CHAPITRE 22

TOUT LE MONDE SE BATTAIT EN FAISANT DU KUNG-FU

 

 

Ramon gara la voiture de Tia dans une rue transversale. L’après-midi, d’abord venteuse, était devenue plus agréable, en partie ensoleillée tandis qu’il roulait vers le nord. Ramon estimait qu’il avait quinze minutes devant lui avant que le temps ne vire au crachin. Il prit son skate et sortit de la voiture. C’est ce qu’il avait sous la main s’apparentant le mieux à une arme.

Il vérifia l’adresse qu’il avait notée. La boîte aux lettres lui confirma qu’il était arrivé à destination, mais c’était tout. Le terrain devant lui était immense. La maison devait être quelque part, au fond. Pour l’instant, ce qu’il voyait, c’était des pins. Il évita l’allée de graviers, choisissant de rester sous le couvert des arbres.

Les buissons s’épaississaient au fur et à mesure de son avancée, ralentissant sa progression. Quand il aperçut la maison, il s’accroupit, tâchant de repérer les lieux. Ce n’était pas la première fois qu’il se demandait pourquoi il n’avait pas mené une vie de malfaiteur. La baraque de Douglas était gigantissime.

Ou peut-être lui sembla-t-elle ainsi, parce que cela faisait trop longtemps qu’il dormait sur le canapé d’un studio. Non, elle était tout simplement immense. La grande étendue de pelouse soigneusement entretenue aurait pu la faire paraître plus petite, mais l’herbe rase surdimensionnait encore l’ensemble. Un lac de verdure entre lui et la maison. Des arbres et des buissons, de chaque côté, la masquaient aux voisins. De hautes sculptures figuratives se dressaient à intervalles irréguliers. Des lions, et des statues grecques, d’après ce qu’il distinguait. La maison possédait de curieuses colonnes, apparemment en marbre, dotées d’un fronton. Il cru voir des gladiateurs, ou quelque chose du genre. L’ensemble paraissait un peu surchargé par rapport à la maison, mais bon, les gens font des trucs insensés quand ils ont de l’argent.

Ramon avait toujours eu envie d’acheter une horde de chihuahuas, à supposer qu’il ait un jour un peu d’argent. Il les dresserait pour qu’ils deviennent des petits piranhas de terrain, capables de dépecer une vache en moins de trente secondes s’ils avaient assez faim. Si Douglas dépensait son argent en statues grecques et en colonnes, c’était son problème. Le mauvais goût en architecture était le moindre de ses soucis.

Ramon ne voyait pas d’eau, mais il entendait un clapotement. Il savait qu’il était proche du lac Washington. Ce genre de demeure allait avec un maître d’hôtel, et ce genre de pelouse avec des joueurs de croquet ou de cricket. Non pas que Ramon ait jamais vu quiconque s’adonner à l’un de ces jeux en dehors de films.

Un immense terrain, une grande maison au bord de l’eau… Douglas devait en avoir plein les poches. Ce qui signifiait une maison gardée, mais de vigiles, Ramon n’en voyait point. Et l’absence de clôture le troublait. S’il s’était consacré à une carrière criminelle, il aurait été capable de repérer des tas de choses utiles. Il lui fallait à présent traverser une grande zone à découvert. Il suffisait que Douglas jette un œil par la fenêtre, et exit Ramon ! Il fit un pas en avant.

Un bras l’attrapa par-derrière et le souleva en l’air, lui faisant lâcher son skate. Une main se posa sur sa bouche. Les doigts sentaient la terre.

C’est toi Ramon ? Fais un signe de la tête pour répondre.

Ramon hocha la tête lentement.

Par tout ce qui est sacré, tu peux te calmer, Bran ? Qui d’autre veux-tu que ce soit ?

Il reconnut la voix qu’il avait entendue plus tôt sur le répondeur. L’étreinte se desserra. Ramon dégagea ses mains, pour montrer qu’il n’était pas armé, et se tourna doucement.

Un petit groupe l’encerclait, dont deux loups les plus effroyablement grands qu’il ait jamais vus. Ils ne portaient pas de laisse. Aucune chance que ce soit des chiens. Au mieux, ils auraient pu être des hybrides, et encore, était-ce mieux ? Ramon tâcha de paraître calme, sachant que les chiens perçoivent la peur. Il ne voulait rien faire qui donne à ces loups une excuse pour lui mordre la jambe.

L’homme qui l’avait saisi était grand, peut-être un mètre quatre-vingts, le visage sombre et déterminé. Ses cheveux bruns étaient coupés courts, n’importe comment, à croire qu’il s’en fichait tant que les mèches ne lui tombaient pas dans les yeux. Malgré le temps pluvieux, il portait un jean et un débardeur.

L’homme à côté de lui était moins grand, mais légèrement plus que Ramon. Il avait les cheveux auburn et un nez protubérant. Ramon vit une ressemblance avec l’autre type dans la forme de la mâchoire, mais là où le grand semblait précis et efficace, celui-ci semblait bondir sur place.

Le plus petit lui tendit la main. Ramon la serra. Le type avait une bonne poigne, ferme. Elle était chaude.

Sean, dit-il. Et voici le reste de la joyeuse troupe.

D’un signe, il montra le groupe derrière lui.

Vous êtes là pour chercher…

Ramon chercha le nom :

Bridget, c’est ça ?

Notre sœur, confirma Bran. Ce serait plus prudent que tu restes là. Nous ferons de notre mieux pour sortir ton ami s’il est encore vivant.

Ramon redressa les épaules et se prépara à envoyer promener le Général Crétin, mais Sean se mit entre eux deux. Il fit un geste d’apaisement en direction de Ramon.

Il faut que tu excuses Tout Sourire ici présent ; on est un peu inquiets pour Brid.

Il leva les mains dans un geste qui signifiait : « Il faut nous comprendre. »

Ce qu’il veut dire, c’est que notre chef de horde t’a donné la permission de te joindre à nous, mais nous sommes inquiets pour ta sécurité. Si tu choisis de venir avec nous, s’il te plaît, fais ce qu’on te demande.

Ramon relâcha ses épaules.

Je comprends. J’ai des petites sœurs.

Il essaya de regarder chacun d’eux dans les yeux.

Mais Sammy, c’est ma famille. Je ne sais pas ce que vous comptez faire, avec votre géant, vos chiens mutants, mais je suis prêt à ravaler mon ego si cela fait sortir mon ami vivant et en entier.

Sean fit rouler ses épaules et commença à jouer des muscles, tel un boxeur prêt à monter sur le ring.

Maintenant que tout le monde la joue gentil, on se met en route ?

Bran avait peut-être l’air d’un dur, mais c’est Sean qui mit Ramon mal à l’aise. Il avait l’air bien trop heureux à la perspective de la violence à venir.