La jeune femme s’appelait Blanche. Elle était d’une beauté radieuse et pleine de candeur. Mais on sentait bien que, sous cette apparente innocence, coulaient des rivières de lave. Il n’était que de lire ses livres, aussi foutraques que ciselés. Ses personnages frôlaient toujours les précipices ; tout lecteur doté de logique se prenait à les trouver presque normaux alors qu’objectivement, ils étaient fous à lier. Ses héroïnes se scarifiaient, s’imposaient d’invraisemblables sacrifices et semblaient parcourues de désirs incontrôlables. Car le sexe était omniprésent dans l’œuvre de Blanche Sagan..
Elle ne revendiquait aucune parenté avec l’auteur de Bonjour tristesse, qui s’appelait Françoise Quoirez, mais elle avait, comme elle, le génie des titres. Lorsqu’elle en avait cherché un pour son premier roman, son éditeur lui avait dit : « Faites comme l’autre Sagan, prenez Racine. » Elle avait donc cherché dans Racine, puis Aragon et bien d’autres auteurs et, habillée de leurs lambeaux de phrases, elle avait très vite rencontré son public, qui jamais ne l’abandonna.
Lorsque le ministre l’avait approchée, il lui aurait donné le bon Dieu sans confession. Il avait déjà oublié le discours préparé par son conseiller et qui, bien que très édulcoré, laissait percevoir entre les lignes la rouerie de la récipiendaire, et sa tranquille perversité. Charles était donc sans méfiance ni défiance. Le corsage pastel de Blanche, son léger entrebâillement l’avaient envoûté. D’où sa difficulté à épingler correctement la médaille des Arts et Lettres sur la poitrine de Blanche Sagan.
Passé le moment de gêne, et de légère sidération, les regards du ministre et de la romancière s’étaient longuement accrochés. Charles avait eu peine à passer au médaillé suivant qui attendait son tour avec un sourire béat, tout en observant la scène qui se déroulait à côté de lui. Il y avait eu un très léger mouvement de foule. Des cous s’étaient tendus pour essayer de discerner la cause de ce long arrêt du ministre devant Blanche Sagan. Puis quelques murmures entendus…
Charles s’était enfin repris et s’était raclé la gorge pour se donner une contenance afin d’aborder le prochain récipiendaire dans les meilleures conditions. Il avait beau se montrer agile en toutes circonstances, et ne jamais se laisser démonter par l’imprévu, il ne lui fut pas aisé de reprendre ses esprits.