Du Ṛgveda à la Bhagavad Gītā s’élabore une pensée qui ne reconnaît jamais un sujet singulier, mais présuppose au contraire un sujet dual. C’est ainsi parce que la constitution de l’esprit est duale : il est fait d’un regard qui perçoit (mange) le monde et d’un regard qui contemple le regard adressé au monde. On trouve la première énonciation de cette pensée avec les deux oiseaux de l’hymne 1, 164 du Ṛgveda : « Deux oiseaux, un couple d’amis, sont perchés sur le même arbre. L’un d’eux mange une douce baie du pippal ; l’autre, sans manger, regarde299. » Il n’y a pas de révélation qui aille au-delà de celle-ci, toute élémentaire qu’elle soit. Et le Ṛgveda la présente avec la limpidité de son langage énigmatique. La constitution duale de l’esprit implique qu’en chacun de nous habitent et vivent perpétuellement les deux oiseaux : le Soi, ātman, et le Moi, aham. Amis, semblables, placés sur l’arbre à la même hauteur, l’un comme la réplique de l’autre. Nombreux sont ceux qui dans la vie ne parviennent pas à les distinguer. Mais, une fois que l’on a reconnu leur diversité, tout change. Chaque instant sera composé de la superposition de deux perceptions, qui peuvent s’additionner, s’annuler, se multiplier. Lorsqu’elles se multiplient, selon la formule mystérieuse 1 × 1, jaillit la pensée. Même si, vu de l’extérieur, tout reste identique. Le résultat semble toujours être malgré tout le numéro un.

Ātman, le Soi, est une découverte. Comment l’atteindre, c’était là la doctrine ultime pour les disciples qui avaient parcouru et assimilé tous les Veda. Personne n’y parvenait s’il n’était capable de considérer ce qui arrivait dans son esprit comme un échange ininterrompu entre le Moi, aham, et le Soi, puissances ressemblantes et ennemies, l’une — aham — envahissante mais inconsistante, l’autre — ātman — souveraine et inattaquable, mais qu’il était difficile de débusquer de son lieu secret coutumier. L’atteindre exigeait une action de chaque instant, et ce n’était pourtant qu’un fragment de la manière de se manifester du Soi. Il y avait ensuite tout ce qui s’ouvrait devant les yeux : le monde. Et là un autre jeu, inépuisable, d’échanges commençait, qui finissait par transformer totalement l’aspect du monde extérieur, jusqu’à ne le faire devenir extérieur que par convention. Pendant que le monde intérieur, parallèlement, s’étendait et accueillait les parties essentielles du tout : les mondes, les dieux, les Veda, les souffles vitaux. « Qu’il sache donc ceci : “J’ai placé à l’intérieur de mon Soi tous les mondes et j’ai placé mon Soi dans tous les mondes ; j’ai placé tous les dieux à l’intérieur de mon Soi et j’ai placé mon Soi à l’intérieur de tous les dieux ; j’ai placé tous les Veda à l’intérieur de mon Soi et j’ai placé mon Soi à l’intérieur de tous les Veda ; j’ai placé tous les souffles vitaux à l’intérieur de mon Soi et j’ai placé mon Soi à l’intérieur de tous les souffles vitaux.” Car, de fait, les mondes sont impérissables, impérissables les dieux, impérissables les Veda, impérissables les souffles, impérissable est ce tout : et vraiment quiconque sait cela passe de l’impérissable à l’impérissable, il conquiert la mort récurrente et atteint la pleine mesure de la vie300. »

Les rapports entre le Soi, ātman, et le Moi, aham, sont tortueux, délicats, ambigus. Et il ne pourrait en être différemment. Tout remonte au début, quand il n’y avait que le Soi, sous forme de « personne », puruṣa : « En regardant autour de lui, il ne vit rien d’autre que Soi. Et comme première chose il dit : “Moi, je suis.” Ainsi naquit le nom “Moi”301. » C’est la scène primitive de la conscience. Qui révèle tout d’abord la priorité d’un pronom réfléchi — ātman, Soi. Se penser précède le penser. Et se penser a la forme d’une personne, puruṣa : il possède une physionomie, un profil. Qui se désigne tout de suite avec un autre pronom : Moi, aham. À ce moment-là une nouvelle entité apparaît, dont le nom est Moi et qui se superpose en tous points au Soi d’où elle est née. À partir de là — et jusqu’au moment où la connaissance, le savoir, veda, scintillera — le Moi ne pourra pas se distinguer du Soi. Tels des jumeaux identiques. Ils ont le même profil, le même sentiment de toute-puissance et de centralité. Après tout, au moment où le Moi apparut, il n’y avait encore rien d’autre au monde. Aussi le premier à tomber dans le piège du Moi fut le Soi. Après que les créatures furent créées, en conséquence de ses multiples métamorphoses érotiques, le Soi regarda le monde et se rendit compte qu’il l’avait créé. Et il dit : « Vraiment Moi (aham) je suis la création302 », en oubliant déjà que ce Moi n’était que la première de ses créatures.

