– XVII –

Furieux de s’être fait doubler par un jeunot, le ministre de l’Intérieur le bombarda de coups de téléphone auxquels son cadet ne répondit pas. Chassigneux se résolut donc à appeler son directeur de cabinet pour le remercier aigrement du cadeau que Jean-Baptiste lui avait fait en lui expédiant son fils dans cette circonscription des Côtes-d’Armor où tout avait commencé.

— Qu’est-ce que vous voulez, monsieur le ministre, répondit Emmanuel, c’est la fougue des jeunes gens trop pleins de sang. Il fait tout très vite sans consulter personne.

— Vous ne me ferez jamais croire qu’il ne vous a pas consulté, vous. Et pendant qu’on y est, son père – paix à son âme – aurait pu lui apprendre la politesse. Votre ministre m’avait promis de m’appeler.

— Ce n’est pas ce qu’il m’a dit. C’est vous qui deviez lui téléphoner pour lui donner votre décision. Comme rien ne venait, il a pensé que vous aviez renoncé.

— Mais c’est lui-même qui m’a conseillé d’attendre ! Je n’aurais jamais dû l’écouter. On va maintenant se retrouver avec deux candidatures du même camp. C’est absurde.

— Et c’est tellement absurde que, bien sûr, vous n’allez pas vous présenter. Je connais bien mon ministre, ce ne sera pas un ingrat. Matignon vous tend les bras.

— Décidément, c’est de famille, les promesses… Si vous vous mettez à ressembler au père et au fils…

— Ça n’engage que moi, mais vous verrez.

— C’est tout vu.

Et le ministre raccrocha.

C’était tout vu en effet.

Ainsi que le pressentait Jean-Baptiste, Chassigneux fut obligé, la mort dans l’âme, de renoncer à sa candidature. Comme le disait si bien leur maître à tous, Exbrayat, c’est le premier qui tire qui gagne… Et puis, un poste de chef du gouvernement, ça ne se refuse pas, même si on n’a aucune confiance en celui qui vous le propose.

Cet écueil contourné, il ne restait plus à Charles qu’à se concentrer sur ses vrais adversaires : la candidate de gauche, celle-là même qui avait affronté Exbrayat quatre ans plus tôt, plus le tenant d’une gauche radicale, redoutable tribun mais encore minoritaire dans l’opinion, et une jeune femme issue d’une droite extrême, qui grimpait dans les sondages car les électeurs commençaient à se lasser des éternelles bascules entre la droite et la gauche depuis quarante ans.

C’est la raison pour laquelle Charles s’engagea dans une campagne très au centre, récusant les vieilles notions du bipartisme. Et comme il était jeune, et donc en rien mêlé aux anciennes querelles, il put développer quelques axes relativement originaux et difficiles à contrer par sa rivale la plus dangereuse, la chantre du Grand Remplacement. En revanche, les autres candidats tirèrent à boulets rouges sur lui, ciblant essentiellement son inexpérience.

Mais c’est précisément ce qui avait l’air de plaire aux Français, disaient les projections électorales. Enfin du renouvellement, de l’air frais. Charles ne misa que sur cet atout-là. De toute façon, la droite traditionnelle était obligée de voter pour lui et il y avait très peu de candidats car les délais très serrés d’une campagne improvisée et les nouvelles règles sur les parrainages avaient découragé tous les marginaux, au centre comme à l’extrême gauche.

Cet alignement des planètes lui permit de mener tambour battant une campagne qui mettait en avant sa jeunesse et son éternel sourire. Comme il était très cultivé, il répondait spontanément par des citations qui égayaient le discours aseptisé des politiques. On se moqua de lui pour cette raison, on inventa des bons mots apocryphes, mais cela plut. Cela changeait, disait-on, en référence à son slogan de campagne : « Pour que ça change ! »

Bien évidemment, Victor Exbrayat n’aima pas cette référence à son quinquennat avorté mais, après avoir longtemps boudé, il ne put s’empêcher d’adresser à son ancien protégé un SMS sibyllin quand les courbes d’intentions de vote commencèrent à grimper en sa faveur : « Chapeau ! »

Un chapeau qui lui porta bonheur. Charles vira en tête à l’issue du premier tour avec 33 % des voix, score que personne n’avait encore atteint depuis François Mitterrand en 1988. 33 comme son âge, incroyablement jeune, mais qui n’avait pas rebuté les électeurs.

Il ne restait plus qu’une marche à grimper.