– XXV –

La collaboratrice de Charles avait enfin réussi à obtenir un dîner avec la belle romancière qui occupait les pensées du ministre depuis quatre jours. C’était pour le lendemain.

Charles n’eut pas le temps de se préparer à cette perspective qui l’enchantait. Ses esprits furent perturbés par un livre qu’il venait de recevoir et qu’étrangement sa secrétaire avait glissé, sans le distinguer, dans la pile épaisse des habituels envois au ministre de la Culture. Or le roman était signé… de son père.

Jean-Baptiste, qu’il voyait pourtant deux ou trois fois par semaine, lui avait bien dit qu’il était en train d’écrire un livre mais il était resté très mystérieux sur le sujet et Charles n’avait pas insisté, même s’il était impatient de savoir ce que l’acteur pouvait bien écrire sur sa liaison avec sa mère.

Il lui suffit de lire le titre du livre qui venait d’atterrir sur son bureau pour comprendre qu’il faisait erreur : LE VIOL. Six lettres rouges sur une couverture noire, comme un appel au secours.

Charles se plongea aussitôt dans la lecture du « roman », c’est ainsi qu’il était présenté par l’éditeur. Mais il ne lui fut pas difficile de retrouver, dès les premières lignes, l’histoire que lui avait déjà racontée son père.

Le récit était glaçant. Et l’écriture au scalpel. Loin de ce que certains critiques littéraires nomment le pathos. Le style y était pour beaucoup. La dernière scène, celle du suicide d’Amina, rebaptisée Meriem dans le livre, arracha des larmes à Charles, qui en connaissait pourtant le dénouement. Il repensa à cette grand-mère qu’il n’avait pas davantage connue que son propre fils, cette grand-mère sang-mêlé, écartelée entre trois cultures et brûlant d’amour pour Guillaume. Un Guillaume que son petit-fils allait réhabiliter, grâce au subterfuge que venait de lui proposer Saïd.

La deuxième pensée de Charles fut pour son père.

Il était déjà admiratif de son parcours qu’il n’évoquait que rarement avec lui, car il sentait qu’il voulait tourner la page, mais là, chapeau : ce style, alors que Jean Baptiste n’avait encore jamais écrit un livre, ce récit maîtrisé, tenu sur un fil tendu, et le secret dans lequel il s’était plongé pour le sortir de ses tripes et de sa mémoire, tout cela forçait le respect.

Tout à l’heure, il lui téléphonerait pour lui confier son émotion, avec son habituelle pudeur. En attendant son rendez-vous avec cette jeune romancière qui n’avait pas quitté ses esprits depuis quatre jours. La journée s’annonçait splendide.