'île qui échappe au contrôle de Njeddo Dewal (2). Celui qui manque ce débarcadère va vers une mort certaine. Laissez-moi donc vous y déposer. Le lieu, je vous en préviens, est infesté de mouches et de sauterelles. On y trouve aussi un fourmilier et une femelle de scorpion, qui est la reine du lieu. Dès que vous serez arrivés, allez lui demander l'hospitalité. »</p> <p>Sire, Bâ-Wâm'ndé et Kobbou montèrent sur le dos de la tortue. Les deux hommes s'y assirent en tailleur.</p> <p>1 . Le lien initiatique et spirituel est considéré comme plus puissant que les liens naturels du sang et du lait.</p> <p>2. Ceci pour bien montrer que le pouvoir total est impossible : il n'appartient qu'à Guéno. Le pouvoir du bien West jamais total., pas plus que celui du mal. Il y a toujours un grain de mal dans le bien et un grain de bien dans le mal, une partie de nuit dans le jour et une partie de jour dans la nuit...</p> <p>Bâ-Wâm'ndé tenant fermement son mouton. La tortue leur fit d'ultimes recommandations :</p> <p>« De fortes vagues vont déferler avec fureur, dit-elle. Elles s'étireront longuement et se lanceront en d'immenses langues hautes comme des montagnes. Quoi qu'il arrive, restez assis comme vous êtes et, surtout, ne craignez rien (1). Et que Siré musèle Kobbou pour l'empêcher de bêler durant toute la traversée. » La tortue n'avait pas fini de parler que ses passagers virent d'énormes vagues S'élever comme sous l'effet d'une tempête et se ruer vers eux, se tortillant et se chevauchant furieusement. Chacune d'elles ressemblait à une montagne mobile qui paraissait devoir immanquablement s'écraser sur eux et les engloutir. Mais la tortue escaladait les lames les unes après les autres et dévalait leur versant opposé avec l'agilité d'un singe grimpeur. Ce fut une traversée bien mouvementée, faite d'une succession périlleuse de montées abruptes et de descentes vertigineuses Après une atroce demi-journée de voyage, la tortue atteignit enfin le débarcadère annoncé. Elle y déposa ses passagers et, avant de prendre congé d'eux, leur donna ses derniers conseils : « Pour pénétrer dans l'île, dit-elle, marchez droit devant vous, sans vous écarter du premier sentier qui se présentera. Ce sera une sorte de venelle qui vous menera droit au trou où réside la Reine scorpion. Dès que vous serez à la porte de sa demeure, dites-lui que vous êtes des étrangers venus lui demander l'hospitalité. Tout d'abord, elle vous ordonnera méchamment de décamper et d'aller loger ailleurs. En g-uise de réponse, asseyez-vous à terre et dites-lui : "Nous sommes ici au nom de la Tradition et votre mauvaise humeur ne nous fera point partir."</p> <p>1.    On retrouve ici le conseil déjà donné à Bà-Wâm'ndé sur le dos du boa volant : ne pas avoir peur., rester immobile et surtout ne pas se retourner. Dans l'initiation africaine, il y a toujours une épreuve de courage. C'est un exercice de volonté, une préparation, un combat sur soi-même. L'initiation a besoin de courage car le désespoir ou la peur neutralisent l'homme dans son action et le perturbent.</p> <p>La confiance et la foi sont nécessaires : si la peur est là., elles ne peuvent s'établir. En outre, la peur engendre le leurre., elle crée des images de choses qui n'existent pas. La peur est l'une des causes d'élimination dans l'initiation africaine. L'homme doit avoir le courage et la volonté de tout affronter, même ce qui est le plus étrange ou le plus inattendu.</p> <p>2.    Après avoir., grâce au gueddal., traversé l'épreuve du feu., nos amis doivent maintenant affronter une mer en tempête. La mer, lorsqu'elle est furieuse., est l'image des passions et des émotions qui agitent notre monde intérieur et qu'il faut apprendre à connaître d'abord., à maîtriser ensuite. Ses vagues symbolisent aussi les illusions et les mirages qui., dans le monde intermédiaire., prennent des formes attrayantes mais éphémères. C'est le monde des montées grisantes suivies de chutes vertigineuses. Faute d'un guide ou d'un moyen de traversée sûrs, on s'expose à de graves dangers. Les montées et les descentes sont aussi le symbole de la succession cyclique des temps d'effort et des temps de facilité.