– XIV –

Comme il était toute la journée à son bureau et le soir à des spectacles, il n’était pas facile de glisser Samia dans son emploi du temps. Ce n’était pourtant pas l’envie qui lui manquait. De son côté, Florence était toujours aussi câline lors de leurs rares nuits communes et, même si elle ne se cachait pas d’avoir de-ci de-là quelques aventures féminines, il n’avait pas envie de la tromper. En tout cas, pas avec cette femme-là qui avait réveillé de périlleux souvenirs. Charles ne donna pas suite aux avances de Samia.

L’ancienne ministre en conçut de l’amertume et de l’aigreur. Au troisième appel laissé sans réponse, elle se cabra et envoya à Charles un texto venimeux : « Je m’en souviendrai. » Il prit la menace à la légère.

Vexée puis ulcérée, Samia commença par embarrasser son ex-amant en s’affichant dans toutes les manifestations où il était lui aussi invité. Elle avait appris ça de Jack Lang, précisément, qui avait méthodiquement sapé le prestige de son successeur, François Léotard, en se faisant prendre en photo à quelques mètres du tenant du titre. De plus, elle espérait bien que cela réveillerait ce qu’il restait de jalousie chez Florence.

Samia ne se contenta pas de ces petites mesquineries. Elle se répandit en déclarations officieuses fort désagréables à l’endroit de Charles et essaya de monter quelques artistes contre lui. Elle y réussit en deux ou trois occasions mais comme la dernière tentative se révélait politiquement dangereuse, le nouveau ministre fit appel, non pas à Florence, car les conséquences étaient imprévisibles, mais à son père qui fit ce qu’il savait le mieux faire : le joli cœur…

Jean-Baptiste prit rendez-vous avec Samia, lui parla sans la morigéner, fit semblant de ne pas être au courant de toutes ses manœuvres et lui proposa même de l’accompagner un soir à un spectacle.

— Mais si votre fils est là ? demanda l’ex-ministre, faussement gênée.

— Ce ne sera pas grave. Il n’avait qu’à vous le proposer avant moi…

Samia vit dans cette allusion à peine dissimulée une ouverture qui lui plaisait tout en lui permettant de se venger plus finement de son amant oublieux. Elle voulut pousser son avantage.

— J’aurai le droit de vous prendre par le bras ?

— Comme un vieux couple qui se retrouve après tant d’années ?

— Ou comme un couple en devenir…

— Quand même pas, chère Samia. Bien sûr mon fils n’a pas été très au clair vous concernant. J’espère que ça n’est pas de famille. Je reconnais qu’on est plus doués pour le courage professionnel que pour la bravoure amoureuse. Mais ce n’est pas parce qu’il a fauté, par crainte des réactions de sa fiancée, qu’il faut le punir trop sévèrement. J’ai encore en mémoire ce qu’il me disait de vous quand vous avez été éjectée du gouvernement. Il a tenté tout ce qu’il lui était possible pour faire revenir Exbrayat sur sa décision. Il vous apprécie vraiment, Samia, il ne cesse de vous couvrir de lauriers, en public et en privé. Ne le tourmentez pas plus que cela. Il vous en sera reconnaissant.

Jean-Baptiste n’était pas très fier de lui. Il utilisait sans vergogne les grosses ficelles des politiques pour régler un simple problème d’ego et de jalousie. Mais il avait réussi dans sa mission. Il le fit savoir à Charles, sans oser lui avouer qu’il n’était pas resté de marbre face au charme de Samia.