– XIX –

La campagne de l’entre-deux-tours fut moins palpitante que la précédente. Les positions semblaient figées. Les sondages ne variaient guère d’un jour à l’autre, ils donnaient toujours une confortable avance à Charles, ce qui le poussa à une prudence qui ne lui était pas coutumière. Sur le conseil d’Emmanuel le soir même de la démission d’Exbrayat, il avait quand même choisi quelques déplacements symboliques qui le singularisèrent tout en imprimant la marque de ce qu’il deviendrait et ferait s’il accédait à l’Élysée.

Cette même prudence lui fit aborder très sérieusement le débat du mercredi de la deuxième semaine, mais sans panache excessif. Florence avait beaucoup travaillé avec lui, Emmanuel aussi, ce qui fait que, phénomène unique dans les annales électorales de la Ve République, il eut droit, sans qu’on le sache, à deux débats à blanc. Ils lui permirent de ne commettre aucune faute, tout en étant, par manque de brio, légèrement en dessous des attentes de ses partisans. Le lendemain, il n’y eut pas de frémissement dans les sondages qui tous s’accordaient sur sa victoire à 54 ou 55 %.

C’est le surlendemain vendredi qu’eut lieu le fameux meeting de Marseille. Comme il avait pratiquement course gagnée, il se lâcha un peu et prononça (sans notes comme il le faisait désormais depuis sa première intervention à l’Assemblée) un discours qui fit date. Il fut lyrique et inspiré. Ses partisans le portèrent en triomphe comme ils l’auraient fait d’une rock star. Il était épuisé mais heureux. Seule Florence n’était pas là parce que, malgré les rumeurs, ils avaient décidé de ne jamais s’afficher ensemble. Un président célibataire, ça allait marquer les esprits, là encore c’était une première. Mais on pardonnait tout à sa jeunesse insolente. On reparla de sa liaison avec Blanche. On l’envia. De nombreuses Françaises se mirent sur les rangs…

Voilà. La campagne était terminée. Ce soir-là, il allait enfin pouvoir dormir un peu plus longtemps et dépasser son quota de quatre heures de sommeil. Et le lendemain, il se laisserait guider par les forces de l’esprit de son père vers une destination que Jean-Baptiste avait voulue pour lui.