10.
La publication de La Vie après la vie a coïncidé avec le télescopage de deux forces majeures dans ma vie : le succès et la maladie.
Mes professeurs, tous fiers de moi et contents que j'aie fait connaître au monde entier les expériences de mort imminente, me manifestaient un grand respect. Dans les années qui ont suivi la parution du livre, d'aucuns, ignorant les faits, ont supposé que la faculté de médecine et le corps médical m'avaient mis à l'index pour avoir fait connaître ce sujet au public. Ce ne fut pas le cas. Le livre constituait une vision tellement mesurée – quasiment modérée – d'un sujet véritablement sensationnel que le corps médical le perçut tel qu'il était : une authentique œuvre de découverte. L'un après l'autre, les médecins apprécièrent le ton factuel employé.
« Les faits, rien que les faits, me dit un médecin. Cela révèle deux aspects : un matériau de grande valeur et une grande érudition. »
Le public partageait visiblement cet avis car le livre se vendait à une vitesse fulgurante et des dizaines de médias voulaient m'interviewer. Le hic, c'est que je voulais rarement leur accorder une interview.
Mon problème de thyroïde – le myxœdème – s'était aggravé. La maladie détectée chez moi pour la première fois par mon oncle Carter durant mon adolescence – en tâtant par une chaude journée mon front froid, devant le magasin Walgreens – n'avait fait qu'empirer. Les picotements bizarres dans ma gorge s'étaient intensifiés au point que la sensation était quasi permanente.
Dans les années précédentes, divers médecins du service médical universitaire m'avaient ausculté la gorge et déclaré qu'il n'y avait pas lieu de m'inquiéter. Pour certains, j'avais tout simplement avalé quelque chose de chaud. Un otorhinolaryngologiste recommandé par mon père décréta que c'était l'effet d'un surmenage intellectuel causé par mes études, rien de plus.
Après avoir écouté tous ces diagnostics, j'essayai d'oublier cette gêne dans ma gorge tout comme d'autres changements survenus dans mon corps. Malgré les kilomètres parcourus quotidiennement, je prenais du poids à une vitesse alarmante. Je récupérai mon dossier médical et je consultai un autre médecin qui déclara que je travaillais et que je mangeais trop. Je ne tardai pas à être si lourd que courir me devint impossible.
Puis des rougeurs apparurent sur mon visage et mes mains. Mon père le remarqua immédiatement et diagnostiqua chez moi une dermatomycose. Il m'envoya à la pharmacie acheter un tube de Sporiline, qui ne fit aucun effet. Je consultai alors un dermatologue qui, après un examen superficiel, déclara que les taches à l'aspect blanchi étaient un vitiligo « idiopathique », autrement dit de cause inconnue.
Tous ces diagnostics erronés étaient antérieurs à mes études de médecine. Au moment où j'étais sur le point de les achever, mes symptômes prirent une tournure plus alarmante.
Je me sentais totalement dénué d'énergie – je me traînais littéralement. Mais lorsque j'évoquai ma profonde fatigue devant l'un de mes camarades de faculté, il me regarda avec un certain désintérêt et me déclara : « Les étudiants en médecine sont censés se rendre malades et s'épuiser au travail. »
Bizarrement, quand nous étudiions l'hypothyroïdie, je me rappelle avoir lu que les patients souffrant de cette pathologie ont souvent froid et sommeil. Levant les yeux du livre, je pensai : Ça doit être terrible, parce que j'ai toujours froid et j'ai toujours sommeil et je n'ai pas de problème de déficience thyroïdienne.
Mes cheveux se mirent à tomber. Là encore, un médecin me dit que c'était normal. Les hommes perdent leurs cheveux au fil des ans, m'expliqua-t-on.