 

La doctrine du Moi et du Soi, aham et ātman, comme toutes les doctrines védiques, ne peut être ni prouvée ni réfutée. Elle ne peut être qu’expérimentée : par chacun, sur soi-même. Pour celui qui perçoit son esprit comme un sujet compact, au profil net, qui tout au plus s’allume ou s’éteint, comme grâce à un interrupteur, au moment où le sommeil survient ou lorsque l’on sort du sommeil, cette doctrine paraîtra incongrue. Si au contraire l’esprit qui agit en chacun de nous ne se présente pas comme un bloc uni, mais traversé au moins par une faille, plus ou moins profonde selon les moments, entre celui qui regarde et un autre être, qui regarde celui qui regarde, alors ce qui se cache derrière la division entre aham et ātman commencera à se faire jour. Mais ce ne sera que le début. Même les paroles qui se forment dans l’esprit — et qui tendent à constituer une forteresse autosuffisante — devront reconnaître qu’elles ont en face d’elles une autre partie (non linguistique, perpétuellement en activité) avec laquelle à chaque instant elles se heurtent ou s’amalgament ou se nouent (mais les modalités du rapport sont bien plus nombreuses et subtiles).

Les conséquences de cette reconnaissance sont incalculables. Et elles n’amènent pas nécessairement à suivre la voie védique, avec tout son agencement imposant de correspondances et de connexions. Mais elles amènent sans doute à reconnaître à l’inconnu une part bien plus grande que celle qui lui était accordée auparavant. Un inconnu qui n’est pas seulement extérieur à l’esprit, mais intérieur à celui-ci et peut-être encore plus vaste que l’inconnu qui s’ouvre à l’extérieur. C’est pourquoi cette reconnaissance pourrait être la base sur laquelle se fonde l’élaboration de la pensée.

 

Comment expliquer que la figure qui apparaît dans la pupille ait pris une si grande importance ? Parce que, sur la surface du corps humain, elle est le seul point où se manifeste le reflet, la capacité donc non seulement de voir, mais de réfléchir sous une autre forme ce que l’œil voit. Et cette forme sera impalpable et minuscule, mais correspondra, en tous points, à la figure que l’œil perçoit dans le monde extérieur, c’est pourquoi même l’être installé dans la pupille aura une tête, un torse, des jambes et des bras, comme celui qui apparaît dans le monde, devant l’œil. Et elle devra avoir aussi un autre œil, dans lequel l’œil qui regarde sera reflété à son tour. Cela assure une communication des reflets potentiellement ininterrompue et interminable. S’il n’y avait pas cette minuscule figure dans la pupille, le corps de l’homme serait une surface compacte et ne laisserait pas pressentir l’autre vie qui se déroule dans la chambre scellée de l’esprit.

 

L’autoréférentialité, ce coup habile de la pensée qui suffit à Gödel pour faire sauter de l’intérieur l’édifice des systèmes formels, à commencer par l’arithmétique, apparut pour la première fois sur la scène de la parole lorsque le pronom réfléchi ātman, valable pour toutes les personnes, au singulier et au pluriel, se présenta comme une entité, un substantif, qui est habituellement traduit par « Soi ». Cela se produisit dans le Veda : d’abord à la fin de quelques hymnes — qui n’étaient pas parmi les plus anciens — de l’Atharvaveda, puis de manière diffuse dans les Brāhmaṇa, jusqu’à ce qu’ātman devienne le sceau omniprésent des Upaniṣad. Dès lors, la pensée de l’Inde tourne autour de ce mot, en le traitant des façons les plus disparates, entre le Bouddha et Śaṅkara. Mais sans jamais lui permettre de s’éloigner du centre. L’Inde commence et s’achève avec quelque chose qui n’est devenu central en Occident qu’au début du XXe siècle — et par la voie imprévue de la logique — quand furent découverts les paradoxes de la théorie des ensembles.

Certes, les ritualistes védiques ne se comportaient pas comme ces penseurs occidentaux qui étaient horrifiés devant la découverte de ces paradoxes, parce qu’ils voyaient s’effondrer toute prétention de construction spéculative cohérente et suivie. Au contraire, les ritualistes védiques avaient une attirance perverse pour les paradoxes en général. Ils y reconnaissaient la matière même des énigmes. Et le socle de roc de ce qu’ils énonçaient, dans les hymnes et dans les commentaires sur le rituel, était fait d’énigmes. Des manières différentes de traiter, d’élaborer, d’éclairer, d’appliquer la même inconnue, qu’ils appelaient brahman.

