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Cela faisait des années que je voulais arriver à reproduire certains aspects de l'expérience de mort imminente chez des personnes qui ne seraient pas au seuil de la mort. Par exemple, pour un patient qui tente de revivre un traumatisme d'enfance, avoir la possibilité de voir défiler sa vie de manière intense sans passer par la case « mourir » serait extrêmement précieux dans le cadre de sa thérapie. Il y aurait un autre aspect de l'EMI également très utile à dupliquer : celui de pouvoir voir des parents décédés. Cela se révélerait particulièrement approprié dans de nombreux cas, mais surtout dans le cadre d'une thérapie du deuil pour ceux qui ont le désir de voir les personnes défuntes « encore une fois » afin de régler des points en suspens, et également de s'assurer que le défunt repose en paix dans l'au-delà.

Au fil des ans, des chercheurs ont proposé diverses méthodes pour obtenir une réplique de l'expérience de mort imminente. Certains, issus du milieu médical, en ont même trouvé une à leur insu. Dans les années 1950, par exemple, un médecin allemand du nom d'E. J. Medune mit au point une thérapie par le dioxyde de carbone pour guérir le bégaiement : les patients qui respirèrent ce mélange de gaz rapportèrent par la suite qu'ils avaient eu des réactions très proches des EMI, notamment la sensation de se déplacer dans un tunnel et d'atteindre un certain degré de sagesse cosmique.

La thérapie conçue par Medune parut obtenir un certain succès, y compris pour traiter les ulcères à l'estomac. Les études sur le traitement du bégaiement et de l'ulcère indiquent que les sujets auraient constaté grâce à cette thérapie une certaine transformation (comme cela se produit avec les EMI), mais ce n'est qu'une supposition de ma part, puisque les effets de transformation du « mélange Medune », comme on l'appela, ne furent jamais reproduits par aucune autre étude.

À mes yeux, l'aspect le plus intéressant de l'EMI est de voir des êtres chers disparus. Parmi les différentes étapes de l'EMI, c'est celle qui est apparue la plus précieuse dans la thérapie du deuil, le travail auquel j'ai été le plus étroitement associé.

Le désir le plus couramment rencontré chez les personnes qui pleurent un être aimé est de revoir le défunt. Quand la mort a été très douloureuse, il arrive que la personne souhaite s'assurer que les douleurs ont effectivement cessé. Dans d'autres cas, la personne en deuil peut être en situation de conflits non résolus avec le défunt, et vouloir les résoudre de vive voix. Certains de mes patients avaient subi de mauvais traitements de la part de leur père et désiraient maintenant dépasser la souffrance causée par ces abus en abordant le sujet avec leur auteur. Le désir de revoir un parent décédé a constitué une motivation très forte chez certains de mes patients qui n'arrivaient pas à accomplir leur travail de deuil. Et ne pas pouvoir les aider à atteindre ce but était pour moi la cause d'une grande frustration. Induire une apparition était, en quelque sorte, au-delà des capacités de la science médicale.

Puis un jour, la solution me tomba littéralement dessus.

Je parcourais les étagères poussiéreuses d'une boutique de livres d'occasion dans une petite ville de Géorgie. Repérant au rayon psychologie un vieux livre qui me paraissait intéressant, je tendis le bras pour le descendre d'une étagère placée en hauteur et le livre voisin glissa et tomba à mes pieds. Je le ramassai et regardai son titre : Crystal Gazing. La seule fois où j'avais entendu parler de boules de cristal, c'était dans les bandes dessinées : Donald Duck s'habillait comme une voyante pour soutirer à ses neveux naïfs leur argent de poche.

Normalement, j'aurais remis le livre à sa place sur l'étagère et cela se serait arrêté là. Mais ce jour-là, je disposais de temps pour laisser vagabonder mon esprit, et je choisis pour ce faire d'examiner de près ce fascinant volume écrit par un érudit du nom de Northcote Thomas.

