XXXV

Ce coup de fouet n’avait pas été inutile. Il réveilla sa volonté. Imaginer que le chef de l’État, son mentor, son ami, celui qu’il avait servi avec constance depuis sept ans, était en train d’accumuler les dossiers contre lui, un homme de son camp, et même de son écurie, l’écœura profondément. Son premier réflexe fut d’appeler son père, qui accourut immédiatement.

— Je te l’avais bien dit, martela Jean-Baptiste. On ne peut accorder aucune confiance à cet homme. On ne peut même pas lui en faire le reproche. Il a toujours été clair avec toi à ce sujet. Souviens-toi de ce qu’il t’avait dit juste avant que tu te présentes à la députation : « J’ai déjà les arguments pour le contrer s’il se présente contre moi », avait-il dit du Premier ministre. Et il t’avait laissé entendre qu’il ferait de même avec toi : « J’ai tout fait pour que mon prédécesseur ne puisse pas se représenter, et je crois me souvenir que tu m’as beaucoup aidé pour ça. Ce qui est valable pour l’un peut l’être pour l’autre. En politique, il ne faut jamais dire jamais. » J’ai encore en tête les mots exacts que tu m’as rapportés. Pour un acteur en préretraite, j’ai encore de beaux restes, du côté de la mémoire !

Le père et le fils s’en amusèrent, comme aux premiers jours de leur complicité. La présence de Jean-Baptiste apaisait Charles. Elle le galvanisait aussi. C’est lui qui eut l’idée de recourir aux services de Florence pour essayer de régler le cas embarrassant du fils du violeur. Elle avait déjà été très efficace dans le passé quand il s’agissait de coups tordus, Charles l’appela sur son portable. Elle ne répondit pas. Puis au bureau, où son assistante lui dit qu’elle était repassée chez elle.

— Pas grave, dit Charles à son père. J’ai théâtre ce soir. Et ce n’est pas très loin de chez Florence. Je vais me faire déposer chez elle.

 

Ils avaient l’un et l’autre des doubles des clés de leur appartement. Là encore, ça faisait partie de leur contrat tacite. En pénétrant chez elle, il entendit un remue-ménage dans la chambre. Florence apparut sur le seuil, mal à l’aise, décoiffée et à peine rhabillée.

— C’est toi, mon chéri ? Mais que fais-tu ici à cette heure-là ?

C’est alors qu’il aperçut une jupe qui traînait dans le couloir, puis un chemisier froissé.

— C’est à toi ? demanda-t-il avec une froideur qui l’étonna lui-même. Ramasse-les.

Florence ne répondit pas. Elle affrontait la situation en ne fuyant pas son regard.

Il faisait de même en l’obligeant des yeux à ramasser la lingerie qui disait assez ce qui se passait dans la chambre et ce qui s’était déroulé juste avant dans le couloir.

Il continuait à l’observer sans bouger. Deux pensées s’entrechoquaient en lui. Oui, elle était plus qu’excitante avec cette jupe au bout des doigts et son soutien-gorge dégrafé, il venait de s’en apercevoir. Et oui, il était piqué par la jalousie.

Il se voulut bravache :

— Œil pour œil, dent pour dent. À partir d’aujourd’hui, ne te sens plus jamais en sécurité avec moi.

Le politique avait repris le dessus. Il voyait bien l’intérêt qu’il avait à exploiter la situation pour se permettre tout ce qu’il voudrait avec Blanche.

Il n’empêche qu’il quitta l’appartement plus blessé qu’il ne pouvait l’imaginer.