Je continuai à consulter les médecins, leur décrivant mes symptômes de myxœdème tout droit sortis des pages d'un livre médical, et tous persistaient à n'en tenir aucun compte. L'un de ces signes était le syndrome du canal carpien. Souffrant de douleurs aux mains, j'allai voir une rhumatologue et je lui parlai de tous mes symptômes, allant de l'étrange sensation dans la gorge à la chute de cheveux. Elle plaça son stéthoscope sur ma poitrine et fit une remarque sur la lenteur de ma fréquence cardiaque. Elle me demanda : « Faisiez-vous de l'athlétisme, Ray ? »
Du fait que je courais quinze kilomètres par jour autrefois, elle attribua mon rythme cardiaque lent à ma bonne condition physique plutôt qu'à une pathologie thyroïdienne. Et elle mit mon syndrome du canal carpien sur le compte du poids des sacs portés durant mes emplettes. Quant au manque d'énergie, l'explication était toute trouvée : « Vous êtes étudiant en médecine ? Vous êtes censé être fatigué. »
Ainsi, chacun de mes symptômes avait une explication. Mais aucun de mes futurs confrères n'avait pris la peine de me considérer dans ma globalité. Si cela avait été le cas, ils auraient probablement diagnostiqué ma déficience thyroïdienne. Comme je l'ai dit, cette pathologie peut, si elle tarde à être traitée, se transformer en folie myxœdémateuse, déficit cognitif provoqué par l'absence de production d'hormones thyroïdiennes. À mon insu, j'étais déjà engagé sur cette voie dangereuse. Les médecins n'avaient pas pris en compte mes symptômes, de faux diagnostics avaient été formulés, et maintenant je sombrais lentement dans la folie.
Cela commença concrètement par une sensation, celle d'avancer péniblement dans une atmosphère épaisse comme de la boue, une masse gélatineuse où il était quasiment impossible de se déplacer par moments. Un jour, je m'en souviens, je suis monté sur un podium pour donner une conférence et je me suis demandé si j'aurais la force de prendre la parole après avoir remonté l'allée. J'en étais à ce point de fatigue.
Au fur et à mesure de l'intensification de ces sensations, je fus lentement envahi par un sentiment d'isolement et de dépersonnalisation, comme si je vivais derrière une barrière en verre, séparé du monde. Cela m'était arrivé des années auparavant, mais maintenant, ces sensations prenaient une forme très puissante et sérieuse. Un jour, par exemple, en roulant sur les collines de Géorgie, je sentis un besoin impératif de sortir de ma voiture et d'essayer de me défaire littéralement de ce sentiment. À d'autres moments, je restais distant et sans réaction lors de conversations importantes, comme si je regardais des événements à la télévision et que rien ne m'obligeait à réagir.
Certains pensaient que j'étais devenu snob parce que j'avais écrit un best-seller. Ce n'était pas ça du tout. Mon taux hormonal fluctuait de manière incontrôlable, et j'étais à la merci de ces fluctuations. Parfois je me sentais mieux, parfois plus mal, mais mon état mental s'affaiblissait graduellement parce que mon taux général d'hormones thyroïdiennes s'effondrait.
Le succès du livre m'avait certes placé sous les feux des projecteurs, dont la chaleur devenait par moments insupportable. À dire vrai, le succès m'avait complètement fait péter les plombs. Et les réactions de certains de mes lecteurs n'étaient pas faites pour améliorer mon équilibre.
Ce qui me dérangeait par-dessus tout, c'étaient les menées des fondamentalistes chrétiens. Je commençais en effet à recevoir de certains d'entre eux des lettres de menaces, dont quelques-unes se résumaient à l'expression d'une hostilité ouverte et hors de tout contrôle. « Je crois en Jésus. Et vous ? » écrivait une femme, qui enchaînait en m'accusant de « laisser sortir le diable de sa boîte » avec mes recherches sur les expériences de mort imminente.
La principale doléance de ces militants fondamentalistes était que les personnes se réclamant de toutes les obédiences religieuses ou même d'aucune relataient avoir vu des « êtres de lumière » et allaient souvent jusqu'à employer le nom de « Dieu » pour décrire ces êtres, description offensante selon mes correspondants atrabilaires. Pour eux, voir Dieu n'était pas à la portée de la plupart des êtres humains. Seuls les « justes » – comme eux – pouvaient le voir, déclaraient-ils. Quant aux autres personnes, ce qu'elles voyaient, c'était Satan lui-même, et par conséquent, concluaient-ils, les expériences de mort imminente étaient l'œuvre du diable.
J'avais énormément de mal à me défaire d'eux. Au début, j'essayai d'en rire, mais quand je découvris – même si à vrai dire je m'en doutais un peu – que ces grenouilles de bénitier n'avaient aucun sens de l'humour, je tentai simplement de les ignorer. Entreprise impossible car ils étaient parmi les premiers en ligne lors des émissions radiophoniques ou télévisées interactives. À cause d'eux, les interviews, déjà suffisamment difficiles, l'étaient encore plus. À l'époque, ces entretiens étaient une affaire sérieuse et duraient assez longtemps – contrairement à aujourd'hui où mon passage sur les ondes dure à peine trois minutes.