 

Il y avait un maître, Sanatkumāra, et un élève, Nārada. Le maître était un kṣatriya, un guerrier, et l’élève un brahmane. Un jour, Nārada deviendra un ṛṣi omniprésent, celui qui plus que tout autre aimait s’ingérer dans les histoires d’autrui. Un bavard intarissable. Mais auparavant il avait été un élève parmi tant d’autres qui avaient l’habitude de se présenter au maître avec un tison brûlant. Le maître le précéda, en disant : « Viens chez moi avec ce que tu sais303. » Évidemment Sanatkumāra savait que Nārada n’était pas un élève quelconque mais qu’il était déjà surchargé de doctrine. Et c’est justement cela qu’il fallait corriger. « Dis-moi ce que tu sais, demanda le maître, je te dirai ce qui va au-delà de cela304. » C’était de l’ironie provocante, parce que « savoir » en sanscrit se dit veda. Et l’élève, fier et appliqué, étala sur-le-champ ses savoirs : « Le Ṛgveda, le Yajurveda, le Sāmaveda, l’Atharvaveda en quatrième, les histoires anciennes comme cinquième305. » Jusque-là tout correspondait à l’ordre canonique. Mais l’élève voulait se distinguer, c’est pourquoi il continua à faire la liste des autres savoirs qu’il avait acquis : « Le Veda des Veda, le rituel pour les ancêtres, le calcul, la divination, l’art de trouver des trésors [selon Olivelle, mais Senart traduisait “la connaissance des temps”], les dialogues, les monologues, la science des dieux, la science du rituel, la science des esprits, la science du gouvernement, la science des corps célestes, la science des serpents. » Épuisé par sa liste, Nārada conclut : « Voilà, seigneur, ce que je connais306. »

Aussitôt après Nārada dévoila un nouveau visage : non plus l’élève impeccable et fier de ses connaissances, mais un jeune être perdu et angoissé, prototype de l’étudiant malheureux. Il dit : « Je ne connais, seigneur, rien d’autre que les formules liturgiques (mantra), je ne connais pas le Soi (ātman). Mais j’ai entendu dire, seigneur, par d’autres semblables à toi : “Qui connaît le Soi va au-delà de la souffrance.” Moi, seigneur, je souffre. Seigneur, fais-moi passer sur l’autre rive de la souffrance307. »

L’immense étendue védique, débordante de dieux et de puissances, se réduisait soudain à une gorge étroite. La même qui attirerait bientôt le Bouddha — et, un jour lointain, Schopenhauer. Le maître ne se perdit pas en préambules et répondit : « Tout ce dont tu as dressé la liste n’est rien d’autre que des noms308. » Et c’est alors qu’il entama une suite à couper le souffle. En utilisant un procédé récursif, Sanatkumāra lança une succession de pensées enchaînées, traversant les mondes, avant de revenir à l’origine. Il s’agissait de dire, de chaque puissance, quelle était la puissance qui la dépassait. « La parole à vrai dire est plus que les noms309. » Perplexité, au début. Car ce que la parole connaît (les Veda et toute la science dont Nārada avait fait la liste) semble être la même chose que les noms permettent déjà de connaître. Mais à présent il s’agissait de la déesse Parole, Vāc, célébrée dans le Ṛgveda comme celle qui pénètre tout et à laquelle rien ne peut être refusé : « Le ciel, la terre, l’air, l’atmosphère, les eaux, l’énergie incandescente, les dieux, les hommes, les animaux, les oiseaux, les plantes et les arbres, tous les animaux jusqu’aux vers, aux insectes et aux fourmis, le juste et l’injuste, le vrai et le faux, le bon et le mauvais, l’agréable et le désagréable310. » C’est exactement dans cette mesure que la parole est plus puissante que les noms.

Survient alors la confrontation avec « esprit », manas, qui est la puissance suivante. Maintenant, c’est Parole qui va succomber. Manas, à son tour, n’est pas le terme ultime, tout au plus initial. Parce que manas est un terme générique, qui englobe tout. Certaines de ses modalités seront plus puissantes que manas. Jamais on n’a appris à décomposer et à recomposer l’esprit avec autant de précision que dans les Upaniṣad. Manas cède donc le pas à la puissance suivante, qui est saṃkalpa, « intention », « projet ». C’est la parole qu’utilise le sacrifiant lorsqu’il annonce qu’il a décidé (qu’il a projeté) de célébrer un sacrifice. Saṃkalpa est plus que l’esprit parce que c’est ce qui met l’esprit en action. Saṃkalpa est l’impulsion première qui lance le déploiement de ce qui est. C’est alors que Sanatkumāra, avec une infinie subtilité, faisait sortir la catégorie de son cadre psychologique étroit, pour l’ouvrir au cosmos. Une fois que l’esprit est mis en mouvement, non seulement on prononce des paroles, non seulement les paroles se fixent sur les textes, mais « ciel et terre se fondent sur l’intention311 » — et, à leur suite, le reste du monde jusqu’à la nourriture et la vie. C’est un passage soudain, acrobatique, bouleversant. Un geste védique exemplaire.