</p> <p>Ici, le rôle de guide est dévolu à la tortue, animal dont le caractère initiatique est encore accentué par le fait qu'elle nage, c'est-à-dire qu'elle maitrise à la fois l'élément terre et l'élément eau. Symbole d'ancienneté et de protection, la t, ortue est aussi symbole de prudence. Elle ne se hâte jamais, ce qui est très important en initiation (cf. note 18).</p> <p>En fait, tous ces obstacles à franchir sont des étapes intérieures, des victoires à remporter sur soi-même.</p> <p>« Elle entrera alors dans une grande colère; mais ne craignez rien, ce ne sera qu'un simulacre. Elle menacera de vous faire avaler par un ver de terre. Rétorquez-lui que, justement, vous avez bien envie de visiter le tube digestif d'un ver car vous ignorez comment il est fait. Sur ce, un énorme ver de terre se précipitera sur vous, ouvrira sa bouche et commencera par avaler Kobbou. Puis il vous dira : "Retournez d'où vous venez ou vous subirez le même sort que votre mouton!" Répondez-lui que vous êtes plutôt pressés de rejoindre votre blanche monture dans ses entrailles. Alors l'énorme invertébré vous avalera tous les deux et vous verrez ce que vous verrez.»</p> <p>Ayant dit, la tortue prit congé de nos compagnons, retourna vers la rive, fit un grand plongeon et disparut dans les profondeurs des eaux.</p> <p>Suivant à la lettre ses instructions, Siré et BâWàm'ndé marchèrent droit devant eux. Ils empruntèrent le premier sentier qui se présenta, lequel, comme annoncé, les mena tout droit au nid de la Reine scorpion. Celle-ci se tenait à l'entrée de son trou, comme pour se réchauffer au soleil et prendre l'air tout à la fois. Dès qu'elle perçut la présence de Siré et de ses compagnons, elle recroquevilla sa queue, ouvrit large-ment ses tenailles et prit sa position de combat.</p> <p>« D'où venez-vous ? leur cria-t-elle. Qui êtes-vous ? Que cherchez-vous ? Il faut que vous soyez les plus malappris et les plus malchanceux des êtres pour vous aventurer ici comme dans une foire. Une mâle mort va vous lancer sa pierre et vous périrez comme périssent tous ceux qui osent violer l'île de Njeddo Dewal la grande magicienne. Allez vous perdre dans les profondeurs du lac et mourez-y, cela vaudra encore mieux pour vous que de rester ici !</p> <p>- Non, nous n'irons nulle part! » répondit BâWâm'ndé.</p> <p>Siré surenchérit : « Nous sommes tes hôtes et nous le resterons. Que la calamité dont tu nous menaces vienne, qu'elle brûle nos chairs, brise nos os et les réduise en poudre plus fine que la plus fine des farines et qu'ensuite la farine de nos os soit éparpillée dans l'air, nous sommes ici et nous y resterons! »</p> <p>Bà-Wâm'ndé s'écria : - Tu vois, ô puissante Reine, nous n'avons nullement l'intention de déguerpir. Nous sommes chez toi et n'en partirons pas, Pique-nous de ton aiguillon et que ton venin nous empoisonne ou assène-nous des coups de barre de fer si le coeur t'en dit. Plutôt que de quitter ces lieux, nous subirons le coeur tranquille n'importe quel châtiment. Ne perds donc pas ton temps, ô Reine au dard puissant et venimeux, car rien ne nous fera changer d'avis. »</p> <p>Devant leur détermination (1), la Reine scorpion s'adoucit: « Il me répugne, dit-elle, de recevoir Kobbou et Siré chez moi car Njeddo livrera une guerre sans merci au logeur téméraire qui hébergera son ancien prisonnier. Or, je n'ai nulle envie d'avoir affaire à la grande sorcière aux yeux tantÔt rouge sang et tantÔt d'un noir de jais.</p> <p>-    Ô Reine scorpion ! reprit Bâ-Wàm'ndé. Puisse Guéno prolonger tes jours ! Tout ce que tu dis de Njeddo est vrai, mais de notre côté nous n'ignorons pas qu'elle n'a aucune emprise sur toi et que ta demeure est un lieu sûr que jamais elle n'osera violer. Elle craint en effet que ta flèche ne la pique et ne lui traverse la poitrine de part en part. C'est parce que nous connaissions ce secret que nous sommes venus nous placer sous ta protection. Njeddo Dewal ne peut rien contre celui que tu protèges. »</p> <p>Aussitôt, la Reine détendit sa queue (2), referma ses tenailles et demanda aux deux compagnons:</p> <p>Que cherchez-vous dans cette île maudite ?