CHAPITRE 25
LIBÈRE MON CŒUR,
JE T’EN SUPPLIE RENDS-MOI LA LIBERTÉ
La lutte engagée se poursuivait autour de la cage, mais je n’y prêtais pas attention. À entendre les criaillements, les grognements et les bruits sourds de Michael, Brid, à l’évidence, se débrouillait très bien sans moi. J’avais plus d’inquiétude concernant Douglas. Il se dirigea vers moi, me considérant comme s’il essayait de repérer où étaient les morceaux de choix de mon corps. Je me retins de l’attraper de mon bras libre. Cela ne m’aurait été d’aucun secours. Il était hors de portée, et je n’aurais fait que lui révéler mon seul atout.
Il s’approcha de moi et entailla le bras toujours attaché. Je serrai les dents, mais le cri jaillit. Douglas avait conservé un couteau suffisamment aiguisé pour faire le travail. Une longue trace rouge apparut le long de mon poignet, juste au-dessus du bleu de la veine. Douglas collecta mon sang dans un bol bien trop grand à mon goût.
Il fit un bond en arrière au moment où Brid et Michael entremêlés en une boule se heurtaient à l’étagère, mais ne renversèrent rien du contenu. Il attendit que Brid ait donné un coup de pied dans l’estomac de Michael et glisse de l’autre côté, entraînant Michael à sa suite. Je regardai, le souffle coupé, le sang couler de mon bras par terre.
Je sentis la première goutte tomber.
Alors qu’elle rebondissait, une sensation fit son chemin dans tout mon corps, comme si l’on avait inséré une fourchette dans une prise de courant. Cette simple goutte de sang venait de me faire comprendre quelque chose de très important.
Douglas avait tué beaucoup de gens dans cette pièce. Et beaucoup d’autres choses aussi.
Il les avait massacrés pour des tas de raisons différentes.
Et ils étaient furieux.
Mon sang continua de tomber sur le sol. Mes yeux s’écarquillèrent, et ma respiration devint saccadée. Mon corps se rigidifia.
Les fois où j’avais essayé de me servir de la nécromancie, j’avais agi à l’aveuglette en trébuchant, tâchant de comprendre le fonctionnement. Cette fois-ci, c’était différent. En observant la cave, un peu plus tôt, j’avais aperçu une brume en me demandant si elle était normale. Je connaissais la réponse. L’air était d’aspect brumeux parce qu’il comportait un amalgame de spectres différents. Tous étaient en colère, et tous en appelaient au sang de Douglas. Je doutais qu’il y eût sur terre beaucoup d’endroits comme celui-ci. J’aurais préféré me boucher les oreilles, pour couvrir ce son. Comment Douglas pouvait-il déambuler dans ce sous-sol, et se concentrer dans ce tapage ? À moins que les spectres se contentent d’appeler à leur secours le premier nécromancien rencontré qui ne fût pas leur meurtrier ?
Une autre goutte de sang toucha le sol. Je crus que j’allais éclater, empli par mon pouvoir. Mes muscles étaient si rigides que je ne pouvais inspirer que par à-coups. Je savais être capable d’intimer aux esprits de rester silencieux. Ils devaient obéir à mes ordres. Je m’efforçais de me tenir à l’écoute de leur douleur. De la prendre en moi jusqu’à ce que ma poitrine me fasse mal.
Parce que je les écoutais, ils m’expliquèrent comment faire. Je ne voyais pas d’autre choix possible. J’osais espérer qu’ils ne feraient pas de mal à Brid. J’acceptai leur offre, et mon pouvoir se déchaîna, provoquant un chaos dans la pièce.
Le sol se fendit, et des créatures jaillirent de terre, prenant forme au fur et à mesure qu’elles émergeaient à la surface, semblables au premier zombie que j’avais vu. J’entendis le vacarme du frigo sous l’escalier qui se renversait et des ampoules de verre qui se brisaient sur le sol. Une ampoule explosa et l’énergie en moi grandit encore. Du sang. Douglas avait conservé des ampoules pleines de sang dans son frigo. Les esprits ne l’apprécièrent pas autant que le mien. Il n’était pas frais. Mais ils s’en servirent néanmoins.
Les créatures ainsi matérialisées étaient sous mon contrôle, et je les lançai en direction de Douglas. Elles se jetèrent sur lui, les mains tendues, visant sa gorge, ses vêtements. Il leva les bras, mettant son propre pouvoir en branle pour les tenir à distance.
Je sentis qu’il essayait d’activer son cercle. Il s’aperçut trop tard qu’il ne l’avait pas terminé, dans sa précipitation après l’attaque de Brid.
Une autre goutte tomba au sol et j’encourageai les esprits.
Des gens envahirent soudain le sous-sol, que je ne reconnaissais pas. Non, pas des gens. À travers toute cette magie, je distinguais des tourbillons de couleur, certains de la même espèce que Brid, et d’autres que je n’avais jamais eu l’occasion de voir. Je me renseignerais plus tard. Des loups les talonnaient. Des bêtes géantes se jetèrent sur Douglas. J’eus de nouveau cette sensation de boue et d’orties alors qu’avec sa volonté, il tentait de détourner les esprits les plus faibles et de les faire attaquer par les loups. Je vis un zombie désorienté se détourner de Douglas et sauter sur un homme de grande taille aux cheveux courts vêtu d’un débardeur. Je fis de mon mieux pour les tenir éloignés des étrangers et pour les maintenir concentrés sur le véritable ennemi. Mais Douglas avait davantage de pratique. Sa tactique faisait effet. À présent, il avait dressé un véritable rempart de corps et d’esprits sortis de la mort.
La cave devenait le théâtre d’une redoutable bataille.
Douglas recommença à jeter son sort, les mots se déversant de sa bouche. Avec le sang du bol, il dessina des symboles sur mes jambes et sur mon cœur. Impossible de m’esquiver.
Le monde autour de moi se réduisit à deux choses : les esprits et Douglas. Je devais rester sourd au reste et garder confiance. Je n’avais pas le choix. Entre la colère et la montée en puissance, les esprits s’agitaient, frénétiques. Ils attaquaient tout et n’importe quoi, à leur portée. Impossible de les renvoyer ! Au mieux, il fallait essayer de limiter les dégâts et espérer que chacun s’en sortirait.
J’entendis un cri, et ma vision s’élargit de nouveau : Ramon était en haut des marches, Ramon fonçait vers moi, une lampe ancienne à la main qu’il balançait contre les obstacles. Douglas ne daigna pas lui jeter un regard. Il fit simplement le geste de le repousser et un zombie attaqua mon ami. La créature l’attrapa et le lança sous l’escalier. La foule des combattants se déplaça, bloquant ma vue. Je ne savais pas dans quel état il était.