Le saṃkalpa, en tout cas, n’est qu’une première étape dans cet itinéraire. Il y a autre chose encore qu’il faut découvrir. « La conscience (citta) est plus que l’intention312. » C’est un autre seuil décisif, que certaines traductions ne permettent pas de percevoir. Senart traduit citta par « raison », Olivelle par « thought ». Et pourtant citta n’est ni la raison, ce qui serait déroutant, ni la pensée, terme trop vaste. Citta est le mot utilisé pour l’acte de s’apercevoir. C’est le fait de prendre conscience. À la fin, il est le pur fait d’être conscient. La primauté de la conscience sur tout est la pierre angulaire de la pensée védique. Si citta est entendu comme raison ou comme pensée générique, l’argumentation de Sanatkumāra perd de son sens, là où il dit : « C’est pourquoi, bien que quelqu’un puisse savoir beaucoup, s’il n’a pas conscience de lui-même, on dit : “Il n’y est pas.” S’il savait, s’il était un savant, il ne serait pas aussi démuni de conscience313. » Les ṛṣi, les premiers sages, sont les maîtres du fait d’être conscients. Par-dessus tout et avant tout, leur fonction est de veiller. Aussi surveillent-ils le monde et le dharma, pour qu’il reste indemne. Mais ils ne peuvent le faire que si, semblables aux dieux, ils disposent d’une veille permanente.

À chaque seuil on pourrait penser qu’on est parvenu au dernier. Si vraiment citta, la conscience, est l’essentiel, quelle puissance pourrait la dépasser ? Maintenant la machine spéculative avance avec des distinctions de plus en plus subtiles. « La méditation (dhyāna) à vrai dire est plus que la conscience314. » On perçoit certaines harmoniques déjà bouddhiques dans les termes : dans le canon pāli, la parole citta deviendra synonyme d’« esprit » ; et dhyāna est un mot-pivot pour le Bouddha. Mais la grandiose perspective védique, qui est cosmique avant d’être psychologique, s’ouvre ici encore une fois : « La terre, d’une certaine manière (iva), médite ; l’atmosphère, d’une certaine manière, médite ; les eaux, d’une certaine manière, méditent ; les dieux et les hommes, d’une certaine manière, méditent ; c’est pourquoi ceux qui parmi les hommes parviennent à la grandeur, d’une certaine manière, partagent la méditation315. » La particule iva, qui signale l’entrée dans l’indéfini et l’abandon de la littéralité, est utilisée pour la terre comme pour les dieux et pour les hommes. Tout et tous méditent, d’une certaine manière. Et au-delà de la méditation ? « Le discernement (vijñāna) est plus que la méditation316. » Vijñāna : encore un terme qui aura une grande fortune dans le bouddhisme. Pour en comprendre la particularité, il faut penser au discernement des esprits que pratiqueront Évagre et les Pères du Désert — et, un jour, saint Ignace.

On pourrait penser que vijñāna est le dernier anneau dans la chaîne de Sanatkumāra. Mais il n’en est pas ainsi. Avec un revirement soudain il est dit : « La force (bala) est plus que le discernement. Un seul homme, avec sa force, peut faire trembler cent sages317. » Le texte nous prend ici au dépourvu et renverse le jeu. Là où l’on pensait suivre l’itinerarium mentis, nous trouvons que la force pure réapparaît. Une force comme pure entité physique. Mais juste après s’ouvre une autre suite de puissances qui se dépassent. On ne parle plus de l’esprit. À présent défilent la « nourriture », anna ; les eaux ; l’« énergie incandescente », tejas ; l’espace. Parvenus à l’espace, l’on pourrait se sentir perdus. Que peut-il y avoir, au-delà de l’espace ? Nouvelle surprise : la mémoire. Avec un autre mouvement imprévu, on revient dans l’esprit. Et au-delà ? L’espérance. Et, plus fort que l’espérance, prāṇa, le « souffle », qui est mis ici pour la vie elle-même. Parvenu à la vie, enfin on s’arrête. Et le maître dit à son élève : « Celui qui voit ainsi, celui qui sait cela, lui, c’est un ativādin.318 » Ativādin est quelqu’un au-delà (ati) duquel on ne peut pas aller avec les paroles.