</p> <p>Nous cherchons, répondit Sire, une gourde métallique dans laquelle Njeddo Dewal a enfermé son grand fétiche avant d'aller enfouir le tout en quelque lieu secret de l'ile. Or, c'est grâce à la puissance et aux sortilèges de ce fétiche qu'elle peut assujettir à son pouvoir les êtres des trois règnes de la nature et les métamorphoser en tout ce qu'elle veut. La grande sorcière peut ainsi semer partout la mort et la désolation, car Guéno la laisse faire.</p> <p>-    Allez vous reposer à l'ombre du palmier que vous voyez là-bas, dit alors la Reine. Mettez-vous-y à l'aise et soyez patients. Et surtout, n'ayez aucune peur de ce que vous verrez ni de ce qui vous arrivera. »</p> <p>Avec leur mouton, nos deux amis se dirigèrent vers le palmier que la reine venait de leur désigner. Dès qu'ils furent installés sous son ombre, l'arbre se transforma en un gros ver de terre, tout semblable à celui que leur avait dépeint la tortue.</p> <p>1.    Tout a été dit pour décourager les voyageurs de poursuivre leur voyage. De même, en initiation., il arrive des moments où le maître effarouche le néophyte afin de vérifier s'il a bien « maîtrisé son coeur. »</p> <p>L'endurance est une condition <span style="font-style:italic;">sine qua non du</span> passage. Si, par exemple, le découragement ou la peur rebutent l'adepte au moment où il va franchir une étape, il rétrograde. Or, toute rétrogradation est une chute. Nombre d'adeptes ne s'en relèvent pas: leur initiation s'arrête à mi-chemin. Ils deviennent des « initiés ratés » (cf. le conte <span style="font-style:italic;">Petit Bodiel).</span> Or on craint toujours qu'un initié raté ne devienne un charlatan., car ceux qui n'ont</p> <p>parcouru qu'une partie <span style="font-style:italic;">du</span> chemin veulent souvent jouer un rôle à tout prix.</p> <p>2.    Il existe toujours une parole capable de désarmer quelqu'un immédiatement. Un homme plongé dans une violente colère peut être désarmé par un seul mot. Malheureusement., la plupart du temps., on ne connaît pas cette parole ou on ne la trouve pas au moment approprié.</p> <p>Le ver ouvrit son énorme bouche et, d'un seul coup, avala Kobbou. Puis, s'adressant aux deux hommes : « La reine des lieux vous avait bien mis en garde contre ce que vous risquiez si vous restiez sur cette île. J'ai avalé votre mouton en guise d'avertissement, pour vous donner un avant-goût du sort qui pourrait être le vôtre si vous vous obstiniez à rester ici, »</p> <p>Bien que saisis d'une peur compréhensible, BâWàm'ndé et Siré répondirent d'une seule voix: « Nous avons hàte, ô grand Ver, d'être avalés par toi pour retrouver notre mouton. »</p> <p>Aussitôt, Bà-Wâm'ndé se sentit happé par les pieds. « Sire, ô Sire ! s'écria-t-il, attrape mes bras et tire-moi, le ver est en train de m'avaler (1) ! » Siré se saisit des bras de Bâ-Wâm'ndé et tira de toutes ses forces, mais en un clin d' oeil non seulement le ver avait avalé BàWâm'ndé, mais les bras de Siré avaient disparu dans sa gueule. Le reste de son corps y fut bientôt englouti à son tour.</p> <p>A peine l'énorme invertébré avait-il fini d'avaler le mouton et ses deux cavaliers que Njeddo Dewal arrivait sur la rive de l'autre côté du lac, là où nos compagnons s'étaient embarqués sur le dos de la tortue. Elle se mit à fouiller partout pour retrouver trace des fugitifs, mais en vain. En désespoir de cause, elle se lança à la recherche du gueddal. Également en pure perte. Elle chercha longtemps, se fatigua beaucoup, fut énormement perturbée par cette quête aussi épuisante qu'inutile. Elle était si lasse qu'elle ne pouvait plus marcher normalement et n'avançait qu'en titubant. Vacillant sur ses jambes, le coeur empli d'inquiétude, elle se dirigea vers l'embarcadère. Ses intestins se mirent à se tortiller et à grouiller dans son ventre. Une morve épaisse et fétide s'épanchait de ses narines (2) . Des larmes chaudes et amères cascadaient de ses yeux.</p> <p>Par des moyens qui lui étaient propres, elle traversa le lac et débarqua sur Pile. Sans perdre une minute, elle courut fébrilement vers le lieu discret où elle avait enfoui la gourde métallique. A son grand soulagement, elle constata que l'endroit ne présentait aucune trace de visite insolite. Toutefois, pour être certaine que ses ennemis n'avaient pas débarqué dans l'ile, elle entreprit d'en fouiller tous les coins et recoins, recherchant la moindre trace, voire la moindre odeur d'ovin ou de fils d'Adam. Mais elle ne perçut rien de tout cela.