Je dois dire que la plupart du temps j'avais affaire à de bons et même excellents professionnels. Mais certains étaient de parfaits crétins qui discréditaient le reste de la profession, le pire sans doute étant Lou Gordon, de Detroit, Michigan. Même au bout de toutes ces années de contacts avec le meilleur et le pire des médias, je n'ai jamais rencontré une personne dans ce milieu professionnel aussi vile que Gordon. Il semblerait que d'autres interviewés partagent mon avis. Gordon prenait un malin plaisir à déstabiliser ses invités, à tel point qu'il arrivait fréquemment à ces derniers de se lever en plein milieu de l'entretien et de quitter le plateau. S'ils abandonnaient le champ de bataille au début de l'émission d'une durée de quatre-vingt-dix minutes, Gordon se carrait alors dans son fauteuil et se mettait à parler de tout ce qui lui passait par la tête. Il disait être lui-même « un homme de conscience, un homme de vérité », et il est donc aisé d'imaginer le ton péremptoire de ses propos.
Mais aujourd'hui, être interviewé par un animateur de talk-show désagréable ne me dérange plus. J'ai poussé plus loin mon analyse sur ces expériences et je comprends maintenant que je peux tout aussi bien être confronté à des interlocuteurs mal informés et ignorants qu'à d'autres, plus intellectuels et curieux. Alors qu'à cette époque, j'étais peu expérimenté et infiniment plus vulnérable. Et aussi, bien sûr et surtout, j'étais gravement malade.
J'étais jeune et je prenais très au sérieux mon succès comme auteur – peut-être trop au sérieux. De même pour les critiques, qui par moments me blessaient quand elles émanaient de mon entourage. Les plus fortes venaient en particulier d'un camarade étudiant de l'UVA, qualifié de « sociopathe de première » par un membre de sa propre famille. Il se prétendait mon ami, mais je découvris qu'il disait du mal de moi derrière mon dos. Finalement, le Dr George Ritchie, dont j'ai de tous temps respecté grandement l'opinion, me prit à part un jour pour me dire : « Fais attention à ce type. Il est vert de jalousie envers toi. »
J'ignorais en quoi cet homme m'enviait. Il passait fréquemment nous rendre visite, à Louise et à moi, le soir. Au début, je parlais librement avec lui des études de cas sur les expériences de mort imminente que je recueillais et du type de recherche que j'envisageais de mener. Mais très vite, je cessai de lui faire part de toutes mes activités. Il s'était mis à discuter de mes recherches avec d'autres personnes à l'université, tout en essayant d'y trouver des failles ou en lançant des semi-vérités pour dévaloriser mon travail. On me rapporta qu'il tenait également des propos de nature fondamentaliste sur ma personne et mon travail, déclarant que Dieu ne permettait qu'aux personnes véritablement religieuses de voir la lumière céleste, et en aucun cas à certains des athées que j'interviewais. Les EMI étaient par conséquent, disait-il, l'œuvre de l'ennemi de Dieu et du genre humain. Autrement dit, pour lui, évidemment, je travaillais pour le compte de Satan.
À la fin, quand j'en eus plus qu'assez de la nocivité de cet individu, je le priai de se tenir à l'écart de ma famille et je demandai à celle-ci de faire de même. Mes proches affirmèrent que je prenais ses attaques trop à la lettre, alors que moi, je trouvais qu'ils prenaient trop à la légère ma réputation.
Ma colère de les voir poursuivre leur amitié avec cet homme se mua en fureur quand celui-ci publia un pamphlet – sorte d'anti- La Vie après la vie – sur les méfaits de mes recherches, où il avait recours à un argumentaire fondamentaliste pour dénoncer mon travail. Pire encore, il y divulguait des informations personnelles sur ma vie qui ne pouvaient avoir comme source que ma propre famille.
Ils comprirent alors pourquoi je voulais qu'il sorte de leur vie. Mais il était trop tard. Je me sentais trahi, même et surtout par ma femme. Nous avions deux enfants, j'avais un livre classé parmi les best-sellers, et j'étais sur le point de devenir médecin. Mais notre relation était détruite. Quoi que nous tentions, nous savions tous deux que notre union était condamnée.