Est-on arrivé au bout de la chaîne ? Non. Tout de suite il en commence une autre, plus resserrée. Comme pour ôter à l’élève l’illusion d’avoir trouvé une réponse. Le maître continue : « Ne gagne avec la parole que celui qui gagne avec la vérité319. » Ce qui suit est un procédé récursif supplémentaire. La vérité, cette fois-ci, est dépassée par le discernement de la pensée (manas, qui réapparaît finalement). La pensée par la foi dans l’efficacité des rites, śraddhā. La foi par la pratique parfaite. Cette dernière par le sacrifice. Le sacrifice par la joie. Là aussi, un étonnement : « L’on ne sacrifie que lorsque l’on éprouve de la joie. On ne sacrifie pas lorsque l’on est en proie à la souffrance. L’on ne sacrifie que lorsque l’on éprouve de la joie. Mais il faut connaître la joie320. » Alors qu’on s’était déjà habitué à la succession des puissances et qu’on n’en voyait pas le terme, tout à coup l’on est ramené au point de départ : le moment où l’étudiant Nārada s’était présenté chez son maître et avait dit : « Moi, seigneur, je souffre321. » À présent apparaît enfin la puissance contraire : la « joie », sukha. Un mot très proche dans le son à śoka, « souffrance ». Il est nécessaire de découvrir le passage de l’une à l’autre. Le maître poursuit, sans fléchir : « La joie est plénitude. Il n’y a pas de joie en ce qui est limité322. » Mais où réside cette plénitude ? veut savoir l’élève. « Elle est en bas, elle est en haut, elle est à l’ouest, elle est à l’est, elle est au sud, elle est au nord, elle est tout cela323. » Là nous nous sentons de nouveau proches d’un dernier terme. Et c’est justement là que frappe la flèche psychologique la plus acérée. Le maître continue : « Mais on peut dire la même chose de l’égoïté [ahaṃkāra, le terme par lequel, dorénavant, on appellera ce que la psychologie occidentale définit comme “Moi”] : le moi est en bas, il est en haut, il est à l’ouest, il est à l’est, il est au sud, il est au nord, le moi est tout cela324. » De nouveau l’ironie : la souveraineté fictive du Moi est l’obstacle le plus fort pour la perception, simplement parce qu’il est ce qui ressemble le plus au vrai dernier terme : l’ātman, le Soi, auquel d’autres maîtres avaient fait allusion pour Nārada, comme s’il s’agissait de l’issue de la douleur. Et le maître décrit en effet l’ātman, initialement, dans les mêmes termes utilisés pour le Moi, en le situant dans toutes les directions de l’espace. Mais, comme cela était arrivé déjà une fois avec vāc, « parole », par rapport aux noms, pour l’ātman on peut ajouter quelque chose. Et ce sera la phrase définitive : « Celui qui voit ainsi, qui pense ainsi, qui sait cela, qui aime l’ātman, qui joue avec l’ātman, qui copule avec l’ātman, qui trouve son bonheur dans l’ātman, celui-là est souverain, celui-là peut tout ce qu’il désire dans tous les mondes325. » Le moment est venu où on peut reparcourir la chaîne en sens inverse. Depuis la vie, puissance après puissance, jusqu’aux noms, parce que « tout cela descend de l’ātman326 ».

Suivent deux strophes. La première semble être une réponse anticipée au Bouddha, parce qu’elle nomme les trois maux qui lui apparurent juste avant d’abandonner la maison paternelle (en remplaçant la vieillesse par la « douleur » enveloppante, duḥkha — autre mot-clé bouddhiste) : « celui qui voit ne voit pas la mort, ni la maladie, ni la douleur. Celui qui voit voit tout, partout il rejoint tout327 ». La deuxième strophe est une énigme numérique comme on en rencontre souvent dans le Ṛgveda. On dit enfin que, avec cette chaîne d’arguments, le maître Sanatkumāra a appris à Nārada à « traverser les ténèbres ». Et c’est le mot mokṣa, « délivrance328 », qui résonne. On ne fait aucunement allusion à une réponse de Nārada. Finalement, il pratiquait le silence.

 