</p> <p>1.    La peur., dit-on, ne peut-être totalement effacée du coeur de l'homme, quel que soit son degré ; c'est sa patience qui aura raison de sa peur. " Si le poltron pouvait être suffisamment patient., dit l'adage, il verrait le preux courir. "</p> <p>2.    Dans les contes, il émane toujours des sorciers quelque chose de malodorant. Ils sont en relation avec tout ce qui est répugnant, puant, difforme, lugubre ou fantasmagorique. L fantasmagorie est l'ambiance de la sorcellerie.</p> <p>En effet, le ver, après avoir avalé Siré, Bâ-Wâm'ndé et Kobbou, les avait évacués sous terre avant de reprendre sa forme initiale de palmier.</p> <p>Quelque peu rassurée, Njeddo Dewal éprouva le besoin de réparer ses forces. Apercevant le palmier, elle alla se reposer sous son ombre. Là, elle se sentit envahie d'une somnolence inaccoutumée. De crainte d'être surprise par ses ennemis durant son sommeil, elle voulut résister, mais n'y parvint pas. Ses yeux se fermèrent et elle s'endormit.</p> <p>Elle vit en songe que quelque chose, elle ne savait quoi, creusait la terre en direction de l'endroit où elle avait enfoui sa gourde métallique. Elle se réveilla en sursaut. Constatant qu'une salive épaisse avait coulé de sa bouche et sali son cou et sa poitrine, elle courut vers la rive pour se nettoyer.</p> <p>La vision que Njeddo Dewal avait eue pendant son sommeil n'était pas un simple rêve ; c'était une révélation, la vision réelle de ce qui était en train de s'accomplir sous la terre. En effet, Bà-Waâm'ndé et Siré avaient trouvé, dans la fosse souterraine où le ver merveilleux les avait déposés, un fourmilier mâle qui était un terrassier vigoureux. Celui-ci leur avait dit . « J'ai reçu l'ordre de vous servir (1) en creusant une galerie qui VOUS mènera jusqu'à la gourde de Njeddo Dewal. Mais la grande sorcière, par l'effet de ses sortilèges, a rendu mes Yeux si myopes que, pour distinguer un objet, il faut que le bout de mon nez vienne à tomber dessus. Pour rompre le charme qui m 'obscurcit la vue, il faudrait de l'humeur séchée provenant des yeux d'un vieux chien mêlée à un peu d'antimoine et délayée dans de l'eau. Dès que je m'en laverai le visage, ma vue redeviendra normale. »</p> <p>On s'en souvient sans doute , Bâ-Wâm'ndé possédait dans sa besace tout ce qu'il fallait pour guérir la myopie du fourmilier. Il prépara donc la solution indiquée et la lui tendit. Dès que le fourmilier J'eut passée sur ses yeux, il recouvra la plénitude de sa vue. Aussitôt, il se mit au travail.</p> <p>Pendant ce temps, Njeddo Dewal, persuadée que les fugitifs n'étaient pas dans l'Île, avait retraversé le lac et fouillait jusque dans les moindres anfractuosités de la montagne où, pensait-elle, ils s'étaient sûrement camouflés.</p> <p>Le fourmilier travaillait avec vigueur et efficacité. Sa galerie avançait régulièrement. Mais hélas, il fut tout à coup arrêté dans sa progression par un mur de pierre solidement maçonné, apparemment infranchissable. Il se tourna vers Bà-Wâm'ndé et Siré. « Sans nul doute, leur dit-il, la gourde métallique de Njeddo se trouve derrière ce mur, mais mes griffes ne peuvent venir à -,out d'une telle construction. Que pouvons-nous faire ?" 1. Sous-entendu : j'ai reçu cet ordre de la Reine scorpion maîtresse de -ne partie de l'île.</p> <p>Bâ-Wâm'ndé se souvint alors du crâne qu'il avait trouvé dans le fruit du baobab et que son aieul consultait chaque fois qu'il se trouvait devant une difficulté insurmontable. Il traça un hexagramme sur le sol, plaça le crâne en son centre et l'incanta :</p> <p>« Ô merveilleux crâne d'un homme que je ne connais pas mais qui fut sans nul doute une personnalité sans pareille, riche et puissante à tous égards, je te conjure de nous dire ce que nous devons faire ! » Et le crâne parla, Il en sortit une voix sourde et nasillarde qui prononça ces mots</p> <p>« Ô Bâ-Wâm'ndé ! Sors de ta besace la pierre qui a été vomie par le crapaud, jette-la contre le mur et tu verras ce que tu verras. »</p> <p>Bâ-Wârn'ndé fouilla dans sa besace, en sortit la pierre et la lança contre l'obstacle. Un grand pan de mur s'effondra. La gourde métallique, aussi ronde qu'un très gros fruit de calebassier, apparut à leurs yeux. Mais il restait encore à l'ouvrir...</p> </body> </html>