Dans l'introduction, Andrew Lang, éminent psychologue du début du XXe siècle, exprimait sa conviction que la communauté médicale et scientifique rationnelle serait consternée que quelqu'un tente de mener une étude à prétention médicale sur une forme quelconque de « lecture » dans les boules de cristal. Mais le travail de Thomas avait changé le point de vue de Lang. Maintenant, selon lui, les docteurs en médecine devraient considérer les recherches sur la « consultation » des boules de cristal « comme pas plus choquantes, en vérité, que les rêves diurnes ou nocturnes. Ce sont des phénomènes de la nature humaine, des activités de la faculté humaine et, en tant que tels, leur étude présente un intérêt. Se refuser à examiner le sujet constitue une preuve certaine de manque de courage ». La publication du livre datait de 1900 et, à ma connaissance, personne dans la communauté médicale n'avait relevé le défi de Lang et entamé des recherches sur la cristallomancie.

Cependant, à la lecture du livre, commencée dans la boutique puis poursuivie à la maison, je fus fasciné par les possibilités offertes par cette technique. Je me mis à étudier les méthodes utilisées dans d'autres cultures pour créer des états altérés de conscience en scrutant des boules de cristal, des miroirs ou d'autres supports à surface polie et réfléchissant la lumière, connues sous le nom générique de « catoptromancie ». Puis j'entamai des recherches sur ma civilisation préférée, celle des Grecs anciens, et sur les grottes souterraines qu'ils créèrent, dénommés psychomanteum, où les gens passaient des semaines pour finalement se connecter quelques instants à peine avec les esprits de leurs chers défunts.

Tout en étudiant l'œuvre de Thomas et d'autres comptes rendus historiques sur l'art de la catoptromancie, je commençai à me demander si je pouvais extraire cette pratique du domaine de l'art pour en faire une science, et en faire un événement reproductible à volonté et étudié en laboratoire.

Cette idée me parut passionnante à plus d'un titre. D'abord et avant tout, la catoptromancie pouvait être un mode de thérapie du deuil pour des patients incapables de vaincre la dépression et le chagrin causés par la mort d'un être cher. Le chagrin étant l'une des émotions humaines les plus difficiles à surmonter, j'étais particulièrement intéressé par cette question. Revoir un être cher décédé juste encore une fois pourrait marquer un tournant important pour les patients qui tentent de faire leur deuil et de continuer à vivre.

J'ai également consigné d'autres raisons pour lesquelles je devais me lancer dans l'étude de l'univers peu orthodoxe de la catoptromancie.

 

La catoptromancie expliquait-elle pourquoi tant de gens voient des fantômes ? Une excellente étude médicale montrait qu'un quart des Américains avaient vécu une expérience avec des fantômes au moins une fois, contre un tiers des Européens. Par vivre une telle expérience, j'entendais non seulement en voir un mais aussi le toucher, l'entendre ou le sentir. Ces rencontres étaient la preuve que les souvenirs de nos êtres chers sont profondément ancrés dans notre esprit. Même Carl Sagan, l'astronome maintenant décédé, peu porté sur la recherche dans le domaine du paranormal, avait déclaré dans le magazine Parade qu'il avait entendu les voix de ses parents l'appeler plus d'une douzaine de fois après leur mort.

La cristallomancie permettrait-elle de « voir » des fantômes en laboratoire ? Vu le caractère apparemment spontané de la rencontre avec les fantômes, il n'existait pas à ce jour de moyen connu pour les contrôler lorsqu'elle se produisait. Mais si la cristallomancie constituait une méthode pour provoquer des rencontres avec des fantômes, ces dernières pourraient être créées en laboratoire et étudiées par des scientifiques. L'idée de pouvoir observer une personne lors de sa rencontre avec un fantôme m'enthousiasmait. Nous pourrions non seulement observer la physiologie du cerveau qui permet à ce phénomène de se produire, mais également étudier les liens directs entre le cerveau et une éventuelle vie après la mort.

La cristallomancie permettrait-elle de visualiser l'inconscient ? Depuis les débuts de la psychologie, des chercheurs comme Jung et Freud insistaient sur le fait qu'une bonne partie, sinon la plus grande partie de ce qui se déroule dans l'esprit humain se situe dans l'inconscient. Ainsi, ce que nous sommes, et notre façon de réagir et de répondre au monde, est largement invisible et échappe à notre contrôle. La cristallomancie nous permettrait-elle d'étudier consciemment l'inconscient, en le rendant visible ?