L’enseignement donné par Sanatkumāra à Nārada sur l’ātman, dans la Chāndogya Upaniṣad, se présente comme une progression récursive vers un point indéfini, l’ātman, qui, une fois découvert, se révèle englober toutes les puissances précédentes. La progression avance à une allure constante, mais il y a quelques passages cruciaux : tout d’abord celui qui va de la discursivité à la non-discursivité, là où « parole », vāc, est subordonnée à « esprit », manas. Ensuite le début d’une décomposition hiérarchique de l’esprit (manas, citta, dhyāna, vijñāna), qui semble tracer un profil préliminaire de ce que sera, pendant des siècles, la scolastique bouddhique. Enfin le refus de la linéarité dans la progression, qui se révèle être circulaire. On n’aboutit pas à l’ātman depuis la pointe de l’esprit (vijñāna), mais de là on plonge dans le monde extérieur indifférencié, dans la pure « force », bala, pour revenir ensuite dans l’esprit avec un autre saut brusque : le passage de l’« espace », ākāśa, à la « mémoire », smara. Mais la transition la plus délicate et la plus risquée se présente vers la fin, à l’avant-dernier passage, lorsque Sanatkumāra se hasarde à déduire la « plénitude », bhūman, de la « joie », sukha : « La joie est plénitude329. » Bhūman est avant tout une puissance cosmique. C’est l’illimité. C’est à partir de ce caractère illimité, qui est à la fois mental et cosmique, que Sanatkumāra pourrait hasarder le dernier pas et enfoncer la flèche de sa pensée dans l’ātman. Mais c’est ici que surgit justement le dernier obstacle : le Moi, aham. Parce que tous les attributs d’expansion illimitée qui appartiennent à la « plénitude » appartiennent aussi au Moi. Qui est le centre du monde, quel qu’il soit, souverain auto-élu, territoire qui ne peut être borné. Et, surtout, il est l’imitation la plus insidieuse du Soi. Le Moi se superpose au Soi si parfaitement qu’il peut le cacher. De fait, c’est ce qui arriva tout au long de la philosophie occidentale. Qui ne se soucia jamais de donner un nom au Soi, mais choisit toujours comme observatoire le Moi, même si elle l’appela ainsi seulement à une époque tardive, avec Kant. Auparavant, c’était le sujet indubitable, la première personne du Cogito de Descartes. Pour Sanatkumāra, au contraire, le Moi est l’obstacle le plus redoutable, celui qui peut barrer pour toujours l’accès au Soi. Si l’investigation ne se poursuivait pas, en effet, on pourrait supposer qu’elle est arrivée à son accomplissement avec le Moi. Mais comment faire le dernier pas ? Ici, encore une fois, apparaît la subtilité de Sanatkumāra. Il ne s’agit pas de repousser, de refuser le Moi. Cela serait vain — et contraire à toute constitution psychique. Il s’agit d’en suivre les mouvements et d’en ajouter ensuite quelques-uns, que le Moi ne pourra pas s’attribuer. Seulement si une entité nouvelle apparaît, qui est le Soi, ātman, on pourra parler de « Celui qui aime le Soi », « qui a son bonheur dans le Soi330 ». Ce nouvel être ne sera plus le Moi dans sa souveraineté illusoire, parce que la souveraineté a été transférée au Soi, avec lequel l’être singulier joue et copule. Le point d’aboutissement est un sujet dual, irréductible, déséquilibré (le Soi est infini, le singulier est un être quelconque de ce monde), intermittent (la perception du sujet dual n’est pas une donnée de départ, mais une conquête, la conquête la plus difficile et la plus efficace). C’est pourquoi l’on cherche l’enseignement du maître, c’est pourquoi Sanatkumāra offrit à Nārada de lui dire « ce qui va au-delà de cela331 ».

 

À vingt-quatre ans, après douze années d’études, Śvetaketu se présenta de nouveau chez son père, le maître Uddālaka Āruṇi. Il avait étudié tous les Veda, il était « content de lui, fier de ses connaissances, orgueilleux332 ». Comme Nārada. Il lui fallait maintenant aller au-delà, guidé par son père. Chaque fois la voie est différente. Le préambule choisi par Uddālaka Āruṇi fut des plus brefs. Il servit seulement à faire comprendre à son fils que tout ce qu’il avait appris n’était probablement pas l’essentiel. Puis brusquement Uddālaka Āruṇi commença à dire comment était fait le monde, comme si son fils n’en avait jamais entendu parler : « Au début, mon cher, il n’y avait que l’être, un sans second. Certains disent : au début, il n’y avait que le non-être, un sans second333. » On aurait pu entendre des mots semblables dans la Grèce ionienne ou à Élée. Le texte poursuit en disant que cet être « pensa334 ». L’être qui pense ici est celui que les Brāhmaṇa appelaient Prajāpati. Pour Uddālaka Āruṇi il suffisait de l’appeler sat, l’existant. Et même ce qui fut engendré par lui, par cela, n’avait pas un nom de dieux, mais d’éléments : ce fut tejas, l’énergie incandescente, et non pas Agni, qui était un fils ; ce fut āpas, les eaux, et non pas Vāc qui était une fille ; enfin ce fut anna, nourriture. Par rapport aux Brāhmaṇa, tout devenait plus abstrait d’un cran, bien que la doctrine restât identique.

Uddālaka Āruṇi lui aussi, tout comme Sanatkumāra, aura recours à des progressions récursives. Mais avec une certaine impatience. Et à la fin il évoquera pour les railler les « grands seigneurs et grands théologiens335 » qui se satisfaisaient de ces enseignements. Sa pensée visait ailleurs, trois paroles. Introduire le Soi, l’ātman — et dire immédiatement : « Tat tvam asi », « Tu es cela336 ». Dans sa hâte, l’argumentation d’Uddālaka Āruṇi n’est pas particulièrement efficace. En revanche, l’effet des trois paroles de conclusion est prodigieux. Par comparaison le Cogito ergo sum semble un fruit maigre et sec.

