– XXVII –

Ce qu’il vécut ensuite dans la chambre qu’il s’était fait aménager au ministère ne peut se divulguer. Lui-même ne le raconta à personne, pas même à son père qui était pourtant devenu son complice en matière d’amours buissonnières.

Charles n’avait jamais connu cela : l’intensité sexuelle qui pousse à la passion amoureuse. Il avait jusqu’alors une expérience assez superficielle de ce qui peut régir les rapports hommes-femmes. Le désir l’avait souvent envahi, et il s’y était parfois abandonné, l’excitation d’une conversation le stimulait toujours autant (il pratiquait joyeusement l’exercice avec Florence), le bonheur d’un moment fugitif à deux le ravissait, et de ce point de vue sa relation avec la journaliste le comblait parce qu’il savait précisément que ce bonheur-là n’était que provisoire, et qu’il se satisfaisait de leur indépendance – chacun chez soi et la routine ne nous guettera pas –, mais il n’avait encore jamais été submergé par la jouissance.

Celle qu’il découvrit cette nuit-là avec Blanche fut d’abord d’ordre sexuel. Elle semblait incroyablement expérimentée. Elle ne se contentait pas d’un assaut, ou de deux, il lui en fallait trois, quatre, cinq, jusqu’à épuisement de son amant. Et quand tout semblait fini, elle se collait à lui, glissait la cuisse de Charles dans son entrejambe et à force de pressions et d’ondulations, atteignait l’orgasme sans qu’il eût à intervenir. Il écoutait son souffle, puis son râle, puis ses cris, et cela le mettait dans un état extatique bien supérieur au sien quand il se libérait en elle.

Ce fut donc une nuit blanche qu’il passa dans son propre ministère car il n’eut bien entendu aucune envie de retourner chez lui.

Au petit matin, alors qu’il tentait de s’endormir enfin, elle se plaqua à nouveau contre lui. Il n’était pas certain qu’elle fût réveillée, peut-être était-elle entre deux rêves, mais il se colla à son tour à elle. Pressée par le désir, Blanche le conduisit en son intimité.

Comme il pressentait qu’elle ne se contenterait pas d’une simple pénétration, il se mit à lui parler car elle lui avait dit qu’elle adorait sa voix. Et c’est ainsi qu’ils firent l’amour, tendrement et sans à-coups.

Tout en se frottant à lui avec passion, elle ne cessait de le questionner. Elle voulait tout savoir de lui. Il se confia longuement, bien au-delà de toute prudence. À deux ou trois moments, il l’interrogea pourtant. « Tu vas garder ça pour toi ? Tu n’écris pas dans les journaux ? Parce que, tu comprends, j’ai déjà donné avec les journalistes… »

Elle se contenta de sourire. Elle savait parfaitement à qui Charles faisait allusion mais elle n’avait aucune intention de le conduire sur ce terrain-là. Ce qui l’intéressait bien davantage, c’est ce qu’il lui avait raconté de son père. Sa rencontre avec lui à 18 ans, cette histoire d’amour si romanesque entre un acteur et une admiratrice, son manque de mère trop tôt…

Et il parla. De sa mère plus que de son père parce qu’il avait déjà beaucoup raconté son lien avec lui lorsqu’il fut élu à l’Assemblée puis nommé à la Culture. Tout avait été dit et il n’y avait rien à rajouter qui ne fût déjà connu de tous.

Sa mère en revanche restait floue dans ses propos publics. Il y pensait souvent, mais moins qu’avant. Voilà tout juste vingt ans qu’elle avait quitté ce monde et Charles courait beaucoup trop vite pour se poser et se souvenir. Cette nuit-là, grâce à Blanche, tout remontait. Il lui raconta sa profonde jalousie quand, petit garçon, il observait les approches de tous ces hommes qui tentaient de séduire sa mère, et sa rage froide quand elle ne faisait rien pour les en dissuader. Il lui dit aussi la tendresse de cette coquette dont il restait, malgré tout, l’unique homme. Il parla des goûters au chocolat chaud quand il rentrait de l’école, de la soupière de pâte à crêpes qui reposait sur un radiateur, de l’odeur de ses cheveux, de son parfum un peu trop capiteux, et surtout de ce terrible gouffre qui se creusa sur son chemin quand la maladie eut raison d’elle.

Il était 7 heures du matin lorsqu’il acheva son récit. Elle l’embrassa fougueusement. Elle avait encore envie de lui.

— Blanche, pas tout de suite ! fit-il mine de supplier.

— Alors quand ?

— Ce soir, et toute la nuit, je te le promets. Je ne connais pas encore mon programme mais au besoin j’annulerai. Tu peux, toi ?

— Je ne sais pas mais je me débrouillerai quoi qu’il arrive.

Il la dominait désormais, il s’était redressé sur le lit. La voir ainsi nue, troublante, troublée par son histoire, lui donna une nouvelle fois l’envie de faire l’amour.

— Ah non ! Plus maintenant, minauda-t-elle.

— C’est toi qui as raison. J’ai un visiteur qui m’attend dans un quart d’heure au ministère. Tu en profiteras pour sortir.

— Comme une petite bonne qu’on a sautée et à qui on donne congé ?

— Blanche, tu sais bien que non ! Si tu veux, tu peux rester et écrire des pages inoubliables sur ta nuit d’amour…

— Tu ne crois pas si bien dire. Il ne faut jamais coucher avec une romancière, mon chéri…

Charles s’inquiéta un peu.