La cristallomancie permettrait-elle de comprendre le processus créatif ? De nombreux écrivains, artistes, scientifiques et même hommes d'affaires considéraient l'inconscient comme la source de leur créativité et de leurs plus grandes œuvres. Salvador Dali mit au point des techniques pour se réveiller au milieu de ses rêves afin de pouvoir utiliser les qualités surréalistes de ces derniers sur ses toiles ; cela donna des montres molles et autres images insolites. Thomas Edison fit de même ; il utilisa des techniques pour saisir les pensées traversant son esprit au cours de cet état d'absence entre sommeil et veille. La cristallomancie pourrait-elle être un moyen de tirer parti de la créativité enfouie au fond de chacun d'entre nous ? Et le recours systématique à la cristallomancie pourrait-il venir à bout des blocages rencontrés par notre créativité ?

La cristallomancie pourrait-elle constituer un moyen d'explorer des événements historiques intéressants et importants ? La Bible regorge d'événements qui auraient pu être inspirés par la cristallomancie. Dans le premier livre de Samuel, par exemple, le roi Saül ordonne de chasser d'Israël tous les médiums et les spirites et promet la mort à quiconque oserait invoquer les esprits. Puis, par un revirement extraordinaire, Saül se voit dans la nécessité de demander conseil au défunt roi Samuel. Afin d'éviter d'être perçu comme un hypocrite, il se déguise en femme et prend la route en direction d'Endor, où une femme médium invoque non sans réticence l'esprit de Samuel. L'esprit révèle apparemment la véritable identité de Saül au médium car elle se met à prendre peur du roi et l'accuse de l'avoir prise au piège. C'est seulement lorsqu'il s'engage à ne lui faire aucun mal qu'elle établit le contact entre l'esprit de Samuel et Saül. Le roi pleure et déclare que Dieu ne lui parle plus par l'entremise « des prophètes ou des rêves » ; que c'est donc pour cela qu'il a invoqué Samuel afin que celui-ci lui inspire de sages décisions. On trouve de nombreux épisodes de ce genre dans la Bible ainsi qu'à travers l'histoire. Une étude de la vision dans le miroir révélerait certains des plus grands mystères de l'histoire humaine.

L'étude de la cristallomancie constituait-elle un moyen pour expliquer la propension de l'humanité à croire en l'existence de forces surnaturelles, ou bien un moyen d'atteindre réellement le royaume du surnaturel ? L'étude de la cristallomancie pourrait révéler pour la première fois si un tel royaume existait en permettant à la science de recréer des rencontres avec des fantômes et de les examiner minutieusement jusqu'à en tirer des conclusions. Mais la cristallomancie ouvrait-elle une porte sur un autre royaume ? Et cette porte-là, pourrions-nous apprendre à l'ouvrir à volonté ? Cela expliquerait-il notre croyance tenace dans le surnaturel ?

 

Je notai à la hâte les questions auxquelles je voulais trouver une réponse dans le cadre de mon étude sur la cristallomancie, puis j'en affinai la formulation afin d'obtenir les questions finales énumérées ici. Je rédigeai ensuite un texte présentant l'objet du travail que j'allais entreprendre et dont voici globalement les termes :

 

« En tant que société, nous plaçons la mort à sa place, dans des cimetières créés pour mettre la mort hors de notre vue. Les films d'horreur sont là pour nous rappeler la terreur qu'inspire la mort, mais en dehors de cela, nous parlons très peu d'elle, sauf en cas de nécessité.

À maints égards, ces limites visent à nous dire qu'il existe un monde des vivants et un monde des morts hermétiquement séparés l'un de l'autre.

Cependant, d'après mon expérience, il existe une zone à mi-distance entre les vivants et les morts, zone qui, logiquement, devrait être déserte.

Indubitablement, certaines expériences de la conscience vivante semblent indiquer que nous survivons à la mort. Les expériences de mort imminente font partie de ces phénomènes, tout comme les apparitions de défunts et les voyages chamaniques. Ces expériences sont appréhendées comme une transition entre la vie et la mort. Du fait qu'elles ont à la fois un lien et aucun lien avec les deux, on pourrait les appeler “aventures du Royaume du milieu”.

L'existence du Royaume du milieu ne se fonde pas sur un fait prouvé scientifiquement. Pourtant, des personnes sensées et saines d'esprit vivent des expériences qui les ont convaincues que l'état de mort est une transition vers une autre dimension de la conscience, appelée “vie après la mort”. »

 

Avec tous ces éléments à l'esprit, je me donnai pour objectif d'étudier les visions dans un miroir. Pouvaient-elles constituer un moyen de pénétrer dans le Royaume du milieu ?