Tout au long de son monologue, elle ne le quitta pas des yeux, gardant un aplomb invraisemblable car ce qu’elle avait à lui dire n’était pas facile à formuler.
Froidement, elle lui expliqua que, grâce à ses anciennes connexions qui avaient fait merveille jusqu’alors pour la carrière de Charles, elle avait pu récupérer un document explosif qui intéressait Jean-Baptiste au premier chef, mais aussi désormais son fils. Il s’agissait de la confession écrite de Lucien Paolini, le tueur recruté par Guillaume, le grand-père de Charles, afin d’assouvir sa vengeance et d’exécuter les uns après les autres les violeurs d’Amina.
Il s’agissait d’une lettre d’aveux écrite par le Corse dans les années 1960, soit un quart de siècle après les faits. Il avait purgé deux ans de prison à Alger, avait été libéré peu après le débarquement de Provence et s’était fort opportunément mêlé à la foule des résistants de la dernière heure, ce qui lui avait permis plus tard de gravir quelques échelons dans la police, à l’époque décimée et peu regardante sur les états de service de ses nouveaux entrants. Il avait fini commissaire et c’est après sa retraite qu’il avait rédigé cette confession.
À l’usage de qui ? Florence semblait ne pas savoir mais pour Charles il ne faisait aucun doute qu’elle avait été adressée à Édouard Bergougnioux, le violeur survivant du drame et dont le fils venait de se manifester auprès de l’Élysée. Dans quel but ? Et si elle ne lui était pas parvenue directement, comment se l’était-il procurée ?
— Qu’est-ce qu’il raconte dans sa lettre ? Tu peux me la donner ?
— Je ne l’ai pas avec moi, répondit Florence avec ce demi-sourire qui ne la quittait pas depuis le début de leur entrevue.
— Dans ce cas, comment veux-tu que je la montre à mon père ? Lui seul peut nous dire s’il s’agit d’un faux ou non. Il connaît cette histoire par cœur.
— Ce n’est pas un faux, répliqua-t-elle sans hésiter.
— Qu’en sais-tu ? Et même s’il s’agit bien d’une confession rédigée de la main de Paolini, on a affaire à des accusations suffisamment graves pour tuer une deuxième fois ce pauvre Guillaume et pour blesser grièvement mon père. Il t’a dit combien cette affaire a pris de l’importance pour lui. S’il me pousse à ce point vers l’Élysée, c’est parce qu’il souhaite laver l’honneur de la famille et qu’il s’en veut de n’avoir rien fait quand il était au faîte de sa gloire. Il se reproche d’avoir été lâche, par peur du scandale. Il m’a été reconnaissant de ne pas l’avoir été à mon tour et d’avoir fait passer en douce cette loi sur l’indignité nationale. Cette histoire, c’est devenu la nôtre, celle d’une conjuration. Et tu as fait partie de ces conjurés. Encore une fois, merci. C’est pourquoi il est important que j’aie cette lettre. Elle ne peut pas traîner dans la nature.
— Justement, l’interrompit-elle.
— Justement quoi ?
— Elle traîne déjà. Elle peut traîner encore plus loin.
— Qu’essaies-tu de me dire ? avança Charles qui sentait son sang se figer.
— Je suis la seule en mesure de l’empêcher de faire son sale chemin. J’ai payé cher, très cher, pour la récupérer.
— Tu veux que je te rembourse ? demanda-t-il d’une voix blanche.
— Entre nous, tu le sais bien, il ne sera jamais question d’argent. Ça me dégoûterait.
— Alors quoi ? Pourquoi ne veux-tu pas me la donner ? J’ai absolument besoin de la montrer à Jean-Baptiste.
— Il est possible que je te la donne, répondit-elle alors en appuyant chacune des syllabes.
— Possible seulement ?
— En effet. Parce qu’il y a une condition.
À cet instant tout n’était que frémissement en Charles. Il croyait savoir ce qu’elle allait lui demander.
— Je veux que tu quittes cette écrivaine à la noix et que tu reviennes à moi.
Il avait beau s’y attendre depuis quelques secondes, le sol se dérobait sous lui.
— Mais c’est du chantage, Florence. Et c’est abject ! Et ça, ça ne te dégoûte pas ? C’est pire encore qu’une histoire d’argent.
— Ce n’est pas du chantage, Charles. C’est ma seule façon de dire : Je t’aime.