– XXVI –

Il avait eu des dizaines d’heures pour se préparer et chacune d’entre elles y avait été consacrée. Pourtant, quand il se trouva face à la romancière, il perdit tous ses moyens. Il était intensément fébrile, et donc assez maladroit. Il voulait que tout fût parfait. S’il n’avait tenu qu’à lui, il aurait été jusqu’à servir lui-même les plats afin de contenter les moindres désirs de son invitée. Le dîner se passait dans le salon privé du ministre.

Pour l’heure la proie, c’était plutôt lui. La jeune femme l’observait avec une pointe d’ironie dans le sourire. Elle le regardait se débattre avec sa gaucherie, et l’habiller d’une logorrhée de paroles qui aurait pu produire sur son interlocutrice l’exact contraire de ce qu’il espérait. Lui, habituellement si réservé, et c’est ce qui faisait son charme dans ce milieu de hâbleurs, ne cessait de parler. Il arriva donc ce qui était prévisible : il parla surtout de lui. Comme elle semblait amusée et qu’elle ne cherchait pas du tout à reprendre le contrôle des événements, elle ne relançait pas la conversation et se contentait de brèves réponses.

Au bout d’un long moment il finit par s’apercevoir de sa goujaterie.

— Pardon, fit-il.

— Et de quoi donc, je vous prie ?

— Je monopolise la parole. Je ne me suis pas intéressé à vous. Et pourtant, j’en brûle d’envie.

— Alors, vous cachiez bien votre jeu, répondit-elle pour se moquer.

C’est elle qui conduisait le bal. Elle l’avait à sa main.

— Pourquoi êtes-vous si vibrionnant ? Ce n’est pas l’impression que vous laissez quand vous passez à la télévision.

— Je sais. C’est juste ce soir. Pardon.

— Arrêtez de vous excuser. Vous m’avez plu parce que vous aviez l’air timide à ma remise de médaille. Et comme tous les grands timides, vous vous surpassez pour faire croire le contraire. Ne jouez plus. J’ai peu de qualités mais j’ai le sens de la psychologie. C’est même mon métier. Je ne serais pas devenue romancière si je n’avais pas eu ce goût de l’observation. J’ai mis un verre sur la guêpe et depuis le début du dîner, je la regarde s’agiter.

— C’est pathétique ?

— Pas du tout. C’est même très touchant.

Puis, après un silence que pour une fois il ne rompit pas :

— Vous voulez que je soulève le verre ?

— Pas besoin. J’aime bien être votre prisonnier.

Ils se turent l’un et l’autre et se regardèrent intensément. Il fit le premier pas en se levant. Il alla vers elle et l’embrassa alors qu’elle fermait les yeux. Il avait retrouvé toute son assurance :

— Vous êtes sûre que vous ne voulez vraiment pas un dessert ?

— Surprenez-moi.

Il resta longtemps derrière elle en la tenant par les épaules et en lui caressant la nuque. Elle baissa la tête, non pas en signe d’acceptation mais pour recevoir ses baisers dans le cou.

Il la prit par la main puis l’entraîna vers ses appartements privés.