BOMBARDEMENT D’UNE SALLE DE BAL
La sueur perlait sur ma lèvre tandis que j’essayai de maintenir la situation sous contrôle. Avec mon sang qui coulait sur le sol, et mon énergie déclinant sous l’effort, je ne pensais pas tenir encore très longtemps.
Douglas continuait à psalmodier et à répandre mon sang tout autour. Je ne voyais pas ce qu’il faisait, et c’était mieux ainsi. Pas besoin de le regarder pour deviner que son sort serait bientôt prêt. Je sentais son pouvoir presser mes paupières. Je frissonnai en sentant le sort ramper sur ma peau. La sensation était huileuse et désagréable.
Le pouvoir du son monta d’un cran, et je compris que Douglas était sur le point de terminer. Si j’avais encore un tour dans mon sac, c’était le moment de le sortir.
Alors qu’il s’approchait de moi pour dessiner un symbole sur ma tête, je dégageai ma main droite de la menotte et lui assénai un coup de poing dans l’œil. Au moment où mes jointures heurtèrent sa joue et son arcade sourcilière, je perçus sa surprise. Il recula en trébuchant. J’essayai d’attraper le couteau. Avec la paume, je saisis la pointe de la lame qui rentra dans ma chair. À l’aide de deux doigts, je m’emparai du manche. Puis, la mâchoire serrée, j’arrachai son couteau à Douglas, la pression m’entaillant plus profondément la paume.
Douglas riposta, un rictus aux lèvres. Je retournai le couteau vers lui et lançai mon bras en avant, insufflant autant de force que possible dans mon mouvement.
Le sous-sol autour de moi se mit à tourner au ralenti tandis que la lame mordait sa gorge. Le vacarme du combat s’estompa. Dans ce calme nouveau, j’entendis le pop mouillé de la lame qui pénétrait la chair. Le manche dépassait de son cou. Je vis l’éclat de panique dans les yeux de Douglas. Puis la surprise et la peur laissèrent place à la colère, ses émotions bouillonnant à fleur de peau. Il n’avait pas imaginé que je serais capable de faire ça. Il m’avait largement sous-estimé et je sentais cette pensée faire son chemin dans son esprit. Je percevais littéralement sa douleur. L’image de Douglas saignant et mourant, mes mains sur le manche du couteau brûlaient dans mon cerveau. Elle y resterait probablement jusqu’au jour de ma mort.
Il se détacha violemment de moi, extrayant le couteau de son cou. Du sang m’éclaboussa le visage. J’avais certainement touché une artère. Son sang toucha ma langue — un goût lourd et salé, mauvais. Mon cœur fit un bond. Non, pas le mien, celui de Douglas.
Le sort était terminé.
Le pouvoir me traversa, avec encore plus de force. Une convulsion secoua mon corps, mais je ne lâchai pas prise. Douglas tomba à genoux, et une autre vague me traversa. Quelque chose d’ancien et de fragile vola en éclat dans ma poitrine. Mon cœur se contracta un dixième de seconde, en lien avec les battements déclinants de Douglas. Je sentis le rythme hésiter puis ralentir.
Je le sentis mourir.
Au même moment, je perçus une autre mort, un mouvement vacillant au bord de mon champ de vision. Mes yeux restaient fixés sur Douglas, mais dans ma tête, je voyais Brid. Son visage et ses mains couverts de sang, sa forme pâle debout, Michael écroulé en tas à ses pieds. Elle avait eu sa vengeance, même si cette victoire ne semblait pas la réjouir. Elle ne pleurait pas, mais sa tristesse était évidente.
Brid était le seul point calme dans une mer agitée. Autour d’elle, tout le monde continuait de combattre les morts. Mais Brid ne fit aucun mouvement pour les aider. Elle contempla le sang de Michael s’échapper de la déchirure dans sa gorge.
Je regardai avec elle. Je le sentais, tandis que la flaque rouge se répandait à ses pieds.
Et c’était trop.
Alors je me mis à crier. Pas un cri de douleur — un hurlement de tourment éternel. La douleur était insupportable. La douleur était glorieuse. Je devinais chaque nerf de ma main, chaque coupure dans mon dos, les sensations étaient magnifiées jusqu’à ce que la frontière entre le bien et le mal se dissolve en quelque chose de si effrayant et extraordinaire, de si horrible que je ne pouvais m’empêcher d’ouvrir la bouche et de le laisser sortir.
Le calme envahit bientôt la pièce, le combat cessa, hommes et choses suspendus à ce cri. Impossible de le contrôler. Dans mon esprit, je rattrapai, essayai de trouver une prise, mais il n’y en avait pas. Le pouvoir me prenait aux tripes, cherchant à sortir de moi.
Mon don me déchirait en morceaux.
Je continuais à crier, bien que ma voix commençât à devenir rauque. Je n’avais aucune idée du dommage d’un cri sur ma gorge. Et cela m’était égal. Je continuais à hurler parce que je ne pouvais faire que ça.
Ce fut Brid qui me prit le visage entre ses mains. Elle avait l’air fatiguée et affaiblie. Je ne m’étais pas rendu compte à quel point mes joues étaient brûlantes tant que je n’avais pas senti ses paumes fraîches s’y poser.
Je cherchai l’horreur dans ses yeux. L’horreur de ce qui était arrivé, l’horreur de ce que j’avais fait, de ce que j’étais devenu. Je ne la trouvai pas. Brid me regardait en me suppliant de me concentrer sur ce qu’elle disait.
Je m’arrêtai de crier et saisis son poignet avec mes doigts libres.
— Fais-les rentrer !
Chuchotait-elle ou avais-je du mal à entendre ? Je voyais ses lèvres se plisser et bouger. Elle voulait que je remette quelque chose. Non… quelqu’un. Elle voulait que je remette quelqu’un quelque part. Mais je ne me rappelais ni qui ni quoi.
Brid avait remarqué ma confusion.
— Les morts. Remets-les à leur place.
Elle ânonnait chaque mot. Ses cheveux brillaient dans la lumière, les mèches colorées se mêlant harmonieusement au reste de sa chevelure. Elle secoua de nouveau la tête pour canaliser mon attention.
— Remets les morts en terre, Sam, maintenant !
Bien sûr. Les morts étaient éparpillés de-ci, de-là, comme des pantins que je devais ranger. Des jouets non morts et qui mordaient. Je frissonnai sous la fraîcheur de ses paumes, et je hochai la tête. Je n’avais pas besoin d’essayer de les trouver. Ils étaient tous là, au bout de mes doigts.
— Allez vous coucher, leur dis-je. C’est fait. C’est fini.
Un à un, je les sentis retourner à la terre. Le pouvoir les accompagnait tandis qu’ils s’en allaient, mais sans partir complètement. Je le sentais roulé en boule dans ma poitrine, comme un chat endormi. La table tressaillit pendant que le sol reprenait son aspect normal. Je ne regardai pas. Je fixai Brid jusqu’à ce qu’elle me dise que j’avais terminé.
Après cela, je ne me rappelle plus de rien.