La cosmogonie qu’Uddālaka Āruṇi exposa de manière concise à son fils, dans sa physionomie préparménidienne, révélait une conception nouvelle, moderne, certainement opposée à la doctrine que Śvetaketu avait apprise en étudiant le Ṛgveda. Car là on dit : « Dans l’ère primordiale des dieux, l’être naquit du non-être337. » C’est une doctrine que l’on retrouve dans la Taittirīya Upaniṣad : « Au début ceci [le monde] était le non-être et de cela naquit l’être338. » Et en un autre endroit de la même Chāndogya Upaniṣad on lit : « Au début tout était non-être, cela était l’être. Puis il se développa, il devint un œuf339. »

Cela présuppose que sat et asat soient traduits comme « être » et « non-être » (Renou). Et rien ne change, dans le fond, si l’on traduit par « existant » et « non-existant » (Olivelle). Mais jusqu’à quel point sat et asat correspondent-ils à « être » et « non-être », des mots alourdis par toute l’histoire de la philosophie occidentale ? Asat, plus que le lieu de ce qui n’est pas, pourrait être le lieu de ce qui ne se manifeste pas. La certitude que la plus grande partie (les trois quarts) de ce qui existe est cachée, non manifestée, et qu’elle est destinée à rester telle, est profondément enracinée dans la pensée indienne. Cela est incompatible avec la vision du non-être tel que l’entendaient dans leurs argumentations aussi bien Platon que les sophistes. La différence spécifique, la césure insurmontable entre la Grèce et la pensée védique pourrait déjà être tracée dans ce mot, dans le premier mot : sat.

Le soupçon se confirme, et il s’aggrave, devant un hymne cosmogonique du Ṛgveda (10, 129) obscur, vertigineux. Voici le début, dans la traduction plus récente de Renou : « Ni le Non-Être n’existait alors, ni l’Être. / Il n’existait l’espace aérien, ni le firmament au-delà. / Qu’est-ce qui se mouvait puissamment ? Où ? Sous la garde de qui ? / Était-ce l’eau, insondablement profonde340 ? » Sat et asat ne subsistent pas, parce que « cet univers n’était qu’onde indistincte (apraketáṃ salilám)341 ». Mais l’on ne peut pas dire qu’asat n’est pas. Asat attend seulement le « signe distinctif (praketa)342 » qui le détache du sat. Dans ce tout où « les ténèbres étaient cachées par les ténèbres343 » on pouvait dire qu’il existait quelque chose qui est appelé l’« Un344 » (comme chez Plotin, mais il s’agit ici d’un neutre qui dans d’autres passages devient un masculin). Qui est-ce, qu’est-ce que cet Un précédant les dieux ? Un autre hymne le définit : « Au nombril du non-Né, l’Un est fixé, / lui sur lequel s’appuient toutes les créatures345. » Mais l’Un aussi doit sortir de l’indistinct, où il « respirait de son propre élan, sans qu’il y ait de souffle346 ». Quelle puissance peut le mouvoir ? Tapas, l’« ardeur ». « Alors, par la puissance de l’Ardeur, l’Un prit naissance / (principe) vide et recouvert de vacuité347. » Ces vers suffisent à montrer la maladresse chrétienne des traductions de tapas qui ont longtemps eu cours (penance — préférée par Eggeling —, austerities, Kasteiung, ascèse). L’ardeur est l’unique puissance qui peut dissoudre la fixité ténébreuse de l’origine — et laisse affleurer la première distinction : l’Un. Qui apparaît aussitôt pourvu d’un caractère déconcertant : il est « vide », ābhu, et il est « recouvert de vacuité ». Perplexe, Renou note : « “vide” (ābhu) ou au contraire “potentiel” (ābhū348». Plus désinvolte, Karl Geldner pense que la parole se réfère au « grand vide » du « chaos originaire349 ». Mais il n’y a pas trace dans le Ṛgveda d’une conception du chaos comme d’une béance, présente au contraire dans le grec chaíno. Et ābhu, « vide », apparaît dans les mille vingt-huit hymnes dans un autre cas seulement, pour dire « les mains vides350 ». Le trouble de Renou est donc justifié. Au début du Veda, on a beau regarder, on ne rencontre jamais un « vide » mais un « plein », pūrṇa, ou une « surabondance », bhūman : quelque chose qui déborde et, en débordant, fait exister le monde, parce que chaque vie implique une source inépuisable de surplus. C’est pourquoi cet Un « recouvert de vacuité » doit être tenu pour l’un des points les plus obscurs de l’hymne.

La puissance qui apparaît aussitôt après l’ardeur — et comme sa conséquence immédiate — est kāma, « désir », dont on donne une définition inégalée : « Désir, qui a été la semence première de la conscience351. » Cette fois, Renou traduit manas par « conscience », faisant pencher le texte dans la direction qui lui est implicite, car la forme originaire de l’esprit — tout au moins celle que les voyants védiques chérissaient le plus — était l’acte pur d’être conscient. Et c’est là le moment où les voyants-poètes, kaváyaḥ, s’apprêtent à faire leur apparition dans l’hymne en tant que premiers personnages humains, non seulement en qualité de témoins mais d’acteurs : « Enquêtant en eux-mêmes, les poètes surent découvrir / par leur réflexion le lien de l’Être dans le non-Être (sató bándhum ásati)352. »

Ce sont des mots qui défient, avec quelques siècles d’anticipation, l’interdiction parménidéenne de penser un passage du non-être à l’être. Et ils le font en utilisant le mot le plus précieux : bandhu, « connexion, enchaînement, lien ». La pensée elle-même, pour les ṛṣi, n’était qu’une manière de révéler et d’établir des bandhu. Cela commençait ainsi et culminait ainsi. Il n’y avait rien d’autre que la pensée pût offrir. Et il était clair que le premier de ces bandhu ne pouvait être que celui entre asat et sat. Encore une fois, si l’on entend les deux termes asat et sat comme « non-manifeste » et « manifeste » — et non pas, à la manière trop grecque, de « non-être » et « être » —, la formule apparaît bien plus éclairante : car le manifeste doit puiser continuellement dans le non-manifeste, de même que l’une des pattes de l’oie sauvage, du haṃsa qui deviendra un jour un cygne, doit rester immergée dans l’onde. Sinon la circulation vitale s’arrêterait.

Mais le bandhu qu’on vient de désigner n’était que le seuil de l’énigme. Les trois strophes qui suivent sont un déferlement de doutes et d’éblouissements dont il serait vain d’essayer de rendre compte. Il n’y a de clair que le fait que l’on entre dans une zone d’interrogations qui n’ont pas — et ne peuvent peut-être pas avoir — de réponse. Tout d’abord le bandhu trouvé par les poètes en fouillant dans le cœur est une « corde tendue en transversale353 ». Il n’est pas dit par rapport à quoi. En effet, suit cette question : « Qu’est-ce qui était au-dessous ? Qu’est-ce qui était au-dessus354 ? » Et l’on parle aussitôt de puissance obscure, que Renou a traduite ainsi, avec une perplexité évidente : « Élan spontané », « Don de soi355 ». Ce sont les dernières apparitions de quelque chose que l’on peut tenter d’affirmer. Ce qui suit est la déclaration d’impuissance de la pensée la plus stupéfiante et la plus fière que l’on connaisse. Un exemple sans pareil de sarcasme sublime : « Qui sait en vérité, qui pourrait ici proclamer / d’où est née, d’où vient cette création secondaire [visṛṣṭi, qui présuppose comme antécédent la sṛṣṭi, “création”] ? / Les dieux (sont nés) après, par la création secondaire de notre (monde). / Mais qui sait d’où celle-ci même est issue356 ? » C’est un procédé insistant, qui aiguise la notion d’incertitude — et qui culmine dans la dernière strophe : « Cette création secondaire, d’où elle est issue, / si elle a fait l’objet ou non d’une institution, — / celui qui surveille ce (monde) au plus haut firmament / le sait seul, — à moins qu’il ne le sache pas357 ? »

Les voyants védiques étaient maîtres dans l’art de toujours faire monter l’enjeu, jusqu’à le mettre hors d’atteinte. Ici le ṛṣi avait l’intention de montrer que la connaissance ésotérique culmine dans la pleine incertitude. Et cela eût été déjà un résultat grandiose. Mais il le trouva insuffisant. Il fallait envelopper les dieux aussi dans la même incertitude, comme des êtres nés trop tard, eux aussi de la « création secondaire », dont ils n’arrivent pas à saisir l’origine. Le pas décisif sera celui d’étendre l’incertitude — le soupçon de l’incertitude et de l’ignorance — jusqu’à la figure suprême, innommée, « qui surveille ce (monde) » depuis le point le plus haut. Personne n’avait osé, personne n’oserait plus par la suite refuser l’omniscience à cette figure mystérieuse. Mais le ṛṣi le fait. Et même, avec une cruauté très subtile, il nous laisse dans le doute, parce que s’il affirmait avec certitude quelque chose sur cette figure il irait déjà au-delà de ce qui lui est accordé de savoir. Aussi esquisse-t-il seulement la possibilité d’un être souverain, supérieur aux dieux, qui pourtant pourrait ne pas savoir. Et cela est dit à l’intérieur du Veda, qui signifie Savoir.

 

Qu’arrive-t-il après la mort ? Silence, indistinction des éléments. Puis on entend une voix : « Viens, je suis moi, ici, ton ātman.358 » C’est le Soi divin, daiva ātmā, qui parle, celui qui s’est construit longuement, péniblement, morceau par morceau, à travers les actes sacrificiels. C’est un autre corps, qui se tenait en attente dans l’autre monde — et qui en attendant se composait, parce que « n’importe quelle oblation que l’on sacrifie ici devient son ātman dans l’autre monde359 ».